Les Alliances de Mayfair Streets
Chapitre 1 : Les alliances de Mayfair Streets
2510 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 24/11/2024 08:55
À l'occasion du Secret Santa 2024, c'est avec plaisir que je te dédie ce petit texte.
Joyeuses fêtes de fin d'année à toi @alresha
Les alliances de Mayfair Streets
Les festivités de fin d'années marchaient sur nous à grandes enjambées. C'était du moins mon impression.
L'agitation dans les rues de Londres avait tendance à mettre ma patience à rude épreuve. Une patience déjà bien éprouvée par l'absence totale d'idée de cadeaux à offrir pour Mary, ma tendre épouse.
L'année 1899 touchait à sa fin. Elle emporterait avec elle les derniers jours du dix-neuvième siècle. Nos coutumes se muaient peu à peu et, a mon grand regret, la fête de Noël devenait tristement commerciale.
Je remontais bredouille Brook Street à contre-courant d'une marée humaine chargée de colis lorsque je l'aperçu.
À l'angle de la rue, les pieds dans la neige fondue, recouvert d'une cape blanche et surmonté d'un long bonnet à pompon, l'homme tenait un petit seau d'une main et de l'autre une cloche avec l'aide de laquelle il hélait les passants, les incitant à quelques générosités.
Son visage était couvert d'une longue barbe blanche de coton, son nez était visiblement faux, mais ce regard perçant et ces sourcils volontaires ne pouvait être que ceux d'un seul homme :
-Holmes?
J'étais désormais penché en avant afin de voir plus précisément au travers le subterfuge, à quelques centimètres du visage de mon ami.
Hilare, je répétais :
-Holmes! Mais que manigancez-vous, vêtu de la sorte ?
Ses mouvements de cloches se firent plus insistant dans le but très clair de couvrir ma voix.
-Passez votre chemin. Je ne suis pas celui que vous croyez.
Comprenant que j'étais sur le point de mettre à mal l'un des plans du grand Sherlock Holmes, je reculais d'un pas.
Mon ami plongea sa cloche dans son seau puis en sortit une autre, plus petite. D'un vif mouvement, il fit sonner celle-ci par deux fois.
Son tintement était plus claire.
Il fit ensuite un signe de tête à un gamin des rues qui était posté sur le trottoir d'en face.
D'un mouvement de cloche, il désigna un quidam aux pas précipités que le môme se mit à filer.
Non sans brusquerie, Holmes me saisit par le col pour m'entraîner dans une ruelle.
Nullement troubler par ce comportement, j'étais en vérité plutôt amusé par la situation.
-Quel est donc ce déguisement, Holmes ? Saint Nicolas ?
Retirant barbe, bonnet et robe, il déclara :
-Le meilleur moyen de se cacher est de le faire à la vue de tous.
Holmes enfonça les deux cloches et son costume dans le vieux seau, qu'il glissa ensuite derrière une benne à ordure, après en avoir récupéré les quelques pièces qu'il avait accumulées, fruit d'une matinée de charité.
J'avais de nouveau sous les yeux mon ami, tel que je l'avais laissé quelques semaines auparavant. Une impeccable redingote sur son costume de tweed, Holmes était grand, élancé et distingué en toutes circonstances.
Je m'impatientai :
-Allons Holmes, vous avez levé un lièvre et lâchez les chiens, qu'attendons-nous?
Il tira une montre à gousset qu'il consulta d'un geste vif avant de la remettre dans sa poche.
-Avez-vous faim, mon cher Watson ?
Sans attendre ma réponse, il quitta la ruelle, votre serviteur sur les talons.
De retour sur Brook Street, un autre enfant des rues l'attendait : une fillette à laquelle il remis la poignée de penny en échange du haut de forme qu'elle portait par-dessus un bonnet de laine. Son fidèle chapeau ainsi récupéré alla parfaire l'allure de mon ami.
