L'Eclosion du Mal

Chapitre 3 : Chapitre Deux

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:13

Ce fut la pluie qui m'accueillit à la sortie de ma navette, une eau lourde et sale, qui dégoulinait le long des feuilles des arbres pour s'écraser mollement sur l'humus détrempé de la forêt. Une perpétuelle odeur de terre humide empuantissait mes narines. Je ne pus m'empêcher de frissonner lorsque une goutte tomba à la base de ma nuque et réussit à se frayer un chemin au travers de mes habits. Mes mains gantées de cuir de rancor essuyèrent rapidement les restes de la gouttelette et resserrèrent le col de ma chemise.
Il faisait un temps effroyable sur Fejor : nous étions au beau milieu de l'automne et le mauvais temps semblait parti pour durer. Je me demandais furtivement comment faisaient les forces locales pour se soustraire à la pax imperia. Pourquoi se battaient-il ? Pour ce tas de boue ? Insensé. J'aurais pu comprendre un mouvement de résistance semblable sur une planète du Noyau ou de la Bordure Médiane à la rigueur mais de la Bordure Extérieure ? Nous venions leur apporter la civilisation et ils répondaient par la violence. C'était inconcevable.
L'air humide se fraya difficilement un chemin jusqu'à mes poumons. J'avais une faiblesse respiratoire depuis trois ans, quand cet abyssin avait tenté de m'assassiner. Ironiquement, le soldat qui m'avait sauvé en m'injectant en urgence une dose de bacta avait aussi provoqué ma maladie : les tissus avaient cicatrisés trop vite autour de la blessure et l'intervention des chirurgiens n'avaient rien pu changer à cela. Au moins, je m'en tirais en vie : un souffle court était un bien faible prix à payer pour pouvoir continuer à respirer.
Je portais mon regard aux alentours, ne voyant que l'immense forêt fejorienne. Elle aurait pu être belle avec ses tons rouges et or si elle avait été moins boueuse. C'était un brun sombre qui dominait largement dans cette futaie. La moindre parcelle des bois était souillée par la boue. Une véritable infection.
Une forme claire se détacha des arbres et vint à ma rencontre. Je reconnus l'uniforme d'un éclaireur impérial de la 35° Legion. Le clone fit quelques pas et se mit au garde à vous. Je lui fis signe de se mettre au repos et de me conduire à son camp. Il hocha la tête et d'un geste de la main, m'encouragea à le suivre dans les bois. Je soupirais, songeant que je sacrifiais là un beau costume et resserrant le tissu épais de mon manteau contre moi, je marchais à sa suite.
Je devais faire attention à ce qu'aucune branche ne me fouette le visage ou que je ne me torde le pied sur quelque souche pourrie.
Nous arrivâmes enfin au camp. D'un rapide coup d'oeil, j'embrassais les multiples tentes, les nombreux soldats clones et les véhicules qu'on avait tenté de protéger à l'aide de bâches. L'éclaireur me conduisit jusqu'à la tente de commandement de la Légion, claqua les talons et repartit. J'acceptais la protection de la toile avec reconnaissance alors qu'un aide de camp apparaissait de je ne savais où pour me défaire de mon manteau. Lui laissant là ma veste dégoulinante de pluie je m'avançais un peu plus sous la tente pour y rencontrer l'officier en charge de cette armée, le major Kienves. Ce dernier devait avoir une cinquantaine d'années, un visage taillé à la serpe et une lourde moustache blanche. Il était attablé devant une tasse brûlante de thé épicé, entouré par son état-major. Ni moi ni aucun des militaires ne firent de vrais efforts pour saluer les autres. L'inimitié qui régnait entre le COMPORN et l'armée régulière n'était pas un mythe et rare étaient les officiers à nous apprécier. J'avais en revanche, un bien meilleur écho auprès des troupes de bases, peut-être à cause de mes origines modestes.
_Porte-parole suppléant Nexhrn...vous avez fait vite. Le voyage s'est bien passé ?
Le terme de "suppléant" n'avait échappé à personne sous la tente. Techniquement, le major Kienves avait raison, je n'étais que le second porte parole de l'organisation, le premier restant Shihuff Fams.
Mais dans les faits, les choses étaient différentes : je parlais bien plus que lui, tant à l'Holonet qu'aux meetings ou comme cela allait être le cas ici, en mission spéciale. On laissait à Fams l'honneur de son titre alors qu'on le poussait lentement vers la sortie. Son caractère violent avait fini par lui aliéner la sympathie du Comité.
Il restait un formidable orateur, peut-être encore plus doué que moi mais il n'était tout simplement plus en grâce. Contrairement à ce que m'avait affirmé Il-Raz, je n'avais pas pris sa place un an après la Nuit du Verre Brisé. Ma longue convalescence avait demandé du temps et il s'était montré d'une redoutable efficacité pour exhorter la population à prendre part aux pogroms. Mais c'était son chant du cygne et tous au sein du COMPORN savaient qu'un jour ou l'autre, il serait écarté pour de bon de la scène du Comité. On lui trouverait un poste bien à l'abri dans l'organisation tentaculaire, un bon salaire et puis on l'oublierait.
Je pouvais comprendre l'agressivité d'un Kienves. Ces hommes étaient soumis pendant des mois à des doses de stress énormes et ils ne pensaient et voyaient qu'en termes militaires. Ils n'aimaient guère les civils et considéraient les hommes du COMPORN comme un danger potentiel. De notre part, nous trouvions que l'armée régulière était trop indépendante, trop libre d'agir par elle-même alors que par quelques réformes, elle pourrait répandre la Haute Culture Humaine dans toute la galaxie en quelques mois.
Même si je la comprenais, cela ne voulait pas dire que je l'acceptais de bonne grâce. J'étais un membre important de l'organisation, son principal porte-parole quoiqu'en disent les textes officiels. On m'avait aussi accordé le grade de capitaine de la CompForce, à titre honorifique. Je méritais plus de respect de la part du militaire.
Mais j'étais aussi assez intelligent pour ne pas relever la pique du major. Inutile d'envenimer d'avantage des relations déja tendues. Ce fut donc avec un air affable que je répondis que tout s'était bien passé et que j'avais hâte de me mettre au travail.
Un aide de camp me proposa de m'assoir et de m'apporter un thé à moi aussi. J'acceptais, espérant chasser le froid qui glaçait jusqu'au moindre de mes membres. Alors qu'on m'apportait ma boisson, le major Kienves fixa le liquide brûlant de sa tasse sans rien dire. Ce ne fut qu'après de longues secondes de silence qu'il se décida à rompre le silence.
_Est-ce qu'on vous a prévenu de l'état du front ?
_Brièvement, avouais-je, soufflant sur mon thé épicé pour pouvoir le boire. Je sais que vous et vos hommes êtes engagés sur Fejor depuis un demi-cycle et que...
_Ca fait dix mois qu'on est cloués ici, précisa le major.
_Dix mois donc, corrigeais-je que vous cherchez à écraser les forces locales, hostiles à l'Empire. Les rapports indiquaient un net avantage stratégique en notre faveur et je dois dire que je suis moi-même assez surpris d'avoir été envoyé ici pour remotiver les troupes.
C'était une de mes principales missions depuis mon accession au poste de porte-parole. J'allais sur les lignes de front, remonter le moral des soldats par mes discours et ma présence. La troupe m'avait affectueusement surnommé le "Petit Avocat" et jusqu'à présent, j'avais rarement échoué.
Bien sûr quelquefois, l'état psychologique des hommes était tel qu'aucun discours de propagande ne pouvait les remotiver. Mais cela ne m'empêchait pas d'essayer encore et encore.
_Est-ce que vous avez la moindre idée de la réalité de la situation Nexhrn ? Cela fait dix mois, dix foutus mois que nous sommes cloués sur cette maudite planète, à combattre une saleté de guérilla. J'ai peut-être des tanks et des véhicules mais je ne peux pas les utiliser à cause du terrain ! Les snipers indigènes grouillent dans cette forêt, arrosant mon unité au moindre pas quelle fait en dehors du camp ! Ils posent des mines, tendent des embuscades...est-ce que vous savez combien j'ai perdu de soldats depuis le début des conflits ?
Il ne me laissa pas le temps de répondre :
_Plus de deux-mille cinq cent de mes gars sont tombés dans cette fichie forêt, plus d'un régiment au grand complet ! Et nous avons beau multiplier les attaques nous aussi, c'est aussi efficace qu'un coup du vibrolame sur Kamino.
J'hochais poliment la tête, lui donnant l'impression que j'approuvais ses propos. En réalité, je m'en moquais. Je n'étais pas ici pour commander ou lui dire que faire pour remporter la victoire, ça c'était son travail. Mon job à moi était de regonfler un peu le moral de la 35° Légion avant que les autochtones fejoriens ne remportent la victoire sur une armée dont l'esprit était en lambeaux.
_Et puis il y a la Jedi, ajouta sombrement Kienves en buvant de son thé.
Je dressai l'oreille : une Jedi, ici, sur ce tas de boue ?
_Ce n'est sûrement qu'une rumeur, affirma un jeune sous-officier. Personne n'a jamais vu cette soit-disant Jedi, ce ne sont que des racontars de soldats.
_Et l'escouade Turquoise, retrouvée dépecée dans une clairière, sans une trace de sang une odeur d'ozone flottant autour d'eux ? objecta un autre homme d'un ton inquiet.
Le sous-officier qui avait remis en doute la présence de la Jedi continua sur sa lancée :
_Des blessures de sabre laser. N'importe qui en portant un aurait pu les faire. Je suis sûr que les indigènes ont du mettre la main sur un sabre Jedi et s'en servir contre nous, comme symbole.
_Arrêtez de dire n'importe quoi, s'emporta son vis à vis, vous avez déjà vu quelqu'un découper aussi nettement un corps avec un sabrolaser sans se blesser lui-même à moins de maîtriser la Force ?
_Les Jedi sont des reliques du passé, nous nous sommes débarrassés d'eux et de la menace qu'ils représentaient pour la galaxie.
_Certains d'entre eux courent toujours ! Dois-je vous rappeler que nous n'avons pas encore mis la main sur Kenobi, Yoda ou...
_Taisez-vous ! intervint le major Kienves avec autorité.
Le silence qui s'en suivit ne fut violé par personne hormis le fracas des grosses gouttes de pluie sur la toile de la tente. J'avais la nette impression de voir le tissu se gondoler sous le poids de l'eau et se gorger d'humidité. Je resserrais mes mains sur mon thé comme si de cette façon, il pouvait encore mieux propager sa chaleur à l'intérieur de moi.
_La question au final n'est même pas de savoir s'ils ont une Jedi ou pas avec eux. La question est de savoir comment se sortir de ce bourbier avant que toute la Légion n'y passe.
_Si je puis me permettre...
Tous les regards de l'Etat-Major se braquèrent sur moi. Nullement intimidé, je poursuivis :
_Nous pourrions peut-être passer à la tâche qui m'a mené ici en ce jour ? Plus vite vous aurez rassemblé les hommes, plus vite je pourrais faire mon discours et plus vite ils seront opérationnels pour casser de l'indigène.
Un sous-officier hocha la tête et se précipita au dehors pour communiquer à la troupe de se rassembler au centre du camp. Ils me prévinrent qu'il faudrait une bonne dizaine de minutes pour que tous les hommes de la Légion se mettent en place. Je surpris les techniciens de la 35° en demandant l'activation des boucliers déflecteurs, pour nous protéger de la pluie. Ils arguaient que c'était là une dépense d'énergie trop coûteuse car les averses ne s'arrêtaient jamais sur Fejor à cette époque de l'année. Mais ils n'osèrent pas contester mes ordres lorsque je les répétais. Inutile de leur expliquer à quel point l'effet psychologique serait modifié si pendant mon harangue, la plus répétitive des nuisances de la planète était neutralisée même temporairement.
J'attendis douze minutes avant d'être conduit à une petite estrade, assemblée à la va-vite. Au dessus de nos têtes, le dôme protecteur déviait l'averse avec efficacité même si tout me semblait humide dans le camp.
Devant moi, les soldats de la 35° Légion attendaient, immobiles dans leurs armures sales de camouflage. Alors que je posais le pied sur le bois détrempé, je ne pus m'empêcher de penser qu'il y avait quelque chose de choquant à voir l'armée impériale dans cet état. Les clones avaient fait sauter le fermoir de leurs heaumes et tenaient leurs casques sous le bras. Leur regard était vide, je n'y voyais pas la moindre flamme. Ils se battaient parce qu'ils étaient nés pour ça, ni plus ni moins. Seul leur conditionnement et leur entrainement avait empêché qu'ils ne désertent comme des lâches au sein de cette immense forêt. Ils n'avaient plus la foi et c'était à moi de la leur rendre.
Je ne fis pas le salut du Comité car ils ne faisaient pas parti de notre organisation et je dois bien dire que leur état d'esprit me dégoûtait un peu. Je comprenais tout à fait la nécessité de regonfler le moral de certains de nos hommes qui se trouvaient en situation difficile mais pas les stromtroopers. Ils étaient censés être l'élite des soldats du régime, les garants du droit impérial. Les maîtres-cloneurs auraient du mieux faire leur travail. Enfin...
_Soldats de la 35° Légion Impériale ! m'écriais-je d'une voix forte. Je sais qu'un petit nombre d'entre vous ne voit plus la lumière au bout du tunnel. Je sais qu'un certain nombre d'entre vous se demandent ce qu'ils font ici, loin de tout, à combattre depuis des mois un ennemi invisible et veule, qui se terre à quelques mètres de vous, attaquant par surprise sans jamais lutter au grand jour et dans l'honneur. Je sais qu'un grand nombre d'entre vous préférerait lutter ailleurs, contre un ennemi qui n'utilise pas la lâcheté comme arme de guerre. Je sais que la plupart d'entre vous ont perdu des frères au cours de ces dix derniers mois, ne rêvant jour et nuit que de faire payer ce crime à leurs assassins.
Je fis une pause. J'avais énoncé les faits avec calme et retenue. Il était temps de faire un peu de show.
_Mais je sais aussi, dis-je en levant le poing, que vous tous, oui, vous tous êtes prêts à lutter jusqu'à ce que mort s'ensuive pour défendre la paix et la liberté dans notre galaxie ! Et le combat pour le paix se déroule ici mes amis ! Il ne s'agit pas d'une planète perdue au fin fond de la Bordure Extérieure. Il s'agit du combat pour la civilisation ! Ici, nous luttons pour l'Empire et ses concitoyens !
Quelques clones commencèrent à hocher la tête à mes propos. Je vis avec plaisir la flamme dans leurs yeux se rallumer lentement.
_Pendant dix mois, un ennemi qui n'avait pour lui que la force du nombre s'est raillé de vous ! Et qu'est-ce qu'un lâche sinon ceux qui attaquent en masse, Ils se cachent derrière des buissons au lieu de venir nous affronter d'homme à homme ! Que devons nous donc en conclure ? QU'ILS NE SONT PAS DES HOMMES !
L'enthousiasme commença à gagner la Légion.
_Ce sont des animaux, à peine plus dignes qu'une meute de chiens kath dégénérés ! Ont-ils du remords à attaquer vos frères pendant leur sommeil, à déposer des pièges dans la forêt et à disparaître comme des voleurs dans la nuit ? Non car ce sont des chiens !
Les premiers applaudissements spontannés se firent entendre.
_Et que fait-on aux chiens quand il deviennent agressifs ? repris-je avec emphase. Nous les piquons, nous nous en débarrassons avant qu'ils ne contaminent d'autres animaux ! Et c'est exactement la raison pour laquelle vous êtes là sur cette planète ! Vous êtes le vaccin purificateur qui va nettoyer ce sol de la présence de ces lâches, trop idiots pour comprendre quel bien leur apporterait une honnête collaboration avec nous. Et je vous promets mes amis, je vous jure sur la tête de ma famille qu'avant deux semaines, vous aurez vacciné définitivement Fejor. Les éléments subversifs seront purgés et vous serez traités comme vous le méritez, comme des héros ! Vive l'Empire ! Vive l'Empereur ! Vive la 35° Légion Impériale et gloire à ses fils !
Je finis mon ovation en levant le bras non pas la manière du COMPORN mais poing serré et jeté en avant. Les clones y répondirent d'instinct par un salut militaire avant que sept-mille paires de main ne se mirent à battre en même temps. Dans les pupilles des clones je voyais à nouveau cette flamme pure et parfaite de la foi en la victoire. L'ennemi pouvait bien reprendre ses opérations de guérilla, les harceler, les soldats se battraient désormais avec la même ferveur qui si Palpatine lui-même avait posé les yeux sur eux.
Je descendis satisfait de l'estrade quand Kienves s'approcha de moi à grands pas, l'air furieux.
_Bravo, bien joué !
_De quoi parlez-vous ? Ils sont prêts à retourner au combat maintenant, non ?
_Un peu trop même. Se débarrasser de l'ennemi "avant deux semaines" ? Alors que ça fait un demi-cycle qu'on croupit ici ? Mais vous êtes malade ou quoi ? Et puis c'est quoi cette image nauséabonde de la maladie et du vaccin ?
_L'auditoire aime les images fortes, ça stimule son imagination. Et concernant ma déclaration sur les deux semaines et bien, je présume que l'ennemi doit bien avoir des bases, des villages, ils ne vivent quand même pas nus dans les fougères...il suffirait de détruire ces bases et tout rentrerait dans l'ordre.
Kienves eut un rictus méprisant :
_Parce que vous croyez qu'on y a pas déjà pensé ? Mais c'est impossible puisque à chaque village ou camp qu'on détruit, ils en construisent deux moins d'une heure après ! C'est la forêt leur base et elle couvre tout Fejor.
_Détruisez la forêt alors...où est le problème ?
Les soldats me regardèrent avec des yeux ronds. Un des sous-officier, celui-là même qui avait soutenu la présence de la Jedi contesta :
_On ne peut pas monsieur le porte-parole, cela demanderait une puissance de feu énorme, des dizaines de star destroyers. Nous ne pouvons pas en demander autant à l'Empereur, pas pour mater une petite rebellion comme celle-ci.
_Je n'ai jamais parlé de détruire les bois par tirs turbolasers. Je pensais plutôt à une sorte de défoliant. On en vaporiserait sur l'ensemble de la planète, la forêt ne deviendrait plus un obstacle et nous écraserions les ennemis de l'Empire en un battement de cil.
_C'est de la démence ! s'emporta Kienves. Où trouver ce que vous demandez ? Et je ne parle même pas des dégâts que nous infligerions à l'écosystème.
Je levais un sourcil :
_Vous vous emportez bien vite pour tois pauvres serpents forestiers major. Il se trouve justement que le département Science du COMPORN vient de créer un tout nouveau produit défoliant pour les besoins de l'Ordre Nouveau. Et tout ce dont nous avons besoin, c'est un test en conditions réelles. Alors pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups ? Vous vous débarrassez de la forêt, vous pouvez vous en prendre directement aux indigènes et nous, nous aurons les résultats de notre test.
_Pour que le Comité récolte tous les lauriers de l'opération ? Vous pouvez allez vous faire voir ailleurs, monsieur le porte-parole.
_Je n'ai peut-être pas été assez clair, dis-je en sortant un morceau de filmplast de ma poche intérieure. J'ai ici un ordre signé m'autorisant à "faire tout ce qui est en mon pouvoir pour parvenir au bon déroulement du test".
Kienves se rapprocha de moi, l'air menaçant :
_Vous auriez un ordre de Palpatine lui-même, je ne vous suivrais pas. Votre domaine de compétence, c'est la parlotte. Alors retournez vite sur Coruscant avant qu'il ne vous arrive quelque chose.
_C'est une menace ?
_Un conseil. Vous savez, c'est dangereux les camps militaires pour les civils, il y a de temps en temps des lasers perdus...
_En fait, techniquement, je suis aussi capitaine de la CompForce.
_Vous êtes un gratte-filmplast, me cracha t-il au visage. Je suis sûr que vous n'êtes jamais allé au feu.
_C'est exact, dis-je avec un grand sourire. Donc même vous devriez déduire à quelle section j'ai été affecté, non ?
_L'Observ...souffla un sous-officier dans mon dos.
Et oui, j'étais relié à la section Observation de la CompForce. Membre honoraire certes mais membre toutefois avec tous les pouvoirs qui incombaient à n'importe quel gradé du département. Comme celui de pouvoir immédiatement mettre fin au commandement d'un officier que le soldat de l'Observ jugerait inapte à remplir son rôle.
_Major Kienves, par les pouvoirs qui me sont confiés par mon grade de capitaine de la section Observation de la CompForce, je vous retire votre commandement et vous place aux arrêts.
_C'est n'importe quoi, s'étrangla le major. Vite soldats, emparez-vous de lui !
_Messieurs, conduisez le major en zone de détention.
Les sous-officiers nous regardèrent alternativement, ne sachant pas à qui obéir. Finalement, la peur du COMPORN l'emporta et deux soldats de la police militaire encadrèrent Kienves jusqu'au bloc de détention du camp. Le commandement revint au sous-officier qui avait soutenu l'existence de la Jedi et ce dernier me jura de m'obéir en tout point.
J'hochais la tête et envoyais un message à Coruscant, pour les prévenir de la suite des opérations.
Elles se déroulèrent très vite : deux jours après mon discours, une navette du COMPORN passa en rase-mottes au dessus de Fejor, pulvérisant un produit expérimental du département Science. La futaie tomba très rapidement malade et se racornit presque à vue d'oeil. L'impénétrable mur végétal pourrit en quelques heures. Le nouveau chef de la 35° Légion ordonna alors, suite à mon conseil de frapper avec violence et de profiter de l'effet de surprise. Privés de l'appui de la forêt, les indigènes ne firent pas le poids face à la puissance de feu et à la motivation sans faille des troupes impériales. La bataille de Fejor, qui s'éternisait depuis un demi-cycle fut terminée en dix jours.
Le matin du dixième jour, les soldats capturèrent les chefs de la résistance locale. Ceux qui tentèrent de s'enfuir furent abattus, les autres, conduits à Coruscant pour être jugés de "crime contre l'Empire et la liberté de ses citoyens".
C'était une belle victoire pour moi et pour le COMPORN mais pourtant, je ne repartis pas de Fejor l'esprit tranquille.
Cela n'avait rien à voir avec le fait que nous avions dévasté l'écosystème fejorien ou massacré des autochtones presque désarmés mais concernait les évènements du onzième jour. Une patrouille captura enfin la fameuse Jedi qui avait posé tant de problèmes à la Légion, une humaine d'une quarantaine d'années. Les soldats la découvrirent accompagnée d'un groupe d'enfants, dont les plus grands ne devaient pas avoir huit ans. Après interrogatoire, il s'avéra qu'il s'agissait d'une classe de novices Jedi qui s'était réfugiée sur Fejor pour se cacher des autorités. La consigne était claire, l'ordre 66 encore en vigueur : la Jedi et les élèves furent fusillés sur le champ. Je ne fis rien pour empêcher la 35° Légion d'appliquer les ordres. Et pourquoi l'aurais-je fait ? Certes, voir mourir des enfants était quelque chose qui me troubla profondément. Mais enfin, il s'agissait de Jedi avant tout. Si nous les avions laissé grandir, ils auraient représenté une menace pour notre sécurité. Il valait mieux couper le mal à la racine.
Je montais dans ma navette quand un clone m'interpella. Il tenait par le bras un jeune homme de treize ou quatorze ans, les cheveux noirs en bataille, le visage encrouté de sang. Le soldat m'apprit que l'adolescent avait été identifié comme un jeune originaire de Fejor, qui avait rejoint la résistance plus par goût du jeu que par réel amour idéologique. Les rebelles ne voulant pas s'encombrer d'un aussi jeune soldat, l'avaient affecté comme aide de camp à la Jedi. Le clone voulait savoir quel sort réserver au gamin car n'étant pas lui-même Jedi ou franc-tireur, il ne tombait sous le coup d'aucune loi de la guerre. Je fixai l'adolescent et lui demandais :
_Quel est ton nom petit ?
_Cbokn Soomei, marmonna le jeune homme d'une voix à peine audible.
_Et bien Cbokn tu as de la chance. Je serais en droit de te faire loger un tir de blaster en pleine tête mais je ne vais pas le faire. Ni même te faire emprisonner. Laissez-le partir, ordonnais-je au soldat.
_Vous êtes sûr ?
_Affirmatif. J'ai vu assez d'enfants mourir aujourd'hui. Libérez-le.
Le clone lacha le bras de l'adolescent presque à contrecœur. Le gamin resta quelques instants sur place sans bouger comme s'il ne comprenait pas ce qui lui arrivait avant de brusquement détaler dans la forêt pourrissante. Moi, je resserrais le col de mon manteau et grimpai dans ma navette.
Mon travail sur Fejor était terminé.

