Je peux pas, j'ai piscine
Chapitre 10 : Une goutte d'eau dans l'océan
7516 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/08/2023 18:55
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Une bouteille à la mer - (juillet août 2023).
Je réexplique pour celles et ceux qui ne liront que le défi et pas les chapitres qui précèdent. Pour faire simple, Lucy, la sœur de Spock, est morte voilà 16 ans et Spock a eu beaucoup de mal à surmonter cette perte ; il ne parle pas d'elle, ne la mentionne pas devant ses amis et l'a pratiquement effacée de son existence. Petit problème : les souvenirs lui reviennent lorsqu'il se retrouve dans l'eau. Deuxième problème : cela fait déjà deux ou trois fois que Lucy ne se contente pas de rejouer le passé, mais communique avec lui en prétendant vivre dans un univers parallèle à celui de son frère...
Une goutte d’eau dans l’océan
– On est bien d’accord que ce qui nous arrive est le truc le plus débile qui nous soit jamais arrivé ?
L’océan reflua dans un bruit cristallin de milliers de galets et de coquillages qui se heurtaient en dévalant la légère pente de la plage sur laquelle ils s’étaient retrouvés après être passés par la fenêtre. Ou plutôt, après que Jim fut passé par la fenêtre. Spock ne l’avait suivi que pour le protéger d’un danger potentiel, sachant à quel point cet humain, précisément, était passé maître dans l’art de s’attirer des ennuis, même dans des lieux aussi improbables qu’un musée. Un musée certes spécial, dans lequel ils n’auraient pas dû s’attarder ni même se rendre, mais un musée malgré tout – un endroit qui, en toute logique, n’aurait pas dû présenter quelque chose d’aussi dangereux qu’une fenêtre quantique.
– On est bien d’accord que si quelqu’un n’avait pas refermé la fenêtre, on n’aurait eu qu’à repasser de l’autre côté pour se retrouver sur Ligon ?
Si Spock avait été humain, il aurait levé les yeux au ciel avec un soupir agacé. Etant Vulcain, il se contenta de scanner les lieux dans l’espoir de trouver un mécanisme de rappel leur permettant de retrouver la fenêtre qui avait tout simplement disparu une fois refermée. Ils avaient brassé l’air de leurs bras, sondé le sol, mais le passage s’était comme évaporé dans l’air chaud et humide de la petite île sur laquelle ils avaient atterri. Alors que sur Ligon II, la température était loin d’être clémente à cette période de l’année et que l’aile du musée, à peine chauffée en raison du faible nombre de visiteurs, atteignait avec peine les 13°C, la petite fenêtre encastrée dans un des murs du bâtiment irradiait une douce chaleur. Elle ouvrait sur un paysage paradisiaque, une île ensoleillée avec plage de sable blanc et fin, eau limpide, arbres d’espèces inconnues dont les feuilles se balançaient au gré d’une légère brise. [1]
– C’est sûr que passer par cette fenêtre était vraiment hyper intelligent !
– Si tu pensais que c’était dangereux, pourquoi nous as-tu suivis ?
– Parce que tu te fourres toujours dans des situations inextricables ! Pourquoi crois-tu que Spock t’ait suivi ? Sûrement pas parce qu’il aime l’eau et le farniente !
Le premier officier se refusa de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse du docteur McCoy. Bien évidemment, il avait suivi Jim pour le protéger, mais il n’avait pas l’intention de l’avouer au principal intéressé. De fait, l’île ne recelait visiblement rien de dangereux, l’océan était calme, aucun nuage ne se profilait à l’horizon…
… mais ils étaient bloqués ici. Sans savoir où ni même quand se trouvait cet ici.
Jim était passé par la fenêtre, Spock l’avait suivi, McCoy leur avait emboîté le pas et il avait, ce faisant, malencontreusement fait tomber la cale qui la maintenait ouverte. Un accident, bête et stupide, comme il en arrive tous les jours, mais cette fois avec des répercussions potentiellement fâcheuses pour les trois officiers.
– Et avec tout ça, nos communicateurs ne fonctionnent pas, nous ne pouvons pas joindre l’Enterprise !
– Capitaine, fit remarquer Spock, ouvrant la bouche pour la première fois depuis qu’ils étaient passés de l’autre côté, nous ignorons si l’Enterprise existe ici.
Les deux humains se figèrent et le fixèrent.
– Qu’est-ce que vous voulez dire ? demanda le médecin.
Spock nota l’effort qu’avait fait son interlocuteur pour paraître moins agacé, ou brusque, que lorsqu’il s’adressait au capitaine.
– Je veux dire que la fenêtre était qualifiée de « fenêtre quantique », ce qui signifie qu’elle peut nous avoir emmenés à n’importe quel point spatio-temporel de la galaxie.
Il ne fallut que quelques secondes à l’idée pour qu’elle percute avec une certaine violence l’esprit des deux humains.
– Attendez, vous voulez dire qu’on pourrait être… il y a 3000 ans ? Ou bien dans 3000 ans ?
– Techniquement, nous sommes maintenant, docteur. Ce n’est que par rapport à notre point de référence habituel – la date stellaire à laquelle nous nous trouvions lorsque nous sommes passés par cette fenêtre – que vous pouvez parler d’antériorité ou de postériorité.
