We are the dusty men
Ce texte participe au défi du forum "Il était une fois dans l'Ouest" (avril-mai 2020) C'est un gros one-shot que j'ai coupé en deux.
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WE ARE THE DUSTY MEN
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Une fanfiction Star Trek TOS par OldGirl-NoraArlani
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Like an old time song
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Balayée par un petit souffle paresseux, la balle folâtre d'un buisson sec tournoya et rebondit sur le panneau branlant planté à l'entrée de la ville. Le soleil tapait comme un sourd sur l'assemblée houleuse des citadins. Ameutés face à l'échoppe du maréchal-ferrant, ils n'en restaient pas moins là, avides de spectacle et de sang. Leurs piétinements soulevaient un mélange de sable et de poussière qui blanchissait les souliers et le bas des robes. A lui seul, le fait aurait justifié le port d'un masque de fortune fait d'un mouchoir noué.
Parce qu'il avait été élevé sur Vulcain dont les conditions climatiques étaient similaires – si ce n'était pires – le commandeur Spock restait stoïque, malgré la situation et sa perruque noire de travers. Quand le cheval sur lequel il était juché piétina en bronchant, la corde passée autour de son cou se tendit dangereusement…
Comme si c'était le signal attendu, les clameurs impatientes retentirent toutes en même temps. Elles crevèrent soudain l'air, comme un orage à l'imminence interminable énerve les bêtes, les hommes et les moustiques.
— A mort le démon ! A mort ! Pendez-le ! A mort l'Indien ! Qu'il paie ! Qu'est-ce que vous attendez shérif ?
Le shérif Derringer avait l'épaule appuyée contre le mur du saloon déserté par sa clientèle. Quand il releva le bord de son chapeau blanc, un trait de soleil éclaboussa ses yeux verts enchâssés dans un visage hâlé qui aurait mérité un bon coup de rasoir. Détournant la tête, il visa le crachoir sans le rater et puis briqua son insigne de la manche avant de descendre deux marches. Ses pas lents s'accompagnaient d'un tintinnabulement d'éperons et des murmures compacts de la foule. Il s'approcha de la potence de fortune adossée à la grange où officiait l'artisan.
Le shérif ne faisait confiance à personne d'autre qu'à sa famille pour faire appliquer la justice dans cette ville. C'était pourquoi son frère lui servait d'Adjoint. Le jeune homme chevelu était campé devant la prison avec pour mission de surveiller toute manœuvre suspecte. Par pur effet dramatique plutôt que par précaution, il se redressa de toute sa taille et sortit le colt de son ceinturon pour en désenclencher ostensiblement la sécurité. Mais à la vérité, personne de sensé n'aurait songé à contester l'autorité des frères Derringer.
— Alors « l'Indien », lança le shérif dans une version bâtarde du standard, tu ne veux toujours pas me dire quel genre de démon tu es ?
Pour inciter Spock à desserrer les dents, le shérif appuya le bout du canon de son fusil contre son côté gauche poissé d'un irréfutable sang vert. Le « démon indien » leva dignement la tête et fit lentement non, pensant qu'il n'était plus temps de manifester son humour trop rare avec un « Enterprise, un à téléporter ». Il regrettait de devoir le penser, mais pour une fois, la logique de la Directive Première lui laissait comme un goût acre au fond de la gorge.
Derringer inclina la tête pour montrer qu'il respectait son choix, puis il fit claquer sa main sur la croupe du mustang pie pour en finir avec le démon taciturne.
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Année 2267, Enterprise, quelque part dans le Quadrant Alpha – Jour J-2
— Salle des machines au capitaine !
L'intéressé sursauta, surpris par le réglage sonore un peu excessif de l'intercom. Le regard qu'il jeta au lieutenant Uhura signifiait peu ou prou « Est-ce que vous pouvez voir ce qui se passe avec le système de communication du vaisseau ? ». Elle opina en retirant son kit oreillette avec une grimace.
— Ici Kirk.
— Désolé de vous déranger, capitaine, tonitrua Scotty, mais… on n'a plus de dilithium !
