Une soirée à Rome
Chapitre 1 : Une soirée à Rome
2560 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 29/05/2021 13:04
Cette fanfiction participe au défi d’écriture du forum fanfictions.fr : « Le coup du lapin » (avril-mai 2021)
Gélasius fit signe à Fidelma et Eadulf de s’asseoir.
-Pff, quelle histoire. Heureux que vous ayez pu résoudre cette triste affaire. Vous m’avez enlevé une belle épine du pied.
-Ce ne fut pas évident, répondit Fidelma. Et je ne peux qu’être attristée par la conclusion. Mais au moins la vérité est sortie et un innocent n’a pas été condamné.
-C’est vrai, continua Eadulf. Et cela m’évitera de rentrer sans explication pour la mort de mon évêque.
Gélasius appela un serviteur.
-Vous prendrez bien quelque chose à boire ? J’ai un petit vin dont vous me direz des nouvelles.
-Et bien goûtons ce vin alors, dit l’Irlandaise avec un sourire.
-Oui cela me fera du bien, rajouta Eadulf.
-Lucius ! Trois verres de mon vin de Chypre.
-Tout de suite maitre.
Le vin était excellent et cela permis à tout le monde de refaire l’enquête qui a permis de résoudre le meurtre de l’archevêque de Cantorbéry : Wighard.
Puis la conversation dévia sur la bibliothèque de Gélasius qui attira l’œil de Fidelma.
-Vous avez l’air d’avoir une belle collection de manuscrits, lança-t-elle tout en regardant ceux-ci d’un regard qui en disait long sur sa curiosité.
-Ah j’avoue que c’est mon péché mignon. Je ne peux résister à un manuscrit, surtout des grands auteurs du passé. Beaucoup se perdent et cela m’intéresse de les sauvegarder. A ma mort je les lèguerai à notre église.
-C’est une très bonne occupation. Je ne devrais rentrer en Irlande, j’avoue que j’aurais aimé consulter cette bibliothèque plus en détail.
-Si je ne me trompe, votre départ est prévu après-demain, non ?
-C’est exact, pourquoi ?
-Car demain, je reçois un contact qui m’a proposé un manuscrit que je me désespérais de trouver. Cela me ferait plaisir que vous soyez là pour le recevoir, je vous dois bien ça.
-Quel manuscrit ?
-Ah, je vais vous faire une petite surprise, vous le découvrirez demain si vous acceptez de venir, dit Gélasius d’un air malicieux.
-J’avoue que je vais avoir du mal à résister à la curiosité. Vous m’avez convaincue, je viendrai demain, lui répondit Fidelma cachant mal son excitation.
-Vous serez des nôtres frère Eadulf, demanda Gélasius en se tournant vers le saxon.
-J’avoue que vous m’avez aussi intrigué et comme je n’ai rien de prévu, je serais ravi d’être des vôtres.
-Alors c’est parfait, conclut l’évêque en tapant des mains. J’ai donné rendez vous pour diner à mon contact, vous serez les bienvenus.
-Vous l’invitez à dîner ? fit Eadulf l’air visiblement étonné.
-Un bon repas aide aux affaires, répondit Gélasius se retenant de sourire. Surtout que pour l’instant nous n’en sommes qu’aux prémices. Si le texte qu’il me propose est bien celui qu’il me dit, je me doute que la somme qu’il va me demander sera importante.
-Mais vous ne pensez pas que notre présence pourrait nuire à la négociation ? dit Fidelma
-J’avoue que j’apprécierais que vous me disiez ce que vous en pensez avant d’acheter. J’ai des fois tendance à m’emporter facilement quand il s’agit de manuscrit. Un œil neutre pourrait m’aider. Et si cela contrarie notre vendeur, ce sera plutôt bon signe.
-Dans tous les cas ce sera intéressant, trancha Fidelma. Je pense qu’il est l’heure que je vous laisse, j’avoue que la fatigue de ces derniers jours se fait sentir et que je profiterais bien d’une bonne nuit de sommeil.
-J’avoue que maintenant que vous en parlez, moi aussi, enchaina Eadulf.
-Alors je vous dis à demain.
-A demain, répondirent en chœur Fidelma et Eadulf.
Le lendemain, à la tombée de la nuit, Fidelma et Eadulf arrivèrent ensemble à la demeure de Gélasius.
Lucius les accueillit et les conduisit dans la salle où se dérouleraient les agapes. Gélasius était là avec une demi-douzaine de serviteurs qui s’occupait de mettre en place la nourriture où chacun pourrait piocher à son aise.
Il y avait des œufs divers, du sanglier qui bouillait dans une marmite à côté d’un civet de lapin. De la daurade grillée se trouvait à côté des fruits et plus loin attendaient les desserts. Dans ces dernier, Fidelma crût reconnaitre une patina de poire, une recette qu’Apicius appréciait déjà du temps de Tibère, des fruits au miel, et un pain fourré au miel.