Saint Nicolas n'était plus. Il ne restait que le détective le plus brillant de notre temps.
Holmes avançait d'un pas décidé au travers la foule, jetant régulièrement un œil à sa montre. J'avais grand-peine à le suivre.
-Holmes! Auriez-vous l'amabilité de m'expliquer à quoi rime tout ceci ?
Comme pour attiser mon excitation, mon ami ne me dévoila les tenants et les aboutissants qu'au prix d'une course au travers les rues de Mayfair en direction de Soho.
J'étais donc à la fois perplexe, mais également galvanisé lorsque nous fimes halte devant un pub.
Après un dernier coup d'œil circulaire sur la rue, puis avoir vérifié sa montre une ultime fois, Holmes m'invita à entrer dans l'établissement d'un geste nonchalant.
-Si vous m'invitez je vous raconterai tout, mon cher Watson.
Ce fut donc à l'abri du froid, devant un succulent plat d'agneau en sauce et une pinte que mon ami commença son récit :
-Depuis quelques jours, notre cher inspecteur Lestrade rafle les enfants des rues.
J'eus le malheur d'intervenir, objectant qu'avec l'hiver déjà bien installé, la place d'enfants n'étaient pas dans la nature, qu'ils seraient mieux en orphelinat ou en pensionnat, mais le regard sévère d'Holmes me coupa dans mon élan.
-Ces enfants sont envoyés en maison de correction, Watson. Sur les simples accusations de cet homme.
Sherlock pointa sa fourchette en direction de la rue. Au travers la vitre du pub, j'aperçus un grand rouquin, le visage à moitié recouvert d'une épaisse écharpe en laine. Il était vêtu d'un long trench-coat marron. Le rouquin venait de quitter une boutique de prêteur sur gage et s'éloignait désormais tout en jetant des regards alentours. L'individu semblait à l'évidence craindre d'être suivi.
Mon ami poursuivi :
-Hector Cooper. Bijoutier de renom. Victime selon ses dires d'une série de vols.
-"Selon ses dires", Holmes?
Du bout de sa fourchette, mon ami piquait mollement sa viande. Il semblait vexé.
-Oui. L'individu a catégoriquement refusé mon assistance, m'interdisant l'accès à la scène de crime.
-Voilà qui est on ne peut plus louche.
Son visage s'adoucit. Taquin, il ironisa :
-Se contenter de l'aide unique de Lestrade. C'est criminel, vous voulez dire.
La porte du pub s'ouvrit en grand laissant passer un petit bonhomme poussé par le froid. Il s'agissait du jeune pisteur qu'Holmes avait lancé aux trousses du bijoutier. Emmitouflé sous plusieurs couches de vêtements, couvert d'une épaisse veste, il présentait sous sa casquette trop grande une bouille radieuse, déterminée, mais rougie par les températures.
-Vous aviez raison M'sieur, c'est bien chez Vassili le Borgne que se rendait ce sale menteur.
-Je n'en aie jamais douté, abonda Holmes.
Il lança un clin d'œil accompagné d'un penny à son espion qui disparut aussitôt.
Vassili le Borgne tenait son sobriquet de son œil de verre, qui lui donnait des allures de poisson mort si, par malheur, vous l'observiez de profil.
Il était l'imposant gérant de la boutique de prêteur sur gage où nous venions de pénétrer.
La théorie de Holmes était celle-ci : Hector Cooper s'en tirait mal face à la concurrence. Afin de s'assurer une rentrée d'argent, il aurait fait disparaitre une partie de son stock dans le but d'en toucher l'assurance. Il s'était ensuite assuré de faire porter les soupçons sur les marmots vagabonds qui peuplent les rues de Londres, suite à quoi, il aurait pris soin de brader son stock "volé " auprès du très avenant Vassili, dit le borgne.
-Un bon moyen de rentabiliser un stock dormant, conclut mon ami.
Nous étions tous deux penchés au-dessus d'un présentoir sous vitrine où était entreposés chevalières, anneaux et alliances.