Bizarrement, Kirk ne songea même pas à une mauvaise blague : ce n'était pas trop le genre de son ingénieur. Il décroisa les jambes et masqua un hoquet stupéfait en toussant dans son coude. Malgré lui, il chercha silencieusement un peu de soutien auprès de son Premier Officier. « Est-ce que j'ai bien compris ce que je viens d'entendre ? » car en matière d'oreille, Spock était une référence.
Seule concession à un véritable étonnement, l'intéressé haussa un sourcil incliné d'un millimètre virgule deux plus haut que d'habitude, mais il confirma aimablement de sa voix grave au ton égal :
— Il faut se réapprovisionner au plus vite. Sans vitesse de distorsion, nous résisterions très mal à une éventuelle seconde attaque.
— Oui, je m'en doute, mais ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus ! Scotty, dites-moi qu'on a au moins l'impulsion ! Je croyais que nos avaries étaient mineures ?
— OUI, CAPITAINE ! Le vaisseau sera vite en état et nous avons de quoi naviguer au pas. Mais il y a quelque chose de pas normal, la zone de chargement était pleine de containers hier, je l'ai constaté de mes yeux.
— Soit, retournez aux réparations, nous allons enquêter. Kirk terminé.
Plein de perplexité, il fit pivoter son fauteuil, espérant la moindre miette de spéculation de la part de son second – tout en sachant pertinemment que ce dernier se retrancherait derrière ses habituels garde-fous. Les données sont insuffisantes pour se livrer à une opération aussi hasardeuse que…
— Je pense que c'est arrivé pendant la dernière escarmouche avec les Romuliens, capitaine. C'est l'explication la plus plausible, même si on ne saurait trop…
Au temps pour son flair et sa très grande connaissance d'un membre d'équipage qu'il considérait comme un ami...
— Oui oui, monsieur Spock, revenez en arrière s'il vous plaît. Comment diable auraient-ils procédé ? Nous les avons eus tout le temps sous notre feu et ils ont subi des dommages importants : aux moteurs, à la coque, leur armement a été désactivé par nos torpilles…
Mal à l'aise, et fâché de l'être, Spock se raidit davantage. Aux yeux des Terriens, il savait bien de quoi aurait l'air un Vulcain soupçonnant un Romulien de quoi que ce soit… Il essaya donc de conserver un ton spécialement neutre, tout en considérant le plafond pour laisser entendre qu'il réfléchissait (alors qu'il se passait très bien dudit plafond pour cela).
— Et bien, il y a quelques temps, nous sommes tombés sur leur projet de système d'occultation. [1] Un avantage tactique considérable auquel je les voyais mal renoncer. Il est raisonnable de penser que celui que nous avons subtilisé, n'ait pas été le seul prototype. Si le premier Oiseau-de-Proie qui nous a attaqués servait de leurre, un second pouvait se trouver là, invisible à nos senseurs, et capable de nous dérober le dilithium en le téléportant. Nous étions trop occupés à riposter et l'information nous aura échappé. Si vous le voulez bien, je vais m'en assurer tout de suite en consultant les journaux de bord.
— Mh-hum, ponctua Kirk le menton posé sur le poing. C'est ce qu'on appelle un échange de bons procédés, j'imagine…
A la suite de sa déclaration, un silence épais tomba sur la passerelle. Même les instruments bipaient moins fort... L'équipage présent était tourné vers lui, dans l'attente d'une décision juste et éclairée, comme le meilleur capitaine de la flotte en avait toujours le secret. Inspiré, il se leva et tira sur le haut jaune de son uniforme.
— Lieutenant Uhura, prévenez Starfleet sur une fréquence subspatiale sécurisée. Monsieur Spock, dès que possible, cherchez si un système planétaire, accessible en l'état de nos moteurs, comporterait une planète pourvue de cette ressource. Peu importe qu'elle soit habitable ou pas. Ensuite, vous irez à l'infirmerie. Monsieur Sulu, dès que vous aurez reçu des coordonnées, calculez une trajectoire. Je descends en salle de chargement avec une équipe de sécurité.
