Danse du loup et autres euphémismes

Chapitre 1 : Le tango horizontal

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:36

 

Note : Comme souvent chez moi, cette fic est un drabble qui a eu de mauvaises fréquentations et mal tourné. Il faut toutefois avouer que ça faisait un bout de temps que mes drabbles Star Trek réclamaient plus de place pour que Jim et Spock puissent développer leur légendaire amitié virile (mais en tout bien tout honneur hein, pas de ça chez nous... ou pas.) Disons que cette fic est un mélange de mon fanon sur les vulcains, de réflexions générales sur le reboot, l'interculturalité et un plaisir coupable en prime. Avec de la linguistique pour couronner le tout, parce que j'ai a la maison un Dictionary of Obsenity, Taboo and Euphemism par James McDonald, et que le rapport avec le cas qui nous occupe était trop évident pour ne pas s'en saisir à deux mains.

Pour mes autres drabbles, allez voir mon livejournal.

Cette fic est située dans la même continuité que "Walking Away", "Un petit coin de Paradis", et "Le Problème".  Elle peut se lire individuellement.

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Danse du loup et autres euphémismes
Une étude comparative (mais incomplète) des euphémismes, tabous et obscénités en Vulcain et Standard

1.
Si on avait posé la question à Jim, il l'aurait étudiée avec perplexité, puis admis que oui, ce genre de conversation n'était pas impossible étant donné les natures respectives de son officier de communication et de son Second.
Toutefois il a généralement autre chose à penser que planifier des conversations linguistiques avec ses officiers et n'avait jamais envisagé la possibilité jusqu'à ce que les lieutenants Galand et Yaziz passent devant la table qu'il occupe avec Spock et Uhura au mess en gloussant à une remarque de l'une d'entre elles.
« … et on a fait, tu sais, le tango horizontal, et… »
Les choses ne seraient pas allé plus loin si Spock n'avait pas penché la tête, interrompu sa dégustation de cette dégoûtante soupe vulcaine pour laquelle il a un faible (non, franchement, rien que l’odeur…) et fait remarquer de son ton parfaitement docte que le nombre de périphrases existant en Standard pour désigner les relations sexuelles est tout simplement confondant.

