The eleven
Farrah Fawcett Hairspray :
( Nancy )
« — Oh mon dieu, qu’est ce qu’il s’est passé ici ?
— Gare toi ! Gare-toi vite ! »
Jonathan arrête la voiture au milieu de l’allée et nous nous expulsons tous les deux du véhicule. C’est forcément là, c’est l’hôtel dont nous a parlé Hopper, mais il ne ressemble plus du tout à un hôtel. À un hôtel hanté à la limite… Une fois, on avait retrouvé un énorme nid d’araignée dans la cabane du jardin, quand Mike était petit. C’est la première chose qui me vient à l’esprit : un nid d’araignées, un nid géant, un millier de fois plus grand que celui que maman avait délogé du toit de la cabane à l’époque.
J’avais déjà entendu parler de phénomènes semblables qui se déroulaient parfois en Australie, des centaines et des centaines d’araignées qui, en une nuit, recouvraient de toile des paysages entiers, mais je n’aurais jamais cru ça possible en Indiana !
Alors que Jonathan et moi nous rapprochons, je ne peux m’empêcher de penser à la tête que ferait mon petit frère s’il voyait ça… Heureusement que c’est lui le grand arachnophobe de la famille, et pas moi ! Même si je ne crains pas spécialement les araignées, je ne me sens pas du tout à l’aise face à cette scène, alors qu’est-ce que ce serait si, en plus, elles me terrorisaient ?
« — Tu penses qu’il y en a dedans ?
— Des araignées ? Possible… Mais j’espère que non. Tu as quelque chose sur toi ? Je veux dire, pour te défendre s’il se trouve qu’il y en a.
— J’ai mon couteau suisse. Et toi ?
— Après ce qui était arrivé à Will j’avais acheté un taser, pour le défendre en cas de problème, je l’ai pris au cas où on se retrouverait dans une situation comme celle-ci. »
Deux « armes » donc, ce n’est pas l’idéal, mais c’est toujours mieux que rien. Au fur et à mesure que nous nous approchons du bâtiment méconnaissable, le sol se couvre graduellement d’une couche de plus en plus épaisse de toile qui colle à nos chaussures et ralentit un peu notre course.
« — Voilà », soupire Jon alors qu’on arrive devant ce qu’on devine être la porte d’entrée « tu as une idée pour rentrer ?
— On pourrait la couper »
À peine ai-je fini ma phrase que je sors mon couteau de ma poche et entreprends de trancher les fils, mais dès le premier coup, il s’englue dedans et je dois lutter pour l’en sortir. Au moment où j’arrive enfin à l’en extirper, la vibration du choc se répercute et se propage d’un fil à l’autre, exactement comme quand on jette une pierre dans un lac et que des vagues circulaires se forment à la surface de l’eau.
« — La couche de toile est trop épaisse, il nous faudrait au moins une hache pour en venir à bout…
— Il y en a une chez moi » propose Jonathan « mais c’est plutôt loin maintenant et s’il y a encore des survivants à l’intérieur… »
Je n’avais pas pensé à ça… Il a raison, il y a peut être encore quelqu’un là-dedans, prisonnier dans cet enchevêtrement de toile !
« Nancy… » Je relève la tête. Jonathan est pâle est ses yeux fixent le vide, derrière mon épaule gauche « Surtout, ne fais aucun mouvement brusque… Viens vers moi, doucement… »
Je fais un pas vers lui, mon corps entier pris d’un violent tremblement. La peur que j’aie senti dans sa voix était réelle, quelque chose est derrière moi, juste derrière moi.
Je prends soudain conscience de l’entrave qu’est la toile collante dans mon déplacement, chaque pas me demande un effort supplémentaire… J’aperçois Jonathan sortir lentement son taser de sa poche, sans arrêter de fixer cette chose, dans mon dos. Je ne plus qu’à quelques centimètres de lui maintenant… Quelque chose vient de me frôler le dos ! Je m’arrête subitement de bouger et…
« Baisse-toi ! »
J’obéis sans réfléchir et sens la main de Jon passer juste au-dessus de ma tête, suivi d’un atroce bruit, suraigu et inhumain. Pour finir, un choc près de mes chevilles me fait comprendre que la chose est tombée. Je me retourne pour voir une immense araignée, sûrement d’un peu plus de 2 mètres de haut quand elle est sur ses pattes. Elle est sur le dos, les pattes agitées de convulsions. Un filet de fumée s’échappe de son corps poilu.
