Nuit d'hiver

Chapitre 1 : Nuit d'hiver

Chapitre final

2171 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/11/2019 22:26

Cette fanfiction participe au défi d'écriture : Blouse de la rentrée (septembre-octobre 2019). Les mots "à caser" sont en gras dans le texte.

L'histoire prend place pendant l'épisode "The city on the edge of forever" durant lequel Kirk et Spock, coincés dans les années 30 de la Terre, s'efforcent de réparer les changements commis dans le passé par le docteur McCoy afin de rétablir le futur tel qu'ils le connaissent, bref d'éviter un paradoxe temporel monstrueux... Pour cela, Spock construit une sorte d'ordinateur avec les moyens du bord (comme il le dit lui-même, "Je m'efforce de construire un circuit mnémonique avec des couteaux en pierre et des peaux d'ours") pendant que Jim travaille pour assurer leur subsistance.


Nuit d’hiver


Comme la nuit tombe vite !

Le jour, en cette saison,

Comme un voleur prend la fuite,

S’évade sous l’horizon. [1]


- Vous savez, Spock, il fut un temps où je pensais que vivre dans le passé devait être merveilleux.

Le Vulcain leva brièvement les yeux de son travail et fit à son interlocuteur signe qu’il l’écoutait, tout en se replongeant dans la difficile connexion, faute d’outils appropriés, de deux fils visiblement récalcitrants. Jim frissonna et couvrit ses épaules de la couverture râpée qui traînait sur son lit de fortune.

- Petit, je m’imaginais déjà vivant de formidables aventures à l’époque des mousquetaires. Un double-décimètre devenait facilement une épée, le balai de la cuisine me servait de cheval, et je galopais dans le jardin en me battant contre des branches basses et en criant « A moi, Richelieu ! »

- Le lieutenant Sulu a probablement eu, enfant, les mêmes lectures que vous [2], fit remarquer le premier officier, s’attirant de la part son supérieur un petit rire qui se mua vite en toux.

- Ensuite, j’ai eu ma période cow-boy. Mon frère s’étalait de la gouache rouge sur le visage pour faire l’Indien. Vous n’avez pas froid… ?

- Négatif.

Un aboiement se fit entendre, suivi du son mélancolique d’une flûte à bec, sur laquelle un voisin quelconque arpégeait son chagrin. Kirk renifla et regarda avec une certaine rancœur le poêle vide. Il lui avait fallu choisir, aujourd’hui, entre acheter du charbon ou trouver pour Spock des vêtements de protection. Il n’avait pas hésité longtemps. Le Vulcain, peu habitué aux outils grossiers qu’il utilisait pour construire la parodie d’ordinateur dont ils avaient besoin pour rétablir leur futur, s’était blessé à trois reprises la veille. Jim savait pertinemment que des gants et une pauvre blouse élimée n’étaient pas d’une bien grande aide, mais Spock avait accueilli le présent avec une gratitude rare chez lui.

- Vous disiez, capitaine ? demanda le premier officier en extrayant délicatement les quatre anneaux métalliques d’un gros classeur de bureau que Kirk avait acheté la veille.

- Je disais que les années 30 m’ont également fasciné, un peu plus tard. J’ai pas mal lu sur le sujet, regardé de nombreux films. Je comprends à présent à quel point j’étais stupide.

Spock leva un sourcil interrogateur signifiant qu’il avait du mal à saisir les intérêts de cette auto-mortification toute humaine. Jim clarifia :

- J’avais une vision extrêmement romantique de toutes ces époques. Je ne pensais ni à la pauvreté, ni au manque d’hygiène, ni aux conditions de vie, ni au froid, ni à rien de ce qui constituait la réalité quotidienne de millions de personnes.

Contre toute attente, au lieu de classer l’attitude de son capitaine dans la catégories des innombrables comportements « illogiques » propres aux humains, le Vulcain acquiesça pensivement.

- Vous avez connu ça, vous aussi ? s’étonna Jim.

Spock sembla hésiter, s’empara d’un fil, le reposa, resta quelques instants les yeux fixés sur le mur de brique.

- Avant de m’engager dans Starfleet, murmura-t-il, j’avais de la Terre, où je ne m’étais rendu qu’à deux reprises dans ma jeunesse, ce que vous appelez « une vision extrêmement romantique ».

