New Orleans Haunted Tour

Chapitre 1 : Le manoir LaLaurie

4245 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/02/2019 21:31

Cette fanfiction devait faire partie du Défi d'écriture de septembre octobre. Il fallait écrire en s'inspirant d'une image (précise). J'ai pris Performance of the Heaven (voir forum).

http://rhads.deviantart.com/art/Perfomance-of-the-Heaven-557487965

 


New Orleans Haunted Tour


LE MANOIR LALAURIE

sSs

La voiture fit une monumentale embardée.

Dean rétablit le contrôle du véhicule d'un tour de volant assuré et d'un coup de frein puissant, mais non sans l'empêcher de finir dans le bas-côté. Sur le siège passager, son frère Sam réveillé en sursaut, venait de pousser un grognement indigné indistinct après s'être méchamment cogné contre la vitre, et à moitié étouffé avec la sangle de la ceinture de sécurité.

— Dean ! Bordel ! Fais un peu gaffe ! pesta-t-il hagard, en rejetant ses cheveux longs en arrière pour se frotter le front.

L'aîné des frères se permit une petite moue moqueuse en battant des cils comiquement, juste avant de couper le moteur et de mettre le frein à main.

— Nid de poule ! Désolé…

— Ouais c'est ça… Désolé, mon cul…

— Tu sais que t'es tout grognon quand t'as pas assez dormi, Sammy ?… constata-t-il en mettant le frein à main. Je sors voir le pneu.

— M'appelle pas Sammy ! protesta le plus jeune en pure perte

Son frère ne l'écoutait déjà plus. S'extirpant de l'Impala noire qui faisait sa fierté, Dean Winchester déplia son corps noueux endolori par des heures de conduite. Cette voiture ayant appartenu à son père pouvait être considérée comme un héritage de famille, et s'il était vrai que « Baby » en avait vu de vertes et de pas mûres, il aimait tout de même en prendre soin – ça n'empêchait pas.

Ses yeux verts étrécis contemplèrent le paysage si outrageusement familier d'une petite route anonyme, tragiquement mal éclairée, serpentant à perte de vue au beau milieu d'une épaisse forêt glauque. Pour changer (et c'était remarquable) celle-ci avait des allures vaguement tropicales et la fraîcheur toute relative de cette nuit d'automne était saturée d'une humidité lourde, en raison des marais avoisinants. Un bourdonnement bas vrilla son nerf auditif. Quelque chose venait d'effleurer sa joue et se poser dans son cou en causant aussitôt un réflexe des muscles horripilateurs.

Presque à moitié rendormi malgré lui à cause de la fatigue accumulée, Sam resursauta au bruit d'une claque violente et descendit la vitre en fronçant les sourcils. Ses yeux à mi-chemin entre le noisette et le vert comme ceux de son frère, se firent dubitatifs en contemplant la scène quand il lâcha d'un ton sarcastique :

— Si c'était juste l'histoire de te filer des baffes, tu sais que je pouvais tout-à-fait m'en charger ?

— Hin-hin, t'as fait l'école du rire, toi. Je viens de faire sa fête à un moustique préhistorique de deux centimètres et demi, mon pote… Je te jure, c'est flippant la taille de ce truc, dit-il en tendant une paume ensanglantée vers son frère qui lui offrit une grimace d'approbation.

Dean essuya négligemment le carnage sur son jean déjà bien raide de crasse et s'accroupit près du pneu côté passager. Avec des gestes doux et presque maternels, il appuya à intervalles réguliers sur la chambre à air pour tenter de mesurer l'étendue des dégâts.

Sam avait penché sa tête chafouine aux traits fins par la vitre ouverte et des éclairs de malice inhabituels brillèrent dans ses prunelles quand il demanda sans autre émotion :

— Vous voulez que je vous laisse seuls tous les deux ?

Le regard noir, Dean se releva souplement sans manifester la moindre courbature, en se frottant les mains l'une contre l'autre.

— Sors de là, banane ! Puisque t'es assez en forme pour me vanner, tu vas m'aider à remonter la roue, elle est crevée. Si tu pouvais me trouver le cric… J'sais pas où il est.

Creusant ses longues fossettes aux joues, le cadet étira ses lèvres minces en fronçant le nez avec réticence.