En jetant un oeil par le hublot d'observation et en embrassant l'astroport du regard, je ne pus masquer ma satisfaction à l'idée de retourner enfin sur Coruscant. J'avais un besoin quasi vital de la cité-capitale, quelques jours passés loin d'elle et je me sentais pratiquement dépérir. Non pas que je n'aimais pas certaines autres planètes du Noyau mais Coruscant restait de loin mon monde préféré. Peut-être parce que c'était l'endroit où la puissance de l'Ordre Nouveau était la plus éclatante, là où les progrès accomplis par le travail acharné du COMPORN et du reste de l'administration impériale étaient les plus visibles.
Les poètes avaient plus d'une fois comparé la cité-capitale à une pierre précieuse, la surnommant le Joyau des Mondes du Noyau.
Et je devais admettre que j'étais tout à fait d'accord avec eux lorsque on savait où poser son regard dans Coruscant, comme maintenant. La piste d'atterrissage n'était pas très grande en soi, plus petite que d'autres plate-formes coruscantis. Mais elle était incomparablement plus belle : on avait recouvert son dallage de marbre de Selonia, cette pierre si unique, à la fois d'un jaune pur et légèrement translucide. De grandes hampes de drapeaux sur lesquelles battaient au vent les oriflammes du Comité ne laissaient aucun doute sur l'identité des possesseurs de la plate-forme.
Enfin, le soleil couchant de Coruscant donnait à l'ensemble du décor un ton orangé magnifique, comme une tempête de feu. A tous ceux qui doutaient que la beauté, la véritable splendeur pure, authentique et virginale, existait, je leur conseillai de venir observer ce spectacle.
Lorsque je descendis de la navette, je ne cachai pas mon sourire en sentant sous ma semelle de la pierre, dure et parfaite. Ce contact m'avait manqué après plus de dix jours à patauger dans la fange fejorienne, à voir mes bottes aspirées par le sol. Mais le cauchemar de Fejor était terminé. Après des mois d'absence, à courir d'une planète perdue à une autre pour regonfler le moral de troupes exténuées, c'était fini, je regagnais enfin la civilisation.
A peine avais-je mis le pied sur la plate-forme d'atterrissage qu'Eleiza s'était jetée dans mes bras et m'embrassait avec passion. Le décor pouvait sembler quelque peu étrange, presque un cliché à quelqu'un qui regarderait la scène de loin, à voir une grande et belle jeune femme à la peau mate et aux cheveux cendrés, se couler dans les bras d'un homme plus petit qu'elle, en costume deux pièces, couvert de boue séchée, le tout sous le feu crépusculaire du soleil coruscanti. Mais ce n'était pas une scène d'holocinéma, c'était bel et bien réel. Elle aussi m'avait manquée.
Le goût de ses lèvres, le grain de sa peau...je ne savais pas si j'en étais réellement amoureux mais j'étais dévoré par le désir lorsque elle était là, c'était certain.
Je ne m'étais pourtant pas jetée dans cette aventure la tête la première.
J'avais mis du temps à encaisser ma séparation avec Dontika même si c'était moi qui avait mit fin à notre liaison. Lorsque j'avais passé huit mois cloué sur ce lit d'hôpital, j'avais toujours espéré quelque part qu'elle viendrait me voir, ne serait-ce que pour m'insulter de l'avoir quittée si brutalement. Mais elle n'avait jamais fait le déplacement. Pourtant, elle n'avait pu ignorer mon sort : l'attentat m'avait apporté un focus médiatique très important. Mais elle avait choisi de ne pas venir. Je crois que je la comprenais dans le fond. Je n'étais plus l'homme qu'elle avait aimé, venir me voir aurait été comme visiter un parfait inconnu, peut-être pire encore.
Si mon ancienne petite amie ne s'était pas déplacée, j'avais eu en revanche la visite de nombreuses autres personnes, dont la majorité appartenaient au COMPORN, évidemment. Le vice-directeur de Justice était venu le premier m'apporter son soutien, suivi de près par d'autres membres du département. Dakcen et Kraik étaient venus eux-aussi et j'avais même eu droit à un message holo personnel de l'Empereur, me souhaitant un bon rétablissement !
Mais la visite dont je me souvenais le plus était indiscutablement celle de la femme que j'enlaçais en ce moment précis. Eleiza s'était présentée lors de ma troisième semaine de convalescence, s'excusant de n'avoir pu venir plus tôt. J'étais encore sous un lourd traitement médicamenteux à l'époque, pour que je supporte la douleur de mes poumons meurtris et les doses massives de calmant me donnaient parfois des hallucinations.
A voir ainsi l'agent du BSI dans ma chambre, dans un uniforme aux mêmes tons que ceux de la pièce, j'avais du attendre qu'elle aille jusqu'à poser sa main sur mon bras pour comprendre que je ne rêvais pas et qu'elle était bien réelle. Nous avions alors parlé longtemps. De l'attentat, de la Nuit du Verre Brisé, du régime impérial. Elle était resté à mes côtés jusqu'aux limites des heures de visite. Et elle était revenue le lendemain et le surlendemain. Elle était venue me voir à chaque fois que ses horaires le lui permettaient. A chaque fois, nous parlions jusqu'au bout de la nuit et à chaque fois j'étais happé par l'étrange miroitement de ses yeux.
Son regard.
C'était lui qui m'avait définitivement fait perdre la tête. Je l'avais déjà noté lors de notre toute première rencontre mais j'avais l'impression de le redécouvrir à chaque fois que je la voyais. Il suffisait qu'elle braque ses yeux sur moi pour que je sois immédiatement et irrémédiablement piégé. Ils m'évoquaient le scintillement de la lune et des étoiles sur une mer d'argent.
Si c'était un cliché de se noyer dans le regard d'une femme et bien, j'assumais entièrement ce stéréotype. Ses yeux étaient un véritable catharsis dans lequel j'effaçais les ténèbres. Quand j'étais entre ses bras, je sentais glisser loin de moi la saleté de la galaxie.
_Bienvenue à la maison, me glissa l'agent du BSI entre deux baisers.
Pour toute réponse, je me bornai à l'étreindre plus fort, éloignant par là même la boue de Fejor et le massacre des indigènes. Le souvenir de la mort des jeunes Jedi s'en alla loin de moi, me libérant d'un grand poids. Je ne sentais plus le remords et le dégoût. Oh oui, elle avait raison. J'étais bel et bien à la maison.
Notre étreinte terminée, elle m'attrapa la main et nous guida lentement vers les speeders automatiques qui attendaient les passagers des navettes.
Ces speeders, reliés directement aux hauts lieux du Comité permettaient aux membre de rejoindre rapidement les bureaux du COMPORN sans perdre de temps. Lorsque nous arrivâmes devant les véhicules, elle fit une moue :
_Je dois retourner au bureau, expliqua t-elle dans un soupir. Je risque bien d'en avoir pour toute la nuit. J'ai pas envie, minauda t-elle en posant sa tête contre mon bras.
_Allez, lui dis-je avec un sourire, jouant avec ses mèches cendrées du bout de l'index. On se trouvera bien du temps pour nous dans les jours qui viennent.
_J'espère, conclut-elle en se détachant lentement de moi et en grimpant dans un speeder automatique. Et toi ? demanda t-elle en s'installant sur la banquette arrière.
_Des rapports aux chefs et de la paperasse, dis-avec un petit sourire. L'Ordre Nouveau et sa Haute Culture du Filmplast, ironisais-je.
Elle gloussa et programma le véhicule pour qu'elle le conduise aux locaux du Bureau de Sécurité Impérial. Elle me souffla un baiser lorsque le speeder se détacha de la plate-forme et fondit dans la circulation coruscanti.
Je restai quelques minutes sur le quai, mains croisées derrière le dos à l'observer s'éloigner. Etrange de penser que ma maîtresse était agent pour le BSI. Mais c'était également très pratique car ainsi, j'avais un oeil dans ce secteur très secret de l'organisation. Entre Eleiza et les autres membres du Comité qui m'étaient proches comme Dakcen, Risus et Rekkon, je me bâtissais mon propre réseau au sein du COMPORN.
Il ne fallait pas se leurrer, rares étaient les membres à se donner corps et âme à l'organisation sans arrière-pensée. Une compétitivité qui virait parfois quasiment à la guerre intestine couvait entre les différentes sections et chaque cadre essayait de s'attirer les bonnes grâces de la Commission Sélective, quitte à planter une vibrolame dans le dos de ses collègues. Mes relations privilégiées avec Ishin Il Raz et d'autres chefs du COMPORN et surtout, mon réseau me permettait de savoir à l'avance ce qui se passait et de réagir en conséquence. Plus d'un ambitieux s'était retrouvé le bec dans l'eau avant d'avoir pu entreprendre quoi que ce soit contre moi. Mais j'étais toutefois un des mieux lotis de l'organisation : rares étaient ceux à chercher à me nuire.
Je me forçais à cultiver de bonnes relations avec ceux que je rencontrais, des plus hautes sphères aux plus obscurs gratte-filmplasts. Pas par souci d'amabilité, par souci de sécurité. En fait, c'était vérifiable sur le filmplast : dessinez une pyramide classique, pointe vers le haut, le sommet représentant les classes supérieures.
Sur quoi repose l'élite ? Sur la base, bien moins qualifiée qu'elle mais bien plus nombreuse. Sans cette base, la structure s'effondre. Il fallait donc maintenir ce schéma en place pour éviter l'écroulement du système. On pouvait s'assurer sa place par la terreur mais ça ne marchait qu'un temps. Si l'on voulait durer, il fallait au contraire se montrer le plus sympathique possible, surtout avec la base. Ainsi, elle se mettait à vous aimer, à ne jamais rien tenter contre vous et même à vous protéger.

