Sentaï Scoop

Chapitre 4 : Love me sentaï.

13236 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/04/2017 12:14

Chapitre 4

D’un geste machiavéliquement théâtral qui aurait fait pâlir les dernières années de la Villains School, Olys écarta les cintres de ses chemises dans sa garde-robe pour atteindre le fond de son placard.

Comme tout bon enquêteur/psychopathe (veuillez barrer la mention inutile), méthodique, maniaque et névrosé qui se respecte, Olys avait composé sur son mur une mosaïque dédiée exclusivement à Ken Eraclor.

Il y avait des photos de lui partout, à toutes les échelles, dans toutes les positions, dans toutes les tenues et dans tous les décors : Ken assis en classe, Ken en tenue de sport, Ken en slip en train de se changer dans les vestiaires des garçons, Ken en maillot-de-bain, Ken avec ses lunettes à la bibliothèque, Ken avec serge le hamster démoniaque que la Villains School avait relâchée pour des raisons indéterminées et qui était désormais la mascotte de la classe de Bibi, Ken en tenue traditionnelle du Yamato prise au retour du voyage scolaire, Ken en tutu de danse…

En admirant plus qu’en observant son mur, elle remarqua qu’il manquait toujours une photo de lui sur les toilettes. A vrai dire, la seule fois où elle avait réussi à le suivre au petit coin en escaladant la chasse d’eau du cabinet voisin et glissant sa tête entre deux tuyaux d’arrivée d’eau, sa carte mémoire était déjà pleine.

Elle s’en était mordue les doigts car le jeune homme avait eu un comportement pour le moins étrange. En effet, il s’était simplement assis tout habillé sur la cuvette de toilette, battant abaissé, avait attendu quelques minutes puis avait pris quelques feuilles de papier hygiénique, les avaient chiffonnées méticuleusement comme s’il faisait un origami, puis jetées dans le WC avant de tirer la chasse d’eau. Olys avait trouvé ça suspect… Elle avait aussi trouvé suspect qu’il se lave les mains avec de l’huile de vidange plutôt qu’avec l’eau du robinet, huile qu’il cachait d’ailleurs dans un faux flacon de déodorant glissé dans son sac à dos.

Il lui manquait également une photo de Ken lorsqu’il a réussi à intercepter à mains nues les deux karts le jour de la course. Olys avait une caméra à la place de l’appareil photo ce jour-là mais sous le choc elle n’avait pas eu le réflexe de le filmer.

« Je sais que tu caches quelque chose… Dit Olys à voix haute, les yeux rivés sur le visage parfait et mystérieux de Ken pris en gros plan. Et je découvrirai ce que c’est. Peu importe le prix à payer, je ne quitterai pas cette école avant de savoir ce que tu caches derrière tes petits yeux bleus et froids. »

Dans un sourire presque dément et fasciné, Olys fronça ses sourcils plein de détermination.

« Tu es à moi Ken Eraclor…

- Chérie, je t’entends parler toute seule… Gloussa la voix fluette de madame Allen. Tu es sûre d’avoir bien pris tes médicaments ?

- Oui maman… Soupira Olys. Je… Je répète pour la pièce de théâtre de Noël. »

Au-delà de ce mensonge facile pour avoir la paix, c’était bel et bien la fin du trimestre. Le mois de décembre apportait avec lui le froid ainsi que les premiers résultats des contrôles continus qui allaient être affichés ce lundi.

Les notes avaient été imprimées sur du papier recyclé. Kenshiro le jardinier était en train de les afficher sous le regard de Georges Spectreman et du principal Ultra-Sama.

« Pfff… J’attends encore la subvention promise par le maire. Nous en sommes rendus à publier les notes au verso des anciens tracts syndicaux de la ligue des justiciers ! Se lamentait Ultra-Sama.

- Je crois que nos étudiants ont fait un peu trop de dégâts en ville lors de la course…

- Comme d’habitude Georges, conclue Ultra Sama en agitant la main avec agacement. Je l’avais pourtant prévenu mais ce type est tellement têtu qu’il ferait mieux de s’appeler Lamule plutôt que Pintade ! Et puis de quoi il se plaint ? Nous avons déjà indemnisés les commerçants.

- Heureusement que nous avons pu vendre à bon prix le film tourné par Olys Allen à Hollywood.

- Groumf.

- Ah vous avez fini Kenshiro ? Parfait, nous allons pouvoir ouvrir les portes et laisser entrer les fauves.»

Car des étudiants en attente de leurs résultats aux examens sont semblables aux adultes pendant les premiers jours des soldes. Ils se ruent dans les couloirs comme un troupeau de bisons dans la steppe américaine avant le passage de Buffalo Bill.

Le principal et son adjoint furent d’ailleurs assez surpris par le calme relatif d’une grande majorité des élèves qui ne semblaient pas se soucier outre mesure de leur classement. Malgré tout, la masse grouillante restait concentrée devant le panneau d’affichage organisé par année d’étude.

D’un pas anormalement détendu, Keiji se dirigea vers les résultats des quatrièmes années.

« T’as l’air plus zen que la dernière fois, dit Duke à Keiji. D’habitude les examens te mettent dans un état pas possible.

- Ouais je sais mais là je sais pas, je me sens bien ! Répondit joyeusement Keiji. C’est comme si tout ça n’avait pas d’importance. »

Tôa fut le premier arrivé devant le panneau. Malgré ses bons résultats, ce qu’il vit en haut de la feuille le figea sur place.

« J’y… J’y crois pas… » Souffla Toâ. Duke aussi semblait intrigué, tout comme Hongo.

« Mes yeux me trahissent, lança le beau ténébreux sur un ton dramatique, Keiji n’est plus premier !

- C’est pire que ça, renchérit Duke en fixant le panneau perplexe, il est même mal classé.

- Ah ah ! J’uis premier j’uis premier ! Je suis meilleur que le meilleur ! » Chantait Koji en effectuant une danse de la victoire très plouk-land autour du petit groupe.

« Ouais c’est pas mal pour un fermier, dit Duke moqueur.

- J’uis pas un fermier !

- Encore un mystère à résoudre, dit Ken en chaussant ses lunettes de détective. Peut-être avons-nous pénétré dans une dimension parallèle où Keiji est un cancre et où Koji ne viendrait pas de la campagne… »

Ken regarda plus attentivement Koji qui continuait de se dandiner sur un air de country imaginaire.

« Hum… Je crois que ma théorie n’est pas sans faille pour une fois… »

Quelques mètres plus loin dans le couloir, Shinobi, Vipère et Olys faisaient le pied de grue devant le panneau des troisièmes années, pour voir leurs propres notes… Ou plus exactement : Bibi essayait de lire le panneau, Vipère indifférente attendait derrière, les bras croisés, que la meute d’élèves curieux s’écarte, soulagés ou déçus, et Olys à côté d’elle prenait de loin des photos de Ken en train d’élaborer une nouvelle théorie fumeuse. Vipère lui jeta un coup d’œil en hochant la tête de droite à gauche d’un air affligé. 

« Oh ! »

Le petit cri de Bibi attira l’attention de Vipère.

« Quoi ?

- Regarde. »

Vipère bouscula sans aucune gêne les élèves qui lui bloquaient la vue, le sang des Stratéquerre coulait dans ses veines après tout. Elle suivit du regard le doigt de Bibi qui désignait quelque chose, une ligne sur la feuille, tout en haut du classement.

« Olys Allen, moyenne générale 18,5/20. Eh bée… 

- Elle est première… Dans absolument toutes les matières. Je n’ai jamais vu ça… Même Keiji n’a jamais eu des résultats pareils. » Souffla Bibi, hébétée.

Vipère détourna le regard pour fixer avec un peu plus d’attention Olys. Toujours avec son appareil photo, elle continuait de prendre des clichés à tour de bras en se désintéressant complètement du panneau d’affichage et de ses notes.

« Je parie qu’elle sait qu’elle est la meilleure, elle n’a même pas besoin de vérifier… » Dit Vipère avec un petit rictus. Son regard posé sur Olys avait changé, il se faisait désormais plus pétillant, plus intéressé surtout…

 

Love me sentaï.

 

La rumeur concernant les résultats miraculeux d’Olys se répandit comme une trainée de poudre, et beaucoup de personnes jusqu’alors bienveillantes à son égard se montraient désormais très froides, pour ne pas dire glaciales.

