Triomphant tournoi
Chapitre 1 : Triomphant tournoi
5953 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 7 mois
Triomphant tournoi
Cette fanfiction participe à l’atelier de novembre-décembre 2024 :
« Secret Santa, mettez le paquet ! »
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Vois-tu, cette idée m'est venue en rêve. Tandis que mon corps se prélassait sous la couette, blotti contre celui de mon fidèle félin qui, une fois encore, prenait beaucoup de place, mon esprit rêvait de ci et de ça. Au réveil, je sus qu'il me fallait la noter, sans quoi je l'oublierais. Et je savais que cette histoire te plairait, alors la voici.
Il était une fois...
Non, ça ne pouvait commencer d'une façon aussi banale. Il me fallait une bien meilleure accroche afin de captiver mon lecteur…
C’était une journée comme une autre, dans la banalité d’une vie simple et calme au marais. Les oiseaux piaillaient, les ogrillons gazouillaient, l’Âne fanfaronnait… Dans ce décor et ce rythme de vie paisible dans lequel il avait trouvé l’équilibre parfait du quotidien, Shrek se prélassait sur le porche de la demeure où il vivait depuis bien des années. Fiona, quant à elle, était partie cueillir quelques fleurs et baies, dans la perspective de décorer davantage encore leur nid et d’égayer le repas du soir auquel elle avait déjà bien réfléchi – des rats des mottes.
Le décor paradisiaque pour la famille d’ogres et leurs compagnons habituels était au complet. Des années s’étaient écoulées depuis leurs premières aventures. Après sa rencontre avec le nain Tracassin et son vil tour qui lui avait fait prendre conscience de la chance qu’il avait de vivre cette vie et du bonheur qui en découlait, Shrek avait tiré un trait sur toutes ces quêtes et requêtes. Les trois petits avaient bien grandi, et chahutaient comme tout ogrillon élevé par des parents aimants. Toute leur attention était tournée vers leur éducation qui, comme on pouvait s’y attendre, provenait grandement des belles manières royales héritées par Fiona.
Ce calme paisible, dont Shrek profitait en se balançant d’avant en arrière sur un rocking-chair, fut néanmoins troublé par la course effrénée d’un bipède chaussé d’élégantes bottes de cuir noir. Un miaulement entrecoupé de halètements se fit entendre et, lorsque l’ogre ouvrit les yeux, il constata un parchemin déroulé dont il eut tout juste le temps de lire les inscriptions calligraphiées.
« Mon ami ! salua la voix suave aux accents péninsulaires du sud. Que dirais-tu de m’accompagner dans une quête pour prouver ma bravoure ? »
Le chat Potté, doux félin roux aux yeux aussi luisants que la peau de Fiona sur laquelle se projetaient les flammes de l’âtre lors des froides journées d’hiver, sautillait sur place en tenant à bout de patte le parchemin. Shrek fronça les sourcils, avant de tendre la main en direction du bout de papier afin de déchiffrer ce qui y avait été encré.
« Grand tournoi d’épéistes. Venez prouver votre bravoure et obtenir le titre d’épéiste de légende. Récompense à la clé. Potté, tu prévois de t’y rendre ?
— Mais bien sûr, cher ami ! Et que dirais-tu de m’y accompagner ? Nous pourrions nous y rendre ensemble, avec toi, ta douce, et l’Âne ! La perspective de découvrir de nouveaux horizons ne t’enchante-t-elle pas ? »
Si Shrek fut difficilement convaincu par son ami de quitter son quotidien confortable et plat – lui qui s’était découvert une appétence pour le charme paisible de l’isolement entrecoupé de rencontres ponctuelles avec leurs amis aussi hétéroclites que d’excellente compagnie –, Fiona fut presque immédiatement motivée à accompagner la joyeux troupe lorsque le sujet fut abordé en sa compagnie.
« Je reconnais ce sceau, il me dit quelque chose, déclara-t-elle en souriant. Par ailleurs, le château de ma mère se trouve sur la route qui mène au lieu où se tient ce tournoi. Elle sera bien heureuse de profiter de ses petits-enfants en notre absence. »
Ce n’était pas qu’elle n’avait pas confiance en Pinocchio, Ti Biscuit ou encore aux trois Cochons, mais elle préférait que les cheveux de sa fille ne fussent pas rasés en son absence, ou encore que ses deux garçons turbulents retournassent la maison en poursuivant Ti Biscuit. Certes, cela s’était déroulé il y avait de cela quelques années, elle gardait suffisamment en mémoire ces incidents pour préférer éviter un chapitre second.