-Que cherchons-nous, Holmes?
-La plupart des pierres précieuses utilisées ici viennent des mêmes mines d'Afrique du Sud. Nous pouvons raisonnablement éliminer cet élément. Focalisons-nous sur l'absence de poinçon. Notre homme n'est pas stupide, il aura fait disparaitre ses bijoux sans les marquer. Mais ses créations portent indéniablement sa signature, une griffe, la touche de l'artiste. Car c'est d'un artiste dont il s'agit, et les artistes sont vaniteux.
-Les détectives le sont également, plaisantais-je.
Il tendit sa main droite qui s'extirpa de sa manche. Son annulaire portait avec une certaine élégance une alliance féminine. Un bijou délicat orné d'une petite pierre précieuse. Holmes ajouta :
-Pauvre de vous, Watson, je suis également un peu artiste.
Il marqua une pause afin d'appuyer son effet, puis il reprit :
-J'ai acquis ceci auprès de Cooper. Rassurez-vous je ne m'étais pas costumé en Saint-Nicolas pour l'occasion. Essayons de trouver des similitudes entre cette bague et celles en vitrine.
Avec la plus grande application possible, je m'attelais à minutieusement détailler les bijoux. Après d'interminables minutes, je notais que l'une des pierres blanches dans la vitrine était enchâssée de façon semblable à celle de l'alliance d'Holmes. Elles étaient sertie dans une volute en forme de S.
-La volute autour de cette pierre est identique à celle de votre bague, avançait incertain.
Holmes ne me répondit que d'un sourire satisfait. Celui qu'il n'adresse qu'en de très rares occasions.
Je lui demandais :
-Vous l'aviez déjà remarqué, n'est-ce pas ?
-Évidement.
Il se redressa, puis me glissa discrètement :
-Et vous êtes sur le point de l'acheter. Cela fera office de preuve pour Lestrade, puis de cadeau pour Mary.
J'eus à peine le temps d'objecter que je n'avais nullement l'intention d'offrir une bague de fiançailles pour une femme que j'avais déjà épousée. Mon ami faisait déjà signe au grand Vissili.
Le prêteur sur gage traversa en grognant sa boutique encombrée d'instruments de musique, de vêtements et autres meubles pour venir se poster à nos côtés. Holmes me donna un léger coup de coude afin de m'inciter à entrer dans son jeu.
Ce fut donc soulagé de quelques billets, muni de notre preuve et de son reçu que nous quittèrent la boutique de Vassili le Borgne.
Le restant de l'après-midi fut consacré à convaincre l'inspecteur Lestrade du bien fondé de la théorie de Holmes. Si les alliances de Mayfair Streets et de Vassili avaient mis à mal la version de Monsieur Cooper, l'éloquence de Sherlock Holmes avait fait le reste.
Contrairement à mon ami, Lestrade n'aimait pas voir de "délinquants juvéniles déambuler dans les rues", pour reprendre ses mots.
Il appréciait cependant nettement moins l'idée qu'un escroc puisse faire de fausses déclarations pour ensuite faire porter la responsabilité de ses crimes à des enfants.
...
L'obscurité et le froid avaient peu à peu vidé le quartier de Mayfair où nous cheminions désormais Holmes et moi-même pour la troisième nuit consécutive.
L'inspecteur Lestrade avait concédé mettre quelques uns de ses hommes à notre disposition. Nous passions d'ailleurs devant l'un d'eux, à qui Holmes avait ordonné de rester dissimulé à l'ombre d'une devanture.
-Je m'en veux d'avoir à vous demander cela une fois de plus, Holmes. Mais êtes-vous certains que notre homme se montrera ?
-Et je vous le répète, Watson : l'unique moyen pour Cooper de regagner un peu de crédibilité auprès de Scotland Yard, c'est de ne pas être l'unique victime de Mayfair Streets. Il y a de très fortes probabilités qu'il se fasse lui-même cambrioleur et s'en prenne à un concurrent.