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Enterprise – Jour J -1
Planté dans son infirmerie entièrement désinfectée au gel hydroalcoolique, une moue réprobatrice aux lèvres et des poches profondes sous ses yeux globuleux, le docteur McCoy brandit deux hyposprays menaçants. Vif comme un crotale, il en injecta le contenu dans les cous respectifs des deux futurs infiltrés – avec un petit bruit de pompe hydraulique étrangement similaire à celui de l'ouverture des portes. Il préférait leur administrer une dose à large spectre, censée les protéger au mieux de maladies répertoriées. Son expérience lui criait pourtant que c'était inutile car il était assez maudit pour tomber sur des virus inconnus à chaque nouvel atterrissage... Un jour, il rêvait de recevoir le Nobel pour avoir découvert les mutations successives des Covid-857 à 862.
— Vous êtes sûr que vous voulez y aller, monsieur Scott ? insistait Kirk, déçu de ne pas pouvoir se dégourdir les jambes sur la planète et y accomplir sa mission d'exploration de nouveaux mondes étranges.
— Évidemment capitaine ! Je ne voudrais pas qu'on nous refourgue de la camelote ! Et sauf votre respect, je crois que le commandeur et moi sommes les plus qualifiés pour examiner le taux de pureté du minéral et sa compatibilité avec nos moteurs...
Frustré, Kirk s'empressa d'acquiescer. Comment diable allait-il enfreindre le protocole des visites à terre, si les autres n'y mettaient pas un peu du leur ?
— …Sans parler de la Directive Première limitant au strict minimum les contacts avec un monde pré-distorsion, ajouta Spock avec une insoupçonnable ironie.
— Ah, ça, « pré-distorsion » n'est pas un vain mot, râla McCoy les bras croisés sur sa blouse bleue. Vous avez pris la peine de jeter un œil aux données recueillies ? C'est même pré-pénicilline ! Je ne serais pas surpris que l'on retrouve le typhus, la peste et le choléra s'écharpant joyeusement pour la domination du premier point d'eau… Bon courage ! Pour rien au monde, je n'y mettrais les pieds !
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Oubliant déjà son dépit, un capitaine Kirk exubérant foulait d'un pas alerte les couloirs rouges et gris de l'Enterprise, aux côtés de son Premier Imperturbable.
— Spock, convenez que c'est quand même extraordinaire de trouver une planète dont les habitants sont à un stade de développement similaire à ceux des pionniers du Grand Ouest américain, vous ne trouvez pas ?…
— Capitaine ?
— Ah oui, j'oubliais ! Vous n'avez certainement pas joué aux cowboys et aux Indiens sur Vulcain… Non, c'est sûr. Pourquoi est-ce que je demande ?
Néanmoins guilleret, il le gratifia d'une grande claque envieuse sur l'épaule. Une attitude que ledit Vulcain tâchait d'ignorer depuis trois ans, cinq mois, sept jours, neuf heures et onze minutes... Pour tout dire, il se fichait un petit peu des treize secondes quinze centièmes, et un tel relâchement l'inquiétait au plus haut point.
— ...et bien vous allez pouvoir commencer ! Venez, on va vous trouver une tenue adéquate !
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Plus rouge encore que son uniforme habituel, le lieutenant Scott inspira fort et rentra le ventre. Depuis cinq minutes, il désespérait de parvenir à fermer correctement son pantalon de toile beige pourvu d'une ceinture à boutons rétive.
— Plus grand, vous n'avez pas ? J'ai repris deux fois du haggis hier soir… Vous êtes sûr que je ne peux pas y aller en kilt ?
— Certain. Infirmière, vous avez un autre pantalon pour monsieur Scott ?
— Je vais voir. Voici déjà deux paires de bottes…
L'Infirmière en chef Chapel se demandait encore pourquoi, avec son grade, c'était toujours à elle de s'occuper des essayages de missions incognito, alors qu'il y avait des enseignes qui auraient été ravies de s'occuper de cela à sa place... Mais aujourd'hui, elle ne s'en plaignait pas trop car...
— Alors Spock, vous êtes prêt ? appela Kirk en ne le voyant pas revenir.
Pieds nus, le Vulcain émergea d'un paravent, une expression lugubre peinte sur la figure. Il portait un pectoral, un pantalon à franges abandonné par une troupe de hippies et une perruque. Cette dernière était composée de deux nattes et d'une plume ridicule passée dans un bandeau.
— Existe-t-il un autre style ?
