John au pays des merveilles
Trop ! C'en était trop ! Le docteur avait beau être indulgent, il y avait des limites à ne pas franchir.
Après Sherlock qui l'abreuvait de commentaires désobligeants, chaque soir quand il rentrait de son travail après de longues journées épuisantes pour pouvoir payer son loyer et acheter de quoi manger tous les jours, parce qu'il ne comprenait pas pourquoi, un homme banal comme lui, travaillait alors que Sa Seigneurie, Le-Sociopathe-De-Haut-Niveau, à l'intelligence supérieure – dont le loyer pouvait lui être soulagé par son très cher frère – n'avait aucune enquête depuis des semaines, voilà maintenant que sa sœur débarquait comme ça, à l'improviste. Et qu'est-ce qu'elle trouve de mieux à lui dire : « Tu attends quoi pour déclarer ta flamme à Sherlock ? » Non, mais franchement ! N'avait-elle pas encore compris qu'il n'était pas gay et par conséquent nullement intéressé par les hommes. À cette réplique, elle avait rajouté : « Je ne te parle pas des hommes, je te parle de Sherlock ! » Comme si ce détail justifiait une évidence qui devait lui sauter aux yeux.
C'est en claquant la porte que John sortit prendre l'air pour évacuer la colère qui grondait au plus profond de lui.
Il avançait parmi les Londoniens, n'accordant aucun regard à qui que ce soit, trop occupé à ruminer sa discussion qui lui tournait dans la tête.
Après plusieurs minutes à marcher d'un pas décidé, il refit surface en constatant que ses pieds l'avaient amené jusqu'à l'entrée de Regent's Park sans y avoir réfléchi au préalable.
Maintenant qu'il était là, autant en profiter pour s'y promener un peu.
Ce parc avait le don de l'apaiser dans ces moments où il ne supportait plus son entourage. Il trouva un banc sous un arbre et s'y installa.
Il observa quelques coureurs faisant leur jogging quotidien en ce dimanche ensoleillé. L'air était encore suffisamment doux pour un mois de septembre – heureusement d'ailleurs, car il n'avait pas pris sa veste en partant. Il était vêtu d'un jean bleu, de baskets noirs et d'un pull noir et blanc rayé. Quelques mères de famille dirigeant des poussettes avançaient doucement tout en discutant entre elles tandis que leurs enfants piaillaient entre eux.
John étira son cou douloureux dû à de longues heures d'écriture sur son blog pour raconter la dernière enquête qu'ils avaient eue le mois précédent : L'affaire du collier ensorcelé [1]. Il tournait son buste de droite à gauche, faisant craquer ses vertèbres pour se soulager de la tension dans son dos quand il distingua quelque chose à trois heures de sa position.
À cinquante mètres de lui, John fixa la chose la plus improbable qu'il n'ait jamais vue de toute sa vie : il vit sortir d'un fourré un curieux animal mesurant environ soixante centimètres – un peu plus si on comptait les longues oreilles – qui, non seulement marchait sur deux pattes, mais de surcroît, portait un gilet bleu et une montre à gousset.
Il cligna plusieurs fois ses paupières pour faire disparaître cette image de la tête, hélas ! lorsqu'il les rouvrit, il ne put que constater que son hallucination était toujours là et comble de tout, le lapin consulta sa montre et s'exclama d'une voix paniquée :
« Je suis en r'tard, en r'tard, en r'taaaaaaaard ! »
Le lapin prit la poudre d'escampette et courra entre les arbres.
John se leva et – regardant autour de lui pour voir si d'autres personnes avaient vu la même chose que lui, constatant qu'il était seul – se lança à la poursuite de ce drôle de spécimen parlant.
John conservait au fond de lui une curiosité naïve qui datait de sa prime jeunesse et, parce qu'il trouvait sa vie d'adulte suffisamment morne et ennuyante, se décida à céder à cette envie de découvrir quelque chose d'irréel, même si au fond, ce lapin était peut-être un simple automate ou un canular à l'intention de personnes crédules telles que lui, mais au fond, ça lui permettait d'y ajouter un peu de rêve un temps.
L'animal se trouvait à cinq mètres de lui. Il s'était arrêté, semblant chercher son chemin. John se cacha derrière le tronc d'un arbre et observait ce que faisait ce lapin tout blanc.