Ça n’était là que le préambule d’une aventure fantastique à laquelle aucun de nos protagonistes ne s’attendait. Embarqués dans le carrosse en forme d’oignon qu’ils affectionnaient tant et entretenaient avec soin, le quatuor s’en alla à travers les routes du royaume et bien au-delà encore une fois les triplés déposés chez leur grand-mère, la reine Liliane.
Bien que l’Âne fût toujours autant agaçant par son impatience, Shrek parvint à maîtriser ses nerfs. Potté, quant à lui, ne cessait de clamer haut et fort qu’il remporterait haut la main – ou la patte – ce tournoi, et s’amusait à imaginer la récompense qu’il se verrait octroyée à l’issue de cette simple formalité.
La forteresse à laquelle ils se rendirent avait une bien étrange allure, mais chaque élément un tant fût peu glauque avait été adouci par moult bannières et illuminations festives. Une fois le pont-levis traversé, les convives – participants comme spectateurs – étaient invités à garer leurs véhicules dans une longue allée. Au milieu de carrosses plus traditionnels – bien que d’autres dénotassent fortement –, l’oignon du couple d’ogres se démarquait. Et de cela, Shrek n’en était pas peu fier !
Quoi qu’il en fût, les lieux débordaient de vie et l’effervescence était plus que palpable. De nombreux stands à souvenirs, nourriture ou que sais-je encore étaient disséminés çà et là, invitant à la contemplation et aux emplettes. Mais Potté, bien trop brûlant de ce désir ardent de l’estocade en bonne et due forme, pressait ses compagnons de route afin qu’ils se rendissent tous ensemble sur les lieux des affrontements.
La foule réunie parmi les contestants était disparate. Pour formuler d’une façon moins littéraire et plus parlante, ça ne ressemblait à rien. En évoluant parmi les représentants venus concourir, Potté croisa entre de nombreux soldats anonymes un bretteur aux cheveux verts pâles qui tenait trois sabres – un dans chaque main et un troisième entre ses dents. L’air perdu de cet homme laissait presque croire qu’il ignorait comment il avait atterri là. Un jeune homme au teint pâle et aux traits lisses, ainsi qu’à la crinière blonde ébouriffée, attendait patiemment son tour en aiguisant une dernière fois l’immense épée aussi longue qu’épaisse, qui semblait mesurer deux fois sa taille et peser le poids de dix ânes morts en surpoids.
En se frayant un chemin jusqu’au banc duquel il pouvait contempler l’arène, Potté bouscula par mégarde un homme à la carrure imposante, mais néanmoins toujours moins effrayant que les balafres qui parsemaient son visage, ou encore ses cheveux albâtres. Les deux épées qui trônaient dans son dos laissaient imaginer des capacités de combat hors normes – Potté sentit l’envie de l’affronter de son fleuret le démanger comme de vilaines puces, mais s’abstint.
Au sein de l’arène s’affrontaient deux individus hauts en couleurs. Le premier était une femme humaine à la chevelure blonde aussi éclatante que sa combinaison jaune à l’unique rayure noire et épaisse qui s’étirait sur tout son flanc. Son long katana heurtait à répétitions les deux, plus courts, de son opposant qui, quant à lui, était vêtu d’un costume en cuir rouge et noir des pieds à la tête – des holsters laissaient comprendre qu’il avait aussi l’habitude des armes à feu, mais il les avait déposées pour cette fois-ci. Les cris d’encouragement du public résonnaient à travers tous les gradins, où Potté aperçut ses amis, installés pour admirer ses talents d’épéiste de renom.