Je remontais mon col. Le temps passé auprès de mon ami valait bien d'affronter quelques heures de ballade hivernale nocturne.
Au cours de ces derniers jours, nous avions évoqué Mary, qui avait apprécié l'alliance offerte avec quelques jours d'avance. Les souvenirs de nos aventures avaient également occupé une part importante de nos discussions. La vie au 221b Baker Street me manquait, je devais bien l'avouer.
-Je suis heureux en ménage, Holmes. Mais je vous envierai presque de profiter pour le réveillon des petits plats de Mrs Hudson.
-Ce ne sera pas le cas cette année, je le crains, déclara Sherlock après une courte réflexion.
Il poursuivit, comme un aveu :
-Mrs Hudson est partie il y a quelques jours dans le Sussex, rejoindre de la famille.
C'était de cela dont il s'agissait : un aveu. L'aveu qu'il passerait le réveillon seul. L'aveu que sa fierté légendaire lui avait dicté de garder cela pour lui.
Car mon ami me connaissait mieux que personne, il avait sans l'ombre d'un doute anticipé ma proposition, objectant avant même que je n'ouvre les lèvres :
-Je vous arrête tout de suite Watson, je ne vous imposerais pas ma présence. Et je refuse toute invitation.
Au cours de ces derniers mois, je m'étais inconsciemment éloigné de Baker Street, et de mon ami. Mon quotidien de médecin et d'époux accaparait, cela va de soi, mon temps et mon esprit.
Je me rassurais en sachant Holmes au bon soin de Mrs Hudson, sa logeuse.
Mrs Hudson était l'une des rares personnes à avoir suffisamment de patience et de sympathie envers Holmes afin d'en supporter les excentricités.
Si Holmes me connaissait bien, je pouvais me targuer de le connaître également, aussi jouais-je la carte de l'humour afin de démontrer l'absurdité de son refus.
-Holmes, lui dis-je. Acceptez cette invitation, non pas au nom de notre amitié, mais par charité chrétienne, je vous en prie : si Mary venait à apprendre que je vous ai laissé seul un soir de réveillon, elle m'empoisonnera la vie, c'est indéniable. Aussi, par égoïsme, je me dois d'insister: passez ce réveillon avec nous.
Holmes s'arrêta. J'en fis de même. Mon ami me toisait de toute sa hauteur, un léger sourire au coin des lèvres. Je venais de faire mouche.
-Je vous promets de prendre votre invitation en considération, mon ami.
Un écho métallique en provenance d'une ruelle voisine nous ramena à la réalité.
Nous nous précipitâmes dans le boyau sombre pour déboucher dans une artère parallèle à l'avenue principale. L'une des portes menant à une arrière-boutique était ouverte. La lumière qui s'en dégagée découpait la forme d'un homme dans les ombres. Un homme a la chevelure rousse.
Mon ami usa du sifflet que lui avait confié notre allié de Scotland Yard.
L'instant d'après une poignée de policemen arrivaient de part et d'autre dans la ruelle.
Cooper était pris, la main dans le sac.
Épilogue :
De mauvaise grâce, l'inspecteur Lestrade fit, en fin de compte, jouer ses relations afin de faire sortir les quelques innocents juvéniles de la maison de correction, les transférant dans un orphelinat.
La marche inexorable de Noël pu alors reprendre.
Puis, finalement, une bouteille de champagne à la main, Holmes se présenta à mon domicile dans la journée du vingt-quatre décembre.
Mary et moi-même étions plus que ravis de le recevoir.
La solitude ce n'est pas être seul, c'est être seul avec soi-même. Or Holmes, aussi imbu de sa personne fut-il pouvait être d'une compagnie exécrable avec lui-même. Je portais à son égard, outre un respect et une amitié sincère, une affection particulière. Je fus donc rassuré de le voir partager cette solitude avec nous.