L'Eclosion du Mal
J'étais assis au milieu de mes camarades, vétu comme eux de cette étrange toge universitaire écarlate, symbole de la faculté de droit à laquelle nous appartenions. La plupart d'entre eux semblaient détendus et apaisés : peut-être que la cérémonie de remise des diplômes, qui avait lieu cette année, non pas dans une des salles de l'Université mais dans le parc intérieur, n'étaient pour eux qu'une étape obligée de leur parcours scolaire. L'essentiel d'entre eux n'avaient pas vraiment travaillé au cours de cette année d'étude, se bornant au minimum pour ne pas être renvoyés de l'école. Mais même lorsque cela arrivait, ils n'avaient qu'à se présenter la bouche en coeur auprès de leurs familles qui seraient ravies d'utiliser leurs connexions pour donner à leurs enfants une place au chaud dans telle ou telle entreprise, bien payée et à l'abri de tout.
Ce n'était pas mon cas. Natif de Chandrila au sein d'une famille de fermiers aux revenus très modestes, j'avais sué sang et eau pour obtenir une bourse et partir étudier ici, à l'Université de Coruscant, en faculté de droit. Et je devais alors découvrir que les efforts que j'avais déployés pour gagner la faculté n'allaient être rien en comparaison au travail abattu pendant de longues années d'études. J'avais passé des nuits blanches à compulser jusqu'au dernier traîté de droit des archives de l'Université, j'avais sacrifié mes vacances sur mes thèses et mes compositions. Mais le jeu en valait la chandelle : j'étais devenu major de ma promotion...ou presque.
Mon regard glissa à deux rangs devant moi, jusqu'à ce que mes yeux se focalisent sur mon pire ennemi : Koba'ra, issu d'une des plus grandes familles de Ryloth. Koba'ra et moi étions aussi proches dans nos résultats scolaires que dissemblables physiquement : là où il était grand et majestueux, j'étais petit et frèle et s'il brillait auprès de la gent féminine par sa beauté, je ne pouvais me targuer que d'un physique très banal. Et surtout, il était twi'lek là où moi j'étais un humain.
Notre rivalité avait éclaté dès le concours d'entrée à la faculté, au tout début de nos études. Lui et moi avions terminés tous deux premiers du concours en question, au nombre de points prêt. Depuis, chacun n'avait eu de cesse de tenter de battre l'autre à platte couture, ce qui n'arrivait jamais. Quelquefois je lui arrachait la victoire à quelques points et la fois suivante, c'était lui qui l'emportait. Notre rivalité avait fini par faire le tour de l'Université si bien que certains élèves avaient monté de véritables réseaux de paris sur nos performances. Et sans nul doute qu'aujourd'hui, le montant des paris serait gros.
Le twi'lek rejetta un de ses lekkus par dessus son épaule et ce faisant, son regard croisa brivèment le mien. Il m'adressa un petit sourire satisfait, comme s'il ne se faisait aucun souci de la remise des diplômes. Moi en revanche, j'étais si stressé que je suais abondamment mais d'une sueur glacée. Ce matin, mon estomac n'avait rien voulu supporter et c'était donc le ventre vide que je m'étais présenté à la cérémonie de remise des diplômes. Battre Koba'ra n'était pas qu'une question d'orgueil ou d'honneur : tous à la faculté savaient que le cabinet Krane, la plus prestigieuse des firmes judiciaires de Coruscant, ne recrutait qu'un nouvel avocat à chaque cycle et l'honneur était justement réservé à celui ou celle qui sortait major de sa promotion. En d'autres termes, dans quelques minutes, je saurais qui de Kolba'ra ou de moi-même serait engagé par le cabinet Krane. Un instant, je me vis au barreau, défendant les couleurs de la firme et ses clients pour des centaines de milliers de crédits le contrat. Oui...un fils de fermier qui devient avocat dans la meilleure boîte du monde-capitale, ça en jeterait...
Les chuchottements de l'assemblée moururent quand le doyen de la faculté, le professeur Eboi Zionz, un vénérable thisspasien de plus de cent-quarante ans serpenta jusqu'au devant de l'estrade. Tous ici connaissaient la vie légendaire du professeur Zionz. Il avait quitté Thispiass des siècles auparavant, pour visiter la galaxie. Il s'était découvert un goût pour le droit et avait intégré la faculté de Coruscant. Il n'avait pas été nécessairement l'élève le plus brillant de l'Université mais avait brillé par son acharnement : sa thèse, soutenue sans temps mort pendant un temps consécutif de presque trois jours restait dans les anales de la faculté. Nous respections tous le professeur Zionz, moi y compris.
