Digne de vie

Chapitre 5 : Chapitre III – Le premier contrat – Partie I

3847 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/01/2022 03:07

Chapitre III

Le premier contrat

Partie I

 

 

Le soir de l’exécution de Fa’rris, Cicéron avait surpris par hasard une discrète entrevue entre Aemillia et Livius, dans les quartiers privés de ce dernier. Il fut surpris d’entendre sa sœur et mentor parler de lui avec autant d’intérêt – elle qui le rejetait sans cesse – et fut tout autant ravi de l’entendre annoncer qu’elle n’avait désormais plus rien à lui apprendre, qu’il était fin prêt pour son ultime test.

Livius avait semblé, au ton de sa voix qui lui parvenait par-delà l’épaisse porte de bois sombre, très amusé de voir la jeune femme vanter son élève en privé. C’en était d’autant plus étonnant du fait qu’elle restait insensiblement froide et distante envers Cicéron, ne montrant aucun intérêt pour lui et sa progression dans la voie de l’assassinat. Il était clair pour tous, y compris pour l’élève, qu’elle voyait en son rôle de mentor un fardeau dont elle avait plus que hâte de se débarrasser.

Cicéron avait d’ailleurs craint, au premier abord, qu’elle voulût l’envoyer de ce fait dans une mission suicide. Il l’imaginait capable d’annoncer, clamer haut et fort, qu’il était fin prêt à remplir ses contrats comme les autres, alors que ça n’était pas encore le cas. Mais à l’entendre parler de lui, de cette voix tant emplie de fierté, il sentait son cœur, toute son âme, vibrer. Il était plus qu’évident qu’elle le pensait sincèrement apte à exécuter le travail qu’on attendait de lui – et qu’il avait souhaité faire dès ses premiers pas dans ces galeries secrètes.

Le lendemain, Siturio – un Rougegarde de vingt ans son aîné, et qui semblait peu hâté de retrouver sa patrie natale – vint à lui, lui annonçant que Livius lui demandait une entrevue. Le jeune homme eut du mal à dissimuler son impatience tant il trépignait, et tenta de faire bonne figure, paraissant le plus neutre possible face à son aîné. Il redoubla d’ailleurs d’efforts lorsqu’il se retrouva en face à face avec le Parleur, qui ne se priva pas de lui faire remarquer à plusieurs reprises la bonne humeur qui transparaissait sur son visage. Il lui confia adorer la fougue de la jeunesse, celle qui s’exprimait par de si grands sourires et une attitude tant déterminée. Quelque part, cela le rassurait – si les jeunes recrues pouvaient reprendre la suite comme il se devait, il partirait alors rassuré de ce monde.

« Bien, parlons sérieusement, veux-tu ? » finit-il par dire en changeant de ton et d’expression.

Cet air soudainement sérieux alourdit l’air déjà pesant de la pièce. Cicéron garda la silence, déglutissant difficilement.

« Aemillia te juge apte à exécuter ton premier contrat. Notre Oreille Noire, Alisanne Dupré, nous en a fait parvenir plusieurs ce matin depuis Bravil. »

L’Impérial avait eu, à quelques occasions, la chance de pouvoir étudier de près une carte de la province de Cyrodiil. Bravil était une ville réputée pour être pauvre et pittoresque, et le crime croissant toujours plus entre ses remparts en avait fait la capitale de la Confrérie Noire. Elle-même située au sud de la Cité Impériale, capitale de Cyrodiil, on y accédait en suivant la Route Verte, qui tenait son nom des magnifiques bosquets et des plaines verdoyant à la belle saison, et on la trouvait à l’embouchure de la rivière Larsius. Si les voyageurs poursuivaient leur route, ils atteignaient Leyawiin et ses ports commerciaux…

« Voilà celui dont tu te chargeras pour ta première fois, » annonça finalement Livius, tirant Cicéron de ses pensées géographiques.

Il lui tendit une lettre décachetée ; le papier de couleur jaunâtre avait été recouvert d’inscriptions soigneusement rédigées à l’encre noire et à la main, d’une belle calligraphie qui témoignait de l’éducation reçue par l’autrice. D’après ce qui y était écrit, l’individu à contacter – celui qui avait réalisé le sacrement noir, appelé la Mère de la Nuit – résidait dans l’une des fermes situées à quelques minutes de marche de l’entrée de la ville. Le Parleur ajouta qu’il serait accompagné de sa mentor pour la prise de contact, puisqu’ils n’avaient jamais vu cela lors de sa – longue – préparation. Mais il se retrouverait livré à lui-même dès lors qu’il aurait connaissance de l’identité de sa cible, et encore plus une fois seul face à celle-ci.