McCoy regarda Spock comme s’il hésitait entre le frapper et se mettre à rire nerveusement, mais il ne fit rien de tout cela. Il se contenta de se passer la main dans les cheveux et de s’asseoir sur le sable fin, comme si cette nouvelle était un peu trop pour lui. A ses côtés, Jim, toujours debout, se mordait l’intérieur des joues. Tous deux avaient ôté l’anorak qui leur avait été si utile sur Ligon. Spock décida de les imiter. La température avoisinait les 31°C, ce qui était confortable pour un Vulcain.
– Quelle idée, aussi, ce musée ! pesta le médecin.
– Tu n’étais pas obligé de venir ! rétorqua le capitaine du tac au tac. D’ailleurs, ça nous aurait évité de rester coincés ici.
Spock savait par expérience que, dans des cas semblables, les humains avaient tendance à se rejeter la faute les uns sur les autres, quand bien même le problème provenait d’une cause totalement extérieure. Il avait toujours du mal, malgré l’habitude, à comprendre la raison de cette attitude, qui ne faisait qu’aggraver la situation en empêchant la solidarité nécessaire à la résolution du problème. Ainsi, Jim et Leonard s’étaient campés chacun dans une direction différente, presque dos à dos, l’un assis et l’autre debout, les bras croisés sur la poitrine et ruminant probablement leur rancœur au lieu de réfléchir ensemble à une solution.
– Nous pourrions déjà faire le tour de cette île, suggéra le Vulcain de son ton le plus neutre. Nous trouverions peut-être, dans la faune ou la flore, un indice de notre localisation.
– A quoi ça va nous servir ?
Le ton était loin d’être amène et Spock décida qu’y répondre par un sarcasme typiquement humain était une bonne idée : cela lui permettrait d’évacuer sa propre frustration tout en calmant les ardeurs de ses deux compagnons.
– Je ne sais pas, docteur. Mais si vous pensez qu’il serait préférable que nous pleurnichions sur notre sort, je me rangerai à votre avis d’expert.
Le médecin en chef tressaillit et se tourna vers le Vulcain avec une incrédulité qui aurait presque pu s’avérer comique. Quoique non doué d’une mémoire eidétique, il se souvenait visiblement de la première fois où le premier officier de l’Enterprise, alors capitaine du vaisseau par intérim, avait prononcé cette phrase. [2] Il faut le dire à sa louange, il ne poursuivit pas dans la même veine ironique.
– Vous avec raison, soupira le docteur McCoy en se passant une main sur le visage. C’est juste que j’ai l’impression d’être Robinson Crusoé… sans même une bouteille à jeter à la mer !
L’expression utilisée par son interlocuteur réveilla un souvenir dans l’esprit du Vulcain. Il se figea face à l’immense étendue d’eau qui s’étalait autour d’eux, semblait-il, à l’infini. Aussi vaste que fût cet océan, peut-être était-il émaillé de terres, d’îles, de continents ? A quelle distance de leur propre îlot se situaient-ils ? Etaient-ils habités ? Et si oui, ces populations potentielles étaient-elles pacifiques ? S’il pouvait répondre à ces questions, ou du moins à certaines d’entre elles, cela leur permettrait de prendre des décisions en connaissance de cause – se focaliser par exemple sur la construction d’un radeau ou d’un campement en fonction des données recueillies…
– Euh, Spock, vous ne vouliez pas qu’on aille explorer l’île ?
Les deux humains, qui ne se tournaient plus le dos et semblaient avoir totalement oublié le différend qui les occupait totalement quelques secondes plus tôt, le considéraient à présent, sourcils froncés, avec une perplexité visible. Le premier officier avait déjà remarqué qu’un sujet d’inquiétude commun – en l’occurrence sa propre attitude inattendue – suffisait généralement à réconcilier ses deux coéquipiers.
– Je pensais à autre chose, répondit Spock. Mes facultés télépathiques étant amplifiées lorsque je me trouve dans l’eau, j’envisageais de les utiliser pour jouer métaphoriquement le rôle de la proverbiale bouteille à la mer évoquée par le docteur McCoy.
Jim cligna rapidement des yeux et pencha la tête.
– Vous voulez dire que vous pourriez… envoyer un SOS télépathique dans l’eau ?
– On peut le formuler ainsi, acquiesça le Vulcain. Peut-être serai-je capable de capter les émotions d’êtres doués de raison qui seraient en contact avec l’eau, et ainsi déterminer leur proximité, leur nombre et leur espèce.
En voyant ses deux compagnons ouvrir la bouche sans prononcer un mot, il comprit que ce qu’il venait de dire était à la limite du concevable pour un être humain.
– Spock… commença le médecin en chef en s’éclaircissant la gorge, si vous êtes capable de faire un truc pareil…
– C’est que vous avez un super-pouvoir, compléta le capitaine avec un enthousiasme presque enfantin que ne justifiait certes pas leur situation précaire.
Un enthousiasme qui lui en rappelait un autre… Même ton, même choix de vocabulaire, même sourire.
– Ainsi, si vous le permettez, capitaine, reprit le Vulcain, luttant contre ses souvenirs, je vais m’immerger dans l’océan. L’eau parfaitement transparente vous permettra de m’avertir dans le cas peu probable où une créature aquatique dangereuse s’approcherait de moi.