Olys savait d’où provenait ce changement d’attitude, elle l’avait déjà vécu dans son ancien collège : l’esprit de compétition, la jalousie, la haine des intellos… Si bien qu’à la fin de la journée, Olys était seule. La plupart de ses camarades la fuyait comme la peste, Bibi était partie rejoindre Hongo et Vipère avait tout bonnement disparue.

Assise seule à l’abri des regards, dans un recoin isolé de la bibliothèque, près d’une fenêtre qui donnait sur la partie boisée de l’école, devant la façade du bâtiment. Olys méditait en regardant dehors.

(Si je continue de rafler la première place dans toutes les matières je vais finir par attirer l’attention sur moi… Ce n’est pas bon, je dois faire profil bas. D’un autre côté, si mes résultats baissent, je risque de me faire refouler de la fac de journalisme… Non Olys, reprends-toi ! Si tu as un reportage béton sur la Sentaï School ça devrait aller.)

Elle soupira et se tourna à nouveau vers sa table de travail. Au final, Olys était assez déçue par l’école. Elle parcourait les dossiers qu’elle avait commencé à constituer sur ses camarades au cours du premier trimestre. Elle les avait étalés devant elle.

(Moi qui m’attendais à voir des mutants surdoués et des Matban en culottes courtes à tous les coins de couloirs, il y a surtout beaucoup de geeks et de m’as-tu-vu, comme cet abruti vendeur de tofu, et peu d’apprentis héros avec un véritable potentiel… Surtout chez les garçons d’ailleurs. Et puis alors cette mode abominable des magical-girls, beurk !)

Olys avait quatre pochettes nommées : « à classer », « prometteurs », « superpouvoirs », et « sans intérêt ». Si le dossier à classer était sans surprise le plus étoffé, Olys n’étant à l’école que depuis trois mois, le dossier superpouvoirs restait désespérément mince. Il ne contenait qu’une douzaine de noms dont Lami, une fille de troisième année qu’Olys soupçonnait être une extraterrestre infiltrée sur terre pour trouver un mari, et bien sûr Ken Eraclor.

« Eh toi ! » L’interpella une voix masculine criarde. Olys sursauta et dissimula ses dossiers sous des feuilles blanches. Elle chercha autour d’elle qui l’avait appelé. Un autre collégien en tenue violette s’approcha d’elle d’un pas très décidé. Olys l’avait déjà croisé mais elle ne le connaissait pas bien.

« Il paraît que tu es la meilleure dans toutes les matières, eh ben moi je peux être meilleur que la meilleure ! »

Olys le dévisagea de la tête aux pieds.

(C’est qui encore celui-là ? Un débile de plus ? Ah oui, ça doit être Koji Je-sais-plus-quoi, il est dans la classe de Ken.)

« Je te provoque en duel de connaissances ! Je sais tout sur tout : Marignan 1515, E=MC2, Boris Vian, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés de l’angle de droit, Delenda est carthago ! »

(Oh my god…)

« D’accord, tu es très fort, c’est très impressionnant. Tu es le meilleur c’est vrai. » Déclara Olys avec un grand sourire dont on ne pouvait deviner la fausseté. Koji éclata d’un rire satisfait avant de se rendre compte que quelque chose clochait.

« Ah ah je te l’avais bien dit, c’est… Euh, enfin c’est… »

Il y eut un blanc dans la conversation. Olys attendait avec son sourire figé que Koji se lasse et s’en aille.

(Il va bien finir par dégager sa boue du plancher le fermier.)

« Euh… Je peux être plus souriant que toi ! »

Et Koji se mit à sourire de toutes ses dents, il n’avait rien à envier au Joker ou à émail diamant.

(Ok je laisse tomber.)

OIys referma un livre qu’elle avait emprunté et se leva de sa chaise pour aller le ranger.

« Ech attench un peuch je nench ech pach finich avech toich ! » Chuinta Koji sans desserrer les dents pour garder le sourire.

Entêté, Koji suivi Olys dans toute la bibliothèque, des rayonnages jusqu’au petit coin. Guy l’Cobra passa à ce moment-là. Il siffla impressionné.

« Trop rebelle Koji d’aller dans les toilettes des filles… »

Assise sur la cuvette WC, Olys fulminait, la tête entre les mains.

(Rester calme, ne pas attirer l’attention…)

Elle ressortit accompagnée du bruit de la chasse d’eau, Koji attendait à côté du lavabo.

« Et d’abord je suis plus violet que toi ! Même mes chaussettes et mon slip sont violets ! Ah, et je peux être plus studieux que toi ! Je resterai dans la bibliothèque jusqu’à ce que tu partes ! Et je lirai plus de livres que toi !»

La patience d’Olys s’écaillait progressivement et lorsqu’elle revint à sa table où elle avait laissé ses affaires, Koji était toujours collé à ses baskets.

« Oh et demain j’achète un appareil photo pour prendre plus de photos que toi, et elles seront plus jolies ! »

Olys se retourna brusquement, une aura terriblement néfaste se dégageait de tout son corps. Son sourire n’était plus qu’une abominable grimace et sa figure ressemblait d’avantage à un dragon chinois qu’à un être humain.

« DEGAGE DE MA VUE CANCRELAT ! » Gronda Olys d’une voix provenant des entrailles du Mordor. Koji se recroquevilla sur lui-même et fila se planquer dans un trou de souris avant d’être changé en statue de sel, carboniser sur place ou tout autre mort horrible.

Les élèves situés dans le centre de documentation eurent une sueur froide, certains quittèrent même la bibliothèque dans la précipitation, effrayés.

(Zut, ça m’a encore échappé.)

Olys se rassit calmement et rouvrit le dossier "à classer". Elle chercha la fiche de Koji Alcor, une photo était déjà agrafée dessus et elle la déplaça dans le dossier "sans intérêt", juste devant la feuille de Tofu Leformidable. Elle referma le dossier des nazbroks dans un claquement sec. Puis, avec un léger soupir, teinté de mélancolie elle tourna à nouveau le regard vers la fenêtre, pensive.

(Le destin est bizarre parfois… Je suis entrée dans cette école parce que j’ai croisé par hasard l’un des seuls étudiants avec un talent pour l’héroïsme. Je ne dois pas gâcher cette opportunité.)

« Tu t’énerves facilement on dirait… Murmura une voix entre les rayonnages. Olys se retourna vivement mais il n’y avait personne derrière elle.

(Qui vient de me parler ? Je connais cette voix mais…)

Vipère Stratéquerre sortit de la pénombre entre les étagères tel un fantôme. Ce n’était pas pour rien qu’elle était l’une des meilleures élèves en cours de dissimulation et camouflage, Vipère s’approcha de l’apprentie-journaliste à pas félins.

- Moi ? Chantonna Olys de sa voix féminine avec un grand sourire méga flippant. Mais pas du tout. Je suis quelqu’un d’excessivement calme. »

- Je vois ça, ironisa Vipère. Alors, à ce qu’il paraît tu es la meilleure dans toutes les matières ?

- Pourquoi ? Demanda Olys presque blasée, toi aussi tu veux me provoquer en duel ?

- Absolument pas, je me renseigne c’est tout, un peu comme toi…Répondit Vipère en venant poser ses fesses contre la table d’Olys.

- Comme moi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Olys fronça légèrement les sourcils, elle sentait venir l’entourloupe pourtant Vipère restait aussi détendue qu’un chat qui vient de ravager des rideaux en satin et se nettoie les moustaches comme si de rien était. La souris Olys était entre ses griffes acérées.

Vipère caressa la couverture du classeur "à classer" qu’Olys avait laissé sur le bureau.

« Oh ce n’est pas très important, mais j’ai remarqué que tu t’intéressais beaucoup à tes petits camarades, surtout à Ken machin-truc là, le copain de mon cousin.

- Et si on jouait cartes sur table toi et moi : où veux-tu en venir ? Demanda Olys en tripotant nerveusement le stylo qu’elle avait sur l’oreille.

- Conseil numéro un : ne laisse pas tes affaires sans surveillance, au passage il est super intéressant ton classeur là… Ensuite, malgré tes supers résultats tu n’as pas vraiment la dégaine d’une apprentie-héroïne. Tu veux des infos sur les élèves de la Sentaï pour intégrer l’école de journalisme, c’est bien ça ? Je peux t’y aider.

- Ce serait fort sympathique de ta part… Mais pas gratuit je suppose.

- Tu es vraiment brillante tu sais, tu comprends tout tellement vite ! Lança Vipère d’une voix roucoulante. Disons que si tu acceptes de faire la moitié de mes devoirs jusqu’à la fin de l’année, je veux bien te filer un coup de main.