De là haut, ils pouvaient voir les combats dans leur ensemble. Ainsi, Shrek et l’Âne se permettaient moult remarques sur les chevaliers pleutres qui tremblaient dans leurs genouillères, et ricanaient de l’hétéroclisie des concurrents et concurrentes. L’annonceur déclara une certaine Jeanne d’Arc vainqueur, avant qu’elle ne fût battue à plate couture par l’agilité sans faille du chat Potté. Dans une élégante cabriole, le félin avait touché le plastron de l’armure de la cavalière, et avait atterri droit dans ses fidèles bottes, saluant le public en abaissant son chapeau à larges bords. La plume jaune voletait sous la brise.
L’organisateur de ce tournoi, un individu à la peau sombre et aux cheveux tressés d’un roux plus flamboyant encore que celui de Fiona, sembla opiner du chef en constatant la nouvelle victoire de Potté face à une lycéenne à l’étrange uniforme bleuté qui semblait parler, et armée d’une sorte d’épée-ciseau de la couleur du sang. L’adolescente avait offert un beau combat avec ses techniques énergiques et explosives, mais rien n’avait davantage impressionné que les éclats de voix de son amie venue l’encourager d’une étrange façon.
Les concurrents se firent éliminer les uns après les autres, jusqu’à ce que la finale tant attendue eût lieu. Ce fut l’organisateur lui-même qui annonça de sa voix grave le nom des deux participants, tous deux ressortis vainqueurs de chacun de leurs affrontements contre d’autres candidats. Face à face au cœur de l’arène, ils se dévisageaient en s’inspirant mutuellement une hargne de vaincre.
Potté détailla son rival, qu’il trouva nettement moins imposants que d’autres auxquels il avait pu se heurter. C’était un jeune homme, presque un adolescent au vu de ses traits fort juvéniles, à la tignasse châtain clair glissée sous un chapeau pointu vert tombant dans sa nuque. Sa tunique, de la même teinte que son couvre-chef, avait été rapiécée de maintes fois. Ses bottes de cuir clair soulevaient de petites volutes de poussière à chaque pas qu’il faisait dans le sol de terre de l’arène. Dans sa main droite, un bouclier aux couleurs radieuses, de bleu violacé, d’or et de carmin décoré. Dans sa main gauche, une épée lumineuse à la garde finement travaillée.
« Enfin un rival à ma taille ! » s’exclama le félin en croisant le fer, de son accent dont une lointaine connaissance du nom de Boris serait particulièrement fière —pardon pour cette digression.
Au bout de nombreuses minutes de parades, estocades et esquives, le duel à l’issue insondable trouva fin, lorsque l’épéiste lâcha son arme après un assaut bien maîtrisé du fleuret de Potté, et se retrouva immobilisé par ce dernier, ses deux poings fermement maintenus par les coussinets roses et tendres.
La foule l’acclama, applaudissant comme un seul individu. Bien que certains eussent vu leur candidat favori perdre bien des affrontements plus tôt, rien ne retenait la clameur qui vibrait jusque dans le poitrail de Potté. Essoufflé, un immense sourire dévoilant ses crocs et ses vibrisses frémissant d’émotion, il salua son public, lui envoyant de nombreux baisers, ne sachant plus où poser ses pupilles face à tant de visages encourageants.
Ce fut cet instant que choisit l’organisateur pour descendre à son tour dans l’arène. Le jeune épéiste que Potté venait de vaincre s’était retiré et avait rejoint quelque amie, une demoiselle fort belle qui masquait son doux visage sous l’épaisse capuche de sa longue cape. L’homme, dont la taille rivalisait grandement avec celle de Shrek, tout comme la carrure, tendit la main dans la direction de Potté. La poignée qu’ils s’échangèrent laissa une étrange impression au félin.
« Cher public ! clama l’individu de sa voix puissante et grave – une voix de meneur. Nous avons notre champion ! »
La clameur reprit, bien plus bruyante encore. Enhardis par la liesse et le beau spectacle que ce tournoi avait offert aux yeux, aucun des spectateurs ni aucune des spectatrices ne remarqua le nuage sombre qui se formait au-dessus de leurs têtes, trouvant son cœur juste au-dessus de l’emplacement où se tenaient Potté et l’organisateur. Un bruit de tonnerre gronda, des étincelles jaillirent. Sur le dos de la main gauche de l’homme se mit à luire une forme triangulaire dorée. Puis, dans un éclat lumineux de la durée d’un battement de cil, tous deux disparurent du centre de l’arène.