Jim en reste un instant muet de saisissement car s'il y a bien un sujet de conversation auquel il ne s'attendait pas de la part du vulcain si réservé c’est celui-ci, mais il ne lui faut pas longtemps pour se ressaisir avec un grand sourire. L'occasion est trop belle pour la laisser passer et sans vouloir se vanter, il est un spécialiste incontestable des sous entendus salaces et autres euphémismes. Toutefois, au moment de mettre en avant cette expertise durement acquise il est pris de vitesse par Uhura, installée à la droite de Spock.
« Ça n'a rien de très étonnant, » intervient-elle. « Toutes les cultures tendent à développer des périphrases pour désigner les sujets tabous... Religion, fonctions corporelles, tout ce qui implique des pertes de conscience comme les rêves ou la prise de drogues, la mort, souvent des éléments peu compris ou crains... Même à notre époque, les rapports sexuels restent du domaine de l'intime dans un très grand nombre de communautés humaines, il n'y a rien de surprenant à ce que le tabou s'applique.
- Sans compter que les êtres humains ont une inventivité sans fin pour ce genre de choses, » renchérit Jim en plantant sa fourchette dans le bloc blanc (sensé être des pommes de terres recomposées) qui occupe son assiette, « et des euphémismes tous plus fleuris les uns que les autres.
- Sans compter cela, en effet, » soupire Uhura avec un regard dans sa direction qui implique exactement ce qu'elle pense de son Capitaine sur ce sujet.
C’est presque vexant, parce que si Jim s’est construit une sacrée réputation dans ce sens quand ils étaient encore à l'Académie, il s’est sérieusement assagi depuis qu'il est aux commandes de l'Entreprise. En fait son comportement depuis huit mois est l'exemple même de la retenue et de la responsabilité. (Pas de la misère sexuelle toutefois, parce qu'il y a des limites et qu'en cas de besoin, il n’a jamais de mal à trouver une compagne d'un soir dans les bars.)
Uhura semble toutefois faire peu de cas de cette réserve nouvellement gagnée et si son comportement vis-à-vis de Jim s’est notablement réchauffé, qu’elle semble respecter ses capacités professionnelles et que le fait d’avoir contribué à sauver la Terre lui a gagné le droit de l’appeler Nyota hors service, elle n’en reste néanmoins que peu impressionnée par Jim en général. Ou si elle l’est, elle ne le montre vraiment pas.
Spock, quand à lui, est égal à lui-même, d’une probité à toute épreuve, quasiment indéchiffrable et en toute apparence totalement imperméable aux tentatives de Jim de se lier d’amitié avec lui.
« Le sexe est une fonction aussi basique que la respiration ou le fait de se nourrir - à part que c'est nettement moins agréable de respirer-», renvoie-t-il, soudain décidé à jouer les avocats du diable face aux parangons de rectitude que sont généralement Spock et Uhura. Et puis il est curieux de lancer le vulcain sur le sujet. « On pourrait penser qu'une société évoluée s'affranchirait d'un tel tabou… » Frappé par une idée, il se tourne vers Spock. « Qu'en est-t-il des vulcains ? Certainement, une société qui place la raison en si haute estime ne devrait pas se plier à des superstitions et des tabous qui n’ont pas de fondements logiques. »
Spock ouvre la bouche une fraction de seconde, visiblement surpris, avant de la refermer et de froncer les sourcils, de cette manière que Jim a appris à interpréter comme indiquant qu’il accorde toute sa réflexion au sujet.
« Ce n’est pas parce que la société vulcaine est dédiée à la logique qu’elle n’a pas de notions de bienséance, » intervient Uhura. « En outre, autant le terme tabou dans son acception initiale implique une prohibition à caractère sacré et craint, dont la transgression entraîne un châtiment surnaturel, autant dans ce cas précis il est sans doute plus juste de parler d’interdits d’ordres culturels et sociaux, parfois tout à fait fondés. Après tout, l’un des premiers tabous de l'humanité est l'endogamie et c’est une interdiction qui fait sens tant sur le plan génétique que social... C’est même l’interdiction autour de laquelle ont évoluées la plupart des sociétés humaines, ainsi qu’un grand nombre de cultures extraterrestres… »
Jim ne peut s’empêcher de sourire à la voir s’enflammer ainsi. Uhura est généralement un parangon de calme et d’efficacité, mais qu’on la lance sur un sujet de linguistique et elle s’anime d’une passion évidente, visible dans son sourire et la manière dont ses mains se meuvent.
« Maintenant que j’y pense, je n’ai jamais vu de mentions de sexualité dans aucun des textes vulcains que j’ai lu, » réfléchi Jim à voix haute, « quelques mentions de procréation de ça de là, mais même rien de précis… Et quand j’apprenais le Haut Vulcain je n’ai certainement jamais trouvé de vocabulaire d’ordre sexuel… Des termes scientifiques pour nommer les parties du corps, a'dle'ad, abru-nalatra… Mais rien d’explicite. Et aucun langage vernaculaire, pour autant que je puisse en juger…
- Parce que vous parlez Haut Vulcain, Capitaine ? » Il fait un effort pour ne pas laisser paraître sa vexation face à la surprise d’Uhura. Il est Capitaine de Starfleet bon Dieu, et avant ça l’un des meilleurs de sa promo, ce n’est pas comme s’il sortait de nulle part et n’avait pour unique compétence que la planification d’assauts désespérés contre des Romuliens venus du futur…
Toutefois la jeune femme se reprend presque immédiatement, avec une expression d‘embarras sincère. 
« Mes excuses Capitaine, je ne voulais pas sous-entendre… Le Haut Vulcain est peu parlé par les humains et j’ignorai que vous aviez suivi les classes à l’Académie, je ne vous ai jamais vu dans aucun des cours.
- Je suis loin de le parler de manière courante…
- Le capitaine Kirk avait des bases le Haut Vulcain avant de s’engager dans Starfleet, » intervient Spock et Jim le fixe avec soupçon. Ce n’est pas un fait qu’il a jamais crié sur les toits et la seule manière que Spock le sache…
« Spock, petit cachottier ! Tu as hacké mon dossier !
- J’étais à l’époque votre supérieur hiérarchique et un instructeur alors que vous n’étiez que cadet, Monsieur Kirk, » réplique le vulcain avec son impassibilité coutumière, mais Jim est presque (presque !) certain que le petit haussement de sourcil qui accompagne la déclaration est un signe (ténu certes, mais hé, c’est Spock) d’amusement. « En conséquence, tout accès de ma part à votre dossier ne pourrait en aucun cas être qualifié de piratage.
- Même si je n’étais pas ton élève ? Non, ne réponds pas à ça. » (Inutile de tendre le bâton pour se faire battre en attirant des  remarques sur le fiasco du Kobayashi Maru…) « Mais revenons-en à la discussion en cours : les vulcains et les tabous sexuels. Alors ? »