- Un quart.

- Un tiers.

- Marché conclu. »

(Sale peste…)

Olys tendit une main rigide en direction de sa nouvelle associée. Avec un sourire malfaisant, la jolie Vipère pactisa avec la journaliste en herbe.

« Je sens qu’on va faire une équipe d’enfer toi et moi. »

Olys frissonna, elle pouvait presque deviner la queue fourchue et les cornes de diablesse qui poussaient dans le dos de Vipère.

(J’espère que je ne viens pas de faire une bêtise…)

« Au fait c’est quoi ces médocs ? Demanda Vipère en sortant un flacon de gélules de sa poche.

- Eh ! D’où tu fouilles dans mon sac toi ?!? Râla Olys en arrachant les médicaments des mains de Vipère.

- Je t’ai dit de surveiller tes affaires. T’es malade ? T’as quoi ?

- Je souffre d’hyperactivité... Ces pilules m’aident à rester calme et à mieux dormir.

- Ah ? Il se passe quoi si tu ne les prends plus ? Demanda Vipère qui s’imaginait déjà pouvoir faire de vilaines blagues à sa camarade.

- La dernière fois que j’ai oublié mon cachet j’ai passé une nuit blanche à reprendre l’enquête sur l’assassinat de JFK. J’étais sur le point de prouver qu’Oswald était un bouc émissaire cela dit, mais ma mère m’a forcé à reprendre mon traitement, quand elle est entrée de ma chambre on ne voyait plus le papier peint.

- Ok… Répondit lentement Vipère qui finalement se dit qu’il valait sans doute mieux lui laisser ses médicaments.

- Si tu es vraiment prête à m’aider, reprit Olys très sérieusement, il vaut mieux qu’on en parle en dehors de l’école. Viens chez moi ce soir, ma mère sera à son cours d’aqua-poney. On sera seules. »

Vipère avait beaucoup de défauts et peu de qualités, hormis l’intelligence et la ponctualité. Elle fut donc à l’heure pour son rendez-vous top secret avec Olys.

A l’entrée de la grande maison blanche au gazon impeccable d’Olys trônait le drapeau américain. Vipère pencha la tête en regardant la bâtisse. Elle avait l’impression d’être plongée dans une série télé des années 90.

« Ah t’es là Vipère ! Dit Olys en ouvrant à sa camarade. Viens, entre, et ne fais pas comme chez toi vu que je ne sais pas comment les Stratéquerre se comportent dans l’intimité.

- Salut…

- C’est le drapeau qui t’intrigue ? Ma mère est française mais mon père est américain. J’ai vécu quelques années là-bas, ma passion pour les super-héros vient de là. »

Vipère pénétra dans la maison, curieuse et impatiente de voir comment vivait Olys. La maison avait l’air encore plus vaste vu de l’intérieur. Le parquet du hall d’entrée était impeccablement ciré et pas un grain de poussière ne venait jouer les troubles fêtes. Une grande arche donnait sur le salon qui devait être trois fois plus grand que celui des Stratéquerre et un double-escalier blanc massif menait à l’étage. Le bâtiment faisait décidément très demeure coloniale.

Vipère songea que si Olys avait été un garçon elle aurait pu tenter de le charmer, elle aurait peut-être eu plus de chance qu’avec Tôa, mais elle trouverait de toute façon un moyen de tirer profit de la richesse de sa copine. Elle allait déjà exploiter sa richesse intellectuelle, c’était un bon début.

« Eh bée, sacrée baraque. Tes parents doivent bien gagner leur vie.

- Nous ne sommes pas malheureux certes, papa est ingénieur en physique nucléaire.

- La classe… Et il travaille pour qui ? Le CNRS ? L’armée ? Je sais : il mène des recherches secrètes pour un gouvernement de l’ex bloc soviétique ! Tu sais que mon père pourrait bien avoir besoin de ses services à la Villains School. Bon je n’serais pas jouasse de rendre service à mon vieux mais…

- Non, rien de tout ça : il travaille pour Grigrill japan, le leader mondial des fabricants de micro-ondes. »

Les épaules de Vipère dépitée s’affaissèrent.

« Il voyage beaucoup pour son travail alors je me retrouve souvent seule avec ma mère, mais ça ne me dérange pas. »

Olys entraîna sa nouvelle camarade à l’étage ; sur le mur de l’escalier menant au premier étaient alignés des cadres aux photos étranges, il n’y avait que des images de pieds dans des chaussures de sports. Il y avait un peu de tout : chaussures de foot à crampons, tennis d’intérieures, basket de marque américaine, certaines étaient en couleur, d’autres en noir et blanc. De petites étiquettes mentionnaient la date et le nom de l’athlète, certains étaient connus, comme Tommy Pasquier ou Sébastian Charral, d’autres un peu moins comme un certain Mark Landru ou Sébastien Tagano.

Malgré le sujet plutôt incongru des photos, les clichés étaient parfois très artistiques avec des effets d’ombres portées et des contres jours très recherchés. Il y avait même une ballerine rose qui se répétait à l’infini dans un jeu de miroirs, la photo avait dû être prise dans une salle de danse.

« Euh… Cool la déco… Dit une Vipère peu convaincue.

- Ah tu parles des photos ? C’est le grand hobby de ma mère : photographier les pieds de sportifs. C’est elle qui m’a transmis sa passion pour la photographie.

- Quelle famille de tarés, je n’me plaindrai plus jamais du vieux… » Murmura Vipère pour elle-même.

La chambre d’Olys avait l’air normale, anormalement normale en vérité se disait Vipère. Poussée par son instinct de super-vilaine-repentie, elle devina facilement où se trouvaient cachés les secrets d’Olys. Vipère se dirigea vers le placard à vêtement d’Olys et tira légèrement sur les robes d’Olys pour mieux voir le fond du placard. Epatée et intriguée à la fois, elle siffla en voyant le mur du dressing recouvert de photos de Ken.

« Bah dis donc, quand t'es in love toi tu ne fais pas semblant. C’est pire que Bibi avec Hongo…

- Ne raconte pas n’importe quoi, je ne suis pas amoureuse de Ken, j’enquête sur lui. » Répliqua Olys en dépliant son ordinateur pour l’allumer.

Vipère s’approcha de sa camarade qui ouvrait les dossiers numériques les uns après les autres à la recherche du dossier Ken Eraclor.

« Ah ah ! Tu as vraiment des dossiers sur tout le monde alors ? S’esclaffa Vipère.

- Oui et une paire de trucs drôles, regarde ça… 

- C’est Tof… Non c’est Koji ?!?

- Ouais, quand il essaye d’être plus beau que le plus beau, c’est à dire Tofu. Il est trop ridicule avec cette perruque.

- Nan mais surtout il est carrément laid le chevelu !

- Sur ce point, on est bien d’accord… Oh, et regarde celle-là !

- Guillaume Colobra ? Mais il fait quoi avec toutes ces peluches ?!? S’écria Vipère les yeux écarquillés.

- C’est sa nouvelle lubie : il collectionne les peluches de chatons kawaï. Il trouve que c’est super rebelle. Je ne sais pas trop pourquoi… 

- Mortel ! Ah ah… Eh ! Tu as un dossier sur moi ?!? »

Olys tendit son ordinateur à bout de bras le plus loin possible de Vipère tout en la bloquant avec les pieds pour ne pas qu’elle y touche.

« Tu es la fille de Stratéquerre ! Bien sûr que j’ai un dossier sur toi, alors calme toi où je ne te dis plus rien. »

Une fois Vipère apaisée, Olys lui exposa brièvement les faits et ce qui l’avait conduit à entrer à la Sentaï School.

« Ken n’est pas un étudiant ordinaire. Super force, super vitesse et j’en passe… Mais lorsqu’il est avec ses copains il affirme être un garçon ordinaire, or que ce soit Hongo, Keiji, Tôa ou même ton cousin Duke, tous n’hésitent pas à mettre en avant leurs particularités. Le secret de Ken lui au contraire est bien gardé, ce qui me laisse penser qu’il est plus intéressant que les autres.

- J’uis pas convaincue… Il est quand même crétin ce type.

- Un peu à l’ouest peut-être, certainement pas crétin. Il a de très bons résultats dans la plupart des matières. J’ai vérifié son panneau d’affichage.

- Et tu veux connaître son secret ? Pour en faire quoi ?

- Ecrire un article sur Ken Eraclor et la Sentaï School, toutes les écoles de journalisme du monde m’ouvriront grands les bras après ça.