Moins d'une demi-heure plus tard, ja patientais dans l'antichambre du bureau de Raz, tournant le dos au bureau de son secrétaire, un jeune SA. Raz adorait fréquenter et utiliser les Subs-Adultes, peut-être encore plus que tout autre cadre du COMPORN. Il était toujours entouré d'une meute de jeunes hommes totalement dévoués à sa cause et complètement fanatisés.
Ce n'était pas pour rien qu'il était déifié par la plupart des Subs-Adultes. Une rumeur disait même qu'ils l'idolâtraient plus que Palpatine lui-même. Personnellement, j'avais un problème avec les SA.
Si j'étais pour leur éducation et leur entrainement destiné à faire d'eux les futurs piliers de l'Ordre Nouveau, je n'aimais pas trop savoir de grandes sections entre les mains d'adolescents.
Bien entendu, les directeurs des sections Subs-Adultes et le haut de la hiérarchie étaient majeurs et largement même mais cela ne m'empêchait pas de sentir comme une sensation de surprise quand je voyais des enfants de seize ou dix-sept ans se noyer dans les tâches administratives essentielles pour la survie du régime.
Je ne les trouvais pas assez matures, voilà tout.
Le bruit de la porte coulissante du bureau m'arracha à mes pensées. Je me retournai, pensant faire face à Ishin Il Raz, venu m'accueillir en personne quand je fis face à Dark Vador.
Etrangement, c'était la première fois que je le rencontrais en tête à tête. Il m'était arrivé de le voir à une réception ou deux, de loin, ou sur l'Holonet bien entendu mais nous ne nous étions jamais parlé.
Je me savais de petite taille. Déjà, en temps normal tout le monde me dépassait d'une bonne tête.
Mais face au Seigneur des Sith, j'étais plus que petit. J'étais minuscule.
Je frémis en voyant ce gigantesque ce golem noir poser ses yeux sur moi. J'étais généralement un expert pour décrypter les pensées de mes interlocuteurs en les regardant au fond des yeux. Mais avec Vador et son masque terrifiant, c'était impossible.
Vador ne dit rien pendant quelques secondes, ne brisant le silence qui régnait dans la pièce que par sa fameuse respiration. Je déglutis difficilement. Je ne comprenais pas pourquoi j'étais angoissé.
Il m'arrivait de m'entretenir avec l'Empereur de temps à autres ou avec d'autres grands du régime impérial. Alors pourquoi est-ce que je me sentais si mal devant Vador ?
Au terme d'un silence qui me parut durer mille ans, Vador se décida à prendre la parole.
_Je vous rencontre enfin. Vous êtes le Petit Avocat.
Entendre mon surnom dans la bouche de ce géant de duracier sonna comme un insulte. Je ne savais pas si c'était à cause du ton monocorde qu'utilisait le Seigneur Noir mais ne sentir aucune chaleur dans ce titre affectif me peina. Néanmoins, je m'efforçais de sourire et d'incliner légèrement la tête.
_C'est bien moi Seigneur Vador.
_On m'a signalé que vous rentrez juste d'une mission où vous auriez trouvé et exécuté plusieurs Jedi. Est-ce vrai ?
_Une seule en fait, Seigneur Vador. Ainsi qu'un groupe de jeunes novices.
Je prononçais cette phrase du bout des lèvres alors que le souvenir de l'exécution revenait me frapper de plein fouet. Je revis les clones aligner les enfants Jedi et ouvrir le feu sur eux. Je revis les petits corps tomber dans la boue et s'étaler dans la fange avec un horrible bruit de succion comme si un monstre quelconque avait ouvert en grand sa gueule sous leurs pas et essayait de dévorer leurs cadavres. A cette pensée, je me sentis nauséeux.
Je m'efforçais d'avaler le renvoi de bile au prix d'un haut le coeur : vomir devant le Seigneur Noir des Sith n'était pas des plus recommandé.
_Vous avez fait du bon travail là-bas. Continuez à bien servir votre Empereur.
Vador n'ajouta rien de plus avant de partir d'un pas rapide en direction de l'extérieur. Dès que le géant noir fut sorti de la pièce, je me sentis mieux. Incroyable qu'en seulement trois phrases, il avait réussi à ce point à me terroriser. Je devais recouvrer mon calme avant de voir Raz. Je pris donc de grandes respirations mais le stress m'empêcha de bien me concentrer et je commençais à respirer de plus en plus fort et de plus en plus vite, tout en ayant l'impression d'étouffer.
Je plaquais par réflexe ma main autour de ma gorge alors que le feu brûlant qui m'avait envahi voici trois ans, lors de l'attentat, revenait me hanter.
J'avais beau savoir que ce n'était qu'une illusion due à la panique, j'avais vraiment l'impression que ma blessure aux poumons s'était rouverte.
Je desserrais le col de ma chemise et me laissai tomber sur la chaise, tentant de me calmer à tout prix. Il fallait que je me calme où j'allais mourir pour de bon !
Le secrétaire SA en me voyant dans cet état, ne perdit pas une seconde : il savait ce qui m'arrivait et ce qu'il fallait faire dans ces moments là. Il m'apporta rapidement un verre d'eau ainsi qu'un calmant. J'avalais les deux en un clin d'œil et sentis déjà ma respiration se calmer. Petit à petit, la panique s'en alla et je retrouvais un souffle normal.
Je respirais à nouveau calmement. Tandis que j'essuyais une plaque de sueur sur mon front, le secrétaire me proposa de remettre mon rendez-vous avec Raz à plus tard. Je refusais. Je voulais clore cette affaire au plus vite pour pouvoir enfin me reposer dans mon lit, luxe que je n'avais pas eu depuis des mois.
Après s'être assuré que j'allais mieux, le jeune homme m'introduisit donc dans le bureau de son maître. La pièce croulait sous les décorations et les portraits de Palpatine. C'était aussi vrai pour la plupart des bureaux des grands chefs du COMPORN mais ça l'était encore plus chez Raz. Le respect qu'il portait à l'Empereur allait au delà de l'idôlaterie, au point que quelques plaisanteries à ce sujet courraient au sein du Comité. Raz avait le nez plongé dans un dossier et releva la tête quand il m'entendit entrer.
_Bonsoir Alsh, dit-il avec un léger sourire. Vous avez croisé le Seigneur Vador ?
_Brièvement, dis-je du bout des lèvres en m'asseyant en face de mon supérieur. Nous n'avons pas eu le temps d'échanger beaucoup.
_C'est un homme pressé. L'Empereur a souvent besoin de lui.
Je sentis une pointe de jalousie à peine dissimulée dans ses propos. Raz aurait rêvé d'être à la place de Vador en tant que Commandant Suprême des forces armées, pour pouvoir siéger juste à la droite de son maître. Mais Raz n'était pas un tacticien, encore moins un stratège. C'était un habile politique, dévoué à la cause, fanatique quand Palpatine donnait un ordre mais son autorité réelle n'avait de poids que sur les Subs-Adultes. Ce qui, vu leur nombre, lui donnait le contrôle quasi total du COMPORN.
_J'ai lu les rapports de ces derniers mois et bien entendu, ceux de la mission sur Fejor, poursuivit Raz. Du beau travail, rondement mené. Ces indigènes dégénérés et barbares ne souilleront plus notre Empire Galactique. De plus, vous avez réussi à faire déverser le produit expérimental du département Science, bien joué : les premiers résultats sont encourageants, ils vont booster nos futures productions. Et cerise sur le cheffa, vous vous payez même une Jedi et une clique de gosses !
Il rabattit la couverture du dossier avec un air ravi avant de me le tendre, de même que quelques feuilles de filmplast que je me hâtais de parafer. Je tombais de sommeil.
_Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je pense que vous avez besoin de repos, dit Raz en se levant et en s'étirant.
_Je peux y aller ? demandais-je, plein d'espoir.
_Bien sûr, dit Raz en faisant un geste de la main en direction de la porte. J'aurais quelque chose à vous confier mais ça peut atteindre demain. Nous ne sommes pas à un jour prêt.
Satisfait, je me levai et me préparais à sortir de la pièce quand la voix de mon supérieur me fit m'arrêter à nouveau :
_Une dernière chose, précisa t-il. Concernant la mise aux arrêts du major Kienves...
_Ai-je fait une erreur en donnant cet ordre ? questionnais-je.
_Pas du tout, me rassura t-il, rien ne doit entraver notre mission, même un officier de l'Armée Impériale. Non, le problème se situe ailleurs. Kienves s'est mis en tête de porter plainte contre vous, devant le tribunal militaire, pour abus de pouvoir. Mais ne vous inquiétez pas, jura t-il, sa plainte n'aboutira pas.
_Et comment pouvez vous en être si sûr ?
_Parce que je l'ai personnellement détruite et parce que le plaignant sera retrouvé pendu dans sa cellule, au lever du soleil.
Je sentis un frisson me parcourir l'échine. Raz venait tout simplement de m'annoncer qu'il venait de faire disparaitre un document officiel et de faire tuer un major de l'armée, sur un ton banal, comme si nous avions parlé du temps.
_Vous êtes trop précieux pour que nous vous perdions dans ce genre d'affaires. Un texte sera d'ailleurs voté prochainement, donnant droit à certains dignitaires de l'organisation, dont vous, une impunité totale, devant la Justice, civile ou militaire. Nous serons plus libres de nos mouvements, lança mon supérieur avec un sourire plus large.
Je hochais lentement la tête, ne sachant pas vraiment quoi répondre.
Je sortis du bureau de Raz alors qu'il me souhaitait une bonne nuit. Abruti de fatigue, je n'écoutai pas plus les vœux du secrétaire SA.
Lorsque je sortis au dehors, la nuit m'enveloppa comme un voile glacial. Mon regard se perdait dans la nuit de Coruscant. Le beau soleil couchant n'était plus, remplacé par un suaire noir. La planète tentait bien d'être son propre astre, toute illuminée par ses buildings et ses néons mais n'était qu'une pâle copie de son étoile. J'avais la désagréable impression de voir les ténèbres éternelles après un magnifique feu crépusculaire.
Et sans vraiment pouvoir me l'expliquer, cet espace infini et son silence m'effrayait.
Comme si je faisais face à un avant goût de la mort...
Une peur qui allait m'habiter encore longtemps...