De la fumée… J’ai l’impression d’avoir reçu un seau d’eau sur la tête. Mais bien sûr ! Emportée dans l’élan d’un éclair de génie, je déchire à pleines mains un pan de tissu de mon t-shirt – fait chier, j’adorais ce haut – découpe le bout d’une patte de l’araignée et entreprend de fabriquer une torche de fortune. Devant mon empressement, Jonathan lance :
« — Un merci peut être, non ? Je viens de sauver ta vie je te rappelle…
— Oui, oui. Jonathan, lance une autre décharge de ton truc sur elle ! »
Il s’exécute, sous mes ordres, et au bout de la troisième fois une petite flamme apparaît sur l’abdomen de la créature. Bingo ! J’embrase ma torche à l’aide de cette flammèche, me dirige de nouveau vers la porte et commence à me frayer un passage en brûlant avec prudence les fils de la toile.
Très vite Jonathan me rejoint avec une seconde torche et nous continuons à dégager la porte.
. oOo.
(Hopper)
Des gouttes de sang sur une feuille. En bon policier, je m’arrête un instant sur le lieu de mon premier indice, scrutant tout autour de moi avec attention. Là ! Quelques mètres plus loin, la branche d’un buisson est brisée… La voilà notre piste.
« — Joyce ! J’ai trouvé ! »
Nous commençons donc à suivre la piste que j’ai découverte. De temps en temps des plantes arrachées ou des brindilles cassées, parfois un peu de sang sur un tronc ou une pile de feuilles mortes… Et, d’autres fois encore, rien pendant plusieurs dizaines de mètres. À voir ces traces on dirait qu’il ait marché – ou rampé ? – en zigzag, se cognant à de nombreuses reprises dans des arbres ou des buissons, apparemment sans but précis…
Comment ce gosse a-t-il pu aller si loin ? Cela fait bien une dizaine de minutes qu’on crapahute dans cette foutue forêt et toujours rien !
La présence de Joyce, juste à côté de moi, me perturbe un peu… Cela fait longtemps qu’on n’a pas été tous seuls tous les deux. Depuis la fois où on avait fumé ensemble quand les gamins étaient au Snow Ball en fait. À chaque fois qu’on s’est vus après ça, il y avait une autre personne, la plupart du temps Eleven ou Will… Je me demande si elle s’en est aussi rendu compte. Si, comme moi, elle attendait avec impatience qu’un autre moment comme celui-ci arrive…
Et évidemment, c’est pour retrouver un gamin ! Merde, est ce que les autres parents sont-ils aussi constamment à la recherche de leurs enfants ? Bon, pour une fois celui qu’on cherche n’est ni le mien, ni le sien, mais j’ai l’impression d’avoir passé les deux dernières années de ma vie à littéralement, chercher des enfants !
« Hopper. » je devine au timbre de la voix de Joyce qu’elle est inquiète « C’est juste une impression ou est ce qu’on trouve de plus en plus de sang ?