- Je n’vois pas pourquoi, répliqua Vipère en haussant un sourcil.

- Fais-moi confiance, j’ai un don pour repérer les scoops à des kilomètres. »

Godzilla passa devant sa fenêtre et Olys ne le remarqua pas.

« Ken sera un très grand héros et je veux être la première à montrer son vrai visage à la face du monde ! »

Pour toute réponse, Vipère la regarda avec des yeux de poisson mort et resta plus silencieuse qu’une tombe. L’enthousiasme d’Olys disparut en quelques secondes. Elle tourna le dos à Vipère vers son écran d’ordinateur, elle n’y voyait plus qu’un immense point d’interrogation.

« Mais l’espionner ne m’apporte aucune réponse claire… Ca fait plus de trois mois que je suis sur le coup et je ne sais toujours pas de quoi il retourne. Si tu savais comme ça peut me frustrer ! »

"Ca se voit que t’es frustrée ma pov vieille… M’étonne pas que tu craques sur Ken, t’es autant à l’ouest que lui." Songea Vipère. La fille de Stratéquerre paraissait sceptique.

« Mouais… Ce n’est qu’une idée comme ça mais tu devrais pt’être tenter une approche plus directe, suggéra-t-elle.

- Tu as sans doute raison mais tu proposes quoi concrètement ?

- Demande à Ken une sortie en tête à tête, tu pourras l’interroger tranquillement comme ça.

- Une fille qui invite un garçon à sortir ? Ce n’est pas convenable !

Vipère leva les yeux au ciel.

- Sérieux t’as été élevée où ?

- A la Saint-Richard-la-croix-d’or-sur-la-Flouse, répondit Olys au tac au tac.

- Mouais… Pas surprenant alors. Bon ok, laisse moi faire. Je m’en occupe, mais tu me devras un exposé de plus.

- Ce n’est pas convenu dans le contrat.

- Quel contrat ? Notre accord est verbal et basé sur une confiance mutuelle. Uh uh…

- Si, il y a un contrat. »

Olys sortit une liasse de papiers agrafés et l’agita sous le nez de Vipère. La jeune fille haussa un sourcil sceptique.

« Quand as-tu rédigé ce machin ? Et puis comment t’as eu ma signature ? J’ai jamais signé ce machin-là !

- Tu es maligne Vipère, mais ton inattention pour certaines choses te jouera des tours, répliqua Olys avec un sourire malicieux. J’ai remplacé la feuille de présence du cours de philosophie héroïque par ce document, tu n’y as que du feu.

- Tu es plus diabolique que moi ! J’uis jalouse ! »

Quelques jours plus tard, bien obligée d’accomplir sa part du marché et pendant qu’Olys rédigeait pour elle son devoir de dedansyfication à la bibliothèque, Vipère suivait discrètement son cousin Duke.

Au final, elle se disait qu’Olys avait plutôt bien choisie sa cible : Hongo était déjà pris, Duke sentant l’entourloupe aurait refusé de rendre un service à sa cousine et elle n’aurait pas cédé Tôa pour tout l’or du monde, essentiellement parce que Tôa avec son usine de farine de saucisse et ses restaurants possédait tout l’or du monde. Restaient Keiji et Ken. De ces deux-là, Olys avait choisi le moins flippant, selon les critères de Vipère…

Duke était enfin seul avec Ken, c’était le bon moment. Assis dans l’herbe, Duke répétait un nouveau morceau tandis que Ken lisait un livre en le tenant à l’envers, le chibi goldo posé sur son crâne. Vipère sortit de sa cachette derrière un arbre et s’approcha en trottinant, un sourire faussement innocent jusqu’aux oreilles.

« Salut Duke, salut Ken.

- Qui diable êtes-vous ?

- Ken, c’est ma cousine Vipère tu sais bien… Se désola Duke. Qu’est-ce que tu veux Vipère ?

- Je voulais vous parler d’un truc à tous les deux. Vous voyez la nouvelle, Olys ?

- La fille à lunettes un peu guindée qui s’est fait greffer un appareil photo sur le bras ? Ouais elle est plutôt sympa, dans son genre. Mon Chibi Goldo l’aime bien en tout cas.

- Fougni fougnigni, confirma la petite mascotte.

- Et alors ?

- Elle en pince pour Ken et elle voudrait sortir avec lui.

- Avec Ken ? Répéta Duke comme s’il n’avait jamais rien entendu d’aussi improbable de toute sa vie.

- Avec moi ? Demanda Ken en relevant son éternel doigt ingénu vers son visage avant d’enchaîner :

- Peux-tu définir le terme sortir ? Sortir d’où ? Souhaite-t’elle sortir de l’enceinte de l’école ou simplement du bâtiment ? Pourquoi a-t-elle besoin de ma compagnie ? A-t-elle des soucis pour se déplacer seule ? Se sent-elle menacer par une quelconque organisation criminelle ? Je suis toujours prêt à aider une personne en détresse.

- T’es vraiment chelou comme type, répliqua Vipère, je ne vois vraiment pas ce qu’elle te trouve… M’enfin moi j’agis en bonne copine, je fais juste la commission.

- Justement, c’est ça que je trouve bizarre personnellement, dit Duke en haussant un sourcil. Qu’est-ce que tu manigances encore ?

- Mooiii ? Mais rien du tout cousin ! Tu me prêtes toujours des intentions que je n’ai pas.

- Mouais… Alors Ken, tu acceptes ?

- Accepter quoi ?

- Ca ne va pas être simple… Soupira Duke. Vipère lui tapota amicalement l’épaule.

- Je te laisse lui expliquer d’accord ? Tu viendras me donner sa réponse quand tu auras retrouvé son cerveau. Bonne journée cousin ! »

Et Vipère s’éloigna en fredonnant "Hightway to hell." Duke attendit que sa cousine soit suffisamment loin et il retira chibi des cheveux de Ken. Il aurait eu du mal à lui parler sérieusement sinon.

« Alors ? Tu penses quoi d’Olys ?

- Elle a un très bel appareil photo, avec un gros zoom… Répondit Ken presque rêveur.

- Je suppose que c’est un bon début, estima Duke avec un sourire mystérieux. Ce que Vipère voulait dire c’est qu’Olys te trouve sympa et qu’elle voudrait te voir en dehors de l’école.

- En dehors de l’école ? Devant la grille ?

- Mais non, tu sais bien, c’est comme les fois où nous sommes allés se balader à la plage et en forêt pendant les vacances.

- Je vois… Dit Ken en fronçant les sourcils comme si la conversation était très difficile à suivre. Et je l’emmène où ?

- Peu importe du moment qu’il n’y a ni zombie, ni agent du FBI névrosé.

- Diable, ça ne va pas être simple…

- Bon Ken, je vais donner ton accord à Vipère pour ce week-end, essaye de ne pas faire n’importe quoi pour une fois. » Lança Duke avec un signe de main en guise d’au-revoir à son camarade. Chibi Goldo trottina à la suite du musicien, immédiatement suivi de sa meute de filles en extase habituelle.

Désormais seul, au pied de l’arbre de la cours de récré, Ken se posa en penseur.

 « Duke a raison : les humains semblent apprécier de se réunir en dehors des heures d’école ou de travail. Si je veux m’intégrer il faut que je fasse la même chose. »


Une fois rentré à son domicile dans l’après-midi, il demanda l’avis de son tuteur légal : un quadrupède à l’allure canine mais aux cordes vocales décidément très humanoïdes.

« Une fille m’a donné rendez-vous dimanche, tu crois que je dois accepter Nonos 2 ?

- Ca dépend. C’est risqué, mais si elle est jolie ça paraîtrait étrange que tu refuses aux yeux des autres humains, répondit le chien parlant. A quoi elle ressemble ?

Ken chercha dans sa base de données interne pour retrouver la description d’Olys Allen d’après ses souvenirs :

- Cheveux bruns auburn, 7.1 à l’œil droit, 7.8 à l’œil gauche, 1,63 m, tour de poitrine 90 C, mensurations 62-78, environ 54 kilos.

- Hum… Effectivement il vaut mieux accepter. Essaye d’avoir l’air normal, sinon elle pourrait découvrir ton secret.

- Pourquoi vous me faites tous la même réflexion ? Je suis toujours normal, répondit Ken en se nettoyant l’intérieur de l’oreille avec une brosse à métal, un tube de dégrippant ouvert pour se badigeonner les articulations.

- J’ai un doute… N’oublie pas les trois règles Ken : tu penses humain, tu vis humain, tu es humain.