Les deux humains se regardèrent de nouveau, puis Jim acquiesça. Spock ôta son uniforme et s’aventura prudemment dans l’eau, uniquement vêtu de ses sous-vêtements. Il s’accroupit pour se mouiller la nuque, mais la température de l’océan était parfaitement agréable et il s’assit en tailleur, de l’eau jusqu’à la taille, essayant de capter la présence plus ou moins lointaine d’un esprit humanoïde.
Après tout, il s’était bien malgré lui entraîné pour ce genre de situation.
…
La situation est ridicule et Spock se demande une fois de plus comment il a pu laisser sa sœur l’entraîner jusqu’ici, sur les rives du lac Yuron, si peu de temps après sa tentative complètement ratée pour « sortir avec » Lollie. [3] Il soupçonne d’ailleurs Lucy d’avoir cherché (et malheureusement trouvé) un prétexte fallacieux pour le forcer à sortir de nouveau avec ses amis, et à revenir précisément ici, au bord des eaux couleur miel. Selon elle, depuis quinze jours, il « broie du noir ». Encore une expression humaine parfaitement illogique, car il ne broie rien du tout. Il ne ressasse absolument pas le fiasco total qu’a été leur dernière soirée entre amis, au cours de laquelle il a réussi l’exploit de perdre à la fois le contrôle sur ses boucliers et le peu d’affection que la meilleure amie de Lucy pouvait encore éprouver pour lui. Sa sœur a beau lui répéter que Lollie ne lui en veut pas, Spock n’est pas totalement idiot : il a bien vu qu’elle a changé d’attitude à son égard. Il n’en éprouve ni regret, ni tristesse, bien évidemment.
Bien évidemment. Après tout, il est Vulcain.
– C’est bon, tout le monde est en place. Tu es prêt ?
Spock se retient in extremis de lever les yeux au ciel. Bien évidemment, il est prêt. Il a patiemment attendu que Lucy aille placer ses cobayes « aux quatre coins du lac » – ce qui se discute, étant donné que le lac ne possède pas de forme géométrique définie, ce qui l’empêche d’avoir des coins, et que ses amis, au nombre de quatre, se sont postés deux par deux, ce qui ne leur permettrait de couvrir que la moitié des coins susnommés. A ce stade de la discussion, la jeune humaine lui a demandé d’arrêter de « pinailler sur des détails » qui, selon elle, ne servent qu’à prouver à la fois sa nervosité et sa mauvaise foi. Alors, il s’est tu, peut-être parce qu’il n’est pas totalement certain qu’elle ait tort. Et le voilà donc, par une chaude matinée de congé, en train de se prêter à une des expériences ridicules dont sa sœur a le secret, en l’occurrence pour « tester ses super-pouvoirs télépathiques ». Comment elle a réussi à embarquer dans son délire non seulement Fali, fasciné par tout ce qu’elle propose, mais également Matthew, Solal et T’Linva, voilà qui relève du mystère le plus total. Au lieu de lui rire au nez (façon de parler, évidemment, puisque les Vulcains ne rient pas), ils ont été immédiatement intéressés. Lucy a été assez maline pour présenter son idée sans queue ni tête comme une expérience scientifique révolutionnaire. Elle s’est également montrée assez délicate pour ne pas convier les Petersen, mais Spock n’a aucun doute sur le fait qu’elle racontera tout à Lollie lorsqu’ils seront rentrés à ShiKahr.
Des super-pouvoirs. N’importe quoi.
– Tu sais pourquoi nous sommes là, n’est-ce-pas ?
– Parce que tu as décidé de nous y emmener, répond Spock de son ton le plus sec.
Lucy soupire et secoue la tête. Que ressent-elle ? De l’agacement ? De la frustration ? De la commisération ? Spock se demande souvent ce qu’éprouve sa sœur, mais aucune intuition purement humaine ne lui propose jamais de réponse.
– Tu es venu, Spock, déclare-t-elle avec un sérieux bien rare chez elle. Tu as accepté de te prêter à cette expérience. Pourquoi, si elle te déplaît à ce point ?
– Parce que tu as raison, mes facultés télépathiques peuvent nous être utiles lorsque nous serons à Starfleet.
La jeune fille le regarde entre ses paupières plissées avant d’éclater de rire.
– Quelles sont les probabilités pour que tu serves un jour de… de bouteille à la mer ? Tu les as calculées ? Oui, bien sûr, puisque tu calcules toujours tout. Alors dis-moi : quelles sont les probabilités pour que tu te retrouves coincé dans un environnement aquatique, avec ou sans équipage, sans aucun matériel ni possibilité de lancer le moindre SOS par des voies classiques, et que tu doives faire passer un message télépathique par le biais de l’eau ?
– Les probabilités sont d’environ une sur 3720, répond Spock en s’efforçant de rester neutre.
Il a compris qu’il s’est, une fois de plus, fait piéger par sa petite sœur qui lui a, une fois de plus, raconté des bêtises pour le forcer à faire ce qu’il ne veut pas faire. Ce qu’il ne comprend pas…
– Si tu penses cette expérience inutile, pourquoi as-tu tant insisté pour que nous la fassions ?