— Mais c'est parfait ! protesta Kirk. La coiffure est idéale, elle masque vos oreilles. Mais il vous manque une tunique… Miss Chapel, le haut du costume de monsieur Spock, peut-être ?
Christine dissimula un sourire fugitif en se retournant vers le dressing. Un oubli, vraiment ? L'occasion de voir le commandeur torse nu ne se présentait jamais, même à l'infirmerie car le Dr McCoy veillait jalousement sur son patient, en ne laissant personne l'approcher.
— Capitaine, ces bottes sont trop petites, observa le Premier Indien du bord.
Mains sur ses hanches bien à l'aise dans son pantalon d'uniforme noir, son supérieur opina avec une moue compatissante et une profonde malice.
— Ah oui, les bottes, c'est toujours un problème… [2] Désolé, mais on n'a que celles-là, il faut dire que de ce côté, vous êtes bien pourvu…
Christine manqua de s'étrangler et toussa dans son poing pour masquer son hilarité.
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D'ordinaire, le téléporteur était manipulé par Scotty lui-même, mais pour des raisons évidentes, il avait confié à son meilleur assistant la manœuvre délicate consistant à pousser verticalement deux leviers en même temps. Un geste technique nécessitant le coup de main.
— Si je puis me permettre une remarque, capitaine, nous serons sans moyen de vous contacter. L'analyseur sera déjà presque impossible à utiliser sans qu'il n'attire l'attention. Nous ne pouvons emporter nos phaseurs…
— Je suis conscient des risques. Gardez tout de même vos communicateurs. Cachez-les dans vos bottes ou dans une blague à tabac… Mais sans nouvelles de votre part dans les douze heures, nous viendrons vous chercher. Je suppose qu'il est inutile de rappeler à un fin connaisseur de la Directive Première de ne surtout pas vous faire remarquer…
— Bien sûr capitaine, intervint le chef ingénieur. Nous trouvons la zone riche en dilithium, nous l'analysons et vous communiquons les résultats. S'ils sont positifs, on procède à l'extraction de nuit. C'est simple comme bonjour. Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ?
L'Indien et le ranchero grimpèrent chacun sur un plot de téléportation derrière la console, l'enseigne poussa ses deux leviers avec application et le sentiment du travail bien fait.
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Danse dans la poussière dense
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Les deux hommes se rematérialisèrent dans un champ à l'herbe sèche vraisemblablement pas irriguée depuis longtemps. Derrière eux, s'étalait une vaste étendue rugueuse, que n'importe quel Terrien aurait jugée inhospitalière. Comme ils étaient seuls, Spock sortit donc son scanner à main pour ausculter les environs. La machine bipa sur deux modulations pour montrer qu'elle faisait quelque chose.
— Il y a bien un gisement intéressant, déclara-t-il. Mais il est de l'autre côté des baraquements que l'on distingue là-bas. Je crains qu'il n'y ait qu'une seule route praticable, il va falloir traverser…
Éternel optimiste, Montgomery Scott opina et détacha son foulard à grands carreaux pour s'éponger le front avec.
— Je ne sais pas vous, commandeur, mais j'ai l'impression qu'il fait plus chaud qu'à côté du réacteur, non ?
Essentiellement taciturne, Spock n'ajouta rien. Et dans le plein cagnard d'un bel après-midi, deux silhouettes à pied évoquant vaguement Don Quichotte et Sancho Panza, se mirent en route sans plus tarder.
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Cinq virgule huit kilomètres plus tard, monsieur Scott réclama une courte pause pour boire une gorgée d'eau (allongée d'un trait de whisky). Le lieutenant s'appuyait sur une pancarte de bois annonçant « Bienvenue à Dusty Town, New Texas - 221 âmes ». Ce chiffre avait été rectifié d'une croix au charbon pour indiquer « 217 ». Spock se surprit à surimprimer la voix du docteur arguant que c'était peut-être en raison d'un règlement de compte entre la peste et le choléra...