Sous son imposante masse de cheveux gris, qui lui cachaient tout le visage, je crus distinguer une lueur d'amusement dans ses yeux qui scrutaient la foule. Il s'éclaircit la gorge et parla. Il n'avait du haut de son pupitre, ni texte, ni prompteur. Son discours, il le connaissait par cœur.
_Élèves de la faculté de droit de l'Université de Coruscant ! Vous voici arrivés au terme de longues années d'études et je tenais en premier lieu à féliciter chacun d'entre vous. Il y a cinq ans lors de votre arrivée ici, vous étiez plus de vingt-mille à tenter l'aventure et aujourd'hui, ce nombre a largement diminué de moitié.
Le thisspasien eut un franc sourire :
_Et vous voici. Ici, devant moi et vos enseignants. Dans quelques minutes, vous recevrez vos diplômes qui prouveront à la galaxie toute entière que vous avez été dignes de la confiance que cette Université a placée en vous.
Oh que oui. Dès que j'aurais mon diplôme en poche, je me hâterais de le mettre sous verre et de l'exposer partout où j'irais !
_Vous êtes tous de fabuleux élèves, reprit le professeur Zionz. Mais même ici, certains se sont plus distingués que d'autres. Comme dans toute promotion, il y a un numéro un. Et cette année, le major de la classe de faculté de droit de l'Université de Coruscant est...
Je me raidis sur ma chaise. Si le professeur Zionz appelait mon nom maintenant, si "Alsh Nexhrn" étaient les prochains mots qui sortaient de sa bouche, alors c'était gagné, j'avais mon ticket pour le cabinet Krane !
_KOLBA'RA ! cria Zionz pour tenter de se faire entendre par dessus les cris de joie de la foule.
Non. Non, non, non, c'était impossible, il ne pouvait pas me battre, pas maintenant, non !
J'étais le seul à rester assis, abasourdi comme frappé d'un croiseur en pleine poitrine alors que l'ensemble de mes camardes se levaient pour faire une ovation à mon rival qui gagnait tranquillement la scène. Il semblait si à l'aise, si détendu...
Le twi'lek serra la main du professeur Zionz et prit place sur le devant de la scène, multipliant les courbettes à l'envie, ravivant à chaque fois les vivats de la foule. Ce spectacle me donnait la nausée.
_Merci, dit Kolba'ra d'une voix paisible. Je suis très content de sortir major de cette promotion mais je crois que c'est injuste que cet honneur me revienne à moi seul.
Exact. C'était à moi d'être cité en premier, pas toi !
Le twi'lek se gratta l'arrête du nez un instant, sourit et reprit son discours :
_Je pense en particulier à une personne. Quelqu'un qui je pense, mériterait de sortir major autant que moi. Je veux bien sûr parler d'Alsh Nexhrn.
Aussitôt, tous les regards convergèrent vers moi comme si j'étais subitement devenu le point d'attraction central de la cérémonie.
Kolba'ra me fit un geste de la main l'invitant à le rejoindre sur scène. Je ne pouvais pas bouger, la simple idée de me lever me semblait insupportable. Pourtant je finis par accepter, et ce fut presque poussé par mes camarades de promotion que je me retrouvais sur scène, aux côtés de mon rival, du professeur Zionz et des autres enseignants. J'étais complètement déconnecté de la réalité, comme lorsque plus jeune, je m'affalais à deux heures du matin devant un holo avec un plateau débordant de bantha burgers. Je savais que c'était stupide mais j'étais incapable de faire un geste. Comme si mon corps était pris dans de la carbonite.
Kolba'ra s'adressa encore une fois à la foule :
_Et dites-vous bien que le petit humain blond à côté de moi, lâcha t-il en plaisantant, c'est à lui que je dois cette réussite. S'il n'avait pas été aussi bon, j'aurais jamais eu la motivation nécessaire pour rester numéro un. Alors croyez-moi quand je dis que je lui dois beaucoup à Alsh.
Je refrénais un rire nerveux. Mon rival était en train de me féliciter lors de son triomphe. J'avais beau n'avoir jamais touché aux bâtons de la mort, je commençais à me poser des questions sur mon niveau de toxicologie. Est-ce que j'étais en plein rêve ?
Le professeur Zionz glissa jusqu'à moi et me remit une feuille de filmplast nouée par un ruban écarlate aux couleurs de la faculté.
_Votre diplôme jeune homme, me dit-il en me tendant le filmplast.
Je lui posais la main sur l'épaule pour le retenir et lui glissais à l'oreille alors que le nouveau major continuait son show devant une foule en délire.
_Combien de points ?