— Moi aussi je suis crevé, j'ai conduit six heures d'affilée avant toi… Celui qui conduit répare. Ça a toujours été la règle, tu sais ça…

Un large sourire factice et moqueur détendit ses traits séduisants précocement endurcis par une vie trop rude. Dean lui signifia manuellement d'aller se faire foutre et tapa deux fois autoritairement sur le toit pour l'inciter à se bouger le cul.

— Plus vite ce sera réparé, plus vite tu retourneras à ta petite sieste, argumenta-t-il avant d'écarquiller les yeux, de se flanquer une autre gifle et de regarder sa main d'un œil indécis. En plus, j'ai l'impression que le temps est en train de tourner.

Sam soupira et ouvrit largement sa portière pour désintriquer sa haute silhouette dégingandée de presque deux mètres hors du tacot familial ; il n'était pas mieux vêtu que son frère. Maugréant tout bas, il massa sa nuque raide. Enfin, cassé en deux en raison de la ligne basse du véhicule, il fourragea dans la boîte à gants où il découvrit dans l'ordre : un vieux sandwich moisi à moitié mangé (qu'il jeta), une paire de menottes trop roses pour être honnêtes, différentes cartes de crédits et de fausses pièces d'identité… et enfin une lampe torche avec des piles en état de marche. Tanguant légèrement d'épuisement, il se traîna jusqu'au coffre qu'il ouvrit largement.

— Et depuis quand t'es devenu M. Météo ? poursuivit-il dans l'espoir qu'un semblant de conversation le réveillerait.

— Mes vieilles fractures se rappellent à moi, répondit l'aîné en faisant rouler son épaule musclée sous sa canadienne bleue avant de s'éloigner de quelques pas.

— Hop, hop, hop ! Et tu vas où comme ça ? s'étonna le plus jeune, inquiet qu'il ne le plante là en le laissant faire tout le boulot.

Dean lui adressa la large grimace de grand frère emmerdeur qu'il appelait un sourire taquin :

— Faire pleurer le colosse, si tu veux bien, et je crois que je peux m'en tirer tout seul…

Face au coffre, le cadet se contenta de soupirer en levant les yeux au ciel. Secouant la tête, il gratta ses joues déjà rugueuses avec un peu de perplexité. En dessous du capot ouvert, on distinguait le large sceau ésotérique dessiné à la peinture blanche, protégeant toutes leurs possessions de chasseur de toute effraction surnaturelle potentielle. Quelque part dans ce bordel d'armes à feu chargeables au gros sel, de poignards fabriqués dans toutes sortes de métaux précieux divers et variés, de livres d'incantation en latin, pistolets sacrés, cordes et filets de nylon, gros sel, eau bénite, huile sainte… le précieux cric devait se trouver pas loin du pneu de secours – à tous les coups, rangé sous l'empilement du reste…

— Et on est où, exactement ? s'enquit-il en haussant le ton pour que son frère l'entende pendant qu'il retournait leur bric-à-brac sans grand succès.

Pendant un moment, seul le riche silence de la nuit lui répondit, ponctué par le bourdonnement des insectes, le crissement des élytres, les petits cris aléatoires des animaux, le plouf des canards (ou s'ils n'avaient pas de chance, celui des alligators). Puis Sam stoppa ses tâtonnements infructueux et, mû par une inspiration subite, il ferma le coffre d'un claquement sec pour aller ouvrir une portière arrière. Comme il braquait la torche sur la banquette, un rictus agacé se peignit sur ses traits en voyant le cric abandonné derrière le siège conducteur. Evidemment.

— Exactement ? répéta la voix de Dean soudain de nouveau à deux pas derrière lui.

Sam jura en se cognant sous la surprise. Il ressortit et lui tendit l'ustensile noir que Dean prit comme si de rien n'était et sans un merci, avant de retourner s'agenouiller du côté du pneu avant droit.

— On est exactement en Louisiane, et si tu me sors ce foutu pneu du coffre avant la semaine prochaine, on pourrait même être à la Nouvelle Orléans dès demain après-midi ! On dormira douze heures, promis.


xXx

"Carry on my wayward son

There'll be peace when you are done

Lay your weary head to rest

Don't you cry no more". [1]

L'asphalte défilait devant elle sans qu'elle prête réellement attention au décor monotone qui les ramenait de l'aéroport vers la ville. A la vérité, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait ici dans cette voiture louée qui fleurait le plastique neuf et la citronnelle, à écouter cette berceuse improbable qui n'aurait sans doute jamais pu endormir leur enfant.