– Tout d’abord, aucune expérience scientifique n’est inutile, ce n’est pas moi qui le dis, mais un certain Vulcain de ma connaissance. Ensuite, le but premier était de te sortir. Tu ne te rends pas compte que ça fait quinze jours que tu restes enfermé tout seul à la maison à ruminer ta balade romantico-désastreuse avec Lollie et à essayer de comprendre comment tu aurais dû agir pour que ça se passe bien ?
– Je ne… commence-t-il, mais il s’arrête net, incapable de mentir.
– Donc, avec Fali, nous avons imaginé un petit protocole susceptible de te faire sortir de ta tanière. Matthew, T’Linva et Solal ont trouvé que c’était une très bonne idée et ils ont accepté de participer et de faire semblant de trouver « fascinante » l’expérience que nous avons inventée. Quoique, à la réflexion, ils la trouvent peut-être vraiment fascinante.
– Mais… mais pourquoi ?
– Parce que ce sont tes amis, Spock. Parce qu’ils sont inquiets pour toi, parce qu’ils aimeraient que tu ailles mieux, ils veulent te changer les idées. Je te le répète une dernière fois, parce que tu n’as pas l’air de vouloir me croire : personne ne t’en veut. Tout le monde comprend et respecte ton choix. Tout le monde est en résonance avec ce qui t’est arrivé, soit parce qu’ils ont été amoureux et que ça n’a pas marché, soit parce qu’ils sont amoureux et ils qu’ont peur qu’un truc comme ça leur arrive – enfin, pas T’Linva, mais elle comprend l’idée générale – et ils veulent t’aider parce qu’ils savent éprouver de l’empathie. Ce qui est étonnant, étant donné que tes amis sont globalement Vulcains, mais bon, c’est comme ça. Et les humains comprennent aussi. Lollie sait parfaitement où on est et ce qu’on fait, elle n’est pas venue aujourd’hui parce qu’elle ne voulait pas te mettre mal à l’aise, mais elle veut qu’on continue à passer du temps tous ensemble.
Spock reste muet devant ce déferlement d’assertions illogiques et émotionnelles. Il aimerait contrer les paroles de sa sœur, mais il ne trouve aucun argument. Et, quelque part, il est… touché que ses amis soient venus l’aider. Et soulagé qu’ils ne lui en veuillent pas, qu’ils ne le jugent pas, qu’ils n’aient pas pris le parti de Lollie. Lollie qui d’ailleurs ne lui en veut pas et veut continuer à passer du temps avec lui. Ce qui fait naître en lui un autre sentiment, difficilement identifiable, mais qui ressemble peut-être à de l’espoir.
S’il ajoute à tout cela la reconnaissance qu’il éprouve pour sa sœur qui sait toujours ce dont il a besoin, ça fait beaucoup d’émotions d’un seul coup.
– Cela dit, enchaîne Lucy devant l’absence de réaction de son frère, maintenant qu’on est là, je ne vois pas pourquoi on ne la ferait pas, cette expérience. Comme ça, on pourrait prouver soit que ton pouvoir télépathique n’est pas si fort que ça et donc que tu n’as rien à en craindre, soit qu’il est super utile pour un futur officier de Starfleet. Des questions ?
Lucy a croisé les bras sur son torse d’un air de défi, et en la regardant si farouchement déterminée à l’aider, Spock sent se relâcher, puis se dissoudre le nœud qui lui tord le ventre depuis cette fameuse soirée. Il secoue négativement la tête puis fait quelques pas dans les eaux tièdes du lac. La sensation s’avère beaucoup moins désagréable qu’il ne l’a anticipé. La jeune fille, un sourire éclatant aux lèvres, ouvre son communicateur.
– Allô, tout le monde ? Ça y est, mon frère est décidé ! Bon, alors, comme prévu, on commence par Matthew, d’accord ? Tu peux entrer dans l’eau.
C’est bon, j’y suis.
Spock ferme les yeux, attentif aux frémissements de l’onde. Maintenant qu’ils sont tous là, au bord de ce lac, à barboter les pieds dans l’eau, autant respecter le protocole établi par sa sœur et son meilleur ami. Matthew étant le seul humain du groupe, le moins réceptif aux ondes psychiques et le plus à l’aise avec l’eau, ils ont décidé qu’il serait le premier à tester la communication. L’expérience est désarmante de simplicité : le premier petit groupe Vulcain / humain s’est placé sur la rive du lac, à un kilomètre environ de l’endroit où se tiennent Lucy et son frère. Ce dernier doit essayer de les contacter et / ou de sentir leur présence, un par un puis deux par deux en cas de succès. Si la tentative réussit pour au moins l’un d’entre eux, ils passeront à Fali et T’Linva, qui se trouvent à deux kilomètres, et recommenceront l’expérience. Et ainsi de suite, de kilomètre en kilomètre. Cependant, si Spock perçoit les moindres émotions de n’importe quel humain dès lors qu’il se trouve dans l’eau non loin d’eux – dans l’espace réduit d’une piscine par exemple –, il doute fortement de parvenir à capter quoi que ce soit à une telle distance.