- Ne t’inquiète pas Nonos 2, ça fait quatre ans maintenant que je vais à la Sentaï School et tout se passe parfaitement bien. »

Ceux qui connaissent les différents volumes de "Sentaï School, l’école des héros", l’œuvre originale de Philippe Cardona et Florence Torta, savent que "parfaitement bien" est à des années lumières de la réalité, mais Nonos 2 n’eut pas la force de contredire son filleul.

Le soir venu, après avoir fait un saut (littéralement parlant, le bitume s’en souvient encore) au vidéoclub pour louer une pile de DVD de comédies et de drames romantiques, Ken s’installa dans le salon pour se documenter. Au bout de neuf heures de visionnage, il en était à son cinquième film et se sentait plus perdu qu’éclairé.

Le jeune apprenti-héros était assis sur son vieux canapé, penché en avant, le visage appuyé sur ses coudes posés sur ses genoux, il avait chaussé ses lunettes du mode détective et fixait l’écran de télévision en fronçant un seul sourcil, avec fascination et circonspection.

[Ce rêve bleu ! Je n’y crois pas s’est merveilleuuuuh ! ]

« Bon, si je fais le bilan de ce que j’ai visionné jusqu’à présent, lors d’un rendez-vous amoureux il faut se mettre à chanter une chanson joyeuse, de préférence en compagnie d’un crabe qui parle ou d’un tapis volant… Hum, ça va être difficile à trouver. »

Ken empila les disques de Disney avec les autres boîtiers de films qu’il avait déjà regardé dont "Autant en emporte le vent", "Coup de foudre à Notting Hills" et "La la Land", puis il posa celui de "Pretty Woman" par-dessus.

« Les femmes aiment donc quatre choses : chanter, les animaux, vivants de préférence sinon en peluche, les chaussures et changer de vêtements. »

Après avoir enchaîné avec : "Dirty Dancing", "L’amour extra large." et " Titanic", Ken aurait voulu être réellement humain pour pouvoir prendre un cachet d’aspirine.

Le samedi matin, il mit encore un nouveau DVD dans le lecteur, pour essayer d’en comprendre d’avantage.

 [Quelque part dans l’Angleterre victorienne…

- Vous pensez m’intimider en venant me regarder avec cet air sérieux monsieur Darcy, mais vous n’y parviendrez pas.

- Je vous connais suffisamment pour savoir que je ne peux vous intimider, même si je le souhaitais lady Elisabeth…]

« Mais qui diable est ce monsieur Darcy ? S’interrogea Ken dont la mémoire vive commençait à surchauffer. Pourquoi un aristocrate habillé en croquemort voudrait intimider cette jeune femme ? Est-ce un chantage ? Une menace ? Serait-ce lui le méchant dans l’histoire ? Ces films sont très complexes à comprendre. Il n’y a ni monstre, ni démon, ni assassin, ni savant fou, ni agent double… » Se lamenta Ken en regardant la jaquette du film "Orgueil et préjugés".

[Elisabeth Bennett continuait de jouer (mal) du piano.

- Je n’ai pas le talent de converser avec des gens qui me sont parfaitement inconnus.

- Suivez le conseil de votre tante monsieur Darcy, entraînez-vous. ]

« S’entrainer à parler ? » Répéta lentement Ken. Il se rendit quelques minutes plus tard dans la salle-de-bain, torse-nu il se fixait dans le miroir.

« Je m’appelle Ken Eraclor. Je suis un humain tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Oui, parfaitement ordinaire… Je m’appelle Ken Eraclor. Je suis un humain tout ce qu’il y a de plus ordinaire…»

Et il répéta inlassablement son texte, toute la journée et toute la nuit…

Le lendemain, Ken et Olys s’étaient donnés rendez-vous vers 14h30, devant les portes de l’usine Wilka, fermée pour inventaire. Malgré tout, un camion bizarre aux vitres teintées était garé près de la zone de livraison. Des hommes en noirs déchargeaient des caisses avec un logo toxique dans l’entrepôt, mais Olys debout à moins de dix mètres de là ne voyait rien car elle tournait le dos à l’usine.

Vêtue d’une petite robe noire et bleue décontractée cintrée à la taille, elle attendait patiemment l’arrivée de Ken et s’occupait en astiquant le zoom de son appareil photo, ce qui lui évitait de regarder l’heure toutes les trente secondes sur son smartphone.

(Je suis nerveuse… C’est ma toute première interview. Et j’ai peur d’être percée à jour.)

En arrière-plan dans le dos d’Olys, une silhouette diaboliquement familière avec sa barbe blanche et ses oreilles pointues s’installa au volant du camion et démarra. Tandis que le camion s’éloignait de l’usine, Ken se présenta devant Olys. La jeune fille mit quelques secondes à le reconnaître puis faillit avoir une attaque.

Il avait gominé ses cheveux, tirés en arrière et plaqués sur son crâne. Il portait un costume de soirée bleu clair azur, avec de la dentelle autour de la boutonnière, un très gros nœud papillon bleu pétrole sous le menton et des chaussures noire cirées brillantes à outrance. Au-delà de sa tenue ridicule, il avait amené avec lui un arsenal de trucs loufoques qu’il tenait dans ses bras, mais le pire c’était ce qu’il avait sur le visage…

Olys sourit, les dents serrées en le voyant arriver.

(Quelle horreur…)

« Bonjour, je m’appelle Ken Eraclor. Je suis un humain tout ce qu’il y a de plus ordinaire.

- Salut… Euh, oui je sais que tu t’appelles Ken Eraclor, je suis en classe avec Shinobi tu te rappelles ? On s’est déjà parlé plusieurs fois. Tu euh… T’es mis sur ton 31 à ce que je vois.

- Trente-et-un quoi ? Est-ce un numéro de code ?

(L’après-midi va être longue je le sens…)

« Pourquoi tu portes une fausse moustache ?

- J’ai vu dans un film que les femmes aimaient les moustaches, répondit Ken en entortillant sa moustache du bout des doigts.

- Il y a cinquante ans peut être, et pas sur un gamin de seize ans. Enlève ça, s’il te plaît, par pitié. Et c’est pour quoi faire le crabe ? Ajouta Olys tandis que Ken enlevait le postiche de sous son nez.

- Je te préviens il ne chante pas, c’est gênant ?

(Pourquoi je cherche à comprendre en fait ?)

- On va le manger ce soir ?

- Myxomatose et pipe en bois, non ! S’exclama Ken. Ce serait cruel !

- Je pose juste la question, c’est bon du crabe… »

Quand Olys eut le dos tourné, Ken prit son bloc note et rayant la mention sur les animaux.

« Apparemment, les filles apprécient aussi les animaux décédés… Pensa Ken à voix haute. J’aurais dû ramener le blaireau mort que j’ai aperçu sur le bord de la route ou ma casquette en peau d’ornithorynque. »

Après avoir relâché le crabe dans un étang du parc et jeté la fausse moustache dans une poubelle, Ken en vint au reste de son matériel. Il tendit à Olys un bac à fleur rectangulaire.

« J’ai aussi lu dans des livres qu’il fallait offrir des fleurs à la jeune fille lors des rendez-vous.

- Euh… C’est gentil mais ce n’était pas la peine d’apporter la jardinière avec, répondit gentiment Olys. Normalement il faut juste un bouquet de fleurs coupées.

- Il faut respecter toutes les formes de vie, c’est notre rôle de héros. Ce pot à fleur est un écosystème complexe, autonome et fragile, il ne doit pas être perturbé. »

Ken colla son nez dans jardinière pour regarder de très près les quelques cloportes et les fourmis afférées sous les feuilles des plantes.

(Il est vraiment bizarre… Mais sa conception du monde est admirable, je ne peux pas lui enlever ça.)

- D’accord, merci en tout cas. » Répondit Olys.

Elle sourit poliment et prit la jardinière qui pesait son poids.

« Alors, où va-t’on ? Lança-t’elle joyeusement.

- N’ayant pas les moyens de t’emmener en croisière, ni sur un paquebot de luxe, ni sur un tapis volant, j’ai décidé d’opter pour le cinéma, le dancing puis le restaurant, si cela te convient.

- Ok, super. »

Le cinéma était à deux pas, Olys n’eut pas le temps de trouver de question piège à lui poser avant qu’ils n’arrivent au guichet.

« Deux places étudiantes pour "Les gardiennes de l’univers." mon brave.

- Il paraît que l’actrice principale qui joue Lady Saturne est une ancienne élève de la Sentaï, » dit Olys à Ken tandis qu’ils entraient dans le cinéma.