- Je serais curieux de savoir ce qu’un Vulcain entend par « romantisme », ironisa le capitaine avec un nouveau reniflement.

Il tira de sa poche un mouchoir à grands carreaux rouges et beiges, qui avait connu des jours meilleurs, et y cueillit un éternuement qui emporta probablement au passage une partie de sa trachée. Non, ce n’était pas ainsi qu’il s’était imaginé la vie dans les années 30, mais la réalité, toujours soucieuse d’offrir généreusement aux hommes ses leçons aussi utiles qu’amères, lui rappelait son erreur depuis quatre jours, au prix d’un inconfort croissant. Il ferma les yeux, certain que son ami ne répondrait pas à une question aussi personnelle.

- Disons que ce que j’ai ressenti en arrivant sur Terre ressemblait probablement à ce que vous éprouvez en ce moment, finit par dire Spock tout en mesurant le plus précisément possible la longueur d’un circuit à l’aide d’une équerre de bois fendue en son milieu et légèrement tordue.

Jim ouvrit les paupières, étonné. Il était rare que le premier officier utilise des expressions aussi peu vulcaines que « j’ai ressenti ». Car, c'est bien connu, les Vulcains ne ressentent pas.

- Vous voulez dire que vous avec attrapé un rhume ? maugréa-t-il en se pelotonnant un peu plus (malheureusement peu efficacement) dans la couverture.

- Les Vulcains sont immunisés contre les infections virales. Mais le froid, il est vrai, m’a surpris. Etant venu sur Terre uniquement en été, j’en avais gardé le souvenir d’un climat doux et agréable. L’hiver que j’ai dû passer à Chicago pour une formation accélérée en xénolinguistique a grandement contribué à m’ôter les illusions que je pouvais me faire sur « l’éternel printemps » d’un continent dont la température moyenne est de 12,1°C.

Kirk rit de nouveau, amusé et légèrement touché par ce mélange d’informations nettes et précises et de petites touches personnelles que le premier officier s’autorisait rarement.

- J’imagine sans peine. Donc, pour vous, « romantique » signifie « ensoleillé » ?

De nouveau, Spock sembla hésiter.

- Pas seulement. J’avais également de grandes espérances concernant la neige.

L’emploi du mot « espérance » était tout aussi incongru dans la bouche du Vulcain. Il s’agissait du genre de détail que Jim remarquait avec plaisir, heureux que Spock se sente suffisamment en confiance avec lui pour lui laisser apercevoir, quelquefois, l’humain qui vivait en lui (« qui hibernait », disait parfois McCoy avec une certaine justesse).

- … Et ? interrogea le capitaine, qui se laissait prendre au jeu.

- Et la neige, à Chicago, s’est rapidement avérée beaucoup moins blanche et immaculée que dans les représentations mentales que j’avais pu m’en faire.

Kirk grimaça avec empathie. Il imaginait sans peine la déception face à la bouillasse grisâtre que devenaient rapidement les flocons foulés aux pieds par des milliers d’individus.

- Capitaine, enchaîna Spock, s’il vous est possible, demain, de vous procurer de la colle, d’une façon ou d’une autre… ?

Kirk regarda machinalement autour de lui et poussa un soupir dépité.

- Je cherche un PADD pour rajouter cela à la liste déjà conséquente que vous avez dressée tout au long de la soirée, mais nous n’avons même pas un stylo ici !

- Le stylo bille ne sera inventé qu’en 1938 [3], fit inutilement remarquer le premier officier.

Jim voulut répondre quelque chose, mais un double éternuement particulièrement désagréable lui fit oublier la remarque qu’il avait prévue. Spock leva brièvement les yeux et quelque chose comme de l’inquiétude passa dans son regard, mais ce ne fut qu’un éclair. Il reporta presque immédiatement son attention sur son travail.

Un arc électrique fusa soudain d’un des fils qu’il manipulait avec précaution et l’atteignit à la main gauche. Dans un réflexe, il recula sa chaise en se tenant le pouce.

- Spock !

Kirk bondit de son lit et se précipita vers son ami.

- Ce n’est rien, capitaine.