« Es-tu sûr de pouvoir y arriver ? s’enquit son frère en le voyant déglutir sous l’appréhension. Si tu veux nous pouvons attendre encore un peu, rien ne presse…

– Je le ferai, articula Cicéron, comme si cela pouvait lui donner une once de courage. Vous pouvez compter sur moi pour ce contrat, mon frère.

– Une fois que tu l’auras rempli, tu pourras voler de tes propres ailes, sourit Livius, décroisant les bras pour venir tapoter de sa main gauche l’épaule de l’apprenti assassin. Je compte sur toi pour le mener à bien, dans les règles de l’art. »

Sur ces mots d’encouragement bienveillants, Cicéron prit congé de son supérieur, et s’en alla retrouver Aemillia dans les quartiers communs, où elle attendait patiemment le moment fatidique. Bien qu’elle ne vînt par l’accueillir, elle le salua poliment et le gratifia même d’un sourire lorsqu’il parvint à elle. Ses deux yeux clos, on eût presque dit une aveugle. Il se sentit honoré d’une telle démonstration d’affection de sa part.

Elle lui proposa de partir dès lors, afin de régler ce contrat au plus vite. Même si elle ne le disait pas clairement, elle mourrait d’impatience à l’idée de pouvoir reprendre les contrats, enfin libérée de ses obligations vis-à-vis du jeune homme. Sans plus échanger de paroles, ils enfilèrent tous deux leurs coules aussi sombres que les galeries souterraines menant au sanctuaire, et se faufilèrent dans les dédales menant à diverses sorties toutes aussi bien cachées.

Tandis qu’ils progressaient dans l’un des tunnels, Aemillia laissa résonner un léger rire qui s’en alla, ricochant autour d’eux contre les parois terreuses.

« Que se passe-t-il ? souffla Cicéron en tournant son visage vers le sien, dont les yeux ne fixaient que droit devant eux, sans jamais se détourner du chemin à emprunter.

– Je repensais à tes entraînements. Tu te souviens combien de fois il a fallu que nos frères et sœurs m’aident à te retrouver alors que tu t’étais perdu dans l’une de ces veines ? Je le savais, pourtant, que j’aurais dû t’attacher à une corde dès la première fois pour ne pas passer après des heures à tenter de te retrouver !

– Ah, ça, souffla-t-il en rougissant sous la gêne, détournant le regard pour fixer de nouveau le sol, j’avoue que je ne suis pas sûr de pouvoir retrouver mon chemin de moi-même un jour là-dedans. Il y a tant de sorties et d’entrées, jamais je ne saurai toutes les mémoriser.

– Nous sommes tous et toutes passés par là. Tous, sans exception. C’est ce qui fait le charme de notre sanctuaire. En cas de purge de la part des agents de l’Empereur, ou de gardes, nous devrions pouvoir nous enfuir sans problème. Je doute que chaque sanctuaire de notre grande famille n’ait cette chance.

– Si vous le dites, » murmura-t-il avec incertitude.

Un silence étrange, lourd et pesant, s’installa entre eux. Cicéron était bien trop craintif et timide pour oser relancer la conversation. Aemillia, quant à elle, n’éprouvait pas le besoin ni l’envie d’appeler un nouveau sujet afin de tromper l’ennui de leur lente progression. Dans un sens, ils avaient tous deux hâte que l’autre reprît la parole, mais ce mutisme les arrangeait tout autant.

Le temps que l’un d’eux se décidât, ils avaient déjà atteint le bout de leur voyage. Une trappe à travers de laquelle filtrait légèrement la lumière du soleil, ainsi que la pluie lorsque les nuages grisâtres s’amoncelaient dans le ciel par mauvais temps, n’attendait qu’eux pour s’ouvrir et libérer le chemin permettant de sortir de terre, à la frontière de la ville. Bien camouflée entre divers rochers et tonneaux qui ne bougeraient jamais dans aucun cas, nul ne soupçonnait qu’elle pût déboucher ici, et mener tout droit dans l’antre des assassins.