Enfin si, elle savait ce qu'elle faisait là, mais était-ce bien raisonnable ? Sa jolie bouche purpurine aux lèvres pleines et légèrement boudeuses se pinça sous une acide autodérision enracinée de longue date. Rien n'était jamais vraiment raisonnable avec cet homme-là… Et elle avait presque envie d'ajouter « Dieu merci ».

Parce qu'elle ne l'avait pas vu depuis plusieurs mois, elle observait sans vergogne le profil détendu du conducteur à ses côtés tandis qu'il tapotait sur le volant, en chantant faux à tue-tête avec une totale décomplexion. Elle sourit gentiment en voyant qu'il avait l'air beaucoup plus heureux aujourd'hui – ou mieux en tous cas – et elle ne pouvait que s'en réjouir pour lui après les longues années de dure dépression qui l'avaient frappé.

Elle laissa glisser son regard sur ses cheveux bruns courts aux pics ébouriffés (pour cacher qu'ils commençaient à se clairsemer). Son grand front était à présent strié de légères rides qui parvenaient enfin à vieillir un visage resté longtemps poupin. Le gris vert de ses yeux mobiles trompeusement tombants révélait encore, à qui savait les déchiffrer, la vivacité d'une intelligence des plus alertes. Son nez un peu épaté de grand sensitif qui n'aimait pas s'avouer, surplombant et son petit menton ridicule et sa bouche charnue. Cette lèvre inférieure lui avait tant de fois donné l'envie de tout arrêter pour l'embrasser séance tenante, au moment le moins opportun – malgré le danger ou peut-être à cause de lui…

D'un petit mouvement de tête impatienté, elle chassa ces pensées obsolètes, en regardant à nouveau les nuages noirs sinistres qui s'amoncelaient dehors à l'horizon. Percevant du coin de l'œil le soupir imperceptible qu'elle laissa échapper, il baissa le son de la radio pour pouvoir lui parler.

— Tu me fais encore la tête ? demanda-t-il avec une légère caresse du doigt sur le dos de son bras pour attirer son attention.

Elle accrocha ses yeux et se dit que, décidément, l'âge ne traitait pas trop mal l'homme qui avait été son collègue, son ami, son amant, le père de son enfant envolé… Et à présent son ex un peu trop tendre et attentif… Fox Mulder.

— Mulder, se plaignit-elle en réutilisant spontanément son patronyme malgré leur intimité passée. Peux-tu seulement me dire ce qu'on fait ici, un vendredi soir, paumés au beau milieu de nulle part, après cette réunion mondaine affligeante, et après la semaine harassante que j'ai eue à l'hôpital ?

— On est bientôt arrivés… la rassura-t-il en mordant un sourire.

Pour se donner contenance, il piocha dans son éternel paquet de foutues de graines de tournesol qu'il semait partout. Des années plus tôt, elle avait sérieusement envisagé de l'inscrire en cure de désintox pour ça. C'était juste horripilant. Mais il laissa flotter un petit sourire timide avant d'ajouter :

— …et je te promets que s'il y a le moindre changement dans l'état de santé de ta mère, on repart par le premier avion. Croix de bois, croix de fer…

— J'y compte bien. Et puis, si je savais où on allait, peut-être que je partagerais un peu plus ton enthousiasme guilleret… Mais depuis qu'on a quitté la réunion des anciens du FBI, tu persistes à jouer les mystérieux avec moi. Après tout ce temps ! Il a fallu que je te suive sans discuter dans cet avion inconfortable et puis maintenant cette voiture de location qui ne vaut guère mieux... Et tout ça pour quoi ? Un motif aussi futile que de « passer un Halloween à la Nouvelle Orléans » ? Sérieusement ?! Je ne te crois pas.

— Donc tu n'es pas contente de me revoir ? en conclut-il avec un coup d'œil à ses joues magnifiques de madone préraphaélite qui s'empourpraient sous le coup de l'émotion.

— Si... Bien sûr que si, admit-elle avec un haussement d'épaule. Ne sois pas bête.