(Je suis sensée lui extirper des infos et c’est moi qui lui fait la causette…)

« Ah, chouette ce sont encore les bandes annonces. » Renchérit Olys qui ne pouvait s’empêcher de parler en s’installant à côté de Ken.

Une voix roque et une musique saturée en basses raisonna dans toute la salle obscure.

[Prepare yourself... For the new race against the death of Rob Cohen.

“It’s my destiny Bibi. Drive ever, further, faster… Or die.

- My love is your road. Lead me to the paradise.

- No my sweet, there is one destination : hell."

VVRVRRRRAAAAAOOOOOOOOMMMMMMMMMMMMMMMM !!!

Il y eut une série d’explosions sans réelle cohérence puis une énorme voiture de course bleue, blanc, rouge avec des ailerons posés dans tous les sens jaillit des flammes, les portières étaient déjà arrachées. Le conducteur balança par l’ouverture des grenades qui rappelaient vaguement des bananes métalliques sur ses poursuivants.

Un camion géant noir avec une tête de mort et un serpent peints sur les flancs était à la poursuite de la voiture de course. Des mitraillettes et un lance-flamme étaient greffés sur son pare-choc. Les rafales pleuvaient sur le véhicule du héros H. O. Wing et de sa pulpeuse compagne qui s’en sortait pourtant indemne.

- He’s mad !

- No, he’s bad… He’s Bad Max !

With Jake Gyllenhaal, Eva Green and Tom Hardy as Bad Max :

"Furious and fast XI. Hongo, the wings of vengeance."

Based on the short-film of Erick Sama-san. Indoor january 21. »]

« Eh-oh non mais l’autre, c’est mon film ! Geignit Olys au fond de son siège.

- Tu crois que c’est tiré d’une histoire vraie ? Demanda Ken, perplexe.

- J’préfère même pas répondre… »

Après les bandes annonces accompagnées de publicités diverses de glace, boissons gazeuses et de produits wilka, le film commença enfin.

« Diable, mais cet arbre sait parler ! C’est inconcevable ! » S’exclama Ken dans la salle obscure au bout de quinze minutes de film.

Dans un premier temps un concert de "Chuuuut !" lui répondit. Dans un second temps, ce fut Olys.

« Alors un raton-laveur qui parle ça ne te choque pas mais un arbre si ? Fit-elle remarquer.

- Je connais un chien capable de réciter du Shakespeare, répliqua Ken. Je suppose qu’un raton-laveur peut connaître un peu de Molière… Ou au moins du Marivaux.

- Non, celui-là il a juste un pistolet et il jure comme un charretier. J’ai lu quelque part qu’il s’agissait de deux vrais acteurs venus du Yamato. Ils ont vraiment plein de créatures étranges là-bas.

- En tout cas j’ai essayé de parler à ton géranium et il ne m’a jamais répondu ! Renchérit Ken en se penchant devant Olys pour regarder la jardinière qu’elle avait posée sur le siège à sa droite. C’est un signe !

- Chut !!!

- Un signe de quoi ? Demanda Olys.

- Ca prouve que les raton-laveurs sont plus intelligents que les géraniums et les vieux sapins. Mon raisonnement est sans faille.

- T’y vois un sapin toi ? Moi je dirais plutôt un chêne ou un saule… »

Malgré les mécontents qui leur jetaient des pop-corns, Olys et Ken continuèrent leur conversation sans queue ni tête jusqu’à la fin de la séance.

Arrivés au dancing-karaoké situé dans le complexe sportif de la ville, Olys posa sa jardinière dans un coin près des casiers, en espérant que quelqu’un la lui vole mais elle avait peu d’espoir que cela arrive réellement.

« Tu veux vraiment aller danser ? Demanda-t’elle à Ken. Je ne suis pas très à l’aise pour ça, tu ne préfères pas un bowling ou aller à la piscine ?

- J’ai pas mon maillot de bain et il faut que j’évite de me baigner trop souvent sinon je rouille.

- Pa… Pardon ?

- Hum… Fais comme si je ne t’avais rien dit. Je croyais que vous les filles vous aimiez danser et chanter ?

- Si c’était le cas, je serais en apprentissage au moulin-rouge, pas à la Sentaï School, répondit Olys avec une pointe d’ironie. Un petit laser-game ou un billard ça me plairait d’avantage.

- Bon, comme tu veux… »

(C’est qu’il est déçu en plus.)

« J’ai répété la scène du porté pour rien… » Soupira Ken.

Devant la table du billard, Olys plaça les boules. Elle était contente, Olys était très douée pour ce jeu mais elle n’avait pas souvent l’occasion de jouer face d’autres enfants. La jeune fille commençait peu à peu à oublier son enquête et prenait du plaisir à s’amuser avec Ken.

« Je n’ai jamais joué au billard, dit Ken le doigt levé. Peux-tu m’expliquer les règles ?

- Bien sûr : tu choisis une couleur, jaune ou rouge. Ton but est d’envoyer toutes les boules d’une même couleur dans les trous de la table en terminant par la noire et sans que la blanche ne tombe dans un trou. Tu utilises la queue en bois pour taper dans la boule blanche uniquement, c’est la seule que tu aies le droit de toucher.

- Hum, c’est technique… Dit Ken, songeur.

- Oui c’est un sport qui demande une grande maîtrise.

- Puis-je essayer ?

- Si tu veux, vas-y. »

Ken prit la queue de billard et se plaça en face de la boule blanche. Avec une extrême concentration, il calcula l’angle idéal et mesura la force nécessaire pour faire le meilleur coup possible. Une fois les variables verrouillées, il frappa d’un coup fort et sec. Les seize boules filèrent dans tous les sens et seules les sept rouges tombèrent, chacune dans un trou différent. Alors que les mouvements étaient presque terminés, la boule noire roula très lentement vers l’angle en haut à droite de la table et finalement elle bascula dans le trou dans un bruit mat.

Il y eut ensuite un silence pesant.

« Ne refais plus jamais ça… Finit par dire Olys d’une voix caverneuse.

- Pourquoi ? Je n’ai pas respecté les règles ? Demanda Ken sincèrement.

- T’avais raison : on va aller danser plutôt. »

Olys avait du mal à se remettre de sa défaite au billard, bien qu’en réalité elle ne savait pas si elle devait considérer cela comme une défaite puisque techniquement elle n’avait pas eu l’occasion de tirer une seule fois. Mais le coup de Ken lui rappela qu’elle était là pour enquêter sur lui et la conforta dans sa théorie qu’il n’était pas un humain ordinaire.

Sur la piste de danse, la nervosité la rattrapa lorsque Ken lui prit la main gauche et posa la droite sur sa hanche. Les joues d’Olys se mirent à rougir.

(Ce n’est pas avec ces conneries que je vais découvrir son s…)

« GYAAH ! »

Brusquement, Ken commença à danser avec elle… Ou plutôt à la martyriser.

Il la fit tourner sur elle-même une vingtaine de fois d’affilé, dans un sens, puis dans l’autre, à sa droite, puis à sa gauche. Olys se sentait devenir toupie. Ensuite Ken la fit glisser par terre entre ses jambes et la releva en lui tirant sur les bras comme un écarteleur de l’inquisition. Il la souleva sans mal avec sa super-force et la tint par les hanches au-dessus de sa tête. Olys était tétanisée.

Les autres danseurs, d’abord impressionnés par la prouesse, s’étaient arrêtés de valser pour les regarder, mais dans sa folle ronde Ken bouscula plusieurs personne, écrasa lourdement des orteils et en faisant virevolter Olys, la jeune femme avait bien sentit qu’elle avait donné quelques coups de pieds par accident. Les danseurs évacuèrent en quatrième vitesse la piste de danse pour fuir la dangerosité de Ken.

La torture n’était pas encore terminée, Ken agrippa Olys et l’enroula autour de lui comme une ceinture en faisant craquer le dos de la pauvre fille, puis il la fit sauter dans les airs deux fois de suite avant de la reprendre dans ses bras et de la faire basculer la tête en arrière. Olys était sur le point de perdre connaissance.

Enfin, la chorégraphie fut terminée. Ken redressa Olys qui peinait à tenir sur ses jambes. Sa tête lui tournait tellement qu’elle devait se cramponner à Ken pour ne pas s’écrouler par terre. Lorsque sa vue redevint à peu près stable et son esprit à moitié lucide, elle réussit à balbutier.