Parmi les cris de stupeur qui retentirent dans le public, les voix de Shrek, Fiona et l’Âne appelant le nom de leur ami félin se firent davantage entendre. En contrebas, une femme s’écria et se précipita sur les lieux de prestidigitation. L’épéiste vaincu par Potté quelques instants plus tôt courrait à ses côtés, bouclier et épée dégainés, comme prêt à croiser à nouveau le fer, et inspectait avec elle les environs. Les deux ogres, d’un hochement de tête entendu, n’attendirent pas un instant de plus pour se ruer en bas des gradins, n’hésitant pas à bousculer quelques personnes au passage pour les y rejoindre. L’Âne, bien moins agile et bien plus pataud avec ses quatre sabots, tenta tant bien que mal de leur emboîter le pas.
« Je n’en reviens pas, souffla la jeune femme encapuchonnée en passant sa main au-dessus des traces laissées par l’étrange tour de magie. J’avais des doutes mais… c’est bien lui…
— Bien lui qui ? l’apostropha Shrek, poings serrés et sourcils froncés, de son amabilité légendaire, et pour une excellente raison. Vous connaissez ce type ? »
La demoiselle eut un mouvement de recul et manqua même de trébucher en marchant sur sa cape. L’épéiste s’interposa entre l’ogre et sa compagne, épée tendue droit en direction de Shrek. Malgré son minois juvénile, il ne laissait paraître pas une once d’inquiétude. Sa détermination était sans pareille.
« Où est passé Potté ? renchérit-il perdant davantage encore son calme. Où est-ce qu’il a été emmené ?!
— Je l’ignore, répondit doucement la demoiselle bien que sur la défensive. Mais nous devons le retrouver. Il en va du destin de votre ami… et du monde. »
Elle fit signe à son chevalier servant de baisser les armes, ce qu’il fit sans poser la moindre des nombreuses questions qui semblaient lui traverser la tête. Avançant d’un pas à la rencontre du duo d’ogres, elle ôta doucement la capuche de sa cape, découvrant alors son visage au menton arrondi entravé par de belles mèches d’un blond étincelant desquelles dépassaient les pointes de ses oreilles pointues. Ses yeux bleus, aussi profonds que l’océan, se posèrent tour à tous sur les visages de Shrek et de Fiona.
« Je suis la Princesse Zelda, du Royaume d’Hyrule. Cet homme, Ganondorf, est sous notre surveillance depuis de nombreux mois. Nous le suspections de fomenter un complot mais… nous étions loin d’imaginer qu’il avait éveillé en lui un fragment de Triforce.
— Zelda ? répéta Fiona. J’y crois pas ! »
La princesse de Fort Fort Lointain fit quelques pas en direction de son homologue.
« Zelda ! Tu as bien grandi ! C’est moi, Fiona ! »
La petite blonde leva le nez pour à présent observer l’ogresse qui la dépassait d’au moins deux têtes. Sa mémoire sembla s’éveiller à la vue des mèches rousses de la princesse, car ses yeux s’agrandirent soudainement.
« Mais… ! Toi aussi ! La nouvelle de la levée de ta malédiction est parvenue jusqu’au château, mais je ne pensais pas que ce serait ce résultat… »
Les deux princesses échangèrent longuement, ravivant de vieux souvenirs d’enfance, de l’époque où leurs familles respectives organisaient des banquets et des festins afin de réunir leurs royaumes et entretenir de bonnes relations diplomatiques. À l’époque, Fiona était bien jeune, et Zelda bien plus encore, mais leurs mémoires avaient gravé ces nombreux instants et cette amitié sans pareille.
« Je te présente Shrek, déclara Fiona en souriant affectueusement, mon époux.
— Et voici Link, répondit Zelda en désignant son acolyte. Il m’épaule dans ma traque de Ganondorf. Nous nous attendions à un piège avec cet étrange tournoi, et nous n’avons pas été déçus du voyage… façon de parler. Je suis navrée pour votre ami, nous allons tout faire pour le retrouver avant qu’il ne soit trop tard. »
Son ton, sérieux et grave, ne laissait rien présager de bon.
« Oh, mais c’est mignon, vous avez trouvé des p’tits elfes ! » fanfaronna la voix de l’Âne qui venait d’enfin parvenir jusqu’à eux.