Aussi, lorsque la perception d’une conscience monte à l’assaut de ses boucliers, aussi claire et distincte que s’il se trouvait à côté de Matthew, à peine a-t-il fermé les yeux, il ne peut s’empêcher de tressaillir. La sensation est étrange, mais absolument pas déplaisante. Ses boucliers demeurent fermement en place et il n’a aucune peine à se retenir de s’introduire dans l’esprit de son ami. Il en perçoit cependant l’aspect général, les contours et la forme – ces mots ne reflètent qu’imparfaitement ce qu’il ressent, mais il n’en trouve pas d’autre. Il sait ainsi qu’il s’agit d’un être humain. Il se corrige : il s’agit d’un être appartenant à une espèce psi-nulle. Aucun pouvoir télépathique n’émane de l’individu dont il a repéré la présence. Cet individu est seul. Pour la suite…
– Lucy, peux-tu appeler Matthew et lui demander s’il accepte que j’essaye de sonder son esprit ?
– Tu peux le sentir ? Génial ! Et vas-y, ils ont déjà tous dit oui avant qu’on commence.
Spock ne commente pas, mais il ne peut s’empêcher de se demander comment, après ce qui s’est passé avec Lollie, ses amis peuvent lui faire confiance de cette façon. Prudemment, par petites touches, il s’approche de l’esprit de Matthew – un esprit cartésien, rationnel, presque vulcain, mais traversé d’éclairs d’émotions typiquement humaines qu’il est incapable de dissimuler. Ses sentiments sont ouverts, tournés vers l’extérieur, prudents mais amicaux. Le jeune Vulcain envoie un message discret, comme un signe de bienvenue, qui est presque aussitôt suivi par une brève secousse et une sorte de question projetée à l’avant de l’esprit du jeune homme, quelque chose qui pourrait être traduit en mots par « Spock, c’est toi ? ».
Incrédule face à la facilité de l’échange avec un humain qui n’a jamais pratiqué la moindre interaction télépathique, Spock se tourne vers sa sœur pour se rendre compte qu’elle le regarde avec un air de suffisance qu’il aurait en toute autre circonstance jugé insupportablement puéril, si lui-même n’avait pas été effaré par ce qui est en train de se passer.
– Je te l’avais bien dit, se contente-t-elle d’affirmer. On continue avec Fali et T’Linva ?
…
– Je te l’avais bien dit.
La voix résonna en écho à celle de Lucy – la Lucy de son passé – et détourna le premier officier du souvenir dans lequel il avait été plongé au sens littéral comme au sens figuré. Spock arracha sans trop de difficulté les fils qui le reliaient à son adolescence et retrouva la plage de sable fin où il avait échoué en suivant Jim. Il ne ressentait aucune présence à des centaines de kilomètres à la ronde, aucun humanoïde, aucune conscience – rien. Le SOS qu’il avait déclaré pouvoir envoyer se perdrait probablement dans les profondeurs de l’océan. Personne ne l’entendrait jamais. Personne, sauf…
– Sauf moi, c’est ça ?
Lucy était de nouveau dans son esprit, exactement comme elle s’y était matérialisée lorsque Spock avait été empoisonné sur Télops. La revoir ainsi fit naître en lui une sensation douloureuse, mêlée à une émotion bien plus positive. Quelque chose qui ressemblait à de l’espoir.
Il avait longuement réfléchi depuis Télops : 35,6 jours de réflexion exactement.[4] Ce que lui avait dit Lucy semblait complètement délirant, mais il savait de source sûre – à savoir lui-même, en la personne de son double – que les univers parallèles existaient bel et bien et qu’un passage entre eux, à défaut d’une communication, avait été involontairement découvert. Sa sœur avait toujours joué avec les règles, exploré les limites du licite et, partant, les frontières du possible. Après tout, elle lui avait appris à nager. Elle lui avait offert l’inestimable cadeau de l’amitié. Elle l’avait même fait rire. Et pleurer, bien involontairement. Communiquer avec lui par-delà la mort n’était peut-être qu’un exploit de plus dans la longue liste des miracles réalisés par Lucy. Si quelqu’un possédait des super-pouvoirs, c’était elle et non lui.
– Spock, tu peux percevoir les consciences de gens qui se trouvent à des milliers de kilomètres de toi. Si ce n’est pas un super-pouvoir, je ne sais pas ce que c’est.
– Toujours dans l’exagération, à ce que je vois. Le lac Yuron mesure 21 kilomètres de long.
– Tu as oublié que nous avons testé tes capacités sur le fleuve lorsque je suis partie en vacances avec Tom et Lollie ?
Non, il n’avait rien oublié. A 2493 kilomètres de distance, il avait perçu l’esprit de sa sœur à travers l’eau du Hohshim, qui coulait si lentement qu’il avait même pu en remonter télépathiquement le courant pour envoyer un message à Lucy. Cette nouvelle expérience, que la jeune fille avait proposée après le succès de la première au bord du lac Yuron, avait eu lieu moins de deux mois avant leur virée à Ash-Yumau.
– Donc, la probabilité que cet entraînement te serve et qui était, si j’ai bonne mémoire, de une sur 3720, a fini par arriver. Je t’avais dit que ça pourrait servir.