— Je ne sais pas, je n’ai pas vraiment fait attention. »
Mais j’ai la forte intuition qu’elle dit vrai… Et en plus d’être plus régulières, les traces de sang sont aussi de plus en plus importantes. Soit une des blessures de Troy s’est rouverte, soit il s’est blessé de nouveau. Ou a été blessé par quelque chose, ou quelqu’un, me chuchote une petite voix. Il faut absolument le trouver le plus vite possible ! Si quelque chose lui est arrivé…
Depuis la remarque de Joyce, nous avançons beaucoup plus vite, et la tension ambiante est montée d’un cran. Le sang continue d’être de plus en plus présent et la piste ne connaît plus aucune interruption aussi longue que celles que nous avions observées au début. Aucun de nous ne parle et les seuls bruits que j’entends sont le bruit de ma propre respiration, de celle de Joyce, et le craquement des feuilles sous nos pas. J’espère que c’est bon signe, que si Troy était gravement blessé, on entendrait ces hurlements de douleur, mais une autre part de moi, celle qui a combattu dans l’armée et résolu des meurtres dans la police de New York, se dit qu’au contraire, c’était alarmant et prouvait qu’il était si blessé qu’il n’avait même plus la force de crier. Plus la force, ou plus la capacité… Non Jim ! Il n’est pas mort ! En tout cas, ne le présume pas mort tant que tu ne l’as pas vu de tes yeux.
Le sang laisse maintenant sur le sol une ligne presque continue. Putain ! Combien de sang ce gamin a-t-il perdu ? Dans quel état est-il maintenant ? Joyce accélère encore le pas, presque au point de courir, et commence à prendre de l’avance sur moi. En augmentant moi aussi le rythme je prends en note de réduire ma consommation de donuts. En moins de vingt mètres, je suis déjà essoufflé et vois Joyce disparaître derrière un gros arbre.
« Attends-moi Joyce ! Pour l’amour de Dieu, attends-moi ! Je… »
Ma phrase est coupée par un hurlement. C’est Joyce ! Je pique un sprint, oubliant mon souffle court et mes points de côté ! Arrivé moi aussi derrière l’arbre, j’aperçois Joyce, agenouillée à son pied, les épaules secouées de sanglots et la main sur la bouche pour étouffer un autre cri. Je relève la tête. Quelques mètres devant nous se trouve quelque chose, à cette distance ce que je distingue est absolument informe et je décide de me rapprocher. C’est Troy, souffle la petite voix, arrête de te voiler la face Jim, c’est lui et tu le sais.
. oOo.
(Dustin)
Je ne comprends plus rien. Mad Max ! Qu’est-ce qui lui a pris ? Je suis incapable de détacher mon regard de la chaise où on l’a attachée. Elle est toujours inconsciente et Lucas s’est assis sur le sol, juste à côté d’elle, l’air complètement perdu.
« — Tu es sûre que ça va El ? » Mike est super flippé, comme d’habitude, mais cette fois je le comprends.
« — Oui, j’ai réagi très vite, je n’ai rien du tout. C’est plutôt pour Max que je m’inquiète, elle était déjà blessée et je n’ai pas mesuré ma force…
— Elle t’a agressée sans prévenir, remercie plutôt tes pouvoirs, parce que j’ai bien l’impression qu’ils t’ont sauvé la vie…
— Mais pourquoi ? Me faire du mal. Les gens méchants font du mal, Max n’est pas une méchante. »
Comme chaque fois qu’Eleven a peur, elle laisse l’enfant prisonnière du docteur Brenner refaire surface. Comme si elle avait oublié tout ce qu’elle avait appris ces derniers mois et qu’elle redevenait à peine capable de parler. On a beau être ses meilleurs amis, je me rends bien compte qu’on n’aura sans doute jamais ne serait-ce qu’un simple aperçu de son traumatisme…
Je remets ma casquette en place et passe rapidement la langue sur mes dents toutes neuves.
« — Tu sais Eleven, ça me fait penser au comportement de Troy, et à celui de Will quand le Mind Flayer avait pris possession de lui…
— Tu penses que Max est aussi sous son contrôle ? » me demande Will
« — Oui. Je ne vois pas comment expliquer ce qu’il s’est passé sinon… Will, elle a essayé de tuer Eleven avec un pommeau de douche !
— Mais il est impossible qu’elle ait été “flagellée”, elle n’a pas été en contact avec le Mind Flayer ! Il est coincé dans l’Upside Down ! Seules les araignées sont ses créatures.