-Et bien, j’ai l’impression que vous êtes clairement plus du côté de Jovinien que de Saint Jérôme. Vu que ce dernier est le saint patron des archivistes et des bibliothécaires, c’est plutôt ironique vu les circonstances, s’esclaffa l’irlandaise.
-Ah je nierai l’avoir dit, mais je pense que c’était une erreur que d’avoir condamné Jovinien, lui répondit le romain d’un air désolé.
Même si on écarte le reproche que lui faisait Saint Jérôme sur son amour des plaisirs de la chair, je pense comme Jovinien que le mariage est une bonne chose, même pour les prêtres.
-J’ai l’impression que vous êtes de plus en plus en minorité sur ce point à Rome, fit remarquer Eadulf.
-C’est vrai, maintenant même si la question est tranchée depuis longtemps, il faut remarquer qu’elle n’est pas trop respectée, admit Gélasius.
-Je pense clairement que c’est une mauvaise voie. Au moins dans l’église Celte nous n’avons pas ces problèmes. Malheureusement le concile de Whitby, auquel nous avons assisté Eadulf et moi, qui a donné la primauté au christianisme romain sur le christianisme celte, ne va pas dans la bonne direction,
-Je ne vais pas vous contredire ni entrer en débat théologique avec vous ma sœur. La politique entre parfois dans les affaires de foi. Mais fi de tout ça, nous ne sommes pas là pour débattre de religion. Mon invité va bientôt arriver, installez vous, fit le Romain ne voulant pas entrer dans un débat où, connaissant Fidelma, il savait qu’il serait mal à l’aise.
Fidelma et Eadulf eurent juste le temps de regarder où ils pourraient s’installer qu’un serviteur apparut :
-Maître, votre dernier invité est arrivé.
-Très bien, fait-le entrer, dit Gélasius avec une voix où Eadulf perçut une pointe d’excitation.
A la suite du serviteur un jeune homme, il ne devait pas avoir 30ans, fit son entrée. De teint olivâtre, il avait de grands yeux bleus. D’une taille d’environ 1m70 il était couvert d’une tunique blanche et d’un châle recouvrant ses cheveux bruns.
Il se dirigeât vers son hôte et d’un ton amical lui dit :
-Content de vous revoir, j’espère que cette soirée sera fructueuse pour nous deux.
-J’espère aussi. Mais laissez-moi d’abord vous présenter mes deux autres invités. Tout d’abord Fidelma de Cashel, sœur du roi Colgù de Muman et frère Eadulf qui nous viens des terres de South Folk.
Fidelma ne réagit pas pour ne pas embarrasser son hôte, mais elle n’aimait pas que son lignage soit mis en avant. Elle aurait préféré que Gélasius parle de sa qualité de dalaigh par exemple.
Isaac se tourna vers elle avec un sourire charmeur :
-La sœur d’un roi ? Quel honneur me fait Gélasius de nous présenter. Et peut-être qu’un jour nous pourrons faire affaire.
-Peut-être, répondit Fidelma d’un ton qu’elle voulait neutre.
-Et ravi de vous rencontrer aussi Frère Eadulf. J’avoue que je ne connais pas le South Folk mais nous pourrons en parler ce soir.
-Avec plaisir, fit le saxon.
-Allons installons nous et commençons à parler des choses importantes, reprit Gélasius. Avez-vous apporté le manuscrit.
-Ah vous savez bien que cela ne marche pas comme ça dans nos affaires. D’abord nous trouvons un accord, puis j’apporterais le manuscrit. Je paierai son vendeur et je prendrai ma commission.
-Vous n’êtes pas le vendeur, s’étonna Eadulf ?
-Eh non. Le vendeur veut rester discret, il m’a chargé de trouver un acheteur tout en gardant son anonymat total. Il sait qu’il peut me faire confiance.
-Et quel manuscrit devez vous vendre, lui demanda Fidelma? Notre hôte n’a pas voulu nous le dire avant votre arrivée.
-Un manuscrit rare : le second tome de la poétique d’Aristote, fit le juif avec un air satisfait de lui-même en prenant un œuf.
-Ah oui, je comprends l’intérêt de notre hôte, siffla Fidelma visiblement surprise.
-Oui, et d’ailleurs, passons aux choses importantes, dit un Gélasius impatient en se servant une bonne part de sanglier. Quel est votre prix ?
Isaac ne répondit pas tout de suite. Il se servit d’abord de civet puis, une fois sûr de son effet, dit :
-Mon client ne s’en séparera pas à moins de 1kg d’or.
Un sifflement de stupeur parvient de la couche d’Eadulf. La somme était vraiment exorbitante.
-A ce prix là, il veut se faire construire un palais, lâcha Gélasius.