Ignorant la remarque de ce dernier, sous l’aval de Fiona exprimé par un hochement de tête, Zelda s’adressa au duo devenu trio.
« Venez, je vais vous expliquer tout ce que nous savons. »
Un miaulement irrité parvint par-delà le bruissement de la lave en fusion qui bouillonnait dans le bassin ignifugé. Enfermé dans une cage de métal froid suspendue par-dessus le dense liquide, Potté faisait les cent pas, les talons de ses bottes claquant sur le sol d’acier.
En bas montaient la garde d’étranges gobelins aux yeux globuleux et à la peau bleue. Leurs groins s’agitaient dans tous les sens et leurs longues oreilles de chair se tournaient vers le moindre bruit suspect qu’elles pouvaient percevoir. Autant dire qu’à chaque râle que poussait Potté, les créatures gardaient toute leur attention focalisée sur ce dernier – et il aimait cette attention. Pourtant, il avait beau tenter de leur parler, ces stupides bêtes restaient sourdes et muettes à ses tentatives. Il commençait à s’ennuyer, à dire vrai.
La lourde porte qui scellait cette pièce s’ouvrit avec fracas, et l’organisateur du tournoi pénétra dans les lieux. Bien qu’il n’y eût pas de vent, sa cape de velours pourpre virevoltait dans son sillage, et ses bottes renforcées avec quelque métal claquaient à chaque pas. Des méchants, Potté en avait rencontré plus d’un. Mais aucun ne lui avait inspiré autant de fascination – pas même la Mort. Cet individu, qui qu’il fût, était fort curieux et ne ressemblait à aucun antagoniste de son paisible monde.
« Chat ! l’apostropha-t-il de sa voix rauque. Tu as triomphé de ce tournoi et as prouvé ton courage. Remets-moi ton fragment de Triforce et il ne t’arrivera rien. Tu seras libre.
— Triforce ? minauda Potté. Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Félin impertinent. Ne fais pas l’innocent ! Seul un épéiste de légende saurait triompher et dévoiler la magie du courage. Et si tu te joues de moi… »
L’homme fit un signe de main à un de ses pseudo gobelins, ce dernier tirant un levier qui fit brusquement descendre la cage de Potté tout droit vers le bassin de lave.
« Attendez ! Ne pensez-vous pas qu’il est difficilement possible qu’un félin tel que moi puisse cacher une relique si alléchante ? »
Tentant le tout pour le tout, Potté ôta son chapeau et inclina en arrière ses oreilles. Ses pupilles presque entièrement dilatées ne laissaient plus voir que ses sombres rétines, l’iris s’étant réduit à un mince cercle au bord de celles-ci. Il en vint même à ronronner, convaincu que les humains quels qu’ils fussent ne pussent résister au ronronnement d’un si beau chat tel que lui.
Il avait tort.
« Cesse immédiatement de te jouer de moi. Tu ne fais que retarder l’inévitable. »
Le triangle lumineux luit à nouveau sur le dos de la main de l’homme, éblouissant les visages alentours. Posant sa paume sur le sol dallé de la prison, il sembla activer les runes magiques gravées dans la pierre. Une à une, les figures brillèrent avec autant d’intensité, et le tracé ensorcelé gagna même les murs ainsi que le plafond de la pièce. Ce geste aussi anodin qu’intriguant sembla être le signal pour les gobelins du géant, car ils s’alignèrent afin de faire pivoter le système de poulie qui retenait Potté en hauteur, et amenèrent la cage de métal jusqu’au centre du cercle d’incantation dessiné, à une belle hauteur du sol.
« Puisque tu rechignes à me donner ce que je veux, je vais le prendre par la force. »
« C’est ici. »
Une sombre bâtisse se dressait devant le groupe. L’annonce de Zelda n’était guère nécessaire ; le château cerné par d’épais nuages ne laissait aucun doute sur son propriétaire. Le pont-levis surplombant des douves où bullait de la lave incandescente rappelait grandement à Shrek le chemin qu’il avait dû parcourir afin de rejoindre Fiona dans la tour où elle avait été enfermée par ses parents – que de souvenirs ! L’Âne fit justement un commentaire à ce sujet en constatant que, cette fois-ci, l’autre rive n’était pas accessible.