— Pourtant, d’après ce que j’avais compris, Troy aussi était flagellé » je n’y avais pas réfléchis avant mais maintenant que je le dis ça me semble tout à fait logique « C’est à son contact à lui que ça a dû lui arriver, le Mind Flayer a dû trouver un moyen que ses serviteurs puissent à leur tour asservir eux-mêmes d’autres gens ! »
Quelque chose me tracasse… Mais quoi ? Remet tout ça dans l’ordre, Dustin, tu vas trouver… Le Mind Flayer peut contrôler les autres êtres vivants, les démo-dogs étaient ses créations donc un peu de lui était naturellement en eux, pour Will, il a lui-même transféré une parcelle de lui dans son corps et je suppose que ça doit être pareil pour les araignées, mais qu’en est-il pour Troy et pour Max ? On pourrait, à la limite, supposer que Troy soit tombé par hasard sur la faille et que le monstre en ait profité pour prendre possession de lui de la même manière que Will, mais Max… Je ne pense pas que le Mind Flayer puisse contrôler deux personnes avec le même fragment de lui-même, donc… La seule solution que je vois est que Troy ai pu transporter avec lui un second fragment, ou encore qu’il ait cessé d’être possédé au moment où Max l’a été à son tour… Je regrette de ne pas avoir donné de talkie-walkie à Joyce ou Hopper, ils auraient pu répondre à mes questions quand ils auraient trouvé Troy… Mais, et si Troy transporte encore avec lui d’autres de ces doses de « poison » ?
Putain de merde !
« — Est-ce qu’on a un moyen de contacter Joyce et Hopper ?
— Très bonne idée Dustin ! » me répond Mike « Allons leur dire qu’on a assommé notre chaperon et qu’on se prépare à combattre le Mind Flayer !
— Tu ne comprends rien ! Réfléchis, si c’est Troy qui a contaminé Max et qu’ils sont à sa recherche…
— Tu penses qu’il pourrait…
— Exactement, donc s’il vous plaît, est-ce que quelqu’un sait comment les contacter ?
— La radio » souffle Eleven « Dans la voiture »
Mais oui ! La radio de la voiture d’Hopper ! Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ?
« — Tu connais la fréquence Eleven ?
— Oui. 14.158. »
Je me jette sur mon propre talkie-walkie et change la fréquence pour 14 158.
« — Hopper tu me reçois ? Hopper ? »
. oOo.
(Nancy)
Nous voilà maintenant dans le hall de l’hôtel. Les deux seules sources de lumière sont celle qui pénètre par la porte entrouverte et l’autre, vacillante, de nos torches improvisées. Je tiens mon couteau à deux mains, sur mes gardes. À l’intérieur aussi, chaque centimètre carré est recouvert de toile blanchâtre. Des fils sont même tirés du sol au plafond et dans les diagonales de la pièce et je ne peux m’empêcher de remarquer leur forte ressemblance avec ces pièces pleines de lasers que les héros des films d’espions franchissent au péril de leur vie. Nous restons un moment sans bouger, certains que des dizaines d’araignées géantes sont sur le point de sortir de nulle part, mais le décor autour de nous reste, lui aussi, parfaitement immobile. Jonathan me pousse du coude.
« — Je crois qu’il y a quelqu’un là-dedans »
Il pointe une boursouflure dans le mur, derrière ce qui semble être le comptoir.
Nous sommes arrivés devant l’espèce de cocon, Jonathan colle son oreille à la hauteur approximative du cœur et lève son pouce, me faisant comprendre que la victime était encore en vie. J’ai essayé de le libérer avec mon couteau, mais comme je m’y attendais la toile est toujours trop épaisse pour que je la tranche avec. Jonathan initie le geste de rapprocher sa torche du cocon, mais je l’arrête d’un geste.
« — Si on fait ça, il va brûler vif. Tu as bien vu tout à l’heure, on ne peut pas maîtriser le feu au point de le libérer sans le blesser.
— Mais si on ne fait rien, il va mourir d’étouffement !
— Il avait des difficultés à respirer quand tu l’as écouté ?