De là où ils se trouvaient, une fois sortis de terre, ils pouvaient apercevoir le moulin de la ferme où attendait le commanditaire du contrat de Cicéron. Il leur restait encore une dizaine de minutes de marche pour y parvenir, à découvert sur la route. Leurs visages bien dissimulés par la coule que chaque assassin de la confrérie revêtait, le bas du visage emmitouflé par cette dernière, ne laissant entrevoir que leurs yeux, nul ne pouvait les reconnaître. Et même s’ils croisèrent quelques voyageurs, aucun ne leur montra le moindre intérêt ; ils agissaient si bien dans l’ombre que nul ne connaissait leurs visages ni leur armure, et donc ne se méfiait d’eux, pour leur plus grand bonheur.

La ferme était familiale, passée d’individu en individu depuis plusieurs générations ; ils rencontrèrent tour à tour les enfants travaillant aux champs, la mère surveillant la mule qui faisait tourner le moulin, et le père nourrissant les bêtes parquées dans leurs enclos. Le contrat mentionnait un homme, et il était le seul dans les environs pouvant correspondre aux termes écrits de la main d’Alisanne. Il sembla soulagé de les voir enfin arrivés dans sa ferme, quoiqu’un peu anxieux, probablement à l’idée que sa femme ou ses enfants ne comprissent ce qui se tramait. Il les prit à part, loin de la vue de sa famille, et formula sa requête.

« Je voudrais que vous assassiniez le gérant de l’auberge À la vue de Jerall, annonça-t-il en épongeant d’un linge à la couleur passée la sueur qui perlait sur son front dégarni sali par la terre. Voilà tout l’or que j’ai pu mettre de côté pour vous payer. Prenez tout. »

Il leur mit – pour ne pas dire qu’il la jeta presque – entre les mains une bourse dont le tintement des pièces contenues à l’intérieur laissait entendre qu’il y avait là une belle somme, amplement de quoi rémunérer Cicéron pour son contrat.

Le jeune homme acquiesça, et ils prirent congé du client. Aemillia profita de la situation pour lui expliquer la marche à suivre ; si le commanditaire souhaitait payer en deux fois, avançant la moitié de la somme et promettant l’autre une fois le crime perpétré, ou bien s’il préférait tout payer d’un coup, avant ou après le meurtre, il fallait s’y soumettre, sans poser de questions. Tandis qu’ils se dirigeaient de nouveau vers les murs encerclant Bruma, l’Impérial posa la question qui lui brûlait les lèvres.

« Pourquoi veut-il sa mort ? Cet homme n’a rien fait de mal. Il ne fait que vivre de son commerce, comme nous.

– Il a ses raisons, trancha Aemillia. Certains veulent se venger d’un marchand ayant vendu une arme de piètre qualité, d’autres souhaitent voir leur rival en amour mort… Nous obéissons sans poser de questions. Et vu la somme qu’il t’a donnée, tu ne peux pas refuser. Nous pourrions faire un festin ce soir, pour fêter ton succès, » ajouta-t-elle ensuite en réfléchissant à haute voix.

Aemillia se doutait bien qu’il affichait à présent une mine abattue ; elle ne pouvait le voir, mais elle le sentait d’une certaine manière. À force de le côtoyer jour et nuit ou presque, elle avait appris à connaître toutes ses petites réactions, même les plus discrètes.

« Il n’y a pas de place pour les sentiments chez nous. Tu as bien vu Fa’rris, nul ne l’a pleuré, pas même Ji’dara. »

Au souvenir du Khajiit, Cicéron se crispa, serrant le poing contre sa volonté. Il ne pouvait accepter une telle horreur, et espérait que cela ne se reproduirait pas tant qu’il vivrait à Bruma.

« Nous connaissons la règle, renchérit la jeune femme, les sentiments, quels qu’ils soient, n’apportent que du malheur. Nous devons le respect à nos frères et sœurs, rien de plus.

– Et vous, Aemillia ? Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous vraiment, vous-mêmes, que c’est possible de vivre sans sentiments ? »

La question de son apprenti la prit au dépourvu ; elle balbutia, bredouillant quelques onomatopées et sons, avant de se reprendre et de répondre, d’une voix claire qui ne flanchait pas.