_Pardon ? répondit le doyen.
_Kolba'ra. De combien de points m'a t-il battu pour être major de notre promotion ?
_Cinq points monsieur Nexhrn.
Cinq points. Ma main retomba lentement le long de mon corps et je descendis les marches de la scène comme un automate, traversant la foule de mes camardes sans prêter attention aux félicitations, aux tapes amicales dans le dos et aux embrassades. J'aurais pu être à la place de Kolba'ra si seulement j'avais eu six points de plus. Quand on sait que l'examen de fin d'année était noté sur plus de dix mille points, six ne représentaient qu'une infime partie de l'équation. Alors c'était raté. Krane allait engager Kolba'ra, pas moi. Le twi'lek aurait son interview sur l'Holonet, une entrée à son nom serait rédigée dans les archives de la faculté, il deviendrait immortel. Et moi...moi j'étais bon pour l'anonymat. Tout le monde retient le nom du numéro un, jamais du numéro deux. Je serais sans doute approché par des cabinets d'avocats et diverses firmes mais jamais par Krane. Un monde s'écroulait.
Je traversais le parc et la faculté sans perdre de temps, voulant m'éloigner au plus vite de ces lieux qui me rappelaient mon échec. J'avais à peine gagné la sortie qu'une voix m'apostropha :
_Ouais...dur, hein ? De devoir laisser sa place à un type comme Kolba'ra...
Je me retournais et reconnut l'homme qui venait de m'aborder : Dakcen Risus. D'un an mon cadet, aussi haut que large et tirant perpétuellement sur une cigarette à moitié terminée, Risus était connu dans toute l'Université et dans sa faculté politique pour son mépris profond des études. Je le connaissais très peu, c'était un ami d'un ami.
Il s'approcha de moi et me tendit un paquet de Fortunate Hit, ses cigarettes favorites. Je refusais poliment. Il haussa les épaules et rangea le paquet dans une de ses poches et tira à nouveau sur la cigarette qu'il avait à la bouche.
_Qu'est-ce que tu voulais dire, lui demandais-je, par laisser ma place ?
_Ça crève les yeux, répondit-il. J'ai beau ne pas être dans la fac de droit, j'ai mes échos. Tu savais que ta compétition avec Kolba'ra avait fait le tour de toute l'Université ? La faculté politique aussi. Personnellement, la victoire de l'autre tête de ver, je trouve ça anormal : je sais d'où tu viens. Je sais le travail que t'as dû faire pour arriver jusqu'ici. Et voilà que cet empaffé te vole ton heure de gloire...ces twi'leks je te jure.
Je tentais de couper court à la conversation mais Risus était lancé :
_La famille de Kolba'ra est en cheville avec le conseil de l'université, tout le monde le sait. Son oncle est sénateur...tu penses s'il a des appuis ! Ça pue le népotisme là dedans, tu peux me croire ! Ils n'ont qu'à se tourner les pouces puisque leur place est payée d'avance. C'est complètement injuste si tu veux mon avis.
Dakcen fit une pause, le temps de tirer sur sa cigarette. Y voyant une opportunité, je m'y glissais :
_Écoute, j'ai été ravi de discuter un peu avec toi mais il faut que je rentre là. Ma petite amie va me tuer si j'arrive encore en retard.
_Elle est pas venue voir la remise des diplômes ? s'étonna mon interlocuteur.
_Non, expliquais-je, elle travaille beaucoup en ce moment, c'est le rush à son bureau et...excuse-moi, je ne sais pas pourquoi je suis là à te raconter ma vie. Mais c'était bien de parler, vraiment.
Dakcen tira d'une de ses poches un petit morceau de filmplast sur lequel il griffonna une suite de chiffres :
_Voilà mon numéro, dit-il en me donnant le filmplast. Appelle-moi un de ces jours, je t'offrirais un jus de juma.
Fourrant le filmplast dans la première poche que je trouvais, je bredouillais un remerciement et quittais le parvis de l'Université, sautant dans un des taxis volants qui ne cessaient de charrier étudiants et leurs familles. Je donnais l'adresse de mon misérable studio au chauffeur et le speeder s'engouffra dans la circulation de Coruscant. Au fur et à mesure que l'Université s'éloignait, je me sentais un peu moins nauséeux. Mais il suffisait que je repense à Kolba'ra pour avoir à nouveau envie de vomir.
Je pouvais le jurer : le twi'lek allait me le payer. J'ignorais encore comment j'allais m'y prendre mais il regretterait amèrement de m'avoir volé ma victoire !
Et jusqu'à la fin de ses jours, il maudirait le nom d'Alsh Nexhrn.