Sylla, la grande quête

« Sirène : monstre à membres inférieurs soudés et incurvés rappelant une queue de poisson »

Je fermai le livre avec tellement de violence que des remous se formèrent. Monstres ? C’est ainsi qu’ils nous voyaient ? Nous donner un devoir en EDC (étude des civilisations) sur les significations du mot « sirène » n’était pas suffisant ? Fallait-il en plus supporter les sarcasmes des autres races ? Aïe en plus le surlendemain est le jour de la sélection… Je n’avais pas eu le temps de m’entraîner... Je griffonnai en vitesse la définition sur une feuille. J’avais mis tellement de temps pour me procurer ce livre et pour qu’un magicien le rende visible sous l’eau… C’était ainsi qu’il me remerciait ? Bon d’accord, je n’étais pas encore une sirène à proprement parler, je le serai à ma majorité… Je sortis de mes pensées. Je rangeai mes affaires et partis pour le gymnase.

C’était une grande bâtisse terne, un simple cube qui jurait avec les beaux édifices aux couleurs chatoyantes qui l’entouraient. Comment pouvait-il avoir été créé ? Devait-il concurrencer les mille mystères que recelait la capitale de Léindélia ? Ses édifices aux courbes épurées qui s’élevaient jusqu’à la surface ou ses ruelles sinueuses qui s’enfonçaient dans les profondeurs de l’océan ?

Arrivée aux vestiaires, j’enfilai une brassière de sport et me plaçait devant les miroirs pour m’attacher les cheveux. Je ne saurais dire si j’étais jolie : un visage fin, des yeux d’acier, une cascade de cheveux bruns. Mais j'avais, comment dire, un sale caractère : têtue, peu amicale et très méfiante. J’avais quand même des qualités : je maîtrisais le regard-qui-tue ! Quelle fierté ! Je m’appelais Melandriachnav. Un prénom très laid mais chez nous il était coutume que les parents réunissent plusieurs prénoms en un seul. Je venais donc de Mel, Andria et Chnav. A cause de l'imprononçabilité de mon prénom, on me surnommait Mel.

Je me détachai de mon reflet et je nageais jusqu’aux équipements. Après un léger échauffement, je commençai avec la course de vitesse où comme d’habitude j’excellais. Tous les exercices physiques me plaisaient mais c’est en magie que j’avais des légers problèmes. Après avoir failli transformer mon professeur en biiln (sorte de lézard aquatique à deux têtes), j’évitais de l’utiliser. Je n’étais pas nulle mais archinulle. Peu de magie et très peu de contrôle…

- Alors ma belle, on nargue les autres ? 

Je sursautai et me retournai dans l’intention de donner une baffe magistrale à l’auteur de cette tirade, mon bras fut arrêté par celui de Berganch. Il pourrait être intéressant si son QI n’était pas si proche du néant. La carrure athlétique, des grands yeux verts, un visage aux traits altiers, une chevelure caramel qui tombait sur ses épaules musclées.

-De toute façon tu te contenteras de la seconde place ! dit-il avant d’exploser de rire.

-Primo je t’interdis de m’appeler ainsi, secundo je ne nargue personne, je m’en-traî-neuh et tertio je ne me contenterais que de la première place. Compris ?

-Gnagnagna… Pff…

Il s’en alla en poussant d’autres grognements tout aussi peu élégants. Je ne commenterai pas sa tirade très intelligente et productive. Je passais encore quelques minutes à ruminer des pensées obscures puis je me mis au slalom.

Après le coucher du soleil artificiel (qui éclairait les profondeurs) je rentrais chez moi. Ma maison était une grande bâtisse recouverte de nacre. Plusieurs gigantesques coquillages ornent sa façade finement ouvragée par des artistes reconnus dans tout le pays. Deux grandes tours encadraient le bâtiment, formant ainsi un petit château.

Lorsque j’entrais, pas de bonjour de mon père, assis sur un canapé, seul un laconique « tu es en retard ». Je m’attendais presque à ce qu’il se transforme en un lapin blanc brandissant une montre à gousset. Il fallait vraiment que j’arrête d’étudier les histoires terriennes ! Trop tard, je sentais un gloussement pointer, je le camouflai derrière un toussotement factice.

-Bonjour,…papa.

 -Mouais bonjour… Il reste quelques artichauts de mer aux épines, me dit-il avant de se replonger dans sa lecture

-Beurk. Il reste des maravouis (chocolats à la rose) ?

Silence

-Toujours un plaisir de parler toute seule…, marmonnais-je

 Je me dirigeais vers la cuisine quand surgit un nouvel obstacle : ma mère. Elle était tout le contraire de mon père : elle avait une affection débordante (un peu trop) toujours à vouloir m’embrasser et à se lancer dans des discours interminables sur la vie. Entre l’indifférence  de mon père et l’attachement beaucoup trop prononcé de ma mère, je ne saurais dire ce qui m’énervait le plus.

-Bonjour mon ange ! Comment vas-tu ? Je me suis fait du souci pour toi. Tu es rentrée tard !

-Maman ! Je ne suis plus une enfant.

-Je sais mais tu as grandis tellement vite ! Je me souviens encore du moment où..…

Quelques secondes plus tard, j’interrompis son monologue passionnant :

-Il reste des maravouis ?

-Oui mais tu sais ce n’est pas bon pour la santé de manger trop sucré et…..

Je partis vers le frigo, sortis un plateau de chocolats et montai avant la suite de ses propos. J’adorais m’enfermer dans ma chambre depuis toute petite. C’était le seul endroit où je me sentais vraiment bien : un sol en sable fin qui avait coûté une fortune, des murs recouverts de dessins que je réalisais parfois et… mon lit. Je picorais dans mon assiette pendant que je rêvassais… Je me brossai les dents puis et je m’affalai sur mon lit. Comme à mon habitude, je m’endormis instantanément.