— Non, mais…
— La toile à l’air plus fine au niveau de son visage, regarde on distingue ses traits. Je suis sûre qu’il n’est pas en danger imminent, alors je propose qu’on aille en ville, qu’on récupère de quoi découper cette toile, et qu’on revienne aider cet homme et les autres personnes qui sont sûrement coincées dans les étages.
— On pourrait aller chercher ma hache…
— Non, je pense qu’elle aussi est trop difficile à manier pour être sûr de ne blesser personne avec. Ce qu’il nous faudrait c’est un gros couteau de cuisine.
— Il y a un magasin juste à côté de celui de ma mère où ils en vendent, on pourrait en récupérer deux là-bas et puis revenir aussi vite que possible.
— Parfait… Et, tant qu’à faire, on pourrait aussi prendre une lampe torche. Quand on sera en haut, ça m’étonnerait qu’il y ait la moindre lumière… »
. oOo.
(Hopper)
Je me retiens de vomir en m’approchant encore un pas de la chose étendue par terre. Une forte odeur de décomposition m’attaque les narines.
De décomposition ? Ce gamin était encore en vie il y a quelques heures ! Son corps est gonflé et bleui, sa peau craquelée et un liquide jaunâtre et nauséabond se mélange à la mare de sang encore frais qui l’auréole. Mais ce n’est pas le pire. Des scènes comme celle-ci j’en ai vu des dizaines quand je travaillais dans la police criminelle de New York. Non, je ne l’avais pas imaginé, c’est bien réel… Je ravale un second haut-le-cœur. Les yeux de Troy ne sont plus que deux orbites creuses et elles… elles grouillent ! De sa bouche, son nez, ses oreilles et ces deux cavités s’extirpent des centaines d’araignées ! De minuscules araignées noires qui se répandent autour de lui, s’écrasant les unes les autres dans la mare de sang. Elles grouillent partout, et même sous la peau de son visage on distingue les mouvements de leur lutte vers l’extérieur.
Et il n’y a pas que la peau de son visage. Alors que ses membres sont agités d’une atroce convulsion, je remarque qu’ils sont eux aussi infestés, sous la peau, gonflés de la présence de centaines d’araignées. Par réflexe, je recule et porte la main à mon arme. Derrière moi, Joyce pleure toujours, mais je n’ai pas un regard en arrière. Le morbide absolu de la scène en devient hypnotisant. Je ne peux plus regarder autre part. Les araignées continuent de sortir, encore, et encore… Combien y en a-t-il ? C’est la seule pensée construite qui me vient. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Les membres et le buste de Troy gonflent de plus en plus. Secoués par le mouvement perpétuel sous leur peau.
J’entends soudain un bruit de succion et de déchirement et une bosse se crée sous le t-shirt du garçon. J’arme mon pistolet et vise la protubérance. Une sueur froide coule dans mon dos tandis que le tissu se déchire et se recouvre de sang. Tire Hopper ! Tire ! Mais mon doigt reste figé sur la gâchette.
Lentement, une longue patte blanche apparaît à travers la déchirure du t-shirt, puis une seconde, et une tête pourvue de mandibules, laiteuse et suintante de liquide jaune. La créature fait la taille d’un petit chien et je devine d’instinct que c’est une version plus jeune des monstres qu’a affrontés Jane. La créature sort sa dernière patte du corps sans vie de Troy et tente immédiatement de filer avec les autres. Mon instinct de policier est soudain de retour. J’appuie sans hésiter sur la gâchette et regarde avec satisfaction la bête s’écrouler mollement.
Tout en continuant d’observer les araignées déchiqueter le cadavre de l’adolescent, une idée me vient et je sors mon briquet de ma poche, me penche et tend mon bras le plus près possible du reste de ses vêtements. Quand le feu embrase enfin la jambe de son pantalon, je me recule et attends à quelques mètres de la scène. En moins d’une minute, le corps de Troy s’est changé en brasier humain et la plupart des araignées avec lui. Alors que la chaleur me lèche le visage, je contemple d’un œil mauvais les dernières bestioles vivantes s’enfuir. Je ne peux rien faire pour elles, elles sont trop nombreuses pour que j’arrive à les écraser et trop petites pour que je vide mon chargeur sur elles…
« — Saloperies de merde ! Putain de connasses ! Tueuses d’enfants ! »
Je ne peux plus les retenir. De grosses larmes commencent à couler sur mes joues et ma voix se brise alors que je continue.