« Si Potté avait été là, il aurait pu se faufiler jusqu’au mécanisme et faire descendre le pont pour nous…
— Attendez un instant. Link ? »
Sans que la princesse n’eût à en dire davantage, l’épéiste banda son arc et tira une flèche bien placée. Le ricochet contre le mur de pierre suffit à orienter la pointe de métal vers la commande qui, ainsi heurtée, laissa se dérouler la chaîne salvatrice. Prudemment, chacun progressa sur le pont de bois, Zelda menant le groupe d’un pas décidé.
Sitôt parvinrent-ils dans l’entrée du château qu’ils subirent un premier assaut. Des gobelins – bokoblins, précisa ultérieurement la princesse d’Hyrule – se jetèrent en grandes quantités sur eux. L’effet de surprise fut leur seul avantage, car aucun ne suspectait la féroce riposte qui s’offrirait à eux. Qui aurait pu prévoir que les puissants coups de poing de Shrek, les agiles high-kicks de Fiona, les rapides flèches de Link et la redoutable magie de Zelda seraient suffisants pour repousser une timide cinquantaine d’adversaires seulement armés de gourdins pour les plus avantagés d’entre eux ? Au milieu du tumulte, seul l’Âne s’écriait dès qu’il se sentait menacé par l’un des petits êtres à la face porcine car, peu doué de ses quatre sabots, il ne pouvait guère se protéger du moindre assaut. Le reste du temps, il encourageait ses camarades en les prévenant si un ennemi surgissait dans leurs angles morts.
Quelques autres groupuscules de guetteurs leur tendirent des embuscades mais, outre ces brèves altercations très rapidement écourtées par Link et ses vives estocades, rien ne ralentit leur progression à travers le château. Ils surent qu’ils approchaient de leur destination finale lorsque la chaleur se fit de plus en plus intense. Face à une lourde porte de bois décorée de métal, ils se stoppèrent un instant. D’étranges bruits leur parvenaient de l’autre côté, rien qui n’inspirait confiance mais, surtout, la voix de Potté hurlant de douleur se faisait entendre. Le temps pressait.
Le sang de Fiona ne fit qu’un tour, tout comme un unique coup d’avant-bras se révéla être le parfait passe-partout. La porte s’effondra devant eux, révélant un spectacle sinistre.
Au cœur de la pièce, Potté se contorsionnait en souffrant tandis que des rayons lumineux parcouraient sa fourrure rousse. Ceux-ci se dessinaient à travers le sol et les murs, rejoignant à terme Ganondorf. L’homme se dressait de toute sa hauteur, et riait avec malice.
« Alors, perfide chat des rues, qu’attends-tu pour me la donner, cette Triforce ?
— Comment donner ce que je n’ai pas ? ricanait Potté en sauvant les apparences du mieux qu’il pouvait. Tu peux tenter autant que tu le veux, je ne céderai pas.
— Ganondorf ! Il suffit !! »
La voix de Zelda parvint jusqu’aux oreilles pointues de l’homme titanesque qui, amusé, se retourna pour dévisager le groupe.
« Tiens donc. Vous osez me défier, Princesse ? Votre groupe hétéroclite ne m’impressionne guère.
— Libère ce chat et soumets-toi à la volonté des Déesses ! Tes vils agissements n’ont que trop duré !
— Ha ! Vous voulez m’arrêter ? Approchez, et goûtez à votre propre impuissance. »
Une boule de lumière noire – bien que cette dénomination fut quelque peu contradictoire, mais aucun autre descriptif ne pouvant convenir – naquit au creux de la paume de l’homme, et fut projetée en direction du groupe de courageux héros. D’un revers de lame, Link renvoya le projectile d’énergie à son invocateur, et un duel de coups droits et de revers s’imposa entre les deux combattants.
Ganondorf révoqua sa magie, préférant au lieu de cela faire appel à une immense épée lourde qui, entre ses mains puissantes, semblait peser autant qu’une plume tant il l’agitait avec facilité. Fondant à toute allure sur le groupe, son fer croisa celui de Link dont l’épée s’illumina d’une vive lueur azurée. Zelda ordonna à Shrek et Fiona de se disperser, le premier faisant signe à l’Âne d’aller sortir Potté de la maudite cage dans laquelle il était enfermé.