Spock étant par nature quasi inexpressif, il est en général difficile de dire quand il apprécie une discussion, ou quand au contraire il s’ennuie à mourir mais reste poli parce qu’il est un parfait petit vulcain bien élevé. (Ceci dit, quand il s’agit juste de Jim, il trouve généralement moyen d’exprimer son opinion par le biais de sarcasmes plus subtilement vicieux les uns que les autres qui ne manquent jamais de réjouir ce dernier au plus haut point.)
Toutefois, ce même manque d’expressivité rend par opposition la réaction la plus infime d’autant plus symptomatique. Quand à la question de Jim son visage se fige soigneusement, ses épaules se raidissent un peu plus et sa main se crispe une brève fraction de seconde sur le manche de sa cuillère avant de se relâcher très délibérément, le jeune homme est à peu près certain qu’il vient de toucher un sujet sensible.
« Mon peuple considère que les sujets d’ordre sexuel ne regardent pas les étrangers.
- Les sujets d’ordre sexuel en général, ou touchant à la sexualité des vulcains en particulier ? Et quand tu dis que ça ne ça ne concerne pas les étrangers, est-ce que cela signifie que vous en discutez librement entre vous ? »
Jim est lancé et ravale tout juste une question auxiliaire sur la relation (éventuelle, il n’a jamais réussi à déterminer exactement où ils en sont) entre Spock et Uhura ainsi que son potentiel en tant que sujet de discussion. Contrairement à ce que certains peuvent croire, son sens de la préservation est en parfait état de marche, merci bien.
« La sexualité des autres espèces n’est que de peu d’intérêt pour un vulcain, mais peut être discuté sans retenue si par quelque hasard improbable la nécessité l’exigeait et que l’interlocuteur ne s’en offusquait pas, » répond Spock avec une raideur sentencieuse un peu inhabituelle. « A contrario les sujets de cette nature se rapportant à mon peuple sont d’ordre très privé et s’en enquérir est considéré comme extrêmement impoli.
- Vous avez un tabou ! », constate Jim avec une satisfaction teintée de curiosité. « Tu ne peux même pas en parler à mots ouverts, tu as dit “les sujets de cette nature“… Les humains ne sont pas les seuls à avoir des périphrases et des euphémismes ! »
L’expression de Spock se crispe, se fait dangereuse.
« Capitaine, » prévient-il à voix basse, et Jim se rappelle parfaitement de quoi Spock est capable, poussé à bout. Il doute que les choses en viennent là, mais son but n’est pas non plus de s’aliéner son Second par simple insensibilité culturelle. Il lève les mains en signe de pacification.
« Je m’excuse. Je ne voulais pas paraître moqueur ou impoli. Ma curiosité est entièrement scientifique. Après tout, connaître les tabous d’une race permet de mieux la comprendre sociologiquement. Et le prisme linguistique est un outil fascinant… » Il jette un coup d’œil bref à Uhura, qui est assise bien droite, repas oublié, manifestement consciente de la délicatesse de la situation mais ayant décidé de voir comment Jim s’en sortait. « Quoi qu’il en soit, si c’est un sujet délicat ce n’est pas une discussion pour le mess. Saviez-vous que chez les bézoiens le mot pour la nourriture et le sexe est le même ?
- Je vous remercie de votre compréhension, Capitaine, et vos excuses ne sont pas nécessaires, j’ai réagi de manière excessive. Quand au bézoien je l’ignorais, c’est tout à fait fascinant.