Quelques trop courtes heures plus tard, ma mère vint toquer à ma porte pour me réveiller. Je baillai un bon coup puis m’habillai. Je descendis quelques minutes après en mode zombie (avec les grognements)…

Après un rapide petit déjeuner, j’allai au lycée. Contrairement à ma maison, sa façade ne comportait aucune fioriture. D’un bleu terni par le temps, c’étant un grand pavé percé de fenêtres.

 Lorsque la sonnerie retentit, nous nous sommes dirigés vers nos salles respectives. Je partais pour deux heures d’ennui en EDC.

-Bonjour tout le monde, nous allons commencer  avec des révisions sur Léindélia : comme vous le savez, c’est un royaume d’une superficie 987 000 kilomètres carrés. Elle abrite des sirènes mais également des vampires, des magiciens, des elfes, des obligails etc. Sa capitale est Piscati et ses deux plus grandes villes sont Lartian et Oménil. Parlons en particulier des sirènes. Melandria (beaucoup de professeurs m’appelaient comme ça pour faire plus court mais « Mel » l’était trop...) donnez moi sa définition pour les elfes.

Mince mince mince. Que dire ? Je n’avais cherché que la définition pour les Terriens…. Une solution : inventer. Je sortis une feuille de mon cahier et fis semblant de lire :

-Etre pensant issu du mélange… euh…improbable entre un poisson et un Homme. Dis-je avec un sourire angélique.

-Etrange, ce n’est pas du tout ce que j’avais trouvé… Enfin bon… Chirlano ? Celle des vampires ?

C’est à ce moment que je déconnectais  mon cerveau et je commençai à rêvasser jusqu’à que quelqu’un frappe à la porte. D’un sursaut, je me redressai juste à temps pour faire bonne figure devant le directeur de l’établissement. Celui-ci prit la parole d’une voix solennelle et nous annonça :

-Demain, vous accueillerez une nouvelle élève dans votre classe. Des questions ?

Comme personne ne fit mine d’amorcer une réponse, je m’y collai comme d’habitude :

-Passera-t-elle les tests ?

-La décision n’a pas encore été prise, il faut évaluer son niveau. Maintenant si personne n’a d’autres questions idiotes je vais retourner travailler.

Whaou mais pourquoi il s’énervait ? J’ai dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas et c’est comme ça que  je suis récompensée ? Bravo… Je décidai alors de me rendormir, le monde était trop méchant avec moi… A peine cette pensée fut-elle formulée qu’elle s’avéra exact car à ce moment précis entendis-je la douce voix de ma professeure :

-MELANDRIACHNAV !!!

Je sursautais alors très brusquement en tentant un petit :

-Euh ui ?

-Je me demandais si tu ne souhaitais pas rester une ou deux heures en plus dans ce bâtiment ce soir !

-Je vous remercie pour cette aimable proposition mais je préfèrerais rentrer tôt chez moi… dis-je avec un air innocent

-Bon, on oublie pour cette fois mais c’est ta dernière chance !

-Merci madame !

Dernière chance dernière chance… Des dernières chances c’était au moins la dixième !

Après encore une infinité d’ennui, la sonnerie retentit enfin nous libérant alors que notre professeure tentait en vain de finir sa phrase :

-… le roi et la reine sont… Mais revenez ! Je n’avais pas fini !

Les autres cours se déroulèrent sans incident notable et je rentrai chez moi avec une forte envie de dormir.

Une petite goutte tomba sur mon pied nu et je baissai la tête. Du sang… Une marre de sang s’étendait à mes pieds et au milieu agonisait une inconnue. Non pas une inconnue, son visage me semblait familier. Une crinière rousse, des yeux bleus profonds comme l’océan que des larmes faisaient briller. Je la connaissais, sans la connaître… Je courus  vers elle et dans sa bouche sortit un murmure, une goutte de sang perla au coin de ses lèvres pendant qu’elle articulait « Sauve-moi Mel. Sauve-moi ! »

Mon cœur battait la chamade quand, pleine de sueur, je me réveillais en sursaut. Un cauchemar, ce n’était qu’un cauchemar me dis-je en passant ma main dans mes cheveux trempés... J’essayais de me résonner en me disant  que cela était du au stress… Je tentai alors de me rendormir mais dès que mes paupières se fermaient, les yeux de la jeune fille surgissaient…

Après un long moment, le sommeil me rattrapa enfin et ne me lâcha qu’au « Mon ange ? Il est l’heure de se réveiller » de ma mère. A ce moment là, je pris conscience que les épreuves étaient aujourd’hui et que je n’avais aucune information précise sur le déroulement de celles-ci… Le stress commença à m’envahir et mon estomac se noua tellement que je fus incapable d’avaler quoi que ce soit… Après m’être préparée, je nageai vers le centre d’examens et mon cœur s’emballa. Je n’étais jamais encore venue dans cette partie de la capitale, je vis un ensemble d’immenses bâtiments. Le principal dominait les autres de moitié et les ravalait au rang d’insectes insignifiants. La façade pourpre aux fenêtres géantes était surplombée par plusieurs tours de différentes hauteurs qui donnaient à cette bâtisse un air de gigantesque bateau échoué au fond de la mer... Contrairement à mon école, le navire était finement ouvragé de milliers de statues. Celles-ci comportaient tellement de détails qu’elles semblaient se mouvoir comme si elles étaient dotées de vie… Même la porte était compliquée : en bois rare, probablement d’orne marin (le bois le plus rare et le plus couteux) elle s’envolait à plusieurs donn de hauteur (1donn correspond environ à 2,3m) et était ornée d’innombrables dorures.

Soudain le portail s’ouvrit…