« — Un gamin putain, c’était rien qu’un gamin ! »
« - Hopper… »
Je ne l’avais pas entendue arriver… Joyce entoure mes épaules de ses bras fins et enfouit sa tête dans mon dos.
« — Je suis désolée, j’ai été tellement ébranlée de le voir comme ça, je… Pardon de t’avoir laissé seul… »
J’aimerais lui dire que ce n’est pas grave, que sa sécurité passe bien au-dessus de la mienne, mais tout ce que j’arrive à faire, c’est sangloter encore plus fort.
Je déteste pleurer, je déteste encore plus qu’elle me voie dans cet état, mais je ne peux plus m’arrêter. Sans que je puisse rien faire pour l’empêcher, l’image de Sara se superpose avec celle de Troy. C’est elle que je vois sur le sol, son petit visage bleui par la mort et la peau grouillant d’insectes. Je revois son corps frêle, recroquevillé dans un lit d’hôpital, le bruit des machines qui s’affolent pendant que les médecins crient et courent tout autour d’elle.
Sara. Troy. Sara.
« — Je sais ce que tu ressens » me chuchote Joyce « Mais c’est trop tard maintenant… Et c’était déjà trop tard quand on est arrivés. On aurait rien pu faire ».
Elle continue à me chuchoter des paroles de réconfort et au bout de longues minutes, ma respiration se calme enfin et je reviens progressivement à moi.
Le trajet de retour vers la voiture se fait dans un silence pesant qu’aucun de nous n’ose briser. La main de Joyce ne lâche la mienne que lorsqu’on arrive à l’orée du bois et qu’on remonte dans la voiture. À l’intérieur, une voix légèrement étouffée sort du poste radio :
« - Hopper ! Hopper, Joyce, vous êtes là ? »
. oOo.
(Dustin)
« — Oui, on est là. » un soupir de soulagement m’échappe quand j’entends enfin la voix d’Hopper me répondre « Qu’est-ce qu’il se passe ? Tout va bien ?
— C’est Dustin, bon en gros ça pourrait être pire, mais, tu sais Max était blessée et tout ça et elle a essayé d’attaquer El et alors on s’est dit que…
— Elle a quoi ? » rugit Hopper
« — Eleven va bien, elle a utilisé ses pouvoirs et l’a repoussée, mais bref. On pense qu’elle est sous le contrôle de l’ennemi, et j’ai déduit que c’était Troy qui l’avait contaminée et j’avais peur que ça puisse vous arriver aussi, je veux dire… Vous l’avez trouvé ?
— Oui, il était… parti.
— Et il ne vous a rien fait, il ne s’est rien passé de suspect ?
— Non, il était déjà mort quand on est arrivé. Mais tu pourras aviser de notre état bien assez vite, on arrive !
— Quoi ? Pourquoi ?
— À cause de ce qui pourrait arriver à Max, ou à l’un d’entre vous ! Et d’ailleurs, éloignez-vous tous d’elle !
— Quoi ?
— C’est toi qui viens de me dire que Troy avait contaminé Max » j’entends en fond le bruit d’un moteur qui démarre « Elle pourrait vous contaminer aussi ! Terminé. »
Il a mis fin à la conversation. En me retournant, je m’aperçois que tout le monde s’est rapproché pour entendre la conversation. Eleven prend alors la parole.
« — Il faut qu’on parte, tout de suite. S’ils arrivent, ils vont encore nous interdire de nous battre. Steve, tu as trouvé ?