Je dormis à poings fermés cette nuit-là. La fatigue des derniers mois s'était faite sentir, tant et si bien que je ne m'éveillais qu'à onze heures du matin, un comble pour un lève-tôt comme moi. Je me sortis des draps en satin blanc de mon lit en douceur, prenant garde à ne pas réveiller Boldni, mon spukama apprivoisé.
Le chat corellien s'était roulé en boule à mes pieds et dormait en ronronnant très légèrement. L'animal m'avait été offert par Ishin Il Raz à ma sortie de l'hôpital et depuis, le spukama et moi s'étions bien entendus. J'aimais bien ce chat, à la fourrure noire comme l'encre et aux yeux dorés. En fait, je crois que j'aimais bien les animaux en général.
Plus que la plupart des êtres sensibles en tout cas. Eux étaient dignes de confiance. Ils ne trahissaient pas, restaient fidèles. Ils ne plaçaient pas l'argent au dessus des idéaux.
Alors que j'enfilais une robe de chambre pourpre, Boldni ouvrit les yeux, s'étira et sauta au bas du lit avant d'aller se frotter contre mes jambes, quémandant une caresse.
Je lui accordais quelques gratouillements sous le menton avant de quitter la pièce. Je traversais le petit couloir de mon appartement, jetant un oeil ici et là, à la collection d'holotableaux qui agrémentaient les murs crème. Je grimaçais. Il faudrait vraiment que je pense à changer la décoration un de ces jours, dès que j'aurais une minutes. Le style des holotoiles me déplaisait fortement. A se demander ce que la sénatrice Zarander avait pu leur trouver.
L'appartement dans lequel je vivais appartenait théoriquement toujours à Eri Zarander, sénatrice de Varonat et membre de la Délégation des Deux Mille.
Mais les Deux Mille, ces politiciens qui s'étaient opposés aux pleins-pouvoirs de Paltpaine, pourtant accordés on ne peut plus démocratiquement par le Sénat, n'étaient plus vraiment en odeur de sainteté et ce, depuis la mort de leur chef, Padmé Naberrie, ancienne reine de Naboo sous le nom d'Amidala.
Si l'essentiel avait recouvré la raison ou du moins, un certain bon sens politique en votant favorablement à l'Empire, des gens comme Organa par exemple, un noyau dur s'était entêté, empêtré dans ses idéaux de République parfaite. Comprenons nous bien : j'aimais les idéalistes. Ceux prêts à se sacrifier pour leur cause, sans penser au prix à payer. Mais enfin, il y avait idéalisme et idéalisme. Ou plutôt, idéalisme et stupidité.
Iriez-vous lancer une campagne abolitionniste sur Trandosha ou militer pour l'égalité des droits sur Serreno ? Parce que c'était l'équivalent de ce que faisaient ces républicains fanatiques. Pire, ils luttaient pour une cause qui avait disparue. Ils représentaient un danger interne pour l'Ordre Nouveau et devaient être neutralisés. Et Zarander faisait partie de ceux-là.
Cela dit, elle avait eu de la chance : prévenue quelques heures avant que l'Intelligence Impériale, les rivaux du BSI ne mettent la main sur elle, elle avait pu fuir pour la Bordure Extérieure où on avait perdu sa trace.
Tout n'avait pas été perdu cela dit, puisque en vertu des lois sur les réquisitions nécessaires à la sureté de l'Etat, j'avais pu faire du luxueux appartement de la sénatrice, mon propre logement.
J'y habitais seul, Eleiza et moi ne vivions pas ensemble. Il était déja assez dur pour nous de se voir avec nos emplois du temps respectifs, alors emménager tous les deux était exclu.
J'entrais dans la cuisine, Boldni sur les talons. Je lui servis une secoupe de lait bleu alors que je m'accordais un café noir, agrémenté de biscottes beurrées, tout en feuilletant le journal du jour. J'aurais pu allumer l'Holonet mais j'avais ce besoin de toucher le filmplast comme pour être proche de l'information.
Il n'y avait rien de très important aujourd'hui, excepté un beau entrefilet sur notre victoire fejorienne. Je grimaçais et repliant le journal, je le jettai presque loin de moi. J'avais autre chose à faire qu'à penser à ça.
Je finis mon petit déjeuner en m'efforçant de garder les souvenirs de Fejor le plus loin possible. Et j'y parvins d'une manière inattendue quand la sonnette de la porte d'entrée retentit. J'allais ouvrir pour découvrir Dakcen, en civil, sur le pas de la porte. Notre dernière rencontre de visu devait dater d'au moins trois mois. Je lui serrais la main, notai au passage qu'il me semblait encore plus gros qu'auparavant et l'invitai à entrer, tout en m'excusant pour ma tenue. Il m'assura que ce n'était pas grave, étant lui aussi en jour de repos.
Nous nous installâmes à la table du salon, d'une belle pierre d'onyx noire. Mon ami fit quelques compliments sur l'appartement et nous échangeâmes quelques banalités.
_Tu sais, dit-il au détour d'une phrase, je tenais à te remercier pour la promotion que tu m'as obtenue.
Je fis un geste de la main comme pour chasser physiquement cette phrase :
_Oh je t'en prie, répondis-je. C'est toi qui m'a fait entrer dans le COMPORN, c'est normal que je te renvoie le turboélévateur.
Bon. Si je voulais être honnête, ce n'était pas que par souci d'équité que j'avais agi ainsi. J'avais besoin de mon réseau et il devait être le plus puissant possible. Un allié à un poste subalterne ne me servait à rien.
Au contraire, plus il serait placé haut dans la hiérarchie du Comité, plus il serait susceptible d'agir à grande échelle, ou d'entendre des choses intéressantes. La vie dans le COMPORN était comme dans n'importe quelle entreprise lambda : si on n'assurait pas ses arrières, on se faisait bouffer. Et personne, personne, ne pouvait se permettre de me battre.
_J'ai aussi appris que c'est grâce à toi que Redra est devenu capitaine dans la CompForce...et le petit Rekkon, il en est où ?
_Toujours dans Justice, comme assistant du nouvel avocat général. Je pense qu'il pourra lui-même briguer le poste dans quelques années.
_Il est doué à ce point là ? demanda mon ami.
_Pas tellement, avouais-je. Mais il est encore jeune, il a du potentiel.
En fait, même avec le temps, je doutais que Rekkon devienne un grand orateur.
Bien entendu, il ne se débrouillait pas si mal que ça mais il lui manquait ce petit quelque chose, ce talent unique pour galvaniser les foules que certaines personnes - comme moi - possédaient.
Mais encore une fois, ce n'était pas tant pour le bien de l'organisation que pour le bien de mon propre réseau que je désirais l'accès du SA à ce poste.
_Faut que je te dise un truc, dit Dakcen du bout des lèvres. Je devrais me la fermer mais bon...en fait, je devrais même pas le savoir, c'est top-secret.
_De quoi tu parles ? demandais-je intrigué.
_Il y a de ça trois jours, il y a eu un soulèvement, sur Kamino.
_Les kaminoiens se sont rebellés ?
_Pas tous, juste quelques maîtres-cloneurs. Et leurs créations.
Je cillais à plusieurs reprises, interdit :
_Attends, tu veux dire que les clones ont pris les armes contre nous ?
_Ouais, dit Dakcen en hochant tristement la tête. Un truc de fou, hein ? Mais par chance, l'Empereur a été réactif, on a écrasé cette révolte dans l'oeuf. Ils ont pas fait le poids face au Poing de Vador.
La 501°. Rien de plus que la meilleure armée impériale. Pas très étonnant que la victoire échoit à l'Ordre Nouveau dans ces conditions.
_Les stormtroopers ont réussi à retourner la situation et à tuer les chefs rebelles. Ainsi qu'à empêcher un nouveau soulèvement. Toujours est-il que les clones se sont révoltés et ça ferait une assez mauvaise publicité à Palpatine que le grand public sache ce qui s'est passé. Donc, il s'est rien passé.
_D'accord, dis-je une fois ma surprise passée. Mais pourquoi tu me racontes ça ?
_J'y viens, expliqua mon ami. On pense que le modèle Fett est obsolète. Trop solitaire, trop imprévisible. L'Empereur veut diversifier les souches pour éviter à nouveau ce genre de problèmes.
_Et en quoi ça nous concerne ? A la limite, c'est le boulot du département Science, ça.
_Palpatine s'apprête à envoyer dans quelques semaines toute une délégation sur Arkania, pour signer un accord avec une des grosses boites de génétique de la planète, pour bénéficier de leur soutien sur ce projet là. Il y aura des membres de la Coalition pour le Progrès...
Il leva la main.
_De la Coalition pour l'Amélioration...
Il pointa l'index vers moi.
_Et d'après les rumeurs, la Commission Sélective aimerait bien envoyer son Petit Avocat à la réunion, en tant que porte-parole. Histoire de garder un œil sur tout ce beau petit monde.
Boldni trotta jusque dans le salon et sauta sur mes genoux où il se pelotonna. Je lui accordais quelques caresses machinales alors que je réfléchissais à ce que venait de me dire mon ami.
_Et tu l'as su par qui cette info ? demandais-je.
_Rumeurs, lâcha t-il après un haussement d'épaules. Mais je pars du principe que quand les pontes du Comité parlent de ça des heures durant par visioconférence privée, ça doit-être vrai.
_On peut remercier Quorba si je comprends bien ? dis-je avec un sourire.
_T'as tout compris ! répondit Dakcen en me renvoyant mon sourire tout en glissant une cigarette dans sa bouche.
Quorba était le petit ami de Dakcen. On l'avait affecté à un poste obscur et sans grade, au réseau de communication du COMPORN...ce qui était terriblement efficace pour glaner quelques informations.
_En fait, me demanda mon ami après quelques bouffés, c'est un peu comme toi avec Eleiza : elle doit te fournir pas mal de renseignements, pas vrai ?
_Pour être honnête, avouais-je, on parle pas trop boulot quand on a du temps pour nous.
_Je comprends, m'assura Dakcen après une nouvelle bouffée.
Il jeta un oeil à son montre et se leva lentement de sa chaise. Je me levais à mon tour, au grand déplaisir de Boldni, qui s'en alla trouver un support moins remuant.
_Faut que je parte m'affirma Dakcen, je dois me préparer pour le match de ce soir. Tu seras là, j'espère ?
_Le match ? demandais-je innocemment.
Il me regarda d'un air ahuri.
_Tu me fais marcher là, non ? Tu te souviens quand même que ce soir, on joue la finale de wegsphere contre l'équipé de la Marine ?
Je me retins in-extremis de me claquer la paume sur le front avec violence. La finale de wegsphere, bien sûr ! Comment j'avais pu oublier ça ? Des mois qu'on voyait des holos publicitaires dans la rue, des annonces sur l'Holonet...
Dakcen s'était réellement pris au jeu de la wegsphere, tant et si bien que lui et ses camarades avaient conduit notre équipe jusqu'à la finale, dans le tournoi inter-impérial.
Au delà du simple esprit de compétition, tout le monde dans le Comité espérait voir échouer l'équipe de la Marine Impériale. Notre vieille rivalité contre l'armée régulière n'épargnait aucun aspect de la société, même en sport.
_Oui, bien sûr, l'assurais-je. C'est juste que j'ai pas de places et que...
Dakcen partit d'un grand rire et me donna une bourrade amicale.
_Tu sais que t'es doué pour tromper ton monde, toi ? s'exclaffa t-il. J'ai vraiment cru pendant un moment que t'avais oublié qu'en tant que cadre, t'avais automatiquement accès à la tribune présidentielle !
Je fis un sourire en coin, ne voulant pas le détromper. Il me fit un signe de la main, me dit à plus tard et quitta mon appartement.
Quelques minutes après son départ, je restais pensif, à regarder Coruscant par la grande fenêtre de mon loft. Le flot ininterrompu des speeders avait quelque chose d'ennivrant. J'entendis le pas feutré de Boldni quand il s'approcha de moi et m'adressant à lui, comme cela m'arrivait de temps à autres, je lui demandais ce qu'il pensait de tout ça.
Le spukama me fixa de ses yeux dorés avant de miauler pour toute réponse.
Apparemment, pour lui, l'important, c'était surtout l'heure du déjeuner et mon chat corellien n'aimait guère attendre.
J'eus un petit rire et retournai dans la cuisine pour servir son repas au spukama. Tandis que Boldni se jetait avec vigueur sur sa pâtée, je choisis de me préparer quelque chose de rapide. Je cassais quelques oeufs de yam'rii dans une poêle et me fit une rapide omelette. Je l'arrosais de quelques cuillerées de vinaigre d'Aldérande, tout en réfléchissant à ce que venait de m'apprendre Dakcen.
Ainsi, les clones n'étaient pas fiables ? Cela ne m'étonnait qu'à moitié. J'avais toujours pensé que partir d'une souche aussi particulière que celle de Fett poserait des problèmes. Oh certes, les stormtroopers étaient des guerriers efficaces, naturellement doués d'un certain sens pour maintenir l'ordre. Mais enfin, ils n'étaient pas invincibles. Ils pouvaient mourir, saigner, craquer psychologiquement.
L'idéal aurait été un super-soldat qui n'aurait pas ces défauts. Certaines voix, au sein de l'Empire, prônaient l'utilisation de droïdes pour remplacer les troopers, arguant que les séparatistes ne s'étaient pas privés de le faire pendant la guerre.
Sauf que la Confédération avait perdu et que dans l'inconscient collectif, un droïde de guerre restera à jamais attaché à l'image de l'ennemi. Or, il ne fallait pas nous faire haïr de la population.
Si nous nous conduisions en tyrans, le peuple finirait par prendre les armes, peut-être à grande échelle. Et il nous faudrait lutter, peut-être encore plus durement que pendant la Guerre des Clones pour survivre.
Mais peut-être que je me faisais des idées. Peut-être que ce soulèvement n'arriverait jamais.
Un nouveau miaulement de Boldni m'arracha à mes pensées. Il poussait sa gamelle vide vers moi par de petits coups de museau, réclamant un deuxième service.
Je pointais ma fourchette vers le chat, comme un index réprobateur :
_Tu devrais faire attention à ta ligne mon beau...je suis certain que tu n'as pas envie de devenir le spukama le plus gras de tout le COMPORN, si ?
Nouveau miaulement et nouveau coup de museau. Il fallait vraiment que j'apprenne à parler aux chats corelliens, moi.
 

Les locaux du Bureau de Sécurité Impérial étaient froids et austères. De l'extérieur, rien n'indiquait qu'une des plus puissantes organisations de l'Ordre Nouveau y avait établi ses quartiers. Tout n'était que parabéton gris et terne.
Je n'aimais pas ce dénuement quasi nihiliste. Eleiza m'avait un jour expliqué que c'était pour entretenir l'image d'un BSI froid et impénétrable, que rien ne pouvait ébranler. Personnellement, je trouvais surtout l'immeuble hideux.
Quelques heures s'étaient écoulées depuis la visite de Dakcen. J'étais décidé à aller assister au match, tant pour faire bonne figure auprès de mon ami et de mes supérieurs que pour me changer les idées. Je voulais savoir si Eleiza comptait m'accompagner. Ma maîtresse ayant la fâcheuse habitude de ne jamais répondre aux messages, je devais lui poser la question en personne. Même si elle était en service, elle aurait bien cinq minutes pour me dire si oui ou non, elle comptait aller à la finale de wegsphere avec moi.
Les vigiles examinèrent assez longtemps ma carte de membre avant de me laisser passer. La paranoïa du directeur Isard, chef du service, n'épargnait personne, même les cadres les plus en vue de l'organisation, comme moi.
J'expliquai la situation à l'accueil et on me conduisit jusqu'à ma maîtresse. Elle se trouvait en salle d'interrogatoire J-12, en train de questionner une ennemie de l'Etat, m'expliqua t-on.
J'étais venu une fois ou deux au siège du BSI, principalement pour des histoires de paperasse ou plus rarement, quand j'en avais l'occasion, j'attendais Eleiza à la sortie de son travail. Mais je n'étais jamais entré dans cette zone quasi-mystique des services secrets impériaux.
A ma grande surprise, nous empruntâmes un escalier qui descendait vers les profondeurs du bâtiment. Encore une fois, pas l'ombre d'une décoration, le parabéton était aussi nu que le dos d'une main. Une odeur assez écœurante de fluides corporels et de produits de nettoyage bon marché m'aggrésérent.
Les sous-sols se composaient d'une multitude de tunnels, chacun baptisé d'un nom de code allant d'Alpha à Zoulou. Les architectes du BSI manquaient décidément de tout goût artistique, fut-ce pour les noms des souterrains.
On me fit progresser dans le tunnel J et logiquement stopper devant la douzième porte.
En réalité, il y avait deux portes : la plus grosse était faire de duracier écaillé, comme si le métal avait pourri avec le temps. Le nombre douze avait été grossièrement peint sur le métal froid par une main malhabile. La seconde porte était plus petite et mieux entretenue. Plus discrète, elle se fondait presque dans les couleurs ternes du mur de parabéton. Ce fut cette porte-là qu'on m'invita à pousser.
Je me retrouvai dans une minuscule pièce, pas plus grande qu'un débarras. Tout le pan d'un mur était occupé par une grande vitre de transparacier, que je supposais sans tain. Apposée à cette glace, un bureau couvert d'échardes ainsi qu'une chaise branlante attendaient tout observateur éventuel.
Je me bornai à rester debout.
De l'autre côté de la glace, je pouvais voir ma maîtresse, penchée au dessus d'une forme féminine, attachée par des cordes à une chaise de plastacier. La pièce dans laquelle elles se trouvaient était plus spacieuse, plus sale aussi. On voyait des moisissures dévorer les murs de parabéton et une lumière blafarde venait compléter ce triste tableau.
Je ne voyais pas le visage de la détenue car elle me tournait le dos. Je notai toutefois qu'elle n'était pas humaine, comme l'attestait la fourrure caramel qui recouvrait son corps et une queue féline qui se balançait tristement à droite puis à gauche, dans un rythme bizarre, comme si elle était cassée.
Je devais apprendre plus tard que c'était bel et bien le cas.
Eleiza était impeccable dans son uniforme blanc, la tête baissée vers la féline comme si elle regardait une sorte d'animal pris au piège. Ce qui était totalement vrai d'un certain point de vue.
Soudain, la main gantée de ma maîtresse claqua avec violence contre la joue de la détenue. Elle poussa un petit cri, plus proche du feulement de douleur qu'autre chose et laissa sa tête reposer sur son épaule quelques secondes. Je vis un court instant les yeux brouillés de larmes de la féline au travers le miroir. Puis, elle releva lentement la tête et fixa simplement ma maîtresse du regard, sans ajouter un mot.
_A quoi vous jouez ? demanda Eleiza en posant doucement ses mains sur les épaules de la détenue. Vous voulez encore plus souffrir ? A quoi est-ce que ça servira ? Vous finirez pas parler. Tout le monde finit toujours par parler.
Les lèvres de la féline bougèrent mais trop faiblement pour que le son parvienne jusqu'à la salle d'observation. La réponse ne plut guère à Eleiza qui envoya brutalement son genou dans la tête de la malheureuse.
La chaise sur laquelle la féline était attachée tomba lourdement au sol, dans un bruit métallique. Bien qu'un peu horrifié par toute cette violence, je ne pouvais m'empécher de détacher mon regard de la scène. Et même, à ma grande honte d'en être un petit peu excité.
Eleiza dressa de toute sa hauteur pour toiser la détenue.
_Ca ne sert à rien de résister Unaa et vous le savez. Que vous parliez maintenant ou dans dix ans ne change rien pour moi. La seule chose qui changera sera le nombre de cicatrices sur votre corps.
Elle releva la chaise de la dénommée Unaa. Une petite flaque de sang se formait lentement au sol.
_C'est pas vous que mes chefs veulent, l'assura ma maîtresse. On sait que vous n'êtes qu'un maillon de la chaîne. Si vous avouez, on peut négocier un accord avec le juge. Vous pourriez être libérée sur l'heure.
_Etre libre ne m'intéresse pas, dit faiblement la féline, si c'est pour savoir le reste de la galaxie sous votre botte !
Eleiza grimaça.
_Vous nous prenez pour des monstres mademoiselle Airan ?
_Agent Airan, la corrigea la détenue.
_Quoi ?
_Agent spécial Airan, nom de code H-21, au service du SBI.
Elle répéta plusieurs fois cette phrase, comme une litanie. Eleiza la coupa d'une nouvelle gifle.
_Le SBI n'existe plus pauvre idiote ! Vous avez été déchue de votre rang quand vous avez stupidement choisi de vous dresser contre vos camarades.
Unaa prit son temps avant de répondre et répondit avec force.
_Je n'ai jamais trahi. C'est vous qui avez trahi la République.
Eleiza leva les yeux au ciel. Elle fouilla dans sa poche de poitrine et en tira une cigarette. Ce geste me stupéfia. Je n'avais jamais vu ma maîtresse fumer. Elle alluma la cigarette et en fixa le bout rougeoyant quelques instants.
_Vous fumez ? demanda l'agent du BSI à la féline.
Aira secoua négativement la tête.
_Prenez quand même une cigarette, dit ma maîtresse en plaquant brutalement le bout incandescent sur le bras de la détenue.
Le feulement de douleur de la farghul me retourna l'estomac.
Incapable d'en supporter plus, je quittai la salle d'observation en priant pour ne pas vomir. Je restai dans le couloir de parabéton, évitant de fixer les portes, de peur d'imaginer ce qui se tramait derrière, si d'autres "ennemis de l'Etat" subissaient le même sort. J'allais presque jusquà me rouler en boule contre le mur et à enfouir ma tête entre mes bras, me forçant à penser à autre chose.
C'était pour son travail qu'Eleiza agissait ainsi, me persuadais-je. Elle luttait contre les éléments subversifs qui pourraient nuire à l'Ordre Nouveau. Elle ne faisait que suivre les ordres.
Et puis après tout, que savais-je ce cette Unaa Airan, sinon qu'elle avait été agent du SBI ? Cela ne voulait rien dire. Agent des services secrets sénatoriaux ou non, elle pouvait très bien être une mauvaise personne. La fonction ne faisait pas l'être sensible.
Je me répétais plusieurs fois cette formule, jusqu'à ce qu'elle s'imprime clairement dans mon esprit.
Oui, oui. Je ne devais pas m'apitoyer sur ce qui se passait derrière les portes de ces murs.
Le BSI était tout de même composé de personnes intelligentes, ils n'arrêtaient pas les suspects au hasard. Et puis pour ce qui était de la torture et bien...si cette Airan savait des choses qui pouvait mettre des vies impériales en danger, elle devait avouer. Son silence pouvait peut-être condamner au néant des milliers d'existences.
Faire souffrir une personne pour en sauver plusieurs. C'était logiquement acceptable mais bien peu moralement.
Pourtant, sur les trilliards d'êtres qui composaient la galaxie, combien avaient-mal en ce moment-même ?
Sans doute un nombre incalculable. Est-ce que choisir de faire souffrir ou non un seul d'entre eux changeait quelque chose au résultat final ? J'en doutais. Ce serait comme retirer une goutte d'eau de l'océan de Manaan pendant une tempête, sauver un brin d'herbe des plaines de Dantooine alors qu'un feu dévorait les broussailles.
Ca ne changeait rien. Rien du tout.
Je sentis une main exercer une douce pression sur mon bras. Je relevais lentement la tête et découvrit Eleiza qui me fixait avec inquiétude.
_Alsh ? Qu'est-ce que tu fais-là ? Tu vas-bien ?
Je ne lui répondis pas. Je me bornai à me perdre dans le scintillement de ses yeux.
Encore une fois, le miracle se déroula parfaitement. Je sentis la saleté de l'univers s'en aller. Même mes sentiments envers ce qu'elle venait de faire quelques minutes plus tôt.
Tant que la lueur dans ses yeux serait là, je pourrais tout supporter.
Sans réfléchir, je me jetai dans ses bras, la plaquant contre moi, inspirant son parfum comme si j'étais assoiffé d'eau pure.
Elle me serra dans ses bras, caressant mes cheveux jusqu'à ce que mes tremblements s'achèvent.
_Ca va aller, me jura t-elle. On remonte.
D'autorité, elle prit ma main et me reconduisit en vitesse à l'extérieur. J'accueillis l'air libre comme une bénédiction.
Le décor pouvait être nu et sans végétation, il était mille fois préférable à cet horrible souterrain et ce qui s'y tramait.
Je n'avais toujours pas lâché la main de ma maîtresse.
_Qu'est-ce qu'il va lui arriver ? demandais-je d'une petite voix. A cette farghul que tu interrogeais ?
_On va la garder encore quelques jours en interrogatoire. Si elle parle, on trouvera un moyen d'alléger sa peine. Sinon et bien, ce sera les mines de Kessel. Ou peut-être même le peloton d'exécution.
_Et qu'est-ce qu'elle a fait pour mériter un tel traitement ?
Eleiza lâcha ma main et prit mon visage en coupe pour me forcer à la regarder.
Elle savait quel effet apaisant avaient ses yeux sur moi.
_Elle a communiqué des informations top-secrètes à des groupuscules subversifs. On pense aussi qu'elle pourrait être liée à l'attentat du BordExtpress, il y a dix ans. C'est une traîtresse et sans doute une terroriste. L'Empire doit prendre des mesures pour se protéger de tels personnages, tu comprends ?
_Oui, mentis-je, toujours happé par le scintillement de ses iris.
_Alors tout va bien, m'affirma t-elle en m'embrassant. Pourquoi est-ce que tu venais me voir, au fait ?
_Te demander si tu venais au match de ce soir avec moi, la questionnais-je, me forçant à passer à autre chose.
Elle eut quelques instants de réflexions puis hocha la tête :
_Oui, répliqua t-elle. Ca fait un bout de temps qu'on est pas sortis tous les deux. Même si t'es aussi wegsphere que moi, je présume que ça nous fera du bien.
_Sans doute, confirmais-je. Je passe te prendre à sept heures, à ton appartement ?
_On fait comme ça. Sept heures chez moi. Sois pas en retard, me prévint-elle en levant exagérément un sourcil.
_Pas de risque, la rassurais-je.
Elle m'offrit un dernier baiser avant de regagner ses bureaux. Je me forçai à ne pas penser qu'elle retournait sans doute torturer Airan.
Je tournai les talons et quittai les quartiers du Bureau de Sécurité Impérial. Je devais me préparer pour la soirée.
 