– On ne peut pas dire que ça me serve vraiment, fit remarquer Spock. Je ne perçois aucune conscience. Soit il n’y a personne sur cette planète, soit mes « super-pouvoirs » (il s’appliqua à faire ressortir les guillemets imaginaires dont il entourait ce mot ridicule) ne sont pas si super que ça.
– Il y a moi, répondit Lucy, nullement déconcertée. Je ne suis pas techniquement parlant sur cette planète, quelle qu’elle soit, mais si tu es une bouteille à la mer, disons que j’ai réussi à l’ouvrir, alors tu peux m’envoyer ton SOS. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Spock hésita. Comment l’esprit de sa sœur, depuis un autre univers potentiel, pouvait-il lui venir en aide ?
– Ah, mais tu oublies mes super-pouvoirs, railla-t-elle. Même si je ne représente qu’une toute petite goutte dans l’océan, peut-être que ce sera pile la goutte dont tu as besoin.
Sans relever la métaphore illogique et, lui semblait-il, mal employée, le Vulcain choisit de lui obéir :
– Notre vaisseau s’est posé sur la planète Ligon pour des réparations et l’équipage a reçu une permission inattendue. J’ai manifesté le désir de visiter le musée des Sciences Insolites et mon capitaine, ainsi que le médecin en chef, m’ont accompagné.
Contre toute attente, à ce stade du récit, Lucy éclata de rire.
– Ne me dis pas que tu es passé par la fenêtre quantique ? Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de mon frère ? Le Spock que je connais, ou plutôt que je connaissais, n’aurait jamais commis une action aussi illogique, même en rêve, parce que, paraît-il, les Vulcains ne rêvent pas.
Le premier officier se sentit obligé de se justifier.
– Mon capitaine, qui est un homme relativement… peu prudent, est passé par cette fenêtre malgré mes objurgations réitérées. Le médecin en chef de notre vaisseau et moi-même l’avons suivi pour le protéger en cas de danger…
– … et la fenêtre s’est refermée, conclut Lucy. Je vois.
– On ne dirait pas que mon sort t’alarme plus que ça, fit remarquer Spock.
Le sourire de la jeune femme se fit espiègle.
– Non, je ne suis pas spécialement inquiète cette fois. Il me semble que tu négliges un peu la logique sur ce coup-là.
Spock leva un sourcil interrogateur et Lucy éclata de rire. Ce son fit remonter à l’esprit du Vulcain mille souvenirs qui firent dangereusement vaciller ses boucliers. Il n’était pas certain d’être prêt pour cette confrontation insensée avec sa sœur – mais il ne pouvait pas s’en aller, comme ça, sortir de l’eau et reléguer de nouveau Lucy dans les profondeurs de l’oubli…
– Bien sûr que si, tu le peux, déclara Lucy redevenue sérieuse, si ça te fait souffrir.
La souffrance, bien moins grande que ce qu’il avait imaginé, en valait la peine, pensa Spock. Elle pouvait être tenue à distance et remplacée par un sentiment mêlé où, pour la première fois, le doux l’emportait largement sur l’amer.
– Je préférerais, répondit-il en éludant le sujet, bien trop surréaliste à son goût, que tu m’expliques pour quelle raison tu penses que j’ai « négligé la logique ». Trouves-tu étrange de jeter une bouteille à la mer lorsque l’on est coincé sur une île déserte ?
Le sourire de Lucy réapparut, plus éclatant, plus lumineux.
– Réfléchis : où étais-tu lorsque tu es passé par cette fenêtre pour sauver ton imbécile de capitaine ?
– Mon capitaine n’est pas un imbécile, répondit machinalement le premier officier. Et j’étais sur Ligon.
– Plus précisément ?
– Je me trouvais au musée des Sciences Insolites d’Angilus, principale ville de la planète Ligon II, dans la salle consacrée aux moyens de transport.
– Un lieu dangereux ?
– Négatif.
– Et tu crois vraiment que les responsables des collections du musée d’Angilus, sur Ligon II, laisseraient libre d’accès une fenêtre quantique menant à une époque et en un lieu potentiellement dangereux ?
Spock ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Il avait peut-être, en effet, manqué de logique.
– C’est bien que tu le reconnaisses, ironisa la jeune femme.
– Les gardiens effectuent une ronde à l’heure de la fermeture afin de s’assurer que personne n’est resté prisonnier de cet espace-temps ?
Lucy hocha la tête.
– Oui, ils sont négligents mais quand même pas à ce point. La fenêtre emmène toujours ici et maintenant, et il n’y a aucun danger, sauf celui de rester coincé. Il suffit de rouvrir la fenêtre depuis la salle des transports du musée pour remédier à ce problème.
– Comment le sais-tu ?
– Je suis déjà venue sur Ligon, il y a deux ou trois ans, et j’ai visité le musée avec un membre de mon équipage, une Orionne relativement… peu prudente, qui est passée par la fenêtre, exactement comme ton capitaine. Mais au lieu d’agir illogiquement en la suivant, comme un certain Vulcain de ma connaissance, je suis allée chercher un des conservateurs du musée. Lorsque j’ai été bien assurée que Thémis ne courait aucun danger, j’ai refermé la fenêtre derrière elle.