- À vrai dire Capitaine, le terme exact est “ziahri”, qui signifie étymologiquement “nourriture divine“, » intervient Uhura dans une transition sans heurt, et Jim lui adresse demi-sourire reconnaissant. « C’est un sujet parfaitement libre et consensuel pour eux, ce qui est logique si l’on considère la fréquence des rapports sexuels dans leur société, leur rapport à l’alimentation et leur rôle social essentiel. Par contre, désigner physiquement ou oralement les pieds d’un individu est la pire des obscénités…
- Et alors qu’ils n’ont absolument aucun tabou pour le sujet, les Orions ont une réserve de périphrases inépuisable pour désigner le sexe et toutes les positions qui vont avec ! », renchérie Jim. « Ce qui est plutôt contradictoire quand on y pense, puisque les euphémismes sont normalement un moyen de contourner un tabou négatif, comme “voir le loup”, ou de rendre l’allusion inoffensive en la détachant au maximum de l’acte… Gaila était intarissable quand on la lançait sur le sujet, elle avait un répertoire d’une crudité à faire pâlir un marin… Elle…
- Je m’en souviens, » murmure Uhura avec un pâle sourire, et quand leurs yeux se croisent Jim détourne le regard le premier. Gaila lui est venu naturellement dans la conversation, au passé. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas pensé à elle et il réalise soudainement qu’il n’a jamais donné ses condoléances à Uhura. Jim s’entendait bien avec Gaila comme avec la plupart de ses conquêtes, mais Uhura a été sa colocataire pendant trois ans.
Gaila était sur le Farragut, le second vaisseau à être détruit par le Narada au-dessus de Vulcain en perdition et comme tous ceux des autres cadets morts avec elle son corps n’a jamais été retrouvé. Jim l’a pleurée, mais sans distinction, comme il a pleuré tous les amis et connaissances qu’il a perdu ce jour-là, au même titre que les autres amants et amantes d’un soir qui étaient des cadets comme lui. Il aimait bien Gaila pourtant, sa relation avec elle était dénuée de complications, c’était un sacré bon coup, elle était amusante, dynamique et une sacrée mécanicienne.
Et face à l’ampleur de génocide elle n’est devenu qu’un nombre parmi des millions, un visage parmi tant d’autres.
Il ferme les yeux, brièvement. Les rouvre.
« Nyota… je…
- Je sais Jim. »
Son communicateur retenti et elle le consulte, se lève avec grâce.
« Le devoir m’appelle. Capitaine, Spock.
- Nyota. »
Et sur un dernier signe de tête elle fait demi-tour et s’éloigne à travers le mess presque désert, ses talons résonants sur le revêtement gris.

Un silence s’installe entre Jim et Spock, chacun perdu dans ses pensées. Jim pousse distraitement les restes à présent froids de son repas d’un bout à l’autre de son assiette quand Spock prend la parole.
« Vous entreteniez une relation avec le cadet Gaila, n’est-ce pas ? »
Jim s’apprête à corriger, à expliquer, mais…
« Oui, » dit-il simplement, et Spock penche alors la tête, le fixe de ses yeux noirs.
« Je partage votre deuil Capitaine. Jim, » murmure-t-il et Jim ne peut qu’acquiescer en silence, pour une fois à court de mots.
« C’est à mon tour de vous quitter Capitaine, » ajoute finalement Spock en se redressant et en prenant son plateau. Mais au lieu de partir il reste un instant immobile, comme s’il débattait avec lui-même, avant de se tourner vers Jim.
« Si les vulcains ont des tabous Jim, ils concernent ce qui leur est le plus abhorrant. La perte de ce qui fait d’eux des êtres sensibles, la compromission de toute raison. »
Et là-dessus, sans plus attendre de réponse, il tourne les talons et disparaît à son tour par la porte qui donne sur la coursive principale, laissant Jim se questionner sur cette information si étrangement offerte.

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