« Où… Où est-ce que t’as appris à danser comme ça ?

- Hier soir, en regardant la télé. »

(Il me fait marcher… Ca y’est j’y suis, Vipère m’a tendu un piège : c’est un diner de cons. Ou en dancing de con, le diner ce sera pour tout à l’heure… Si je ne vomie pas mes tripes d’ici là.)

« Une autre ? Demanda Ken.

- J’veux pas mourir…

- Besoin d’une pause ?

- Je veux sortir d’ici. »

Pris de pitié, Ken emmena Olys à l’extérieur. Pour la soirée, sur les conseils de Tôa, il avait réservé une table dans l’un des restaurants de Takoyaki LeMagnifique.

Olys posa soigneusement la jardinière à côté de la table en se retenant de grimacer. Elle commençait à avoir mal dans le bras à force de la porter.

(C’est méga lourd ce truc quand même…)

 « Tu n’étais pas obligé de m’inviter au restaurant tu sais ? Reprit Olys. Je voulais juste qu’on se rencontre pour faire un peu connaissance en privé.

- Nous avons déjà fait connaissance, nous nous sommes rencontrés à l’école, tu me l’as rappelé toi-même tout à l’heure.

(Super bizarre ET un peu pénible par-dessus le marché…)

- Hem… Oui certes… Au fait, tu ne te souviens vraiment pas de moi avant la Sentaï ?

- Non.

- Tu m’as bousculé l’année dernière pour aller secourir les victimes d’un incendie. Je t’ai vu lorsque tu as aidé le pompier à sauver ce bébé… Les journalistes n’en ont pas parlé mais je sais que c’est grâce à toi qu’il est sorti indemne de l’immeuble en feu.

Les joues d’Olys rosirent légèrement.

« En fait… C’est ton exploit qui m’a motivé pour entrer à la Sentaï-School. J’ai été très impressionnée. 

- Cela signifie que je progresse vers mon idéal ! J’ai réussi à motiver une jeune personne pour qu’elle rejoigne les rangs des défenseurs de la paix et de la justice ! » S’enflamma Ken.

Olys but une gorgée de sa limonade en le regardant.

(Ouais ouais… Je veux surtout savoir quel secret tu caches sous ton blouson.)

« Au fait, reprit Olys avec une idée lumineuse, pourquoi tu t’es inscrit à la Sentaï School ?

- Pour devenir un héros pardi.

- Je veux dire : qu’est ce qui t’a poussé à vouloir devenir un héros ? »

Il y eut un gros silence, Olys eut l’impression que Ken ne savait pas quoi répondre, non pas parce qu’il cherchait à mentir mais parce qu’il ne savait vraiment pas pourquoi il voulait devenir un héros. Elle avait posé la question dans l’idée de lui soutirer des informations, mais sa réaction était plus mystérieuse qu’autre chose.

« J’ai été fabriqué pour ça, répondit finalement Ken.

- Fabriqué ? Répéta Olys en haussant un sourcil. Ken chercha un meilleur mot.

- Pardon, je voulais dire : je suis né pour ça.

- Tu veux dire que tes parents ont choisi à ta place ? Tenta Olys.

- En quelque sorte… »

Le serveur les interrompit dans leur conversation pour leur donner les cartes. Ken qui voulait en finir au plus vite avec cette discussion dangereuse pour lui, ouvrit la carte et lut les informations contenues à l’intérieur.

« Myxomatose et pipe en bois ! S’exclama-t’il. Qu’est-ce que c’est que tout ça ?!?

- Euh… Le menu je suppose. Répondit Olys en lui jetant un coup d’œil du coin de la carte.

- Personne ne peut manger autant de chose sans exploser, c’est biologiquement impossible ! »

Olys fronçait les sourcils pour comprendre d’où venait le problème, elle finit par mettre le doigt dessus.

« Ken, on doit choisir un plat, on ne va pas manger tout ce qu’il y a d’écrit là-dessus… » Expliqua Olys alors que le serveur revenait.

« Avez-vous choisi messieurs dames ?

- Une salade bergère pour moi. Ken ?

- Oui ?

- Choisis.

- Choisir quoi ?

- A manger.

- Pour qui ?

- Pour toi ! » S’énerva Olys.

(C’est moi qui vais devenir chèvre, pas la salade.)

« Monsieur ? Dit doucement le serveur pour réveiller Ken en train de bugguer.

- Qui diable êtes-vous ?

- Apportez lui la même chose, merci. » Finit par dire Olys avec un grand sourire poli mais en déchirant la nappe sous la table ne pas sombrer dans une folie destructrice.

Lorsque les plats arrivèrent, Olys se jeta sur sa salade. Malgré les secousses du dancing, elle commençait à avoir très faim et manger lui permettrait peut-être d’oublier un instant l’attitude étrange de Ken qui ne touchait pas à son assiette.

(Pourquoi il ne mange rien ?)

« Tu n’as pas faim ?

- Je suis allergique.

- A quoi ?

- Aux aliments en général.

(Ok…)

Nouveau gros silence gênant… Olys se pinça l’arête du nez.

(Je n’y arriverai pas comme ça. Essayons l’environnement familial, j’aurais peut-être des indices.)

« Ils font quoi dans la vie tes parents ?

- Mes parents ? Mon créa… Mon père est un savant. Je crois que le mot qui convient est ingénieur.

- Ah, le mien aussi est ingénieur. Et ta mère ?

- Chien au foyer.

- Ah ma mère aus… Quoi ? 

- Tu poses beaucoup de questions, serais-tu un agent infiltré de la Villains School ? »

Les yeux de Ken étaient terriblement perçants, Olys en eut froid dans le dos.

(Mais c’est qu’il est sérieux en plus !)

« Qu’est-ce que tu vas chercher là ? Dit-elle avec un grand sourire mal à l’aise. Je suis juste curieuse et j’aime les enquêtes en quelques sortes.

- Moi aussi, j’adore enquêter !

(Je rêve ou… On a un point commun lui et moi ?)

L’enthousiasme soudain de Ken surprit Olys, elle ne s’attendait pas ça. Si elle s’imaginait en journaliste, Ken lui se prenait pour un détective.

« D’ailleurs je travaille actuellement sur une question très épineuse, quelle est ta théorie concernant les poubelles de l’école ? Elles se remplissent à un rythme de 1,76 L par heure, ce qui est anormalement élevé et oblige les éboueurs à passer trois fois par semaines plutôt que deux. Lors des trois années précédentes elles accueillaient entre 0,54 et 0,87 L.

- Hum… Je suppose que les nouveaux élèves sont plus soucieux de l’environnement que les anciens, non ? Proposa Olys, qui se fichait royalement du sort des poubelles de l’école.

 - Mon hypothèse c’est qu’un groupe occulte se débarrasse discrètement de ses déchets les plus dangereux dans les poubelles d’un lieu public pour dissiper les soupçons. J’ai examiné le contenu des poubelles, la fréquence des papiers d’emballage de bonbons et de sucettes a augmenté de 77% par rapport à l’an dernier. L’analyse chimique du sirop collé au papier d’aluminium a révélé des traces de bromure de potassium, d’histamine et du doxylamine, composés qu’on ne trouve normalement pas dans des bonbons. J’en conclue qu’une entreprise de produit chimique cherche à faire disparaître les preuves d’une catastrophe sanitaire et environnementale ! »

 Olys était en train de piquer du nez, Ken racontait vraiment n’importe quoi.

« Je peux prendre un dessert ? Demanda machinalement Olys.

- Oui j’ai le budget adapté. »

(Pas pire que si je sortais avec Tofu…)

« Un cheese-cake citron-fruits rouges s’il vous plaît. »

 Ken sortit un papier de sa poche et son front se plissa légèrement lorsqu’il commença à le lire.

(Il a fait un pense-bête ???)

Pour ne pas saturer son disque dur interne déjà rempli de données romantiques quasi-inutiles, il avait écrit le programme de la journée sur un papier.

« Alors d’après mes notes il nous reste deux options : je te raccompagne chez toi ou je t’invite à boire un dernier verre chez moi. »

Olys faillit céder à la panique.

« Euh je crois qu’on va prendre la prem… » Puis un déclic se fit dans son esprit.

(Merde Olys, tu es une journaliste. Une telle occasion ne se représentera pas deux fois.)

« On va boire un verre chez toi !

- Entendu mais cela risque d’être difficile. Comment peut-on boire un verre ? Le verre est une matière solide, à la rigueur il est possible de manger un verre mais c’est très dangereux pour l’œsophage.