– Tu as… refermé la fenêtre ? répéta Spock sans comprendre.
Il n’était pas certain de savoir ce qui lui semblait le plus incroyable dans ce récit : que sa sœur eût volontairement enfermé un membre de son équipage de l’autre côté d’une fenêtre quantique, ou bien qu’elle fît partie d’un équipage, tout simplement. Lucy vivait, semblait-il, une existence parfaitement indépendante dont il ne savait rien, dans un univers parallèle qui ressemblait trait pour trait au sien, mais dans lequel lui-même était mort. Cette idée lui donnait le tournis.
– J’ai refermé la fenêtre pendant un quart d’heure, précisa Lucy en réponse aux questions muettes de son frère. Pour bien faire comprendre à Thémis qu’il est parfaitement stupide de passer par une fenêtre quantique quand on ne sait pas ce qui vous attend de l’autre côté. Je prends très à cœur la sécurité de mon équipage et il m’arrive de prendre des mesures… disons peu sympathiques pour faire comprendre à certaines personnes un peu insouciantes qu’on ne peut pas faire n’importe quoi.
Spock ne retint qu’une chose de ce petit discours.
– Tu as… un équipage ? Tu es capitaine d’un vaisseau ?
– Non, nous n’avons pas de grade sur le Pacifique. Je n’appartiens pas à Starfleet, précisa Lucy avant que le Vulcain n’ait le temps de réagir en entendant le nom du vaisseau. Je m’occupe principalement de la stratégie et de la sécurité, mais il m’arrive aussi de piloter, d’effectuer des réparations et même un peu de programmation. Nous sommes peu nombreux, nous devons être multi-tâches. Nous avons beaucoup appris les uns des autres.
Spock acquiesça machinalement, incapable de faire le tri dans les sentiments qui l’envahissaient. Son cœur battait plus fort et plus vite qu’à l’ordinaire et il pouvait le sentir se comprimer douloureusement.
– Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda doucement sa sœur.
Il n’hésita pas un seul instant. Les mots ne demandaient qu’à sortir, parce que s’il les conservait à l’intérieur de lui, il le savait, il finirait par exploser.
– J’ai du mal à m’imaginer que tu as une vie, une vie réelle, en dehors de mon esprit. Que quelque part, dans un autre univers, tu es vraiment vivante. Que tu fais partie d’un équipage, que tu as une coéquipière orionne qui s’appelle Thémis. Que tu es déjà venue sur Ligon, que tu as visité le musée des Sciences Insolites. Tout ça me semble tellement… tellement irréel, tellement impossible. Et pourtant, j’ai envie d’y croire.
Lucy eut un petit geste entre tristesse et compréhension.
– J’ai eu plus de temps que toi pour y réfléchir. Je suis moins surprise par la situation puisque j’ai déjà formulé des hypothèses dont la moins farfelue est cette histoire d’univers parallèles. Après tout, j’en suis à ma soixante-septième vision.
– Vision ?
Le Vulcain avait l’impression d’être réduit, dans la conversation, à l’état de perroquet attardé, capable uniquement de répéter les derniers mots de son interlocutrice.
– Disons que c’est la soixante-septième fois que je suis… happée par ton esprit. Je ne crois pas que ça se produit à chaque fois que tu te trouves dans l’eau, mais ça n’est jamais arrivé dans d’autres circonstances.
– Qu’est-ce que tu entends exactement par l’expression « happée par mon esprit » ? parvint à demander Spock, qui commençaient à considérer ces révélations successives comme les marches d’un escalier infini.
– C’est un peu compliqué à expliquer. J’ai d’abord l’impression d’être plus ou moins plongée dans l’eau, au moment où tu y entres toi-même. Puis ma vision s’obscurcit, je ne ressens plus rien de mon environnement et c’est comme si je me trouvais dans ton esprit. Je vois ce que tu vois, j’entends ce que tu entends, et d’un seul coup je me retrouve dans un de nos souvenirs communs, qui, j’ai l’impression, t’est imposé par la situation dans laquelle tu te trouves. C’est une chose que nous avons vécue ensemble, mais je la vis comme si j’étais toi et pas moi. C’est une sensation très étrange. Lorsque tu finis par sortir de l’eau, je reviens à moi. Mes amis m’ont expliqué que j’étais comme en transe. Pas endormie, ni dans le coma. J’ai les yeux ouverts mais je ne vois rien. Je suis incapable de bouger mais je ne tombe pas à terre, je me fige dans la position qui était la mienne au moment où tu es entré dans l’eau. Avec le temps, j’ai appris à anticiper un peu mes visions. J’ai quelques secondes avant de me retrouver dans ta peau, le temps de m’asseoir, de m’allonger ou de m’isoler.
– Mais ça peut t’arriver n’importe quand ? s’exclama Spock, laissant malgré lui paraître son trouble.
Lucy haussa les épaules dans une tentative relativement peu réussie pour dédramatiser la situation.