— Oui, je crois. Il y avait plusieurs possibilités, mais je pense qu’il s’agit de l’entrepôt Fraser’s, une compagnie de qui vendait des canapés et qui a fermé il y a quelques années… Heureusement que ton exemplaire de l’annuaire date, Will, sinon je ne l’aurais jamais trouvé. Mais bon, j’ai une adresse, c’est déjà un bon point.
— Parfait, nous partons maintenant.
— Et Max » s’enquière Lucas « On ne peut pas la laisser ici, seule avec Robb. »
Je réfléchis une seconde avant d’annoncer.
« — Parfois, même les groupes de superhéros doivent se partager les tâches. Il est temps pour les D-men…
— S-men !
— Pour les D-men, de faire de même. Scindons-nous en deux groupes : Eleven, Ella, Steve et moi nous irons à la faille et Lucas, Mike et Will, vous resterez ici.
— Pourquoi nous ? » s’exclame Mike « Nous pourrions tout aussi bien y aller, et toi tu resterais ici !
— Ce n’est pas de l’égoïsme, » je soupire « il y a une bonne raison à ce choix : Lucas est le petit ami de Max, j’ai donc supposé qu’il préférerait rester avec elle, Will a connu une situation semblable dans le passé et pourra sûrement l’aider et, de plus, j’aimerais qu’il contacte en vitesse son frère et ta sœur pour qu’ils viennent en renfort et toi, Mike, ne te voile pas la face s’il te plaît, nous allons nous retrouver dans un véritable nid d’araignées géantes et enragées, il me semble donc que prise en compte ta peur incontrôlable de ces bestioles tu serais plus un handicap qu’une aide dans cette mission. »
Si on pouvait tuer d’un regard, celui de Mike m’aurait achevé. Néanmoins il ne conteste pas ma décision.
« C’est décidé alors ! » conclu Steve « Je vais récupérer la hache, le fusil et ma très chère batte qui sont dans l’abri de jardin. »
. oOo.
(Nancy)
Nous marchons dans la ville déserte. Un frisson me parcourt l’échine. J’ai beau le voir de mes propres yeux j’ai du mal à y croire. La ville entière, tout Hawkings, est recouverte de la même toile visqueuse que l’hôtel. Tout est silencieux, même le bruit de nos pas est amorti par la couche qui recouvre le sol. Le silence est tellement pesant que j’ai l’impression que chaque bruit que je fais est décuplé, que les bruits de ma respiration et des battements de mon cœur se répercutent contre tous les murs de la ville…
« — Tu penses que les habitants sont tous piégés, comme le réceptionniste de l’hôtel ?
— Où alors ils ont réussi à fuir… »
J’aimerais être aussi optimiste que Jonathan, mais une partie de moi est persuadée que personne n’a eu le temps ou même la présence d’esprit de s’enfuir. Personne ne s’attendait à ce qu’une chose de la sorte arrive, personne n’y était préparé… En tout cas, il n’y a pas l’air d’avoir d’araignées ici, c’est déjà ça.
« — C’est étrange » j’ose à peine chuchoter face à ce silence surnaturel « Le Mind Flayer aurait forcément dû laisser des araignées ici, pour protéger son territoire…
— Oui, j’ai le pressentiment qu’il regroupe ses soldats. Il doit avoir senti que nous essayons de faire quelque chose. Les autres ont dû trouver quelque chose de très important pour qu’il décide de se protéger comme ça alors qu’il était en position de force dans toute la ville.
— J’espère que tu as raison… »
Si c’est le cas, on doit s’attendre à devoir se battre plus tôt que prévu… Mais cela signifiera aussi que l’on aura plus de chance de sauver tous ceux qui sont enfermés dans ces foutus cercueils de soie.
Soudain, Jonathan change brusquement de direction.
« — Je viens d’avoir une idée, suis moi. »
En quelques minutes nous nous retrouvons devant ce qui était auparavant le poste de police. Ici la couche de toile est moins épaisse qu’à l’hôtel et, après plusieurs essais peu fructueux, Jonathan arrive à défoncer la porte d’un coup d’épaule. Toujours sans m’expliquer son but, il rentre dans le bâtiment, passe devant les policiers momifiés, se précipite vers le bureau d’Hopper et se met à ouvrir frénétiquement tous les tiroirs.