« Je me suis juré de ne jamais apprécier qui que ce soit, fit-elle d’un ton qui se voulait distant, bien que l’on pût y déceler une forme de tristesse. Seul Livius est différent – à ces mots Cicéron sentit son cœur se serrer – puisque c’est à lui que je dois tout. Il m’a sauvée, en quelque sorte. Il a été mon mentor, et m’a permis de me sentir à ma place dans notre famille.

– Il est pour vous ce que vous êtes pour moi, souffla le jeune homme timidement, baissant les yeux vers le chemin de pierres enfoncées dans la terre.

– Ne dis pas de bêtises. Lui au moins n’était pas un estropié incapable de regarder son élève, » répliqua-t-elle amèrement, en laissant sa voix se fondre dans un murmure.

Que voulait-elle lui faire comprendre ? Y avait-il une réelle raison autre que son ressentiment – dont il ignorait la cause – qui fît qu’elle ne le considérait jamais de face ? Il voulut la questionner à ce sujet encore une fois, mais il était déjà trop tard – ils arrivaient près de l’entrée secrète permettant d’accéder au sanctuaire, celle par laquelle ils s’étaient extirpés des dédales un peu plus tôt. Aemillia se tourna vers lui, ses yeux toujours fermement clos, et posa sa main droite gantée de cuir noir sur son épaule, dans un geste qui se voulait réconfortant et encourageant.

« Tu as ta dague, tes capacités et ton entraînement. Exécute le contrat, et ce soir nous fêterons ça ensemble, sourit-elle gentiment. Toi, moi, et les autres, » s’empressa-t-elle ensuite d’ajouter.

Ils se séparèrent sur ces derniers mots ; elle se faufila à travers la trappe dérobée avec agilité, tandis que lui prenait la direction de la ville. Face aux lourdes portes gardées par des soldats, il fut tenté de faire demi-tour et de fuir, empruntant les routes de Cyrodiil pour changer une nouvelle fois de vie. Mais la Confrérie Noire ne lui permettrait pas une telle trahison, et le traquerait sans fin, c’était évident. Sous le regard nonchalant des gardes, il pénétra dans la ville, qui l’accueillit de son brouhaha et ses effluves douteuses, comme à son habitude.

 L’auberge dans laquelle se trouvait la cible était une des premières – si ce n’était la seule – que l’on rencontrait lorsqu’on franchissait le seuil de la ville. Bruma n’était pas réputée pour sa rue de la soif, bien au contraire. À la vue de Jerall ressemblait aux autres bâtisses toutes de pierres et de bois faites. Le mélange de l’architecture nordique, austère et misant sur l’isolation pour lutter contre le froid hivernal, à la culture impériale de Cyrodiil était assez étonnant à observer. Mais lorsque l’on grandissait dans cette ville, la voyait évoluer et se développer sans tellement changer, cela ne choquait plus.

Cicéron pénétra dans l’immense pièce chauffée par un brasier en son centre, autour duquel quelques individus dégustaient de l’hydromel en se racontant des histoires des temps passés. Quelques mois auparavant, son père faisait encore partie de ces gens qui dépensaient tant de septims dans la boisson jusqu’à en perdre connaissance ou oublier le chemin vers la maison. La dernière fois qu’il était venu en ces lieux retrouver son père ivre mort… Non, il préférait oublier. Ce passé était révolu, il était libre, désormais.

Lorsque le couple d’aubergistes salua le nouveau venu, celui-ci leur rendit la pareille d’un hochement de tête, son visage dissimulé par la coule, lui épargnant un sourire faux ; l’inquiétude commençait à le ronger tandis que la même question venait et revenait dans son esprit. Serais-je à la hauteur ?

Il s’approcha du comptoir, exécutant un signe muet afin de commander la dernière boisson qu’il pourrait se faire servir par le tavernier qu’il avait connu pendant si longtemps, et s’installa quelques sièges plus loin afin de le garder en visuel. Ils ne semblèrent pas se questionner au sujet de son armure qu’on ne voyait nulle part, chez aucun forgeron. Tant mieux, il ne voulait pas avoir à subir plus de stress qu’il n’en avait déjà.