— Je ne le suis jamais vraiment, se rengorgea-t-il en se gagnant une nouvelle oeillade un peu navrée. Et il est évident pour tous, sauf pour toi, que tu as vraiment besoin d'une pause, sinon tu ne tiendras pas le coup. Je suis passé par là, tu sais, avec mes parents. Et comme tu n'écoutes personne, il a bien fallu que je t'enlève…

— Je croyais que tu avais remisé ton armure de don Quichotte idéaliste…. En tous cas, c'est ce que tu as dit à ta psy pour arrêter ton traitement.

Un amusement fugace flasha sur ses traits si familiers qu'elle aurait pu les dessiner les yeux fermés.

— Tu l'as appelée? Je m'en doutais. Tu as toujours été la conscience professionnelle faite femme…

— Mulder, je t'en prie… commença-t-elle.

— Relax, OK ? Je me souviens très bien de ce que j'ai dit mais… il y a des choses importantes en lesquelles… je veux toujours croire, répondit-il mi-figue mi-raisin sans quitter la route des yeux.

Un peu alarmée par cette petite phrase qui était tout sauf anodine entre eux deux, elle le surprit en train de hausser plusieurs fois les sourcils avec un petit sourire en coin. « Des choses importantes ? »… Diable d'homme. Et malgré elle, elle se mit à rire doucement de bon cœur mais pas assez longtemps au goût de son compagnon, qui ne souhaitait pourtant rien d'autre.

— Allez, dis-moi ce qu'on fiche ici, insista-t-elle d'un ton patient quand elle se fut reprise.

— Non. Ça te gâcherait toute la surprise.

— Fox… tu ne crois pas qu'on a passé l'âge des gamineries ?

Il lui darda une prunelle faussement outragée, puis se pencha en avant vers le pare-brise en pointant les panneaux routiers qui les surplombaient à cet instant. Il suivit l'indication de la prochaine sortie vers la Nouvelle Orléans.

— Parle pour toi ! Regarde, on arrive bientôt, et j'espère que ça sera avant la pluie... Tu verras, je ne me suis pas fichu de toi : j'ai réservé dans le Vieux Carré…

— Mulder, je te connais bien et rien n'est jamais gratuit avec toi. Qu'est-ce qu'il y a qui peut bien t'intéresser dans ce quartier plein de vieux…

La phrase mourut au bord de ses lèvres tandis qu'elle écarquillait les yeux d'un air consterné sans oser finir, et il sourit largement en voyant qu'elle commençait à deviner toute seule.

— Je me suis demandé quelle aurait pu être la parfaite conclusion de cette journée déprimante consacrée « au bon vieux temps au FBI », qui pour nous consistait à résoudre des dossiers classés X ?...


sSs

Dean jeta son sac à côté de l'un des deux lits jumeaux du motel miteux où ils venaient de faire halte aux petites heures. Derrière la vitre douteuse, le ciel évanescent s'embrasait d'une improbable et étourdissante palette de roses et de rouges qui glaça son sang un instant dans ses veines, en raison d'une furtive réminiscence de son séjour en Enfer. Il laissa tomber le rideau occultant et s'assit sur la couverture trouée de brûlures de cigarettes pour retirer adroitement ses baskets sans défaire les lacets, en s'aidant des orteils.

— J'ai décidé qu'on allait faire un peu de tourisme utile pour une fois. On va aller visiter une baraque qui appartient, tiens-toi bien, à Nicolas Cage, alias le Ghost Rider, énonça Dean avec un sourire de vingt ans de moins et des étoiles respectueuses dans les yeux.

— T'es sérieux ? demanda Sam en posant son sac sur une petite table pour en extirper son portable avec précaution.

— Je regardais une rediff l'autre soir quand j'ai entendu qu'il allait peut-être la revendre. Officiellement parce qu'il aurait besoin d'argent mais… Cette baraque, Sammy, ce n'est pas n'importe laquelle ! C'est l'une des plus hantées de toute la Nouvelle Orléans !