Tourné vers l'horizon pour estimer l'heure par la hauteur du soleil, Spock vit arriver un cavalier pressé qui se ruait vers la ville, en cravachant sans pitié une pauvre bête écumante. Les deux spationautes s'écartèrent vivement pour lui livrer passage, toussant dans la poussière soulevée sur le chemin par ce galop effréné. Lorsqu'il passa à leur hauteur, le coursier du New Pony Express leur jeta un regard haineux sans pour autant s'arrêter. Haussant les épaules, Scotty s'éventa quelques secondes avec son chapeau et s'éclaircit la gorge une dernière fois, pestant que la ville n'avait pas volé son nom.
Dans la rue principale où ils débouchèrent, des badauds allaient et venaient à pied, en carriole ou à cheval. Le cavalier malpoli venait de sauter à bas de sa monture et criait à qui voulait l'entendre :
— La diligence de Big Spring a été attaquée ! La diligence a été attaquée !
— Chienlit ! Foutus bandits ou maudits chiens d'Indiens ?
— Heu, j'sais po, je rev'nais de Greenwood et j'l'ai trouvée versée sur l'côté. Y a des blessés. Une femme aussi, j'espère qu'c'est pas la nouvelle institutrice Clayton. Quand j'ai vu ça, j'y 'eur ai dit qu'j'allais chercher des s'cours. Eul barbier est là ? [3]
A la nouvelle, environ dix hommes armés avaient soudain jailli de nulle part (mais plus probablement du saloon). A grand renforts de cliquetis de rênes, d'éperons et de hennissements, tous montèrent en selle immédiatement, motivant leurs montures de la voix et de coups de talon dans les flancs.
Pourtant pressés de quitter cette rue trop fréquentée, nos visiteurs tâchèrent de ne marcher ni trop vite, ni trop lentement, et sans dévisager personne. Et ce plan aurait pu fonctionner à merveille… si le sol ne s'était pas mis à trembler. Dans un bruit de tonnerre, une nouvelle chevauchée s'annonçait à l'autre entrée de la ville. Plus nombreux, ces cavaliers montés sur des bêtes multicolores, nantis d'arcs, de lances et de haches poussaient des cris que monsieur Scott trouva « de mauvais augure ».
Le bon sens de Spock plutôt que sa logique, lui soufflait qu'à condition d'être à l'écart, une mêlée avait ses mérites car personne ne faisait réellement attention à vous. Point sur lequel il était donc d'accord avec les Romuliens, puisque c'était bien là l'essence de leur plan... Mais ceci ne valait que si l'on évitait de se prendre une flèche, une balle perdue, ou les deux. Spock tituba en sentant trois impacts l'atteindre. A quatre pattes, l'ingénieur revint pour l'écarter de la zone de chaos, laissant cowboys et Indiens tirailler à tout va avec leurs armes respectives.
— Monsieur Scott, prenez l'analyseur et laissez-moi patienter ici. Si je bouge, je vais perdre davantage de sang…
— Vous êtes sûr ?
— Oui, personne ne fera attention si je reste hors de vue. Nous avons un besoin absolu du dilithium.
Et à la seconde où le lieutenant fut parti, Spock fut pris d'un étourdissement. En lisière de sa conscience fuyante rampait l'idée insignifiante que la flèche empennée reçue entre ses côtes portait peut-être du poison. Surak soit loué, sa robuste constitution de Vulcain le prémuniss... ...ontr... c… genre d...
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Dusty Town – Jour J
Armée d'une fourche prudente, la jeune fermière au visage serti d'un bonnet froncé s'approcha de l'Indien immobile, tombé à plat ventre près de sa charrette. Ses yeux candides et sa tendre petite bouche ourlée s'arrondirent en le voyant. Du bout de sa fourche, elle donna un petit coup dans sa jambe, pour voir s'il était mort. Il avait surement volé ses bottes car il ne portait pas de mocassins... S'enhardissant un peu, elle utilisa l'incurvé de son outil pour tâcher de le retourner. Alors, elle vit son scalp rouler au sol en révélant des oreilles sataniques, des plaies qui suintaient un liquide visqueux tout vert. Frappée d'une irrépressible frayeur, elle s'époumona avec la vigueur d'une banshee :
— A l'aide ! Shérif ! Pasteur ! Venez vite ! Un démooooon !