Comment devait-il procéder ? Il y avait du monde – et donc des témoins –, et le tavernier ne s’absentait que rarement. Des rumeurs – qui semblaient pourtant fondées, puisque lui-même avait été involontairement témoin de ces actes – laissaient croire qu’il s’abandonnait à peloter allègrement l’employée de l’auberge lorsque sa femme avait le dos tourné. Mis à part à ces quelques occasions, il était rare de le voir prendre une pause et s’absenter de son comptoir. Cicéron ignorait même comment l’aubergiste faisait pour garder son enseigne ouverte la nuit à tout voyageur nocturne cherchant un abri et un lit. Peut-être avait-il un autre employé, payé pour vivre lorsque Masser et Secunda dominaient le ciel, tandis que lui se reposait après ses longues journées.

 Fallait-il alors vraiment qu’il attendît la nuit pour mener à bien son contrat ? Il voyait difficilement comment il pouvait passer toute la journée à patienter. Et il n’avait aucunement envie de laisser ce contrat traîner. Non, il devait s’y prendre furtivement, accomplir ce qu’il était venu faire, et devenir un vrai assassin une fois le test brillamment réussi.

Il connaissait relativement bien les lieux ; lorsque son père venait se saouler jusqu’à l’inconscience, c’était lui qui venait le chercher, et il l’avait déjà retrouvé dans l’arrière-cuisine à vider les barils d’hydromel à la givreboise tant réputés dont la recette provenait de l’autre côté de la frontière. Il se souvenait d’une porte de bois qui donnait sur une rue adjacente, et permettait le ravitaillement des fûts et des denrées alimentaires. Plutôt que de passer par la grande porte, il pouvait s’extirper par cette sortie-ci, discrètement. Connaître l’issue qu’il pouvait emprunter le rassura déjà quelque peu, et calma le tremblement de ses doigts.

Il serra contre lui sa dague fermement fixée à hauteur de la ceinture ; Ticilius lui en avait affûté la lame le matin-même, son tranchant ne connaissait aucune limite. Seulement… Et s’il était incapable de tuer ? Bien qu’il eût tenté, il n’avait jamais tué de ses propres mains. Il ne connaissait pas la sensation du sang coulant sur sa peau, entre ses doigts, creusant les rides des paumes froissées. Et s’il n’était pas taillé pour ce genre de métier ? Que ferait-il ? Qu’adviendrait-il de lui ? Il ne pourrait quitter la famille. Devrait-il payer de sa vie son hésitation ?

Un tintement de métal tombant et rebondissant sur le sol de pierre le ramena à la réalité, l’arrachant aussi soudainement de ses pensées. Le tavernier avait par mégarde laissé s’échapper une chope de ses mains alors qu’il l’essuyait d’un torchon. Il ramassa l’objet déformé par sa lourde chute et se dirigea vers une des pièces voisines de l’arrière-boutique afin de la mettre de côté pour s’en débarrasser plus tard, probablement en la troquant auprès du forgeron contre quelques pièces. C’était là la seule chance qu’aurait Cicéron pour mener à bien sa mission. Il n’avait plus d’autre choix que d’y aller.

Il vida cul sec le contenu de la chope qu’il avait commandée un peu plus tôt, et suivit discrètement l’aubergiste ; ses bottes de cuir ne faisaient presque aucun bruit sur les dalles grisâtres, et les voyageurs assis autour du feu étaient bien trop concentrés sur leur discussion pour remarquer le comportement du jeune Impérial dont le visage était recouvert. Un pas, deux pas, voilà qu’il se trouvait dans le dos de cet homme affairé à chercher une nouvelle chope pour remplacer celle qu’il venait tout juste d’abîmer.

Tous les souvenirs de son entraînement défilèrent devant ses yeux. Furtivité, vitesse, adresse, il fallait qu’il usât de toutes ces compétences qu’Aemillia avait mis tant de temps à le faire développer. Tout s’enchaîna particulièrement vite ; il se trouvait derrière l’homme, et l’instant d’après, comme s’il avait agi inconsciemment, ce dernier gisait sur le sol, la gorge scindée en deux et prenant peu à peu une couleur rouge vif qui recouvrait sa peau et imbibait ses vêtements. Son corps fut parcouru de spasmes, avant de rester inerte.

Cicéron se retrouva figé, paralysé par la sidération : il n’en revenait pas ; il avait réussi à tuer, il avait tué. Il était parvenu à remplir son tout premier contrat… !

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