La balle de cuir synthétique n'avait pas encore franchi les lignes de but que les supporters du COMPORN s'étaient levés comme un seul homme, applaudissant à tout rompre. Moi y compris, qui n'aimais pas la wegsphere. Eleiza était à côté de moi, radieuse.
L'incident de cet après-midi était effacé de mon esprit. Notre équipe menait vingt-sept à vingt-deux. Et le coup de sifflet final n'allait pas tarder à tomber. Dakcen et ses camarades se débrouillaient vraiment bien. Cela dit, le niveau des joueurs de la Marine était très haut aussi. Ce qui n'empêchait pas le COMPORN de mener le jeu.
Nous étions dans la section réservée aux membres d'honneur.
Nos voisins étaient les directeurs de section, les membres de la Commission et quelques hauts cadres. Ishin Il Raz lui-même se tenait juste derrière moi. Avant le match, il m'avait confirmé, en me glissant à l'oreille, qu'il aurait besoin de moi dans quelques semaines, pour une mission spéciale sur Arkania. Ainsi, Dakcen avait eu raison.
L'équipe de la Marine Impériale tenta de remonter au score mais furent battus en pleine reconquête. Une explosion de joie parcourut le public du Comité. Au paroxysme de la joie de la victoire, Eleiza m'accorda un long baiser.
J'étais aux anges.
Nous nous embrassions toujours, une heure plus tard alors que nous franchissions les portes de mon appartement. Elles s'étaient à peine refermées qu'Eleiza commençait à m'arracher ma chemise.
_Attends une seconde, soufflais-je, les yeux clos alors qu'elle me mordillait le cou. Je dois vérifier que j'ai pas de message important.
_Tu t'en occuperas demain, me somma t-elle en retirant lentement ses vêtements.
_Non, sérieusement, dis-je en la repoussant gentiment. Vas m'attendre dans la chambre, je serais pas long.
_T'as intérêt, minauda t-elle en se détachant petit à petit de moi. Tu me connais, je suis du genre impatiente...
Je souris en la voyant s'éloigner et je m'approchais de la console d'holocom. Un signal lumineux signalait la présence d'un message.
Ce fut là que ma maîtresse me trouva cinq minutes plus tard, inquiète de ne pas me voir revenir.
J'étais assis sur un de mes sofa, complètement hagard. Elle s'approcha de moi et me demanda ce qui m'arrivait.
_Mon père est mort.
Ce fut tout ce que j'arrivais à formuler avant d'éclater en sanglots. Eleiza me serra contre elle et me laissa me noyer dans son regard.
Quelques minutes plus tard, je dormais dans ses bras.

Les huit heures d'hyperespace entre Coruscant et Chandrila m'avaient laissé dans un état épouvantable. Non que je pleurais vraiment la mort de mon père : j'avais été triste sur le coup, en apprenant la nouvelle mais mes larmes s'étaient vites taries. Moi et mon père n'avions jamais eu de très bons rapports. Après tout, j'étais le fils cadet de la famille, le plus jeune, celui qui ne devait héritier de rien au regard de la tradition car tout partirait à l'aîné.
Mais cela ne m'affectait pas le moins du monde. Je ne désirais rien qui vienne de ma famille.
Da'illeurs, qu'aurais-je voulu recevoir ? La vieille ferme familliale et ses misérables lopins de terre ? Notre minuscule et souffreteux cheptel d'equine ? Nos monçeaux de dettes ?
Il ne fallait pas être grand-clerc pour comprendre pourquoi j'avais quitté Chandrila dès que je l'avais pu. Cette planète passait peut-être pour être la plus pacifique de la galaxie mais à mes yeux, elle était morte.
Si vous passez la porte d'une agence de voyage chandrilienne, on vous vantera les mérites d'une culture ayant allié industrie et nature, les bienfaits curatifs de nos cristaux, une vie paisible, une atmosphère non polluée...
Jamais on ne vous parlera des terres non arables, situées près des pôles, si froides que seul un forage au laser permettrait de creuser efficacement le sol. On ne mentionnera pas la vie de misère de milliers de familles, trop pauvres pour s'acheter un matériel agricole décent, ne pouvant cultiver efficacement leurs champs, priant pour que le gel, les sauterelles ou un autre désastre ne vienne réduire à néant le fruit de mois de labeur. C'était aussi cela Chandrila. La misère y avait ses quartiers, comme sur n'importe quel monde. La quiétude de la planète n'y changeait rien.
Pour moi, mon monde natal était aussi plaisant que les trous noirs du Maw. Quand j'avais quitté l'astroport d'Hanna pour la planète capitale, voici huit ans, j'avais juré de ne jamais fouler à nouveau le sol chandrilien.
En fait, j'avais même fait plus que ça. Sur Coruscant, j'avais rejeté en bloc toutes mes racines. Je ne m'étais jamais mêlé à la communauté chandrilienne et à l'Université, j'avais soigneusement évité de fréquenter les autres étudiants originaires de ce monde-là.
Pas tellement parce que j'avais honte d'être natif de Chandrila. Pas de la honte, non.
Mais de la haine.
Parce à la moindre mention du nom de la planète, les souvenirs de mon enfance revenaient me frapper avec la virulence de vagues se brisant sur les rochers. Je maudissais ma jeunesse, passée à gratter la terre gelée ou à surveiller trois equines pouilleux. Je détestais encore plus les repas de famille, quand attablé avec mes frères et ma soeur, mon père, une bouteille d'eau de vie à la main, nous racontait encore et encore, comment du temps de ses grands-parents, nous étions une riche et puissante famille fermière.
Ce que mon père n'avait jamais compris et désormais, ne comprendrait jamais, c'est que nous n'avions jamais étés riches.
Certes, si on remontait à plusieurs générations avant ma naissance, nous avions des terres arables, de véritables cheptels.
Mais aussi loin que l'on remonte dans le temps, nous étions toujours restés des fermiers, travaillant de nos mains pour survivre, soumis au bon vouloir du climat.
Ce lien à la terre, ma famille l'avait toujours vu comme quelque chose de majestueux. Comme si nous étions Chandrila elle-même.
J'aurais plutôt utilisé le terme de chaîne pour qualifier notre relation à ce sol. De génération en génération, années après années, enfants après enfants, les Nexhrn étaient censés travailler la terre. Dès la naissance d'un nouveau membre de ma famille, on savait qu'il passerait sa vie à tenter de faire pousser quelque chose.
Il y avait des exceptions bien sûr. Quelques uns d'entre nous refusaient cette fatalité du destin. Un de mes oncles s'était installé à la ville, devenant un petit fonctionnaire. Une de mes tantes, elle, avait ouvert un petit magasin sur Hanna.
Mais dans l'ensemble, ils restaient malgré tout attachés à Chandrila. Qu'ils la travaillent ou non, ils aimaient cette terre.
Pas moi.
Dès mon plus jeune âge, j'avais vu mes parents se tuer à la tâche, à cultiver un sol ingrat et infécond. Je crois que cela avait été ma première vraie décision réfléchie. Celle de ne pas finir ainsi.
Même si je devais mourir dans un obscur bidonville de la galaxie, seul, pauvre et rongé par la maladie, je demandais juste au destin de m'épargner de devoir pousser mon ultime soupir sur Chandrila.
Je ne voulais pas non plus y reposer après ma mort. Qu'on brûle mon corps, qu'on l'immerge, qu'on l'enterre m'importait peu, du moment que cela soit à des milliers de parsecs de cette maudite planète.
Voilà pourquoi alors que la navette atterrissait lentement sur les plaines chandriliennes, offrant à ma vue le spectacle désolant du lieu où j'avais grandi, une bile âcre et noirâtre montait en moi, pointant à la commissures de mes lèvres, sans jamais vraiment quitter mon corps, comme si la planète me rendait malade.
Plusieurs fois, au cours du voyage, j'avais été saisi par l'envie de faire demi-tour, de rentrer immédiatement sur Coruscant. Mais il m'avait déjà fallu quelques jours pour trouver le courage de me rendre sur Chandrila, à l'enterrement de mon père. Au moins, à la fin de la journée, je rentrerais chez moi, sur Triple Zéro, ma véritable planète, celle que j'aimais autant qu'elle m'aimait.
La rampe d'accès s'abaissa lentement, comme pour ajouter à mon malaise la lente redécouverte de Chandrila.
Chandrila et son froid glacial. Chandrila et ses champs dévastés. Chandrila et sa perpétuelle odeur de pourriture.
Lorsque la rampe toucha le sol, je pris une grande inspiration. Je voulais bloquer un peur d'air dans mes poumons, de cet air qu'on aurait pu qualifier de vicié, à passer huit heures confiné dans l'étroitesse de la navette, filtré et refiltré par les appareils du vaisseau spatial. Mais à mes yeux, comparé à l'air naturellement empoisonné de Chandrila, cet air vicié était une bénédiction.
Ce fut donc en maugréant et en retenant le plus longtemps mon souffle que je descendis la rampe et posai le pied sur la terre chandrillienne gelée.
La navette repartit aussitôt comme si l'engin avait compris quelle erreur de la nature pouvait être cette zone de la planète, voire le monde dans son ensemble.
Et tandis que la navette de classe Lambda quittait au plus vite l'atmosphère chandrilien, m'abandonnant à mon sort sur cette planète maudite, j'embrassai du regard les plaines dévastées par les pluies acides, respirai une grande goulée d'air saturé de pesticides, écoutai les hennissements misérables d'un equine qui paissait non loin de moi, touchai du bout de mes bottes un petit monticule de terre figée par le froid et sentis la bile envahir ma bouche et mon palais.
Je crachais un jet acide de salive et de bile mêlées dans un champ tout proche, sans m'empêcher de penser que cela ne pourrait être que bénéfique pour les récoltes.
Vue souillée, odorat souillé, ouïe souillée, toucher souillé, goût souillé.
Une magnifique synesthésie chandrilienne.
Bienvenue à la maison.


L'église où se tenait la cérémonie était une bâtisse sobrement décorée, sans fioritures. L'ensemble de ma famille était là, des plus proches comme mes frères et sœurs, aux plus éloignés, comme mes lointains cousins. A bien y regarder, j'avais une assez grande famille, exclusivement chandrilienne, à mon grand désespoir.
J'étais assis au premier rang, juste devant le cercueil où le corps était exposé. A ma droite, ma soeur, pleurait à chaudes larmes, serrant ma main à en faire craquer ses os. A ma gauche, mes trois frères tentaient de rester stoïques, de se donner un air grave et digne. Je ne ressentais ni joie, ni tristesse devant le corps de mon père. En fait, je ne comprenais même pas pourquoi j'avais pleuré à l'annonce de sa mort, trois jours plus tôt. Il n'avait toujours été pour moi que mon géniteur, un être un peu à part dans le monde des adultes, qui ne m'avait que rarement pris dans ses bras, embrassé ou dit "je t'aime".
J'avais toujours considéré mon père comme un raté en réalité. Je n'avais jamais compris qu'il s'attache autant à ce monde, à cette terre comme si sa vie y était éternellement liée.
Mon père avait eu de l'instruction, il avait fait quelques études. Mais il avait tout abandonné pour reprendre en main la ferme familiale.
Enfin, la ferme...c'était un bien grand mot pour désigner l'ensemble de bâtiments qui tombaient en ruine, dans lequel j'avais grandi.
Je m'étais juré que par si la force des choses, je me retrouvais en possession de ces lopins de terre, je brûlerais tout.
J'effacerais jusqu'à la dernière pierre, jusqu'à la dernière poutre de la ferme. Exactement comme les hololivres qui déplaisaient au régime, tout s'en irait dans un gigantesque feu de joie. Et quand enfin libéré de cette malédiction, je froisserais l'acte de propriété et l'ajouterais au brasier, je danserais autour des flammes. Oh oui. Ce serait parfait.
Mais cela n'arriverait pas. Celen, l'aîné des Nexhrn, hériterait de la ferme. Puis, à sa mort, elle partirait à ses enfants.
Jamais je n'aurais la possibilité de raser définitivement la bâtisse. Comme une maladie sanguine héréditaire, chaque génération de Nexhrn en souffrirait.
Mais pas moi. Pas mes futurs enfants.
Ma soeur Ryna était la seule de la famille à partager mon point de vue. J'aurais aimé discuter plus avec elle aujourd'hui mais pour le moment je me devais de jouer mon rôle de grand frère et de la consoler.
Alors que Ryna continuait de me broyer la main, je regrettais que ma mère ne soit plus là. De véritables larmes commencèrent à perler au bord de mes paupières.
Quelle tristesse que maman soit morte avant mon père ! Si je n'avais toujours ressenti que de l'indifférence pour mon géniteur, ce n'était pas le cas des sentiments que je portais à ma mère. Au delà de l'attachement naturel de l'enfant à sa mère, je l'avais profondément aimée. Ce fut elle qui m'encouragea à postuler à la faculté de droit de Coruscant après l'obtention de ma bourse. Elle m'avait toujours soutenu et aimé.
Oh oui, comme j'aurais aimé qu'elle soit là, aujourd'hui dans l'église pour voir son mari porté en terre. Pour me voir moi, son plus jeune fils dans un resplendissant costume-cravate noir, portant au revers ma broche en aurodium et le brassard du COMPORN. J'aurais pu revêtir mon uniforme de cérémonie, voire celui de capitaine de la CompForce mais je voulais véritablement marquer les esprits.
La broche, le brassard, le costume, tout prouvait que j'avais réussi. Je n'étais plus un fils de fermier. J'étais un des hauts cadres dans une des plus importantes institutions impériales. Mon nom et mon visage étaient célèbres.
Je m'étais délecté du regard de fierté que m'avait jeté plus d'un convive. Alsh Nexhrn avait quitté Chandrila huit ans plus tôt, le Petit Avocat y revenait aujourd'hui.
Je n'écoutai pas le prêtre et son sermon sur la vie et la mort. Cela ne m'intéressait pas. Ni matérialiste, ni spiritualiste, je ne voyais tout simplement pas l'intérêt de se poser la question de l'immortalité de l'âme.
Je m'en moquais éperdument. Je vivais l'instant présent et étais destiné à un avenir radieux. La mort n'occupait pas mes pensées.
Après le sermon, vint le recueillement près du corps. Après mes frères, je fus donc le quatrième à m'approcher du corps.
Je contemplai le cadavre de l'homme que j'avais toujours dû appeler père mais qui pour moi, avait été plus étranger que le dernier habitant des bas-fonds de Nar Shaddaa.
Je voyais mon géniteur, embaumé dans son costume du dimanche, la moustache bien lissée et le reste du visage rasé de près. Le teint était à peine cireux, on aurait pu le croire endormi.
Je posai ma main sur sa poitrine et me penchai à son oreille. Tous dans l'église crurent que je lui adressais mes adieux. Ce qui était bel et bien le cas en définitive.
_Va rôtir en Enfer, murmurais-je à mon père. Emporte ta morgue et ta fierté de la terre avec toi. Pars et ne reviens plus. Regarde moi bien de là bas, devenir quelqu'un, réussir ma vie en m'éloignant toujours d'avantage de toi et de tes idées. Observe moi, moi, ton benjamin, refuser de toucher au sol chandrilien et triompher. Contemple mon œuvre et désespère, monsieur mon père. Désespère.
Satisfait, je déposai un baiser sur le front du mort, pour donner le change et vint rejoindre mes frères alors que ma soeur s'approchait du corps.
Puis, vint le temps interminable des condoléances. Tous, des membres de la famille aux voisins vinrent nous embrasser et nous serrer la main, nous assurant de leur soutien dans ces moments difficiles et ô combien mon père avait été un homme bon.
Je serrais les dents pour ne pas vomir des flots d'insanités. Un homme bon, mon père ? Sûrement pas. Mais toujours attaché à Chandrila. Attaché à l'eau de vie qui minait lentement son corps. Attaché à son fils aîné Celen. Mon père avait été un attaché. Un enchaîné.
Un esclave.
Je dus porter le cercueil, comme mes frères. J'eus du mal, en raison de ma faible constitution physique mais je m'efforçais de faire au mieux.
Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on portait son géniteur en terre !
Nous arrivâmes enfin au caveau familial, où reposait des générations et des générations de Nexhrn. Là où mon père irait dormir pour l'éternité. Là où mes frères et ma soeur iraient. Là où je n'irais pas.
Alors que le cercueil pénétrait dans sa dernière demeure, j'émis une prière silencieuse d'excuse envers ma mère. Après des années de tranquillité solitaire, elle retrouvait son mari.
Lorsque la porte du caveau se referma, nombreux furent ceux à se signer ou à ôter leur chapeau. Moi, je tendis le bras et fis le salut du Comité. Vive Palpatine, murmurais-je in petto.
Salut à l'Empereur, à l'Empire et au Nouvel Ordre. Puisse sa droiture ne jamais vaciller.
Et que périsse enfin Orlo Nexhrn.
Amen.