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I play to get along
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Enterprise, à peu près une heure plus tard…
Avant de regagner la salle du téléporteur, Kirk avait fait prévenir le docteur McCoy. Par instinct, il supposait que le message laconique et tendu de Scotty, si peu de temps après leur départ, ne pouvait pas apporter de bonne nouvelle…
— Bonne nouvelle, capitaine ! claironna l'optimisme indéboulonnable de l'ingénieur. Les analyses sur le dilithium montrent que le minéral sera suffisant pour notre usage, même si nous devons le raffiner nous-mêmes par petites quantités !
— Vous m'en voyez ravi. Mais si vous me permettez de demander... où est monsieur Spock ?
— Ah, ça c'est la mauvaise nouvelle. Il y a eu une attaque. Moi je n'ai rien car Spock s'est interposé mais il a pris une balle et au moins deux flèches. Il m'a demandé de le laisser dans un endroit abrité. Juste le temps que je fasse l'analyse et vous recontacte. Son costume ne devait pas être pas une bonne idée. Ces villageois n'ont pas l'air d'aimer beaucoup les Indiens.
— Oh ? Comme c'est étonnant ! s'acidifia MacCoy en passant un minuscule scanner médical autour de la tête du chef machiniste.
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Kirk convoqua tous les officiers supérieurs restants en salle de briefing. Resté debout, il posa ses mains à plat sur le plateau elliptique de la table de conférence, parce que l'heure était grave. Spock isolé et blessé serait probablement en grand danger si quiconque essayait de le soigner.
— Voici la situation. La planète comporte du dilithium exploitable en quantité raisonnable. Nous en téléporterons dès la nuit tombée, en nous tenant en orbite basse. Mais cette information a eu un coût. Spock a essuyé des tirs et il est blessé. En pleine ville, l'usage du téléporteur est contre-indiqué sauf si cela peut se faire très discrètement. Nos senseurs indiquent qu'il n'est plus à l'endroit où Scotty l'a laissé, mais un peu plus loin, entouré de quatre personnes immobiles dans son périmètre immédiat. Nous allons donc devoir le tirer de là par un autre moyen. J'y ai réfléchi et il me faut un ou deux volontaires pour m'accompagner sur place. Vous Bones, vous êtes désigné d'office.
La mine courroucée McCoy ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Se faire embobeliner pour sauver cette face de gobelin (alors qu'il avait dit qu'il ne mettrait pas les pieds là-bas) lui restait un peu en travers de la gorge.
— Comment pourrions-nous nous rendre utiles, capitaine ? questionna Sulu.
— Et bien, il faudrait que McCoy arrive peu avant nous par diligence, en qualité de médecin de campagne…
— Ah bah, de mieux en mieux ! protesta l'intéressé.
— Je pensais me faire passer pour un marshal venu récupérer un chef indien en fuite pour avoir… rompu des accords territoriaux quelconques. Un grand classique parmi les confédérés d'hier et d'aujourd'hui, les problèmes de frontière, s'amusa-t-il tout seul. Mais pour donner plus de crédibilité à mon personnage, je crois que l'arrivée simultanée d'un ou deux chasseurs de primes aiderait à renforcer ma couverture.
Le « médecin de campagne » retrouva aussitôt une meilleure humeur.
— Quoi ? Vous avez l'intention de grimper sur un canasson ?
— Oui, pourquoi ?...
— Pour rien... Et est-ce qu'il y en a parmi vous, qui savent vraiment monter à cheval ?
Sulu leva aussitôt la main.
— Je suis un escrimeur et un cavalier émérite. Toutefois, faute de données à télécharger sur cette planète, j'ignore si la population locale de ce continent aura déjà vu un asiatique.
— Vous soulevez un point important, monsieur Sulu. Bones, pensez-vous que vous puissiez le rendre plus… Mexicain ? Si vous avez réussi à me transformer en Romulien, j'ai confiance... [4]
— En ce qui concerne Sulu, oui. Mais il me sera difficile de gommer la jeunesse et le petit gabarit de l'enseigne Chekov. Et sans vouloir l'offenser, la cosmétique ne peut rien contre son accent non plus…
Convaincu par cet argument, le capitaine acquiesça pensivement. Avec un regard réconfortant pour le jeune navigateur, il se frotta les mains avant de se retourner vers Christine Chapel et Nyota Uhura.