– Oui, mais j’ai appris à faire avec. Mes coéquipiers m’aident. Au fil des ans, nous avons établi une sorte de protocole. Dès que je leur dis « Je peux pas, j’ai piscine », ils savent que je vais être hors circuit pendant un temps indéterminé et ils agissent en conséquence. Là, par exemple, nous étions en pleine enquête sur un trafic d’esclaves, en train d’interroger des victimes et des témoins. Ils ont eu le temps de détourner l’attention et de me faire asseoir sur une chaise. Païsha doit être à côté de moi en train de s’assurer que tout se passe bien pendant que Thémis et Fred continuent à recueillir des informations. Ce n’est pas une situation dangereuse, juste étrange pour ceux qui ne me connaissent pas.
– Mais ça pourrait t’arriver dans une situation dangereuse ? insista le premier officier.
La jeune humaine parut quelque peu gênée.
– Oui, ça pourrait.
– Ça t’est déjà arrivé.
Il ne s’agissait pas d’une question, mais d’une affirmation. Spock pouvait clairement voir, bien plus clairement qu’au temps de leur enfance à présent lointaine, que sa sœur s’apprêtait à mentir pour le protéger.
– Oui, soupira-t-elle, abandonnant le mensonge, ça m’est déjà arrivé. A deux reprises. Mais mes amis ont parfaitement géré la situation. Tout s’est bien terminé.
– Ce qui signifie que tout aurait pu se terminer très mal.
Spock essayait sans y parvenir de garder ses émotions sous contrôle. Si tout ce que prétendait sa sœur était vrai, aussi invraisemblable que cela paraisse, alors il représentait un véritable danger pour elle. Comment pouvait-elle vivre avec cette épée de Damoclès en permanence suspendue au-dessus de sa tête, la conscience qu’à tout instant un contact non désiré et totalement incontrôlable avec un univers parallèle pouvait paralyser son corps et entraîner son esprit loin de la réalité ? Comment arrivait-elle à…
– Spock.
La voix de Lucy, non pas froide ni sèche ni tranchante, mais solide et vivante, interrompit le tourbillon de ses pensées.
– Spock, je vis très bien comme ça. Ce n’est pas un problème. Je suis très heureuse de te voir, d’avoir accès à cette petite fenêtre qui donne sur ta vie, même si des fois j’ai eu peur pour toi. Pour rien au monde je ne voudrais renoncer à ça, surtout depuis que nous pouvons communiquer réellement.
Le Vulcain voulut protester, mais aucun son ne sortit de sa gorge, et il se rendit compte que lui non plus ne voulait pour rien au monde renoncer à cette espèce de fenêtre quantique ouverte bien malgré lui dans son esprit. Lucy sourit.
– Nous sommes peut-être aussi stupides que Thémis ou ton capitaine, en fin de compte. Il n’y a pas de gardien des univers parallèles qui vérifie tous les soirs que tout va bien et que personne n’est resté coincé de l’autre côté.
– Nous pouvons être nos propres gardiens, suggéra Spock, stupéfait de sa propre audace. Lorsque tu commences à sentir une vision qui arrive, tu peux peut-être essayer de penser très fort à ce qui se passe de ton côté – de me dire si c’est le bon moment ou non pour qu’on communique. Et moi, je peux essayer d’utiliser mes boucliers pour atténuer la violence du choc que tu ressens, mettre à distance ce que je perçois pour que tu ne le reçoives pas de plein fouet.
Il y eut comme un rayon de soleil sur le visage de Lucy, une sorte de lumière éblouissante qui rayonnait dans l’esprit du Vulcain, le brûlait, le consumait. Son cœur manqua un battement.
– C’est trop pour toi, non ? murmura la jeune humaine.
– J’ai besoin de méditer, de réfléchir, répondit Spock.
Il aurait voulu ajouter qu’il regrettait de la quitter, mais ainsi que le disait sa sœur, c’était… trop.
– Je comprends. Nous reparlerons. Ne t’en fais pas pour ça. Et puis nous devons rejoindre notre équipage respectif.
Spock acquiesça.
– Au revoir, Lucy.
– A bientôt.
Il ouvrit les yeux. Sa troisième paupière passa un bref instant devant ses pupilles pour les protéger des rayons du soleil. Il se leva, ruisselant d’eau, et se retourna vers Leonard et Jim.
– Alors ? s’enquit ce dernier.
– Alors nous n’avons pas suffisamment réfléchi, répondit Spock en tentant désespérément de calmer les battements de son cœur.
[1] Rendons à César ce qui appartient à César, et à Terry Pratchett ce qui appartient à Terry Pratchett : cette fenêtre se trouve sur le Disque-Monde dans l'Université de l'Invisible, plus précisément dans une salle de bains construite par Bougre de Sagouin Jeanson (Le dernier continent). J'ai voulu la réutiliser parce que je trouvais le concept marrant.
[2] C'est ce que Spock dit à McCoy juste après avoir balancé Kirk sur Delta Vega dans le reboot de 2008...
[3] Voir le chapitre n°3 de cette fanfic. (Oui, je sais, je fais de l'auto-pub.)
[4] Voir le chapitre n°9 de cette histoire. Pour résumer, Lucy est apparemment vivante dans un univers parallèle, dans lequel c'est Spock et non elle qui est mort. Lorsque Spock entre en contact avec l'eau, Lucy est comme "happée" par son esprit et aspirée dans le souvenir qui s'impose à son frère. Elle a déjà tenté de communiquer avec lui dans les chapitres précédents, avec un succès mitigé.