Épaulant l’épéiste grâce à des sorts aux intenses couleurs dorées, la princesse tentait tant bien que mal d’affaiblir le colosse. Shrek, quant à lui, comprit rapidement que l’union faisait la force et, la sienne de force, résidait principalement dans la force brute qu’il pouvait asséner via ses coups ou en jetant des objets. Et c’était tant mieux car les corps assommés des gobelins qui se ruaient vers eux, attirés par le bruit, faisaient d’excellents projectiles ! Fiona en faisait de même, parant les attaques en sautant sur les murs et en ripostant à coups de pied. Mais le moindre de leurs assauts envers le cerveau de cette affaire était repoussé par des esquives ou des vagues de cette magie noire à laquelle ni l’un ni l’autre n’avait déjà fait affaire.
Seul l’Âne triomphait dans ce qu’il entreprenait. La queue entre les pattes postérieures, les oreilles penchées vers l’arrière, il avançait le plus discrètement que ses sabots le lui permettaient. Son visage équin s’illumina toutefois lorsque ses iris bruns se posèrent sur un miraculeux levier qui, une fois manipulé, ramena la cage de Potté hors du cercle d’invocation tracé au sol et en ouvrit la porte jusque là verrouillée. Le félin, bien qu’encore secoué par la douleur, ne put s’empêcher d’enlacer son ami.
« Merci, señor. Abattons ensemble cet adversaire et rentrons, le veux-tu ?
— Eh bah mon vieux, bon courage, maugréa l’Âne. Ce gars-là est bien assez coriace pour celui que tu as vaincu au tournoi, va savoir si tous ensemble vous allez l’avoir.
— Douterais-tu du plus téméraire des héros de ces terres ? »
Le chat avait retrouvé de son aplomb. Chapeau vissé sur son crâne, bottes claquant à chaque pas, le voilà qui était bien prêt à se venger de celui qui avait tenté de lui dérober quelque chose dont il ne disposait pas !
« En garde ! » scanda-t-il avant de se ruer vers la mêlée, fleuret droit devant lui.
C’était la goutte de trop qui faisait déborder le vase de larmes. Ganondorf émit un râle inquiétant et, l’instant d’après, son corps tout entier irradia d’une lumière, à commencer par le dos de sa main gauche où brillait un triangle d’or. Là où se tenait l’homme quelques instants plus tôt apparut alors la forme d’un titanesque cochon dont les cornes frontales, aussi carmin que l’épaisse crinière qui ondulait derrière sa tête, se plantait dans le plafond de la pièce. Au centre de son front luisait un cristal rougeâtre qui semblait pulser au rythme de ses battements de cœur.
Le sol se mit à trembler et, bientôt, ce fut le château tout entier qui s’effondra autour des belligérants. Les nuages grondaient par-dessus leurs têtes, et quelques éclairs appelaient un orage imminent.
« Shrek ! Fiona ! Détournez son attention je vous prie ! Il me faut un peu de temps pour invoquer la Lumière des Déesses !
— Compris, Princesse ! »
Le couple unit ses forces, usant de piliers effondrés et autres vestiges du château pour les projeter sur le cochon. Formulé ainsi, cela sonnait étrange – pourtant, la stratégie fonctionnait à merveille, et la créature ne ripostait qu’envers eux dans des râles gutturaux. À nouveau, sa magie noire émanait de toute part sous la forme de boules lumineuses teintées de rouge sang. Link agissait en bouclier humain, interrompant ces attaques à distance lorsque cela lui était possible grâce à ses flèches, et ripostant à coups d’épée si la menace s’approchait bien trop des deux ogres. L’Âne et Potté, quant à eux, restaient aux côtés de Zelda, prêts à intervenir si quoi que ce fût parvint jusqu’à elle. La princesse, agenouillée, murmurait des incantations dans une langue qui semblait bien ancienne, faisant naître au creux de ses paumes une lumière dorée qui irradiait de chaleur. Celle-ci grandissait seconde après seconde, adoptant petit à petit la forme d’une flèche.
Sur le dos de sa main gauche, un triangle doré avait fait lui aussi son apparition et étincelait de mille feux.