— Donc mesdames, laquelle d'entre vous aimerait jouer les chasseuses de primes ?
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Dusty Town, onze heures et sept minutes, après le briefing.
Le communicateur de Kirk se mit à pépier pour signaler un appel et le cheval donna une ruade capricieuse qui fit craquer le bois de la barrière. Se contorsionnant pour ne pas lâcher les rênes, ou se faire éjecter, le capitaine attrapa le petit objet plat tombé un peu bas dans sa botte (trop grande).
En tant qu'officier supérieur, troisième dans la chaîne de commande, Scotty avait pris le relais pour diriger la passerelle et c'est son accent écossais qui se fit entendre.
— Capitaine, vous pouvez parler ? Tout va bien ?
— Oui, allez-y.
— Capitaine, nos compas nous indiquent que vous n'allez pas dans la bonne direction, il y a un problème ?
— Non... enfin c'est à dire... Cet animal indiscipliné n'obéit à aucune injonction... Mais ne vous en faites pas, je vais y arriver.
Le lieutenant Scott afficha une moue amusée mais se contenta d'un « Enterprise, terminé » – ce dont Kirk lui sut infiniment gré. Il devait se rendre à l'évidence. Qu'on lui mette une navette ou un vaisseau entre les mains, et il savait quoi en faire. Mais tout autre moyen de locomotion en faisait clairement un danger public. [5]
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Il se retint de sourire en poussant enfin les courtes portes battantes du saloon. Celles-ci couinèrent tandis qu'il pénétrait à l'intérieur d'une salle enfumée à la luminosité basse. Derrière le bar, un gros costaud en tablier s'affairait sans lever les yeux. Assis à des petites tables rondes pour boire, trafiquer ou bien jouer aux cartes, des clients emboucanés se turent brusquement. Une vingtaine têtes se dévissèrent pour le fixer – les unes avec suspicion, les autres avec curiosité, et l'une d'elle avec un intérêt plus appuyé.
Il fallait dire que son costume détonnait par sa relative élégance et le choix téméraire du noir dans un environnement aussi salissant. A part la chemise claire portée sous un gilet échancré, stetson, veste mi-longue cintrée, pantalon et bottes, tout était noir... Jusqu'au ceinturon dont le holster positionné de façon très inhabituelle : non pas le long de la cuisse, mais croisé sur le devant au niveau de la hanche. L'arme à canon long n'avait ni le poids ni la prise en main d'un phaseur ordinaire et il espérait qu'il n'aurait pas à s'en servir.
Si tout le monde le détaillait méchamment des pieds à la tête, quelqu'un assis près de la fenêtre le faisait avec plus d'amabilité. L'individu calait une botte usée nonchalamment sur l'assise d'une chaise vacante. Ni ses yeux délavés, étrécis sous un chapeau brun à l'agonie, ni le bas du visage caché par un foulard raidi de crasse ne livraient rien. Pas plus que le reste de son corps empaqueté dans un poncho miteux particulièrement... dégueulasse. Pourtant bien élevé, Jim ne trouvait pas en la circonstance de qualificatif plus approprié. Le clin d'œil qu'il reçut pourtant était rien moins que... séducteur ?
Histoire d'arrêter de se laisser troubler par un cowboy juvénile et trop d'années d'abstinence forcée, il se dirigea vers le comptoir en cherchant des yeux une bonne âme plus disposée à le renseigner sur les nouvelles, et accessoirement sur les derniers prisonniers. Les signes vitaux de Spock incitaient à se bouger.
— Qu'est-che quej' vous sshers, bel étranzher ? zozota-t-on près de lui.
Prêt à dégainer deux rangées de dents blanches, Kirk tomba sur une serveuse revêche, maigre et édentée, chargée d'un plateau couvert de bocks à hauteur d'épaule. Par Apollon ! Où était donc l'archétype de la serveuse enjôleuse à la taille fine et aux appâts rebondis quand on en avait tellement besoin ?
— Ce que vous avez. C'est juste pour rincer le kilo de poussière avalé pour venir dans cette « charmante » bourgade, déclara-t-il d'un ton rogue.