_Un toast ! Un toast à Orlo, le meilleur des beaux-frères !
Dégoûté, je m'éloignais du salon où la famille faisait un grand repas, comme le voulait la tradition après la disparition d'un de ses membres. J'avais supporté les fables sur mon père pendant tout le déjeuner mais là, je n'en pouvais plus. Mon hypocrisie atteignait ses limites. Alors quand un de mes oncles avait proposé de déboucher la bouteille d'eau de vie du patriarche, j'avais tourné les talons. Comme lorsque j'étais enfant, j'étais allé me réfugier au bord de la grande falaise jouxtant notre ferme, au fond de laquelle on voyait courir un filet d'eau pompeusement désigné sous le nom de rivière. J'aimais cet endroit car la pierre noire m'entourait de toutes part, m'empêchant de voir le reste du paysage. Quand j'étais plus petit, je parvenais à me faire croire que cet endroit était la cabine d'un vaisseau partant en hyperespace, m'arrachant à ce monde maudit. Puis, en grandissant, je m'étais persuadé que ça n'arriverait jamais. Que je resterais cloué sur Chandrila jusqu'à ma mort.
Mais en voyant ma broche du COMPORN étinceler au soleil, je ne pouvais que rire de ma bêtise d'enfant. Et comment que j'étais parti ! Tellement et si bien que j'avais réussi là où aucun Nexhrn n'avait triomphé. J'avais du pouvoir, de l'argent, j'étais bien considéré et je n'avais pas encore trente ans. Jusqu'où pourrais-je continuer à grimper ? Une seule chose était sûre, mon ascension ne s'arrêterait pas là. J'allais continuer à grimper et à grimper encore, tant et si bien qu'une fois en haut, je me demanderais comment j'avais fait pour survivre sans la réussite. Le triomphe était ma drogue à moi. Lorsque on me confiait une tâche et que je l'accomplissais avec succès, le sentiment de satisfaction était peut-être encore plus délicieux que ma récompense.
Je baissais alors les yeux et fus surpris de voir que je tenais toujours à la main mon verre. Un peu de liquide aigre et rouge stagnait au fond du récipient. Le vin était une véritable piquette mais mille fois préférable à l'eau de vie de mon père. J'allais finir mon verre quand je sentis une main se poser doucement sur mon épaule.
_Tu me donnes un peu de vin, petit frère ?
Toujours en regardant droit devant moi, je tendis le verre à mon ainé. Je n'avais pas besoin de le voir pour savoir que c'était Ooann, le seul de mes frères avec lequel je m'entendais bien. Ooann était le puîné de la famille, né quelques minutes après Celen. Mais quelques minutes n'y changeait rien : ce fut Celen qui eut les droits d'aînesse et Celen le préféré de notre père, son amour pour ses enfants allant décroissant au fur et à mesure de leur arrivée dans le monde. Mon aîné immédiat, Moess, avait été le seul à accepter cet état de fait. En revanche, moi, Ooann et Ryna, avions toujours eu du mal à accepter cette injustice.
Ooann vit s'assoir à mes côtés, pieds au bord du vide et porta la verre à ses lèvres. Il grimaça de dégoût et me rendit le récipient.
_Par les canyons de cristal, Alsh ! Comment tu peux boire ça ?
_Ca vaux mieux que la prune du père, non ? demandais-je en buvant à mon tour.
_T'as pas tort, admit mon aîné en reprenant le verre de vin.
Quelques minutes passèrent, silencieuses.
_J'ai du mal à réaliser que papa est mort, dit pensivement Ooann.
_Pas moi, objectais-je en vidant le verre de vin et en le posant à même le sol, à côté de nous. Je crois que j'attendais ce jour depuis vingt-huit ans.
_Et moi depuis trente, pouffa mon grand frère. Alors comme ça, tu travailles pour l'Empire ?
Je hochais la tête, sans rien dire.
_Je croyais que tu voulais être avocat ?
_C'est pas si différent, expliquais-je. Je me rends à différents endroits, je parle, je suis payé pour ça. Plutôt bien en plus.
_Combien ?
_Dans les vingt-mille crédits par mois.
Ooann laissa échapper un sifflement admiratif.
_Et ben, petit frère ! Faut surtout pas dire ça à Celen. Il deviendrait fou !
_Celen peut aller se faire pendre dans le premier canyon de cristal venu. Lui et Moess. Ma vraie famille, c'était maman, toi et Ryna. Tu vis toujours sur Chandrila ? demandais-je.
_Toujours, avoua t-il après un haussement d'épaules fataliste. Je suis pas autant aigri envers notre monde natal que toi, frérot, pouffa t-il.
_Je suis pas aigri, objectais-je, je suis réaliste. J'ai un peu de mal à aimer un monde où rien ne pousse et où il gèle à pierre fendre les trois quarts du cycle.
_Tu noircis le tableau là, rétorqua mon frère. Chandrila est une planète où les cultures poussent bien. C'est juste que le vieux Kraturus aurait dû y réfléchir à deux fois avant de magouiller avec les terres.
L'histoire de Kraturus, mon arrière, arrière grand-père était quasiment une légende dans le cercle familial. A l'époque où les Nexhrn possédaient de véritables terres arables et un cheptel de plus de trois têtes, mon aïeul avait considéré que les champs de son voisin lui appartenaient de droit. Il s'était donc débrouillé pour exploiter un vide juridique et prétendre légitimement à la possession desdites terres. Bien entendu, le véritable propriétaire ne l'avait pas entendu de cette oreille et avait refusé tout net. La situation s'était envenimée et rapidement bloquée, jusqu'à ce qu'on décide de faire appel à l'Ordre Jedi. Les Jedi avaient sans doute mieux à faire que de s'occuper de problèmes de cadastre mais ils avaient décidé qu'après tout, envoyer un jeune padawan dans le cadre de sa formation pour tenter d'obtenir une issue diplomatique était une décision tout à fait acceptable. Le jeune apprenti après consultation des deux parties et étude approfondie des textes de lois chandriliens, avait donné raison au voisin de Kraturus. Mon aïeul était alors devenu fou de rage et avait tenté de s'en prendre physiquement au padawan. L'apprenti l'avait alors maîtrisé sans le moindre problème, se servant de la Force. L'Ordre Jedi se moquait bien des conflits entre fermiers de Chandrila mais l'affaire prenait un autre ton si on attaquait ses membres. Mon arrière, arrière grand-père avait été accusé de violence envers l'Ordre Jedi et la justice avait confisqué ses terres pour les offrir à l'AgriCorps, un des Corps de Services Jedi. Ruiné, mon aïeul avait tenté de reconstruire une exploitation plus près des pôles de la planète, là où étaient désormais les terres de ma famille.
Le hasard voulut que le padawan fut un non humain, un defel pour être précis. Déjà bourré de préjugés, il n'en fallut guère plus à Kraturus pour sombrer dans le spécisme et la jediophobie. Il passa alors le reste de son existence à maudire aliens et jedi et à s'assurer que sa haine se transmette de générations en générations.
Mon père n'avait pas fait exception à cette magnifique tradition familiale. Je le revoyais encore, empestant l'alcool alors que nous étions à table se mettre à mouliner des bras et à brailler comme un tauntaun, sur la nécessité de prendre des mesures contre les aliens et les Jedi. Je pouvais raisonnablement supposer que mon géniteur avait été enchanté lors de l'exécution de l'Ordre 66.
_Il aurait surtout du éviter d'attaquer un Jedi avec une binette, répondis-je à mon frère. Ou bien le padawan aurait dû le tuer. Quoiqu'il en soit, nous pouvons remercier l'arrière grand-père de papa pour ça, non ? ironisais-je en désignant de la main notre ferme miteuse.
_Et qu'est-ce qu'on peut y changer ? Ca c'est passé il y a tellement longtemps...murmura mon ainé.
_Prends le avec philosophie si tu veux. Mais ne compte pas sur moi pour aimer ce sol, dis-je en me levant et en m'éloignant de la falaise.
Ooann choisit de rester encore un peu au bord de la falaise. Moi, je marchais doucement en direction de la ferme, grelottant sous l'effet du froid. Vivement ce soir et la navette de retour. Chaque heure passée sur Chandrila était déjà une de trop pour moi.
Je me forçai à retourner à la réunion de famille, me bornant à faire holotapisserie. Je ne parlai que lorsque on s'adressait directement à moi. Pour le reste, je restais silencieux dans mon coin, espérant que les minutes s'égrènent rapidement.
Petit à petit, la ferme se vida. Un à un, les invités quittèrent la place. Dès que l'un deux s'éloignait dans le lointain, je ne pouvais m'empêcher de me sentir soulagé. On y était bientôt. La célébration touchait à sa fin.
Au terme d'heures qui me parurent trop longues, tous les invités furent partis. Ne restaient que moi, mes frères et ma soeur.
Les enfants du mort.
Nous nous attablâmes autour de la grande table en bois du salon. Celen prit la place réservée au patriarche Nexhrn, celle de mon père et de son père avant lui. Nous nous plaçâmes ensuite à ses côtés, aux places que nous occupions enfants.
A ma droite, se trouvaient Moess, Ooann et enfin, Celen. Ma soeur Ryna était à ma gauche, presque en bout de table.
Celen s'éclaircit la gorge et se leva.
_J'aimerais vous remercier tous d'avoir pu prendre du temps pour venir à l'enterrement de papa. Je suis très content que nous soyons à nouveau réunis, même s'il s'agit de circonstances particulièrement douloureuses.
Il regarda un à un ses cadets.
_Je sais que nous ne sommes pas d'accord sur tout mais ce que nous partageons est plus important que tout le reste. Nous sommes les Nexhrn, unis par le sang. Nous sommes une famille.
Ooann, moi et Ryna oui. Mais pas toi et Moess, manquais-je de lui cracher au visage.
_Nous avons nos différences mais notre sang nous rassemble. Nous sommes tous nés du même ventre.
J'étouffais un soupir. Mais par les étoiles noires, quand est-ce que je serais libre de partir enfin ?
_Je ne sais pas si nous aurons à nouveau l'occasion de nous revoir, tous ici dans la ferme. Alors au cas où ça n'arriverait pas, j'aimerais vous dire à tous que je vous aime. Je vous aime profondément.
Moess fut le premier à fondre en applaudissements et à courir embrasser son aîné. J'applaudis aussi mais du bout des doigts. Et je me bornai à une simple accolade avec ce grand frère qui ressemblait décidément trop à notre père.
Même taille gigantesque, même crinière de lion...à se demander si je n'étais pas une erreur dans cette famille, avec ma petite taille et mes cheveux en bataille.
Ensuite, nous discutâmes de l'héritage. Je fus net et catégorique : je ne voulais rien.
Je surpris ma famille qui supposa que je ne voulais pas raviver ma peine avec des objets personnels et les souvenirs qui y étaient attachés. Parfait. Ils pouvaient croire ce qu'ils voulaient, cela m'allait très bien.
Je décidai de me lever et de patienter dans l'arrière-cour.
Le soleil commençait doucement à se coucher, donnant une lueur orangée aux plaines et aux champs. Si je n'avais pas été sur mon monde natal, j'aurais pu trouver ce spectacle beau.
Je fus surpris de découvrir un petit garçon, qui ne devait pas avoir plus de six ou sept ans, qui regardait Kun, notre plus vieil equine d'un air intrigué. Je reconnus rapidement le jeune fils de ma soeur, Pakn. Je l'avais entraperçu à la cérémonie. Il m'avait semblé un peu perdu, dans son petit costume noir, noyé dans le monde des adultes. Ryna avait sûrement dû l'envoyer jouer dehors tandis qu'elle discutait avec ses frères.
Je m'approchais du petit garçon et m'agenouillais à son niveau. Je regardais avec lui l'equine un moment puis lâchais :
_C'est une jolie bête, tu ne trouves pas ?
Le garçonnet sursauta, comme s'il venait seulement de se rendre compte de ma présence. Il leva les yeux vers moi et me dévisagea d'un air curieux.
_T'es qui ? me questionna Pakn.
_Je m'appelle Alsh, lui répondis-je. Je suis un des frères de ta maman.
Le front de l'enfant se plissa, sous l'effet d'une intense réflexion.
_Alors t'es mon tonton ? supposa le garçonnet.
J'eus un sourire.
_C'est ça. Et toi, t'es mon neveu.
Le gamin hocha la tête d'un air approbateur avant de me tendre la main.
_Tu veux bien qu'on soit amis ?
Je manquais d'éclater de rire. C'était beau cette spontanéité qu'avait Pakn. Il avait véritablement en lui l'innocence de son âge. Pour moi, habitué aux discours et aux mensonges, aux non-dits, aux digressions, la franchise de mon neveu était incroyablement touchante.
Je lui tendis la main, qu'il serra.
_D'accord, dis-je en prenant un air sérieux. Soyons amis.
Alors qu'il me serrait la main, de sa main libre, il désigna ma broche d'aurodium, qui brillait sous le feu du soleil couchant.
_C'est quoi, ça ?
_C'est un bijou. Mais ça veut aussi dire pour qui je travaille.
_Et tu travailles pour qui ?
_T'es peut-être encore un peu petit pour bien comprendre, lui expliquais-je. Mais pour faire simple, disons que je travaille avec des gens très connus. Des gens comme l'Empereur Palpatine. Tu sais qui est Palpatine, hein ? demandais-je à mon neveu.
Il opina du chef :
_Oui. C'est un monsieur avec une grande cape noire, c'est le chef de la galaxie. Il est très gentil. Il a eu bobo au visage quand les méchants Jedi ont voulu prendre le pouvoir mais il s'est battu contre eux, pour la paix et la sécurité !
Je cachai mon trouble sous un masque impassible. Apparemment, le GSA Education faisait très bien son travail.
L'attention du petit Pakn se cristallisa à nouveau sur ma broche.
_Tu peux me la donner ? m'implora t-il.
_Je peux pas, lui expliquais-je. C'est un cadeau. Toi, tu ne donnerais pas un de tes cadeaux, même à un copain, pas vrai ? Ben c'est pareil, j'ai pas le droit de te la donner. Par contre, si tu veux...
Je dégrafais le brassard du COMPORN et le tendis à l'enfant.
_Tu peux avoir ça, si tu veux.
Les yeux de Pakn s'agrandirent sous l'effet de la surprise :
_Ca sert à quoi ?
_C'est comme le bijou sauf que c'est du tissu. Et que ça se porte au bras, dis-je en enroulant le brassard autour de l'avant-bras du garçonnet.
Je dus enrouler plusieurs fois le tissu autour de son bras, ce brassard étant à l'origine, prévu pour un adulte. Quand j'achevais ma besogne, la joie avait remplacé la surprise dans le regard de l'enfant.
_Merci tonton Alsh ! cria Pakn avant de me sauter au cou. Maman, maman, appela t-il sa mère qui avançait vers nous. Regarde ce que tonton Alsh m'a donné !
_C'est très joli mon chéri, l'assura Ryna. Tu veux bien retourner à l'intérieur avec tes autres oncles ? Je dois parler avec tonton Alsh.
Pakn opina du chef et courut à grandes enjambées jusque dans la ferme. Ma soeur m'aida à me relever.
_Tu crois pas que c'est un peu tôt pour le faire militer ? me demanda t-elle en guise d'accroche.
_C'est juste un brassard, objectais-je. Il ne sait pas ce que ça veut dire. Le dessin aurait pu être celui d'un petit bantha, je crois qu'il aurait tout de même content, non ?
_Je sais bien. Je blaguais, c'est tout.
Elle sortit un paquet de cigarette d'une de ses poches et m'en proposa. Je refusai.
Elle haussa les épaules et s'alluma une cigarette.
_Je suis contente que t'aies réussi. Faculté de droit, de très bonnes notes, devenu la coqueluche de l'Empire en seulement quelques années...je savais que mon grand frère irait loin, m'assura t-elle avec un grand sourire.
_Tu veux dire que tu te tiens au courant de toute l'actualité politique ?
_Non, pas de tout. Mais de ce qui te concerne oui. En fait, j'ai découvert que tu travaillais pour l'Empire, il y a trois ans quand cet abyssin t'a...quand il t'a...
_Quand il m'a tiré dessus ?
Elle hocha silencieusement la tête avant de reprendre.
_Quand j'ai vu la nouvelle sur l'Holonet, j'ai cru devenir folle. Je me disais que c'était pas possible, que c'était un homonyme. On pouvait quand même pas tuer mon Alsh à moi !
_Mais je suis pas mort Ryna. Regarde, je suis là.
_Tu vois ce que je veux dire, souffla t-elle entre deux bouffées. Ca m'a fait un choc de savoir que tu avais failli y passer. J'aurais du venir te voir mais je n'avais pas une minute à moi. Jake a eu une grosse maladie et j'ai dû m'occuper de lui, en plus de Pakn.
Jake Skyrott, mon beau-frère. Lui et ma soeur s'étaient connus sur les bancs de l'école. Ils s'étaient mariés juste à la fin de leur dernière année. Jake n'était pas le type le plus malin de la galaxie mais c'était un homme bon et aimant. Ryna avait eu de la chance de tomber sur lui.
_C'est pas grave, assurais-je à ma petite soeur. Je m'en suis sorti. Et puis j'ai bien eu ton petit mot.
Visiblement gênée, elle laissa filer un blanc.
_Alors tu ne restes pas ? Je veux dire, tu repars de Chandrila ?
_Ce soir, précisais-je. Je rentre sur Coruscant.
_Tu sais que ton neveu rêve d'y aller ? dit ma soeur avec un petit sourire. Il ne parle que de ça à longueur de journée.
_Vous deviez venir un de ces jours. Prenez Jake avec vous. Je me débrouillerais bien pour me libérer un peu.
_T'es certain que ça ne posera pas de problèmes ?
_Le Comité est assez procédurier mais reste compréhensif. On est humains, non ?
Malgré moi, je venais de faire un jeu de mots assez douteux. Mais Ryna ne releva pas.
_Oui, ça serait bien. Quand est-ce que tu penses que ça serait possible ?
_Pas avant un bon mois, je crois. Je vais devoir partir sur Arkania pour mon travail. Mais quand je reviendrais, j'essayerais de trouver du temps. De toute façon, tu as mon numéro.
Je fus interrompu par le bruit strident d'une navette de classe Lambda qui entrait dans l'atmosphère chandrilienne et se rapprochait de nous.
_Je crois que mon aéro-taxi est arrivé, dis-je en haussant la voix pour me faire entendre.
_Tu ne veux pas dire au revoir à tes frères ?
_Pas le temps !
En réalité, j'étais surtout pressé de quitter Chandrila au plus vite. Les embrassades fraternelles n'auraient fait que me ralentir.
Je me dirigeais rapidement vers la navette qui s'était posée au sol, accompagné par ma soeur. Avant que je ne monte à bord, elle m'étreignit.
_Je suis fière de toi grand frère. Et je sais que maman l'est aussi.
_Je sais, ajoutais-je simplement. Embrasse ton fils pour moi.
Après avoir déposé un baiser sur le front de ma cadette, j'empruntais la rampe d'accès et disparus dans le ventre de l'appareil. La navette s'ébranla alors et m'arracha de la terre de Chandrila.
Je fis le point sur les évènements de la journée : j'avais mis en terre mon géniteur, fraternisé à nouveau avec ceux que j'aimais, évité ceux que je n'aimais pas et fais la connaissance de mon jeune neveu.
J'avais déjà eu plus mauvais jour.
Alors que les terres décharnées de ma famille s'éloignaient de moi au fut et à mesure que la navette s'élançait dans les cieux, je ne fus pas surpris de constater que mon malaise s'en allait.
Peut-être que le plus efficace en fait, serait purement et simplement de demander un Base Delta Zéro sur Chandrila. On réglerait plus d'un problème à la fois.
Je souris à cette pensée folle. Qui irait jusqu'à annihiler la population d'une planète entière pour poursuivre ses propres intérêts ?
Nous serions des monstres, des héritiers de Dark Malak ou de Dark Nihilus. Oui, cette idée était insensée. Enfin, c'était du moins ce qu'il me semblait.
A l'époque.