-Allons, allons. Je vais être très franc avec vous. Le vendeur est très mal financièrement. Ce tome est un héritage familial dont il se sépare à son corps défendant, c’est d’ailleurs pour ça qu’il désire rester discret. Surtout que ce serait très mal vu dans notre communauté si cela se savait. Vous vous doutez donc bien qu’il ne va pas le brader.
-Mais je ne pourrais jamais vous payer cette somme.
-Allons, allons, je ne suis pas venu vous voir par hasard. Je sais qui vous êtes et que vous en avez les moyens.
-On dit beaucoup de choses sur moi, visiblement certaines sont fausses.
-Ah mais dans ce cas, j’irais voir si d’autres peuvent être intéressés. En tout cas vous avez du goût en matière culinaire. Sur ce point là, les rumeurs sont justes, dit Isaac en se resservant.
Gélasius était visiblement contrarié. Il ne s’attendait pas à une somme pareille et même si il n’était pas avare, il n’avait pas l’habitude de sortir cette somme.
Fidelma, buvant une coupe de vin coupée au miel, prit la parole s’adressant au jeune homme :
-Et pouvez vous nous en dire un peu plus sur ce manuscrit ? L’avez-vous lu ?
-Je ne l’ai pas lu en entier. Je l’ai juste vu et pu en voir quelques pages. Cela m’a suffit, connaissant la réputation de la personne qui me confiait la charge de le vendre.
-Et pourrais-je quand même vérifier le manuscrit avant de payer, intervient Gélasius finissant sa part de daurade ?
-Si nous parvenons à un accord, vous pourrez vérifier avec les yeux autant que vous voulez si vous avez l’or avec vous.
-J’ai besoin de réfléchir, dit l’évêque.
-C’est normal mais ne tardez pas trop. Demain midi au plus tard pour la réponse, cela vous convient ?
-Oui. Maintenant finissons de diner, ponctua Gélasius pensif.
Le dîner se finit sur des conversations plus légères et vers 23h, Isaac s’en alla
-Demain midi, monsieur l’évêque. J’espère pour vous que vous ne passerez pas à côté de cette affaire.
-Sans doute pas, mais faut à minima que je trouve cet or.
-Je ne doute pas que vous trouverez. Sur ce au revoir. Ravi de vous avoir rencontré, princesse et monsieur le saxon. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir.
Isaac parti et Gélasius se tourna vers ses invités restant.
-Alors qu’en pensez- vous ? J’avoue que le prix est important, mais pour un tel manuscrit, il est finalement justifié. Si cela avait été moi j’aurais dit oui de suite, mais j’avais peur qu’il pense que ce soit gagné et qu’il augmente le prix demain.
-lepus quoque nam et ipse ruminat sed ungulam non dividit, dit Fidelma.
-Pourquoi tu nous cites le lévitique Fidelma, s’étonna Eadulf qui reconnut de suite d’où était tiré cette phrase ?
-Le lapin comme le lièvre est interdit comme nous l’apprend lévitique dans cette phrase, lui répondit Fidelma avec un sourire.
-C’était vrai, répliqua Gélasius. Mais vous n’êtes quand même pas sans savoir que Matthieu a totalement levé ces interdictions :
« Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme » dit l’évêque citant Matthieu 15.11.
-Mais les juifs ne reconnaissent pas le nouveau testament, dit Eadulf se frappant le front.
-Exact Eadulf, fit Fidelma avec un sourire. Ce qui veut dire que je doute très fortement que cet Isaac comme il se fait appeler, qui a adoré votre civet, soit juif. Je pense plutôt que c’est un escroc, qui ayant appris votre passion pour les livres a créé une belle histoire pour vous soutirer de l’argent. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il a pris pour cela un livre que personne n’a pu lire, même pas vous. C’est plus facile à faire passer.
Gélasius était consterné. Ce que Fidelma lui disait faisait sens. Mais il avait du mal à passer à côté de son rêve.
-Contrairement à ce qu’il peut penser, j’ai quelques contacts dans la communauté juive, je vais voir si ils le connaissent.
-Sage précaution. Vous m’enverrez le résultat de cette affaire dans notre correspondance. Là je vais aller me coucher pour être fraîche pour mon voyage de demain.
-Sans faute, lui promit Gélasius. Vous partez aussi Eadulf ?
-Oui, merci pour cette soirée, qui dans tous les cas fut instructives.
-Je vous raccompagne alors.
Six mois plus tard, à Cashel une missive arriva à Fidelma. Celle-ci disait que personne ne connaissait cet Isaac dans la communauté juive, mais qu’un des amis riches de Gélasius avec qui il s’était entretenu avait cru reconnaitre dans la description d’Isaac un escroc qui lui avait pris une certaine somme. Gélasius remerciait fortement Fidelma et Eadulf de lui avoir évité pareille mésaventure.
Fidelma replia la lettre avec un sourire satisfait et s’empressa d’aller prévenir Eadulf de la conclusion de leurs aventures romaines.