Sam se passa une main sur la figure pour masquer son incrédulité moqueuse et essaya de sonder son frère le plus sérieusement du monde :

— T'es au courant qu'il y en a un sacré paquet dans cette ville, de maisons hantées ? C'est quasiment une spécialité locale avec le gombo…

— Ouaip ! fit Dean en se jetant peu cérémonieusement sur son lit, avant d'agiter la main dans sa direction. Vas-y pianote sur ton clavier, Google-ator, c'est la stricte vérité. Et moi Dean Winchester, j'ai l'intention de régler ce problème une bonne fois pour toutes ! Pour le Ghost Rider.

Haussant des sourcils à moitié amusés, Sam se garda de rien répliquer en déployant le câble pour brancher son ordinateur sur secteur, puis il l'alluma et vérifia s'il y avait du wifi disponible.

— Et comment s'appelle cet endroit ? demanda-t-il une fois que tout était paré.

— C'est le Manoir LaLaurie. Carrément notre périmètre, si tu veux mon avis... Je vais piquer un petit roupillon pendant que tu farfouilles et on s'en reparle au petit déj' ?

— Mhhh, marmonna indistinctement Sam, qui faisait déjà courir ses doigts sur les touches en arrondissant les yeux sur le nombre de pages consacrées au sujet.

Avide et intéressé, il parcourut la liste des premiers résultats avant de pousser un sifflement admiratif :

— Ben dis donc, va falloir passer à l'épicerie pour refaire les stocks de gros sel, moi je te le dis !… Dean ?

Sur le dos et la bouche ouverte, son frère dormait déjà, les poings serrés et les bras croisés sur la poitrine, sans même avoir pris le temps de se déshabiller. Le cadet sourit d'un air contrit et plein d'affection puis se releva pour aller vers leurs sacs de voyage faire le tri de leur linge sale.

— Et le grand gagnant de la corvée de lessive est… Sam Winchester ! soupira-t-il à mi-voix pour ne pas le réveiller.

Dans l'ombre, Dean sourit un peu et continua à faire semblant de dormir, mais juste pendant une minute, le temps que le sommeil le gagne pour de bon. Il savait que son frère était là pour veiller sur lui et qu'il pouvait se laisser aller sans crainte.


xXx

— Alors ? demanda fièrement Mulder quand il s'arrêta devant la porte de l'hôtel du Marché Français.

Scully examina la façade de l'étroite bâtisse rouge de quatre étages, ornée comme beaucoup d'un petit balcon surplombant trois grandes portes-fenêtres doubles, séparées par des colonnes bleues et opacifiées par de fins voilages.

— Depuis 1833, souligna son compagnon sur l'enseigne qui pendait sous le balcon avant de lui tenir la porte.

Elle résista à l'envie de lever les yeux au ciel. Il avait l'air tellement content. Une fois à l'intérieur, elle le suivit avec perplexité tandis qu'il se dirigeait le réceptionniste pour aller récupérer une clé. Autour d'eux, le décor du hall étroit était une symphonie de tons crèmes, à l'exception d'un unique mur de briques brunes qui contrastait admirablement avec un sol de marbre blanc à cabochons noirs. Les lustres à breloques diffusant une lumière éclatante, une cheminée au manteau de porphyre soutenant un portrait de femme ancien et quelques rares meubles de famille conféraient à ce hall d'accueil un charme auquel elle n'était pas non plus insensible. En tous cas, il tranchait avec les maintes chambres d'hôtel impersonnelles, rectilignes, fonctionnelles et moches qu'elle avait longtemps connues dans sa carrière au FBI.

— Tu aimes ? demanda-t-il en lui prenant le bras pour se diriger vers l'ascenseur.

— Bien sûr que j'aime, mais qu'est-ce que tu fais ? chercha-t-elle à comprendre en se troublant légèrement.

Imperturbable, il appuya sur le bouton d'appel.

— On va poser nos affaires dans la chambre et on ressort aussitôt. Ce soir, Bourbon Street et ses clubs de jazz sont à nous ! Si on a de la chance, on croisera même une parade…

Sans la laisser protester, il la poussa gentiment dans l'habitacle exigu et elle croisa les bras sur son tailleur gris sévère pendant que les portes se fermaient.

— « La » chambre ? releva-t-elle avec une petite moue indécise et un sourcil inquisiteur.

Il lui adressa en retour un sourire enjôleur, sexy en diable, envahissant délibérément son espace pour appuyer sur le bouton du quatrième étage.