Pendant des années, j'avais associé le froid avec les tempêtes de grêle, le temps affreux, un mauvais génie indissociable de mes ressentiments envers Chandrila. Ce n'était pas un hasard si à la faculté, ma chambre estudiantine passait pour une des plus chauffées de Coruscant, à donner des suées à un mustafaarien.
Qu'on dise glacé et je revoyais nos champs figés par le gel. Qu'on murmure frais et je sentais à nouveau les engelures de la bise hivernale frapper mes membres, avec la violence des crocs d'un animal sauvage.
Je haïssais le froid, je le maudissais de toute mon âme et de toutes mes forces. Mais ici, sur Arkania, les choses étaient différentes. Toute la planète était une boule de neige, blanche, pure et virginale.
Partout où je portais le regard, j'observais l'épais manteau blanc recouvrir le sol, à des dizaines et des dizaines de centimètres de hauteur. Les feuilles des grands arbres arkaniens étaient recouverts d'une pellicule de glace qui reflétait le soleil. J'avais l'impression de voir des bijoux accrochés dans les forêts.
De la même façon, la neige renvoyait elle aussi la lumière solaire à des kilomètres à la ronde.
De la position surélevée où j'étais, on avait tout loisir de jouir du spectacle. Mais il fallait aussi dire que la pièce était spécialement conçue pour cela : c'était une salle sphérique, de quatre ou cinq mètres de rayon, entièrement faite de transparacier. On avait disposé des fauteuils moelleux à l'épicentre, de façon à ce que les observateurs profitent d'une vue panoramique, à plus de 180°.
La salle était intégrée à un gigantesque complexe scientifique et médical, bâti sur un haut plateau arkanien. Tout était d'un blanc aseptisé, comme pour se fondre encre d'avantage dans le paysage neigeux.
Des dizaines et des dizaines de bâtiments comme celui ci recouvraient toute la surface de la planète : Arkania n'était pas un monde scientifique sans raison.
Voilà trois semaines que j'avais enterré mon père et c'était mon quatrième jour sur Arkania. Je me sentais un peu à l'écart, intégré à cette coalition de scientifiques impériaux, venus rencontrer leurs homologues arkaniens, afin de discuter génétique. Je ne comprenais toujours pas bien ce que je faisais là. Mais j'étais tenu d'obéir aux ordres et ceux-ci étaient explicites : "assurer par votre présence, le bon déroulement de la collaboration entre l'Empire et la société Adascorp".
Par les étoiles noires, j'étais censé être quoi, un diplomate ?
Mon travail était de parler mais sûrement pas de négocier avec d'éminents personnages où je ne savais quoi. J'étais là pour parler au peuple, à la masse, à lui faire comprendre à quoi est-ce que servait le COMPORN. Plus du soutien psychologique à nos troupes. Ou encore tenir une tribune régulière dans l'Holonet. A se demander pourquoi est-ce que mon surnom restait encore le Petit Avocat. Je me serais plutôt baptisé, la Voix du Comité ou quelque chose dans ce genre là.
J'étouffais un bâillement et pour tromper mon ennui, portai à nouveau mon regard vers l'extérieur. C'était vraiment magnifique. Peut-être aussi beau que les couchers de soleil coruscantis.
_Belle vue, n'est-ce pas ? lança quelqu'un derrière moi.
Je me retournais et découvris un arkanien en costume-cravate, ce qui me surpris. L'essentiel des arkaniens que j'avais croisé depuis le début de mon séjour portaient tous des blouses blanches de scientifique. Seule la couleur crème des habits de mon interlocuteur pouvaient faire penser au monde scientifique dans lequel nous nous trouvions.
_Je suis Cal Delmont, expliqua l'arkanien alors que nous nous serrions la main. Je suis chargé des relations publiques, pour Adascorp. Vive Palpatine ! cria t-il en exécutant le salut du Comité.
Surpris, je lui rendis le salut, semblait-il pour son plus grand plaisir. Il s'assit dans un des fauteuils, juste à côté de moi.
_Je suis navré d'avoir dû envoyé un droïde vous porter un message alors que vous accompagniez vos collégues à une nouvelle réunion mais j'avais à m'entretenir rapidement avec vous. J'espère que cela ne vous gène pas ?
_Pas du tout, l'assurais-je en prenant place dans un des fauteuils à mon tour. Pourquoi vouliez-vous me voir ?
Il eut un petit geste de la main, comme pour demander le droit à prendre la parole. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi avant de me rendre compte que je l'intimidais. L'idée me fit sourire.
J'impressionnais un être sensible qui faisait au moins vingt bon centimètres de plus que moi. C'était assez grisant, il fallait bien le reconnaître. Mais je devais le forcer à se détendre pour que nous pussions parler tranquillement. J'adoptais donc une posture plus ouverte, décroisant les bras et desserrant légèrement ma cravate. Cela sembla marcher puisque rapidement, Delmont fit de même.
_Accepteriez-vous une collation pendant que nous discutons ?
_Bien sûr, pourquoi pas ?
Il sourit et fit signe à quelqu'un qui se trouvait à l'extérieur de la salle d'entrer. C'était une servante, portant un plateau avec une grande cafetière, deux tasses et un assortiment de pâtes de fruits. Mais ce ne fut pas les aliments qui me surprirent mais l'employée elle-même. Elle n'était pas arkanienne. Ou plutôt, pas tout à fait.
Les arkaniens étaient très semblables aux humains, si l'on exceptait leurs yeux et leurs cheveux blancs, de même que leurs mains à quatre doigts, qui évoquaient vaguement de serres.
La servante que j'observais poser le plateau devant nous ressemblait physiquement aux habitants d'Arkania, du moins, par sa morphologie globale. Elle avait bien les cheveux couleur de neige par exemple. Mais le reste ne collait pas : sa peau n'était pas rose mais grise. On voyait distinctement la couleur de ses iris et ses mains, que je voyais très bien alors qu'elle nous servait le café, avaient cinq doigts.
Une fois sa tâche accomplie, l'employée demanda la permission de se retirer. Delmont la lui donna, d'un ton sec qui me surpris. Il m'avait semblé plutôt affable mais il semblait assez agressif, voire méprisant envers la servante.
Delmont ne pipa mot avant qu'elle ne quitte la pièce. Immédiatement, son sourire revint et il me tendit un tasse avec entrain.
_Je suis heureux que l'Empire ait enfin accepté de nouer des relations avec Adascorp, dit mon interlocuteur en prenant sa propre tasse et en soufflant légèrement sur le liquide brûlant. Jamais la République n'aurait accepté pareil entretien.
_Au sujet des clones, vous voulez dire ?
_Pas seulement, précisa Delmont. Monsieur le porte-parole, je vais être un peu direct, vous m'en excuserez. Connaissez-vous ce que l'on appelle la "question scion" ?
Je plissai les yeux et me réfugiai dans mes souvenirs. Le terme me disait quelque chose.
_Les scions, les scions, répétais-je...ce n'est pas cet autre peuple qui vit sur Arkania ?
_Vous pouvez dire sous-race, répliqua Delmont du tac au tac avec moue un peu pincée. Personne ne vous en tiendra rigueur.
Oui, c'était ça ! Il y avait deux peuples sur Arkania.
Les arkaniens eux-même, evidemment et cette autre race, très voisine, les scions. J'avais dû lire quelque chose là dessus à la faculté. Mais mes connaissances dans ce domaine étaient bien faibles.
_Les scions sont une sous-race, dérivée des arkaniens purs, expliqua le directeur. Nos ancètres avaient eu l'idée de créer un peuple de travailleurs manuels, pour travailler à notre place dans nos mines de gemmes.
Le schéma se recréait lentement dans mon esprit au fur et à mesure que Delmont parlait.
_Le travail manuel était jugé indigne d'un arkanien. Et encore aujourd'hui, l'essentiel de notre race, partage cette opinion.
Il avait prononcé le mot "race" avec une certaine fierté, pour ne pas dire morgue.
_Nous n'avons jamais perdu de vue qu'au fond, les scions ne sont rien d'autre que des créations de notre part. Un peu comme des rats de laboratoires, si vous voulez.
La comparaison me choqua mais je préférais ne rien laisser paraître. Delmont devait penser que travaillant au COMPORN, j'étais ouvertement spéciste. Inutile de le détromper.
_Il se sont reproduits. Trop vite pour que nos généticiens puissent faire quelque chose. Nous risquions alors d'être envahis par cette sous-race, de subir leur métissage et à terme en quelques générations, de disparaître. Le terme de "question scion" est alors apparu. En simplifiant à l'extrême, elle demande quoi faire d'eux.
Delmont s'interrompit, buvant son café. Je fis de même.
_La solution choisie à l'époque des Guerres Mandaloriennes a été une mise à l'écart pure et simple, un peu comme vos Zones de Protection Alien. A ce propos, permettez-moi de vous tirer mon chapeau pour cette mesure courageuse et nécessaire. Mais revenons-en à nos scions. Pendant des siècles, ils ont donc vécu dans de petits villages ouvriers, à l'extérieur de nos grandes villes. Mais certains arkaniens purs pensaient qu'ils étaient encore une trop grave menace pour notre race. Celui qui fut le plus grand directeur de notre compagnie, Arkoh Adasca, avait trouvé la solution idéale. Sans vous assommer de détails très techniques, nous pouvions tout arranger en une génération. Hélas...
Ses mains se crispèrent sur l'anse de sa tasse.
_Par la faute d'un infect scion et de la République, Adasca fut tué, son vaisseau-laboratoire détruit, toutes ses recherches perdues. Et la société a été absorbée par le gigantesque Trust Draay. Nous avons pratiquement mis quatre mille ans à redevenir indépendants.
Il avala son café encore fumant d'un coup avant de piocher dans les pâtes de fruits.
_Et pendant tout ce temps, la République s'était mise en tête de protéger les scions, au nom du droit aux peuples à se gouverner eux-mêmes...ce genre de fadaises. Nous avons étés sommés de réintégrer pleinement les scions à nos côtés, comme de véritables arkaniens...je vous laisse imaginer à quel point cela a été dur pour nous.
Je finis mon café à mon tour, à petites gorgées et posai la tasse devant moi, sur le plateau.
_J'imagine tout à fait, mentis-je. Mais ce que je comprends pas très bien, c'est ce que nous, impériaux, venons faire là dedans ?
_J'y viens, poursuivit Delmont. La fin de la République signifie la fin de leurs mesures absurdes. Nous pouvons donc enfin regarder la question scion en face et tenter, d'y répondre d'une façon pure, simple et définitive.
Que voulait-il dire par là ? Est-ce qu'il voulait que nous lui fournissions quelques contingents de stormtroopers, avec ordre d'ouvrir le feu sur tout ce qui n'était pas arkanien à cent pour cent ?
_Je me suis entretenu quelque peu avec le professeur Murthé et les idées qu'il m'a proposé semblaient très intéressantes.
Léonis Murthé. Docteur en médecine pour le compte de la Marine Impériale. Accessoirement, savant fou et un des pires sadiques de l'Ordre Nouveau. Je l'avais rencontré une fois et son spécisme aurait pu faire passer l'ensemble du COMPORN pour des modérés.
_De même, j'ai eu quelques échanges très constructifs avec le commodore Pitta. Un homme charmant.
Danetta Pitta. Si xénophobe qu'il épuchait avec soin les dossiers des hommes avec qui il travaillait - y compris du Comité -, on se demandait comment faisait Pitta pour arriver à dormir la nuit, tant sa paranoïa était grande. Accessoirement, c'était un des plus violents défenseur de l'esclavagisme contre les populations non-humaines.
L'esclavagisme était été un des plus grands equine de bataille de la République et on savait Palpatine lui-même opposé à cette forme d'enrichissement personnel.
Cela dit, cela n'empêchait pas les officiers impériaux de fermer les yeux lorsque ils croisaient un convoi d'Orvax IV, de Ryloth ou de Tatooine. Ni d'autres d'y prendre activement part, comme Pitta. Le commodore tentait depuis des mois de faire signer à l'Empereur le décret A-SL-4557.607.232, qui n'offrirait rien de moins que la légalité à l'esclavagisme. Il se murmurait, dans les couloirs du palais impérial, que Palpatine serait prêt à signer, ne serait-ce que pour faire enfin taire Pitta.
_Ces messieurs ont désigné le Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau comme le champion du nouveau régime. Je me suis donc permis de vous contacter pour savoir si nous pourrions compter sur l'aide de l'Empire pour régler le problème scion. Trouver ensemble, une solution finale.
Je croisai les mains et réfléchis. Assurément, Delmont désirait l'aide de l'Empire sur ce point précis. Si nous l'aidions d'une façon ou d'une autre, Adascorp serait très reconnaissante.
_Admettons que j'en touche un mot à Sa Majesté ou à un de ses proches conseillers et que nous vous apportions cette "solution finale". Quel bénéfice tirerait l'Empire de cette opération ?
_Avant tout, la loyauté immédiate et absolue de toute la société Adascorp. Et je pense que les autres mégacorporations se mettraient elles-aussi, au service de l'Ordre Nouveau. En d'autres termes, tout Arkania s'allierait pleinement l'Empire.
Il n'avait pas tort. Il n'y avait pas vraiment de gouvernement central sur la planète, plus un conglomérat de grandes sociétés. C'étaient elles qui constituaient le coeur scientifique, économique et politique d'Arkania.
_De plus, nous disposons de nos propres forces de sécurité, une véritable armée privée si vous préférez. Elle serait mise à la disposition de l'Etat-Major Impérial. Sans condition.
C'était assez grisant. Arkania apporterait beaucoup à l'Empire, de part son savoir-faire dans le domaine scientifique. Nos savants progresseraient à pas de tofs avec leur aide. Restait savoir comment se charger des scions...ce qui, pour le coup, devenait une véritable question.
_Très bien, dis-je en hochant la tête. J'en parlerais à mes supérieurs dès mon retour sur Coruscant. S'ils acceptent, bien que je ne vois aucune raison qu'ils ne le fassent pas, nous réfléchirons à ce problème et nous collaborerons ensemble à le résoudre.
Delmont parut enchanté :
_Parfait ! Absolument parfait !
Il tint à me serrer à nouveau la main et à refaire le salut impérial. Deux fois. Puis, il se leva.
_Je dois aller faire mon rapport à notre président-directeur général. Accepteriez vous de faire quelques pas avec moi ? Nous devons juste traverser les jardins.
J'opinais du chef et le suivis hors de la salle. Je remarquai qu'à peine étions nous partis, la servante était déjà de retour pour débarrasser. Alors qu'en m'éloignant, j'observais l'employée du coin de l'oeil, une question me brûla les lèvres :
_Si vous considérez les scions comme un problème, dis-je avec beaucoup de tact, pourquoi les employer ?
_Vous imaginez un arkanien de pure souche exécuter un travail de domestique ou récurer les planchers ? demanda Delmont avec un frisson de dégoût. Les scions sont là pour ça. Nous les avons faits pour ça. Et puis, tous ne sont pas une nuisance.
_Ah bon ? demandais-je alors que nous franchissons une sorte de sas pour gagner la cour intérieure, recouverte d'une épaisse couche de neige.
_La majeure partie des scions sont un problème parce qu'en profitant de leurs alliés républicains, ils se sont installés partout. La finance, la médecine, l'holocinéma...nous avons étés envahis. Ils prolifèrent plus vite que des rats womps.
Delmont marqua une pause, le temps d'enlever une feuille morte de son complet.
_J'ai toujours été partisan de la stérilisation massive, poursuivit-il en reprenant son chemin. Les mâles comme les femelles, pour plus de sécurité. Et le problème se solverait seul. Hélas...
Nous quittâmes la cour pour rentrer dans le complexe.
_Nous manquons de moyens. Ou je devrais dire nous "manquions". Ce ne sera plus le cas grâce à la collaboration, n'est-ce pas ? dit-il d'un ton enjoué. Et puis comme je l'ai dit, quelques scions sont corrects, à condition qu'ils restent à la place qui leur revient de droit : la caste inférieure.
J'avais presque l'impression d'entendre l'éternel refrain de mes collègues du Comité sur "le bon alien". C'était le juge Paesente qui m'avait présente cette théorie. Comme quoi tout spéciste aurait nécessairement son "bon alien", celui qui n'est pas à blâmer comme les autres. Mais qui reste tout de même inférieur à eux.
Plus le temps passait et plus cette théorie se vérifiait. A croire qu'elle touchait aussi les arkaniens, d'une certaine façon. Et à ce propos...
_Ca ne vous gène pas de travailler avec le COMPORN alors que nous sommes partisans de la Haute Culture Humaine ?
_Mais nous entrons dans la Haute Culture cher ami ! rétorqua Delmont avec un grand sourire. Cette dernière s'applique aux humains certes mais aussi aux proches-humains.
Oui. Du moins en théorie. La pratique était autre chose. Mais encore une fois, je me gardais bien de le détromper sur ses illusions.
Nous arrivâmes devant une petite porte, au ton légèrement plus irisé que le reste du couloir.
_Voilà mon bureau. Je vais immédiatement contacter notre président. Il sera enchanté de savoir que l'Empire est un interlocuteur si charmant. Merci encore pour m'avoir donné un peu de votre temps si précieux monsieur le porte-parole. Vive Palpatine ! exulta t-il en levant le bras.
Je lui rendis le salut impérial et tournai les talons. Bon. Au moins, la loyauté d'Arkania était acquise, pour peu que nous nous chargions des scions. Que faire d'eux à propos ? L'idéal serait de les ôter de la vie arkanienne, par des mesures de lois. Et pourquoi pas en déplaçant les foyers de population scions sur une autre planète. Arkania se sentirait purifiée et collaborerait avec vigueur.
Quoi qu'il en soit, ce n'était pas à moi de décider. Je me dirigeai vers la salle de réunion d'un pas traînant. Après elle, je contacterais le directeur Raz.