« Un géant blanc aux yeux rouges, il me semble, si je m'en réfère à sa taille. Un peu trop vrai pour n'être qu'un simple jouet. »
Il lui revint en mémoire une citation que Sherlock lui avait souvent dite au cours de ses enquêtes : « Quand on a éliminé l'impossible, quoiqu'il reste, aussi improbable que ce soit, cela doit être la Vérité. »
Une flamme s'alluma au fond de ses yeux. John venait de trouver l'impossible et pour prouver à son colocataire qu'il n'était pas fou, s'il voulait lui raconter ce qu'il avait vu, se mit dans l'idée de capturer ce lapin.
Mais en sortant de ses pensées, il se rendit compte que sa preuve venait de filer une nouvelle fois. Il sortit de sa cachette et chercha autour de lui.
« Petit petit, viens là mon lapin », dit-il d'une voix légère et douce.
Il le trouva à quelques pas près d'un fourré particulièrement dense. Alors qu'il s'apprêtait à lui mettre la main dessus, le lapin sauta en travers du feuillage, que John suivit, espérant le choper avant qu'il ne s'enfuit.
Au lieu de rencontrer le sol dur, il tomba dans un trou. Un trou profond… Un trou très profond… Sombre et sans fin.
Il eut la peur de sa vie, croyant tomber dans un ancien puits désaffecté qui lui briserait le cou à coup sûr.
Après quelques instants, la peur se dissipa. C'était une expression de parfaite hébétude qui s'affichait sur son visage. Il descendait, doucement, comme s'il volait dans une semi-apesanteur l'amenant toujours plus bas. Il n'arrivait pas à penser correctement et se contenta d'essayer de voir quelque chose dans le noir profond. Le lapin avait disparu et pour le moment, il ne put ni distinguer le sol, ni l'entrée du trou.
Des objets s'éclairèrent sur les murs. Il voyait des jouets d'enfant qui lui rappelaient vaguement les mêmes qu'il possédait étant gamin.
Puis des armes. L'armée l'avait profondément marqué dans son esprit et dans sa chair. Une période de sa vie qu'il tentait d'oublier, toujours aussi vive par ses cauchemars récurrents. L'apparition s'estompa alors qu'il descendait toujours.
Des livres apparurent. Beaucoup de livres. John aimait lire et écrire. Il prit l'un d'eux en mains et lut sur la couverture : Voyage au centre de la terre. Il avait lu plusieurs fois ce roman de Jules Verne qui l'avait tant passionné étant gamin. Il le lâcha et celui-ci reprit sa place initiale. Il aperçut de la lumière sous lui et distingua enfin le sol.
« Et me voici au centre de la terre. » Songea-t-il.
Il se redressa et posa ses pieds sur le sol de terre, comme s'il venait juste de faire un pas.
Il se trouvait dans une pièce circulaire dont les murs étaient recouverts de rideaux bordeaux. À première vue, aucune sortie ne lui permettait de quitter cet endroit. Il s'approcha d'un des rideaux et l'écarta du mur. Il découvrit une porte. Il tourna la poignée, mais elle était fermée à clé. Il fit le tour de la pièce et découvrit d'autres portes, toutes fermées. Il testa la résistance de chacune d'elles, mais le bois utilisé semblait en chêne massif et elles restèrent désespérément closes.
« Je ne vais pas rester coincé ici tout de même ! » Maugréa-t-il.
Il chercha son portable dans sa poche, mais ne s'y trouvait pas.
« C'est pas vrai ! Je l'ai laissé sur la table de la cuisine ! Je fais quoi moi maintenant ? » Se désespéra-t-il.
Tout à son agacement, il ne vit pas tout de suite le lapin blanc passer à côté de lui et se faufiler derrière un rideau. John le remarqua au dernier moment en ce précipitant à sa suite. En tirant le rideau, le lapin n'était plus là, mais il trouva une toute petite porte, pas plus haut que cinq pommes. Fermée.
« Ben voyons ! Le contraire m'aurait étonné ! » S'exclama-t-il. Et puis songea : « De toute façon, je suis trop grand pour passer. »
Il s'appuya contre le mur et ses yeux se portèrent sur une petite table circulaire en verre qu'il n'avait pas remarqué jusqu'à présent. Il y découvrit une petite clé qu'il prit.