La haridelle arthritique claqua devant lui un verre à la propreté discutable. Le liquide qu'elle y versa tangua mais resta à l'intérieur. Avec un hochement de tête pour tout remerciement, Kirk vida le verre d'un coup... et dut retenir les larmes de lui jaillir des yeux. Diantre. A côté de cet acide pur, la bière romulienne passait pour du pipi de chat [6]... ll se permit de tousser une fois avant d'éloigner le verre, inquiet de retrouver jamais le plein usage de ses cordes vocales.
L'armoire à glaces derrière le comptoir qui le toisait depuis cinq minutes, posa sa série de verres dans un casier et s'approcha de lui, le torchon à l'épaule et le poing à la taille.
— Vous auriez envie... d'autre chose ?
Le capitaine déglutit trouvant, dieu savait pourquoi, la formule un tantinet équivoque. Il était en train de se morigéner quand la main du barman effleura la sienne en retirant le verre de tord-boyaux. Jim cessa de sourire, d'abord parce que c'était dans son rôle, ensuite parce qu'il venait de réaliser non sans sueurs froides, qu'aujourd'hui le rôle de la bonne fille conquise et toute disposée à répondre très gentiment à ses questions serait tenu par... un catcheur de trois cent livres. [7]
— Oui. Faut que je voie le shérif.
A ces mots, l'atmosphère déjà glaciale du saloon baissa de quelques degrés supplémentaires. Pourtant aucun cowboy irascible n'eut le temps de se lever brusquement en faisant tomber sa chaise car les portes du saloon claquèrent à nouveau. Un petit homme brun et noueux, bardé de cartouchières avec deux colts à la taille, faisait une entrée fracassante.
Dieu savait que Kirk attendait une diversion pour pouvoir quitter les lieux, mais le jeune Casanova près de la fenêtre s'en mêla :
— Suarez ? Dégage d'ici ! J'te l'ai déjà dit et j'aime pas me répéter : premier arrivé, premier servi. Le prisonnier est à moi.
— Dans tes rêves !
La silhouette au poncho crado avait bondi pour attaquer à la vitesse d'une vipère énervée. En trois pas, elle fut sur le dénommé Suarez qu'elle repoussa d'un coup de talon dans l'estomac et il refranchit les portes du saloon en sens inverse. Malgré cette superbe cascade, pas un client n'eut un regard pour le Mexicain qui venait de finir les fesses dans la gadoue.
— Tu m'entends, Earp ? C'est loin d'être fini ! Je vais voir le shérif ! menaça le pistolero entre deux grincements de gonds désobligeants.
— Va donc... Tu rigoleras moins quand il te pincera pour corruption !...
Durant cette brève altercation, le poncho soupe-au-lait en avait perdu son chapeau… révélant ainsi une blondeur soyeuse, aussi insolente qu'incongrue.
De la pointe de sa botte, la donzelle inattendue souleva son chapeau d'une pirouette avant de le revisser sur sa tête. Poing sur la hanche pour révéler son propre ceinturon décoré, elle lança avec un sourire en coin :
— Marshal Van Cleef, si je m'attendais ! [8]
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(à suivre)
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Notes de l'auteur
Le titre et les intertitres sont tirés de « Dusty Men » chanté par Saule, en collaboration bilingue avec Charlie Winston.
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[1] Saison 3, épisode 4 : The Enterprise incident / Le traître
[2] Référence directe à l'épisode 21 (saison 2) « Patterns of Force » VF Fraternitaire
[3] Jusqu'au 18e siècle, les barbiers faisaient aussi office de chirurgiens. Leur périmètre a diminué avec l'avancée de la médecine. La série Docteur Quinn présente un reliquat de cette pratique perdurant encore un siècle plus tard.
[4] S3E4 : The Enterprise incident / Le traître.
[5] Réf. S2E17 A piece of the action / Une partie des actions
[6] Dans les différentes franchises Star Trek, tout breuvage de couleur bleue, bière romulienne ou liqueur andorienne, sont des alcools très forts.
[7] Un peu plus de 135 kg.
[8] La tenue de Kirk est la réplique de celle que porte Lee Van Cleef dans Et pour quelques dollars de plus, western assez mythique dont il partage l'affiche avec Clint. Eastwood.