« — Qu’est ce que tu fais bon sang ? »
Il continue à tout retourner dans le bureau sans me répondre. Je réussis à faire taire ma mauvaise humeur et quelques instants après, il s’arrête et brandit avec un large sourire, un pistolet et une poignée de recharges qu’il vient de sortir d’une armoire.
« Je savais qu’il en avait en rechange ! » puis en me tendant l’arme à feu « Prends-le. C’est toi qui tires le mieux de nous deux…
— Tu veux dire que c’est moi qui tire tout court ? »
Nous sommes coupés par un grésillement provenant de la poche de Jonathan, il en sort le talkie-walkie de Will.
« — Jonathan, tu me reçois ?
— Cinq sur cinq Will, tu n’imagineras jamais ce qu’on a trouvé…
— Tu auras tout le temps de me le raconter quand vous serez en route. Les autres ont trouvé la faille, ils ont besoin d’aide… »
. oOo.
(Dustin)
Tout en pédalant, je récapitule intérieurement à toute vitesse ce que Will vient de nous apprendre : la ville est envahie, la toile peut être détruite par le feu ou avec une arme tranchante, ah oui, et n’oublions pas que d’après les déductions de Jon et Nancy, on s’apprête à combattre toute l’armée du Mind Flayer en même temps !
De belles réjouissances en perspective…
« — Quelqu’un à une idée ? » je lance vers l’arrière
« — Je dois bien avoir le moyen de récupérer quelques briquets si on passe par chez moi » répond Steve « mais on ne va pas battre une armée d’araignées en furie comme ça…
— C’est un début » dit Ella « Une source de feu. Tout ce qu’il nous faudrait c’est quelque chose pour le propager très rapidement, comme de l’huile ou de l’essence… Mais en moins dangereux, par ce qu’avec ce genre de combustible on a plus de chance de nous immoler nous même que de botter le cul de ce “Mind Flayer”, comme vous l’appelez.
— Tout ce dont on a besoin » ajoute Eleven « C’est d’arriver jusqu’à la faille, et gagner le plus de temps possible pour que je puisse la fermer avec l’aide d’Ella.
— Et il ne faut pas oublier de rester en contact avec les autres, il ne faut pas qu’on ferme la faille avant qu’ils aient découvert si cela tuerait Max ou pas, et si oui, en aucun cas avant qu’ils aient réussi à la libérer de l’emprise du Mind Flayer… »
Je cesse d’écouter la conversation pour me concentrer sur ce qu’a dit Ella : il nous faut quelque chose pour étendre ce feu… J’essaie de me rappeler des cours de Mr Clark. La science peut tout résoudre ! Et dans une situation comme celle-ci, je ne vois pas d’autre alternative que de nous en remettre aux lois de la physique. Je me creuse les méninges, pousse ma mémoire au maximum de ses capacités, mais je ne trouve pas… Allez Dustin, réfléchis… Une image de Mr Clark me revient soudain en mémoire, comme un flash. Je revois la gerbe de feu, dessinée à la craie rouge sur le tableau et l’entend du nouveau nous mettre en garde : « Et c’est pourquoi je vous déconseille de ne jamais mettre en contact du feu et… »
Ça y est ! Je l’ai !
« — Steve, tu as des bouteilles de Farrah Fawcett Hairspray chez toi ?
— Bien sûr, mais tu crois vraiment que c’est le moment de…
— Je t’expliquerais plus tard ! On va encore se séparer en deux autres groupes, l’un ira chez moi et l’autre chez toi. Récupérez autant de briquets et de tubes de laque que possible ! On se retrouve au lieu de la mission.
— À tes ordres, professeur Xavier. »
Alors que Steve et Ella disparaissent à l’embranchement de la route, je tourne la tête dans leur direction et leur crie de toutes mes forces :
« — Bonne chance, D-men ! »