— Je me doutais que tu pointerais immédiatement ce petit détail... mais tu n'as rien à craindre. J'ai cassé ma tirelire pour nous offrir un lit king size et je me comporterai en parfait gentleman. Oh, ne me fais pas ces yeux furieux… C'est juste pour une nuit ! Deux jours de vacances, rien que pour toi pendant lesquels tu ne penses à rien. Ton frère a insisté.

— Mon frère ? Ça m'étonnerait que Charles soit mêlé à quoi que ce soit dans cette affaire. Et puis, je n'ai pas prévenu l'hôpital… rechigna-t-elle - quoiqu'un peu trop faiblement à son goût.

— Moi je l'ai fait… Cette réunion d'anciens était à mourir, pas vrai ? dit-il pour changer adroitement de sujet. Blevins a pris un sacré coup de vieux.

— D'autant plus qu'il est mort depuis des années, commenta-t-elle en lui balançant une œillade bleue inquiète.

— Je cherchais à faire de l'humour… expliqua-t-il avec une petite grimace éloquente.

Il la pilota le long d'un couloir recouvert de pittoresques briques crues et ouvrit enfin une porte blanche de leur chambre où il a précédait.

— Tadaaa ! fit-il en ouvrant les bras largement en guise de bienvenue.

— C'est… charmant, concéda-t-elle avec un coup d'œil circonspect à la pièce.

Intimiste et chaleureuse, la chambre où trônait un grand lit à la tête en bois sculpté recouvert de trois gros coussins brodés et de draps immaculés. La vue donnait sur une courette intérieure au bas de laquelle s'épanouissait une modeste piscine et quelques tables ombragées par de grandes plantes exubérantes.

— Mais… quoi ? demanda-t-il en lui prenant des mains son léger bagage pour le poser à côté du lit.

— Mulder !… Est-ce que c'est… un rendez-vous galant ?!

— Oh non ! répondit-il sans sourciller. Tu as été très claire la dernière fois à propos de mes obsessions compulsives… et de l'effet qu'elles ont maintenant sur toi.

Elle lui avait dit au début de l'année qu'elle était autrefois tombée amoureuse de son idéalisme entêté au service sa quête de la vérité mais qu'elle ne pouvait plus les supporter. En réalité, elle ne supportait plus l'idée que sa cause le tuerait certainement et que même en le sachant, il n'était pas prêt à y renoncer…

Derrière le ton relativement léger qu'il avait employé, elle sentait pourtant affleurer la souffrance parce qu'elle le connaissait par coeur. Sans doute la voyait-il maintenant comme une lâcheuse... Elle posa tout de même une main légère et pleine de sollicitude sur son bras qu'elle pressa doucement. Ses pupilles se mirent à scruter son visage avec une intensité rare qu'il ne lui avait pas connue depuis des années… Ils étaient séparés depuis plusieurs mois mais un revirement si court, de la part d'un homme qui avait pu se cacher deux années pour la protéger elle et leur fils, l'alarmait un peu. Elle imaginait d'autres raisons qui pouvaient l'expliquer.

— Quelque chose a changé, c'est ça ? s'inquiéta-t-elle. Il y a… une évolution dans ton état ? Ce virus alien dormant dans ton organisme est en train de se…

— Est en train de rester dormant, termina-t-il pour elle. Débranche un peu. Allons plutôt flâner dans les rues. On est à la retraite, ils nous l'ont assez rabâché, pas vrai ? C'est le moment de goûter un peu au rythme tranquille du Vieux Sud…

— Je suis sérieuse, Fox. Qu'est-ce que tu me caches ? insista-t-elle encore en le dévisageant avec une douloureuse anxiété.

— Rien qu'une super adresse de restaurant de poisson pour le dîner. Juré, craché…

Elle ne le croyait pas du tout. S'il y avait bien une chose que son quotidien avec cet homme lui avait apprise, c'était à être paranoïaque et à ne faire confiance à personne.

.

(à suivre)


[1] « Continue et tiens bon, ô mon fils entêté / Car la paix t'attendra tout au bout du chemin / Quand ta tête épuisée reposera enfin / Il n'y aura plus pour toi de raisons de pleurer

Ce titre de Kansas (Carry on my wayward son) est le générique de tous les épisodes de fin de saison de la série Supernatural.

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