Trois interminables jours après mon entretien avec Delmont, j'étais enfin de retour sur Coruscant. Ma mission sur Arkania m'avait appris qu'une planète froide pouvait être belle, qu'il n'y avait pas que les humains qui pouvaient être spécistes et que je m'ennuyais toujours autant dans les grandes réunions.
Raz avait été enchanté de mes échanges avec Adascorp et m'avait félicité pour mon initiative. Il en avait touché un mot à l'Empereur qui voulut me recevoir au beau milieu de la nuit.
J'attendais donc dans l'antichambre de la salle du trône, dans le plus impecable de mes complets ocre, accompagné de Raz à attendre que Palpatine nous fasse entrer. Un serviteur vint nous chercher et nous fit entrer.
_Monsieur Ishin Il Raz, directeur suprême du Comité pour la préservation de l'Ordre Nouveau et président de la Commission Sélective et monsieur Alsh Nexhrn, porte-parole du Comité pour la préservation de l'Ordre Nouveau !
Nous nous approchâmes jusqu'à la volée d'escaliers métalliques d'un noir d'ébène qui conduisaient jusqu'à Palpatine, qui trônait dans son fauteuil. L'Empereur avait fait pivoter son trône de façon à observer Coruscant par la grande ouverture en transparacier figurant la crète impériale, unique fenêtre de la pièce. Deux gardes rouges, les membres de la garde rapprochée de Palpatine étaient présents, comme pour rappeler que Sa Majesté était toujours sous protection. Nous nous agenouillâmes, du moins pour mon cas car il en fallait peu de plus pour que Raz ne se mette à plat-ventre sur le sol immaculé.
_Levez-vous, mes amis, susurra la voix du maître de la galaxie.
Je me relevai et Raz fit de même. Nous levâmes nos regards vers l'Empereur qui s'était retourné vers nous. A sa droite, une petite fille aux cheveux roux qui devait avoir l'âge de mon neveu tenait fermement un des pans de la toge impériale, comme s'il s'agissait d'un doudou. Je me demandai pendant un instant qui était cette fillette et surtout qu'est-ce qu'elle faisait auprès de Palpatine mais l'Empereur ne me laissa pas réfléchir plus longtemps.
_Tu veux bien nous laisser Mara ? demanda Palpatine d'une voix presque douce à la petite fille. L'Empire à besoin de moi.
_Oui Maître, chuchota la petite fille avant de descendre la volée de marche et de disparaître de notre champ de vision.
Le terme me surpris. "Maître" ? Ce n'était pas ainsi qu'on s'adressait à Palpatine. La seule autre personne qui appelait l'Empereur ainsi était Vador...
_Mon garçon ! s'exclama Palpatine en m'apostrophant brutalement. Ishin m'a dit avec quel brio vous avez échangé avec la société Adascorp...
Ne sachant pas si le ton de Palpatine était ironique ou non, je tentais de me dédouaner :
_Mon Empereur...Votre Majesté...je sais qu'il n'était pas dans mes attributions de négocier auprès d'un représentant d'Adascorp mais...
_Vous ais-je reproché quelque chose ? demanda Palpatine d'un air surpris. Je ne suis pas en train de vous blâmer. Au contraire même, souffla t-il avec une ombre de sourire.
Je n'étais pas plus rassuré pour autant.
_C'est justement parce que ce n'était pas votre travail que c'est d'autant plus exceptionnel. Arkania sera une alliée de poids pour tout le régime. Et ce, grâce à vous...
_Il nous reste encore à régler la question scion, objectais-je du bout des lèvres.
Palpatine eut un mouvement de bras, comme pour écarter physiquement ma protestation :
_Nous réglerons le problème scion d'une manière ou d'une autre. Peu importe ce que nous allons faire d'eux du moment que cela nous attache la loyauté arkanienne.
_Absolument mon Empreur, appuya Raz.
Le regard de Palpatine se fixa sur Raz comme s'il se rendait brusquement compte de sa présence.
_Ishin, formula le monarque d'une manière bien moins douce. Je tenais à vous signaler que la purge au sein de votre organisation commencera dès l'aurore.
Je relevai brusquement la tête, éberlué. Ils allaient purger le COMPORN ?
_Bien Votre Majesté. Puis-je néanmoins vous faire remarquer que...
_NON ! le coupa brusquement Palpatine en tapant du poing sur son accoudoir. La Commission Sélective compte trop de membres, elle est trop lente. Il faut la dynamiser une fois pour toutes. De même pour le reste du Comité. Les non-humains membres de l'organisation seront écartés définitivement. Est-ce clair ?
Je frémis alors que Raz hochait la tête. Ainsi, on allait s'en prendre à nous. Mais je ne risquai rien. Palpatine lui-même était enchanté de mes services. N'est-ce pas ? N'est-ce pas ?
_Vous pouvez partir à présent, nous ordonna Palpatine. Mes gardes vont vous raccompagner à votre navette. Passez une bonne nuit.
Moins que cinq minutes plus tard, notre navette Lambda quittait le Palais Impérial. N'y tenant plus, j'interrogeai mon supérieur.
_Ishin, qu'est-ce que c'est que cette histoire de purge ?
_C'est la faute de Pitta, expliqua Raz en s'épongeant le front. Il a réussi à convaincre Sa Majesté que la Commission n'était pas assez efficace car trop nombreuse.
_Combien y a t-il de cadres ?
_En comptant tout le monde, vingt-cinq mille.
Je clignai des yeux. Autant de monde que ça ?
_Le vrai problème, c'est cette chasse aux non-humains. Soyons clairs Alsh, je n'ai rien pour eux, je suis aussi spéciste que vous.
Rar devait ignorer que je n'étais pas spéciste.
_Mais c'est quoi au fond, un "non humain" ? Si un membre à mettons, un ancêtre lorrdien ou balosar, il n'est plus de souche entièrement pure. Est-ce qu'il se ferait arrêter lui aussi ? C'est insensé ! Comment prouver son ascendance sur toutes les générations ?
Je compris alors que Raz s'inquiétait bien moins pour les membres de son organisation que de son propre sort. Il était terrifié à l'idée d'avoir des origines aliens et d'être condamné. Et moi ? Il ne devrait rien m'arriver. J'étais intouchable par décret spécial.
Je demandais à être déposé au pied de l'immeuble de ma maîtresse. Je devais la mettre au courant des évènements. Je quittai la navette et souhaitais une bonne nuit à Raz. Perdu dans ses pensées, il ne m'entendit pas.
Je gravis quatre à quatre les marches de la tour ou vivait Eleiza. Elle devait sans doute dormir mais l'information était trop importante. Je devais la lui dire.
A ma grande surprise, un rai de lumière passait sous la porte de son appartement. Est-ce qu'elle était debout à deux heures du matin ? Je frappai et l'entendis demander que c'était.
_C'est moi, Alsh.
Elle m'ouvrit, me fit entrer et referma immédiatement derrière moi. Elle se coula dans mes bras et alors que je l'enserrais, je constatai qu'elle tremblait de peur. Elle se détacha presque immédiatement de moi et je pus mieux l'observer. Elle était dans un état épouvantable : echevelés, ses cheveux me semblaient gris et ternes. Une pellicule de sueur s'était formée sur son front et ses yeux...
Ses yeux...
Ils ne brillaient pas.
C'était impossible. Mais c'était pourtant la vérité. Je ne voyais plus aucun scintillement dans son regard. Avant de me laisser le temps de réfléchir, elle fila dans sa chambre, où je la suivis. Une grosse valise avait été mise sur le lit qu'elle remplissait rapidement de vêtements et d'objets de première nécessite.
_Qu'est-ce qui se passe ? Tu pars ? lui demandais-je.
_Je dois quitter Coruscant avant l'aube, m'expliqua t-elle sans cesser de jeter des habits dans sa valise.
_Pourquoi ? C'est en rapport avec la purge ?
_Alsh, expliqua t-elle d'un air agacé, je suis hapan.
_Non, c'est impossible, objectais-je. Les hapans vivent en autarcie dans la Bordure Intérieure. Ils ne sortent pas de chez eux.
_Mes ancêtres avaient quitté l'Amas de Hapes avant qu'ils ne décident d'en fermer les portes. Je suis née dans le Noyau.
Incroyable. Ma maîtresse était une proche-humaine et je ne savais même pas.
_Tu comptais me le dire un jour ?
_Ca marche pas comme ça, grimaça t-elle. Tu imagines ce que j'ai dû faire pour le cacher aux yeux de la galaxie ?
_Et ça te gênait pas de traquer des aliens alors que tu en es une toi-même.
_Je chassais les ennemis de l'Empire ! répliqua t-elle d'un air outré. La race n'a rien à voir avec ça.
_Autre chose...le scintillement de tes yeux...
_Des lentilles, expliqua t-elle en bouclant sa valise. Pour que je puisse voir dans les zones peu éclairées.
Oui...tout devenait clair. Les hapans ne voyaient pas dans le noir, c'était un handicap transmis de générations en générations. Eleiza avait toujours dédaigné tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux ténèbres. J'avais mis ça sur le compte d'une quelconque nyctalophobie. J'étais pas si loin.
_Un vaisseau m'attend dans la zone industrielle. Si je m'y prends bien, je passerais entre les mailles.
Je ne savais pas quoi répondre. Je me sentais trahi. Trahi qu'elle ne m'ait pas fait assez confiance pour me dire la réalité. .
_Je suis désolée de tout ça, s'excusa t-elle en tortillant une mèche de cheveux autour de son doigt. Mais on s'est bien amusés, non ?
_Ouais, répondis-je sans conviction. On s'est bien "amusés".
Elle eut une ombre de sourire et m'embrassa fugacement avant de filer. Je restai seul dans son appartement, abasourdi.
Il me fallut quelques minutes avant de réaliser ce qui allait se passer. Eleiza serait arrêtée un jour ou l'autre. Et tous savaient que nous étions en couple. On penserait que j'étais au courant depuis des années, que j'avais couvert ma maîtresse. Je risquai d'avoir de sérieux problèmes, surtout au coeur d'une purge.
A moins que...
Que je la dénonce. Que je ne contacte tout de suite les autorités pour leur dire où trouver ma maîtresse. Cela prouverait mon intégrité et ma loyauté aux yeux de l'Empire.
Au fond, est-ce que je l'aimais ? Non, je la désirais, c'était différent.
Elle ne m'avait approché que pour bénéficier de la position de maîtresse d'un haut cadre du COMPORN. Et je me sentais trahi comme jamais par l'affaire des lentilles. Des yeux dans lesquels j'avais effacé mes plus noirs souvenirs n'étaient que l'effet de prothèses oculaires.
Je décrochai de ma ceinture mon comlink personnel et composai le numéro des bureaux de la CompForce, qui servait aussi de police militaire.
_Passez moi le capitaine Kraik, dis-je d'un ton sans appel au réceptionniste. Ici le capitaine Alsh Nexhrn. J'ai des informations de la plus haute importance...


Il devait être dix heures du matin quand Kraik me rapella. Je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit, préoccupé par la purge. Les rapports d'arrestation étaient tombés tout le matin, avec plus de noms à chaque fois.
_Alsh, grâce à vos informations, nous avons pu arrêter l'agent Rhysode avant qu'elle ne quitte Coruscant. J'ai reçu le rapport des droïdes médecins qui l'ont examinée à son entrée au Centre Impérial de Détention.
_Et en quoi ça me regarde ? répondis-je d'une voix lourde de fatigue.
_Les senseurs des droïdes sont extrêmement précis, poursuivit Kraik d'un ton qui devenait hésitant. Ils peuvent détecter bien des choses avant que les patients-eux mêmes ne s'en rendent compte.
_Au fait, s'il vous plaît.
_Très bien, soupira le militaire.
Il laissa filer un blanc énorme avant de reprendre la parole.
_L'agent Rhysode est enceinte Alsh. De vous, se sentit-il obligé de préciser. Je tenais à vous en informer le premier, dit-il avant de raccrocher.
J'avais dénoncé ma maîtresse et découvrais qu'elle portait mon enfant.
Le destin avait un curieux sens de l'humour.

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