Bien évidemment, Jim ignora la remarque et ôta le gant acheté la veille, qui arborait à présent un trou de taille respectable.

- Bon sang, Spock, ce n’est pas « rien » !

Le Vulcain retira doucement sa main, où s’étalait une vilaine brûlure. Rien de grave, bien évidemment, mais rien de totalement anodin tout de même.

- Vous avez mal ?

- Négatif.

- Si au moins on avait une trousse de secours… marmonna Kirk. Si Bones était là, il dirait que nous sommes en plein Moyen Age.

- Une remarque parfaitement illogique caractéristique du docteur McCoy, déclara Spock avec une sécheresse qui n’était pas exempte d’un certain amusement.

Jim ne put s’empêcher de sourire.

- J’aimerais bien l’entendre le dire lui-même, fit-il doucement remarquer. Et si jamais on ne le retrouvait pas ?

L’idée lui avait traversé l’esprit, bien évidemment. A l’angoisse d’avoir atterri dans un passé qui lui échappait, au risque de voir disparaître son avenir, s’ajoutait la crainte de ne plus jamais revoir son ami.

- Capitaine, il est inutile de s’attarder sur ce qui pourrait être, et ne sera peut-être jamais. Vous semblez fatigué. Le plus raisonnable serait d’aller nous coucher, pour économiser de l’électricité.

Kirk hocha la tête sans répondre, sentant venir une nouvelle quinte de toux qu’il étouffa dans son mouchoir pendant que Spock, tout en fixant sur son capitaine un regard préoccupé, rangeait méticuleusement ses outils improvisés dans un vieux cartable de cuir rongé par les mites qu’ils avaient trouvée l’avant-veille au pied d’une poubelle.

Non, tout cela n’avait rien de romantique, ni même de vaguement exaltant. Jim s’en rappellerait la prochaine fois qu’il aurait des velléités de visiter le passé de sa propre planète. La tête lourde, il se rassit sur son lit, puis s’allongea, resserrant autour de lui les pans de la couverture et regrettant la couette molletonnée qui recouvrait son lit dans ses quartiers sur l’Enterprise. Spock éteignit la lumière. Le capitaine l’entendit traverser la pièce et s’installer sur son propre matelas.

Un quart d’heure après, il ne dormait toujours pas, gêné par les symptômes les plus inconfortables du rhume. Alors qu’il se mouchait (pour la millième fois de la journée) le plus discrètement possible pour ne pas déranger Spock, le Vulcain reprit la conversation interrompue :

- Cependant, certaines choses sur Terre correspondaient étrangement à l’image quelque peu stéréotypée que je m’en étais faite.

- Vraiment ? demanda Jim, curieux. Quoi, par exemple ?

- La neige, loin des hommes, sur les champs gelés. Les reflets du soleil sur l’océan à la tombée du jour. Une averse de printemps sur les feuilles nouvelles. Toutes choses que j’avais imaginées sur ma planète, où l’eau ne gèle jamais, où nous n’avons pas de mer, où la pluie ne tombe que deux à trois fois par mois…

La voix grave du Vulcain le berçait, l’entraînait vers les rives du sommeil aussi irrésistiblement qu’une marée d’équinoxe. Ce qu’il disait n’avait pas d’importance, les mots allaient et venaient comme des vagues, roulaient au-dessus de son esprit embrumé, et finirent par l’envelopper totalement.

Lorsqu’il fut certain, au son régulier de sa respiration, que le capitaine s’était endormi, Spock se tut, se leva sans un bruit, déposa sa propre couverture sur les épaules de Jim, effleura un instant du bout des doigts la tempe de son ami pour s’assurer qu’il n’avait pas de fièvre, puis, rassuré, il s’agenouilla pour méditer.


[1] Extrait de "Nuits d'hiver" de Victor Hugo.

[2] Dans l'épisode "The naked time", Sulu, qui n'a plus vraiment toute sa tête à cause d'un virus, débarque sur la passerelle de l'Enterprise torse nu, le fleuret à la main, en défiant Richelieu... Ce qui fera dire à Spock, une fois l'intrus neutralisé, "Emmenez d'Artagnan à l'infirmerie" :-D. A part ça, les Vulcains n'ont pas le sens de l'humour.

[3] Véridique.

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