« Link ! finit-elle par appeler. Maintenant ! »
L’épéiste-archer se rua à ses côtés et s’empara de la flèche de lumière qu’elle lui tendait. Bandant son arc, ignorant la figure triangulaire qui naissait sur sa propre main gauche, il visa le front du cochon. La pointe vint percer la surface du cristal qui se fissura, mais ne se brisa pas.
Shrek et Fiona, mus par une force incomparable, jetèrent un ultime pilier – le dernier encore un tant fût peu intact – en direction des genoux de Ganondorf-cochon. Ce dernier plia sous l’assaut et s’effondra, tête baissée.
« Potté !! »
Le félin héroïque n’attendit pas l’appel de son fidèle compagnon ogre pour se ruer vers l’ennemi et, profitant d’une ruade de l’Âne qui le propulsa dans les airs, plongea tout droit vers le cristal abîmé par la flèche de lumière de Link et Zelda.
« POUR LE TOURNOI ! » scanda-t-il en plantant la pointe de son fleuret dans sa cible.
Un éclat lumineux éblouit la pièce tandis que le cristal se brisait en un millier de morceaux. L’enveloppe porcine de Ganondorf disparut, laissant sa silhouette hors de conscience étendue sur le sol.
Zelda s’approcha de lui, entourée des valeureux combattants qui avaient œuvré à ses côtés pour défaire leur ennemi, et murmura une formule tout en faisant appel à sa magie. Le fragment de la Triforce que possédait Ganondorf se sépara de son corps et lévitait au-dessus de la paume de la princesse. En un mouvement, elle le révoqua, le scellant en elle afin de le protéger.
« Tout est bien qui finit bien, murmura-t-elle. Nous allons ramener Ganondorf en Hyrule et le traîner en justice. Il obtiendra le châtiment qu’il mérite. Merci infiniment pour votre aide. J’ignore ce que nous aurions fait à nous seuls, Link et moi. »
Elle s’inclina poliment face au quatuor improbable avec lequel elle avait fait équipe. Chacun de ses membres semblait plus embarrassé que les autres, mais saluait avec grand respect la princesse, inclinant la tête chacun son tour en guise de marque de respect.
« Un pour tous, et tous pour un, comme dit le dicton !
— Potté a bien raison, sourit Fiona. C’était naturel d’aider quelqu’un en danger.
— Vous avez été d’une efficacité redoutable. Personne ne nous croira, au château, lorsque nous chanterons vos louanges. Ne voudriez-vous pas vous joindre aux festivités ? »
Le silence et la moue de Shrek suffirent comme réponse. C’était bien trop pour lui, il avait déjà donné avec la royauté et toutes ces histoires, bien des années plus tôt. Il était bien plus à l’aise au chaud dans son marais, entouré de ses connaissances avec qui il s’entendait à merveille…
« Je t’écrirai, Fiona. Lorsque nous en aurons fini avec Ganondorf, je compte bien te rendre visite. Nous avons tant de temps à rattraper !
— Avec plaisir ! Je te présenterai à nos trois monstres. Tu verras, ils adorent les nouvelles têtes, et encore plus lorsqu’elles sont de la famille ! »
Sur de chaleureuses étreintes, Zelda et Link saluèrent Shrek, Fiona, l’Âne et surtout Potté. Le corps évanoui de Ganondorf lévitait grâce à la magie de Zelda, et voilà que le trio improbable prenait à présent la route pour retourner dans le royaume d’Hyrule duquel ils provenaient.
« C’était une sacrée journée, soupira Shrek. Potté, réfléchis-y à deux fois la prochaine que tu vois une annonce pour un tournoi d’épée. Pas sûr qu’on soit toujours aussi bien équipés pour un affrontement contre un gros cochon avide de pouvoir. »
Tous rirent, soulagés de la belle issue de ce combat qui, pourtant, ne laissait à aucun moment entrevoir une issue aussi optimiste. Potté jura de leur payer une belle tournée en guise de remerciements, et jura de s’abstenir pour la prochaine fois.
« Mais, conclut-il, il faut bien admettre que ça n’est pas pour rien que je l’ai remporté, ce tournoi ! J’ai tout de même triomphé d’un beau rival. C’est ça, d’être le plus téméraire de tous les héros ! »