« Vu sa taille, elle doit ouvrir la mini porte. » Ironisa-t-il.
Curieux de voir ce qu'il y avait derrière, il se mit à genoux et ouvrit la porte. Il se baissa et découvrit un très beau jardin.
« Bon, ça me fait une belle jambe, mais comment je fais pour y aller ? »
Son regard se porta à nouveau sur la table et découvrit un muffin au chocolat devant lequel un écriteau indiquait : Mange-moi. Il posa la clé et prit le gâteau. Son ventre cria famine et ne se posant pas trop de questions, le mangea. Il se mit tout à coup à rétrécir jusqu'à atteindre la taille de trois pommes. Il était éberlué. Ce qui venait de se passer était totalement surréaliste.
« Aussi ouvert soit-il, Sherlock ne me croira jamais. »
Il avança vers la porte et comble de malchance, celle-ci était à nouveau fermée.
Il tourna sur lui-même, avec une tête de déterrer, les sourcils froncés, et observa la clé visible à travers la table. Il souffla et évita tout commentaire sur son manque de discernement. Il essaya d'escalader le pied de la table, mais trop glissante, il retomba sur le sol.
« Il faudrait que je grandisse un peu pour l'attraper. »
Et comme si un être invisible l'avait entendu, en baissant la tête, il trouva au sol une petite fiole dont l'étiquette indiquait : Bois-moi.
« Bon, j'imagine que ça va me faire grandir, mais après, comment je fais pour rapetisser à nouveau ? »
Finalement, il but le contenu et advienne que pourra. Il grandit donc, un peu, beaucoup, trop. Sa taille s'était multipliée par trois par rapport à son corps normal.
« OK, je ne m'attendais pas du tout à ça. »
Il prit la petite clé qu'il garda dans sa main et murmura en fermant les yeux :
« Je veux rapetisser, je veux rapetisser ! »
Il ouvrit un œil et découvrit un nouveau muffin sur la table.
« Eh ben voilà ! Suffisait juste de demander ! »
Il prit le gâteau et l'engloutit. Il reprit à nouveau sa petite taille.
Préférant ne pas tergiverser trop longtemps sur ce qui venait de se passer, il s'avança vers la porte qu'il ouvrit.
Quand il franchit l'entrée, il n'en croyait pas ses yeux. Ce qu'il vit ne pouvait pas être vrai et pourtant…
Il se pinça : « Aïe ! »
D'accord, il ne rêvait pas. Devant lui, des allées de haie montant très haut traçaient un chemin sinueux qui semblait se perdre à perte de vue, de nombreux massifs de fleurs parsemaient un peu partout leurs couleurs chatoyantes. Des arbres s'élevaient çà et là du jardin, donnant des espaces ombragés dans ce décor qu'illuminaient un soleil généreux et un beau ciel bleu traversé par un arc-en-ciel. Le temps était doux et agréable. Il ne reconnaissait pas ce parc et n'y avait jamais mis les pieds.
Mais en dehors du côté paisible d'un tel endroit, il vit ce qui clochait : les fleurs géantes avaient un visage et semblaient chanter au soleil qui leur fit un grand sourire, les arbres discutaient avec les corbeaux qui leur répondaient de leur voix de majordome. Des petites pierres que comptait le chemin, roulaient sur elle-même pour avancer.
John tourna à trois cent quatre-vingts degrés sur lui-même pour embrasser l'ensemble du lieu notant au passage que la porte avait disparu qu'il était minuscule au milieu de cette vaste nature aux proportions démesurées et c'était avec les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte qu'il réalisait la situation dans laquelle il se trouvait.
« Bon sang, mais où suis-je tombé ?! »
À SUIVRE…
[1] Je précise que cette affaire n'existe pas.
Alors, que pensez-vous de cette mise en bouche ? Parce que les aventures ne font que commencer pour John. :) Je ne sais pas encore combien je ferais de chapitres. Les histoires d'Alice sont plutôt courtes donc je vais devoir pas mal développer et trouver d'autres situations inédites.
N'hésitez pas à m'envoyer des idées par reviews ou MP, je pourrais peut-être en développer quelques-unes.