Bénie d'Akatosh

Chapitre 0 : Prologue : des mots dans les ténèbres

1200 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/03/2021 23:50

Liinwen courait. De puissantes vagues de douleur irradiaient depuis ses côtes et son poignet, résonnaient dans son nez et son crâne. Sa vision se teintait par instants de points noirs, sa cheville la tiraillait à chaque mouvement. Elle sentait un filet de sang s’écouler depuis son front jusque dans son cou, imbiber le bord de sa tunique sous son armure. Le métal, par endroits fracassé, s’était tordu et comprimait sa cage thoracique. Pourtant, l’adrénaline lui donnait la force de continuer à courir, à fuir dans l’obscurité pour tenter de trouver un lieu où se réfugier.

              Le rire effrayant de son poursuivant se répercuta le long de la crevasse dans laquelle elle avait glissé. Un léger couinement effrayé lui échappa, elle manqua de s’étaler au sol à cause d’une plaque de glace traîtresse. Elle se rattrapa de justesse, serra les dents lorsque sa cheville émit un craquement sec. Elle vacilla, mais reprit sa course de plus belle. Un court instant, elle se remémora la raison de sa présence dans un lieu si sinistre. L’attaque de son camp. Sa tentative d’attirer l’un des monstres pour permettre à ses camarades de le tuer. L’inaction totale du groupe, désorganisé par la rapidité de leurs ennemis.

              Aveuglée par les ténèbres, elle ne remarqua la présence d’une porte que lorsqu’elle se cogna dedans. Son nez, déjà amoché, craqua un peu plus et Liinwen dut lutter contre l’évanouissement qui la menaçait. Elle sentit un liquide poisseux s’écouler de ses narines. Du sang, devina-t-elle au goût métallique qui s’installa vite sur ses lèvres.

              Sans perdre un instant, la jeune femme poussa le battant de métal et le referma derrière elle. D’un geste de la main, elle invoqua un minuscule cristal lumineux qui flotta au-dessus de sa tête. Elle promena son regard dans le halo bleuté qu’il projetait, repéra une hallebarde accrochée à un râtelier rouillé. L’arme ne semblait guère avoir servi depuis des lustres, mais elle suffirait. Elle s’en empara, puis la coinça d’un geste vif dans la poignée d’acier. Ou d’autre chose, elle n’aurait su le dire.

              Une fois sa barricade de fortune installée, elle recula de quelques pas, satisfaite d’avoir pu s’accorder un peu de répit. Elle se doutait que le vampire à ses trousses ne mettrait pas longtemps à la forcer, mais elle avait un peu de temps pour se préparer. Elle observa donc les alentours, fébrile, à la recherche de quelque chose qui pourrait l’aider à combattre le monstre, ou, à défaut, à lui échapper.

              Elle repéra un vieux coffre de bois contre un mur, entre deux portoirs à torches vides. Elle s’en approcha, vérifia à peine qu’il n’était pas piégé avant de l’ouvrir d’un geste sec. Le bois pourri se décomposa presque sous ses doigts, mais elle n’y prêta pas attention. Elle jeta les pièces et les pierres précieuses hors du contenant, guère intéressée par les richesses qui s’y trouvaient. Son regard fut attiré par un vieux parchemin enroulé sur lui-même, un peu humide, mais plutôt bien conservé. Elle le sortit aussitôt et le déroula. D’un rapide coup d’œil, elle devina qu’il s’agissait d’un objet enchanté, dont la formule inscrite à sa surface servait à voyager à travers l’espace en direction d’un lieu choisi par le lanceur. Parfait pour elle. Elle entama la lecture des premières lignes en bégayant un peu, terrifiée par la possible arrivée imminente de son poursuivant.

              Un coup violent sur la porte lui fit quitter des yeux le parchemin un court instant. Une voix décharnée, à l’extérieur, hurla :

—    Tu ne m’échapperas pas, pauvre mortelle !

Sans chercher à lui répondre, elle accéléra le rythme de sa lecture. Sa voix tremblait, le sang qui coulait devant ses yeux lui bouchait en partie la vue. Elle buta sur un mot, le relut en entier, craignit que sa formule ne soit ratée par ce simple problème. Deux mots plus loin, elle bégaya. Les coups redoublèrent d’intensité sur la porte. A la périphérie de son champ de vision, elle distingua les soubresauts du battant, entendit la lame de la hallebarde racler contre le métal. Elle accéléra encore sa lecture, buta sur un nouveau mot, reprit une ligne entière. La panique lui faisait perdre ses moyens, elle peinait à lire correctement les phrases pourtant simples marquées sous ses yeux. De plus, des taches d’humidité parsemaient le papier et rendaient le déchiffrage des symboles compliqué. Elle connaissait la langue utilisée, pourtant, pour l’avoir étudiée pendant des années à l’académie de magie dans laquelle son père l’avait inscrite des années plus tôt. Elle tenta de respirer plus calmement, essaya d’apaiser sa respiration. Le grincement des gonds relança les palpitations de son cœur.

              Soudain, dans un fracas de métal et de roche arrachés, la porte céda. Le vampire se dressa de toute sa stature devant elle, une terrifiante expression de triomphe peinte sur son visage déformé. Liinwen le vit effectuer un pas dans sa direction, accéléra encore son débit de parole. Encore deux lignes et le sort serait lancé. Elle pouvait déjà sentir le fourmillement familier de la magie autour d’elle. Le vampire avança d’un nouveau pas. Encore une ligne et demie. Elle buta sur un mot, recommença à lire la ligne. Le vampire ricana.

—    Tu es perdue, mortelle. J’espère que ton sang…

La voix de Liinwen s’éleva dans les aigus. Les quatre derniers mots quittèrent sa bouche à une vitesse folle. Aussitôt le dernier son envolé, une puissante lumière dorée l’entoura. Elle entendit le vampire pousser un cri de surprise, puis sentit une douleur inimaginable déchirer son crâne, puis son corps. Ses pieds quittèrent le sol, elle sentit ses membres se disloquer, ses viscères fondre. Une chaleur subite l’envahit, se transforma en glace. Enfin, il lui sembla que son crâne implosait, et un voile noir s’abattit sans prévenir sur ses yeux et son esprit.

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