- On boit le contenu du verre, par le verre lui-même. » Répliqua Olys en engouffrant la dernière bouchée de son gâteau et se levant de sa chaise. Elle prit son géranium sous le bras et se tourna vers Ken d’un air impatient.

« Bon on y va ? »

Olys était si impatiente qu’elle marchait presque plus vite que Ken. La maison du jeune Eraclor était extraordinairement banale, de l’extérieur en tout cas.

« Comment on dit déjà ? Dit Ken en ouvrant la porte. Fais comme chez Tôa ?

- Pas de soucis ! S’écria Olys en s’engouffrant dans l’ouverture.

- Sauf que chez Tôa il y a des lustres en saucisses et son salon fait trois fois la taille de ma maison… » Songea Ken à voix haute.

Une fois dans la maison Eraclor, Olys se mit à en scruter le moindre recoin… Ses mains la démangeaient, elle mourrait d’envie de sortir son appareil photo de son sac pour tout mitrailler, mais Ken risquerait de vraiment se douter de quelque chose à force, alors la mémoire visuelle remplacerait l’appareil dans un premier temps.

Attiré par le bruit que faisaient les adolescents, quelqu’un s’avança dans le couloir pour les rejoindre dans le salon.

« Ken c’est toi ? Pas trop tôt ! »

Olys se retourna pour saluer ce qu’elle pensait être un parent de Ken mais elle ne vit qu’un chien se dandiner par terre.

« Oh un chien. Il est mignon.

- Euh… Wouf ? »

Olys haussa un sourcil et recula lentement la main qui s’apprêtait à caresser le bâtard.

(Même son chien est chelou.)

« Voici Nonos 2, mon tute…

- WOUF ! L’interrompit le chien pour l’encourager à se taire.

- Mon chien oui, c’est ça que je voulais dire : mon chien. »

Il y eut encore un lourd silence, un de plus dans la longue liste de la soirée. Olys regardait alternativement Ken et le chien, dont les yeux semblaient chargés de reproches à l’encontre de son jeune maître.

« Wouf Ken, wouf wouf parler, wouf wouf cuisine, wouf tout de suite ! » Aboya le chien. Olys considéra que les mots intercalés entre les grognements n’étaient que le fruit de son imagination après une journée sympathique mais trèèèès fatigante. En plus il était bientôt l’heure de prendre son médicament.

Le chien fila dans le couloir et Ken se sentit obligé de le suivre d’un pas raide. A peine eut-il disparu derrière la porte qu’Olys sortit son appareil photo de son sac pour mitrailler le décor. Elle se mit à fouiller partout et à toucher à tout comme un détective curieux/maladif (veuillez barrer la mention inutile).

Dans le salon trainait encore la pile de DVD à l’eau de rose qu’avaient empruntés Ken. Olys se pencha pour voir les titres.

(Tu m’étonnes qu’il soit à côté de la plaque… J’ai encore du bol qu’il n’ait pas vu "50 nuances de Grey.")

Sans faire de bruit, Olys passa d’une pièce à l’autre en évitant la cuisine où s’étaient retirés Ken et Nonos 2. Quelque chose au fond d’elle-même lui disait qu’il fallait se méfier de ce chien noir.

Il y avait un peu trop d’outils dans la maison au goût d’Olys, elle trouvait ça louche, ainsi que beaucoup d’effets personnels qui paraissaient abandonner depuis longtemps, plusieurs années sans doute et n’avaient pas bougés de place depuis. Olys tomba entre autre sur une pile de courriers non ouverts, tous adressés à un certain Professeur Albus Konga.

Olys continua de faire son petit tour et dans le couloir elle tomba sur un cadre photo où Ken et son chien se tenaient à côté d’un vieux barbu aux cheveux blancs

(Hum… Une photo du professeur Konga je suppose, une belle tête de savant fou, il n’y a pas à dire.)

En entendant une voix inconnue provenant de la cuisine, Olys se glissa derrière la porte entrouverte pour mieux écouter. La voix semblait mécontente, mais elle avait surtout quelque chose de bizarre. Olys identifia une voix d’homme, sans doute le père de Ken en conclue Olys, la voix raisonnait dans un léger écho sourd, comme si elle provenait d’une télévision ou d’une radio, pourtant le bonhomme était en pleine discussion avec Ken.

« Dis donc Ken, il me semble t’avoir demandé de revenir avant 21h30, il est 22h passé !

- Ce n’est pas de ma faute Nonos 2… Répondit Ken.

(Il parle à son chien ?!? Mais qui lui répond dans ce cas ?!?)

Olys se pencha devant l’interstice pour apercevoir les deux interlocuteurs. Silencieusement, elle sortit son appareil photo et l’alluma.

« C’est Olys qui mange beaucoup, on a perdu du temps au restaurant. »

(Eh mais c’est pas vrai ! Quel mufle !)

« Toujours de bonnes excuses ! Répliqua le chien noir devant Ken. Avec toi c’est toujours la faute des autres, jamais de la tienne.

- De toute façon ce n’est pas grave, dit Ken en haussant les épaules. Je ne crains rien moi dehors, même en pleine nuit.

- Je suis responsable de toi ! Aboya Nonos 2 sous les yeux médusés d’Olys. Tu fais ce que je te dis et c’est tout, c’est pour ton bien. Ensuite pourquoi l’as-tu ramené à la maison ? Tu as buggué ou attraper un virus informatique ? »

Ken grommela, contrarié de se faire enguirlander par son chien qui était aussi son tuteur légal. Olys avait l’impression d’entrer dans la quatrième dimension.

« De toute façon je m’en fiche, je ne suis plus un petit robot, l’année prochaine j’aurai fini la Sentaï School et je serai enfin un androïde adulte et indépendant, tu ne pourras plus rien m’ordonner et je ferai ce que je veux.

(Un… Un robot ? Il a dit robot ? Non ce n’est pas… Possible…)

- Tu me réponds maintenant petit effronté ? Avoir l’air humain ne te donne pas le droit de faire une crise d’adolescence ! Tant que tu vis sous mon toit c’est moi qui décide !

- C’est pas ton toit, c’est celui du professeur Konga. Les chiens ça dort dans une niche normalement.

- Je ne me souviens pas qu’on t’ait programmé pour être arrogant et faire du cynisme ! Montre-moi ton disque-dur.

- Roh non, pas maintenant…

- Tu obéis Ken ! »

Ken grommela une nouvelle fois puis à l’aide de ses deux mains il se dévissa littéralement la tête. Olys dû se cramponner à l’étagère du couloir pour ne pas s’écrouler sous le choc. De la main droite, elle eut tout de même le réflexe d’appuyer sur le bouton vert de son appareil photo.

Ken tenait son propre crâne à bout de bras. Le chien enfila son museau sous le menton de Ken.

« Ah-ah ! S’écria Nonos 2 en regardant à l’intérieur du crâne. J’en étais sûr ! Tu as encore intégré des données inutiles sur les séries de NT9 et W1. Tu me feras le plaisir de les effacer !

- Mais Nonos 2, ça me permet de me comporter comme un humain…

- Un humain stupide et antipathique oui ! Tu n’as pas besoin de ça ! »

Olys souffla de surprise. Elle n’en croyait pas ses yeux.

(Pour de vrai… Ken… Ken est un robot…)

Elle abaissa son appareil photo, tout était déjà dedans. Complètement hébétée elle tenta de se redresser en s’aidant de l’étagère contre laquelle elle était appuyée mais sans faire attention elle renversa quelques livres de mécanique qui tombèrent sur leurs couvertures dans un bruit sourd.

Ken et son chien dressèrent l’oreille, Olys avait malencontreusement rappelé sa présence aux deux locataires.

« Rah c’est vrai, j’oubliais qu’elle était encore là celle-là, râla Nonos 2. Ken revisses toi la tête correctement et renvoie ton amie chez elle avant qu’elle ne se rende compte que quelque chose cloche ! »

Prise de panique, Olys rangea en catastrophe son appareil photo dans son sac à main et s’éloigna de la porte pour retourner dans le salon comme si de rien n’était. Ken et Nonos 2 arrivèrent.

« Il est tard, tu veux que je te raccompagne chez toi ?

- WOUF ! Insista Nonos 2 pour qu’elle déguerpisse

- Non non, ce n’est pas la peine ! Dit précipitamment Olys. Je ne serais pas une véritable héroïne si je ne savais pas me défendre pas vrai ? Ah ah… Hem. Bon ben j’y vais hein ? C’était chouette, on se voit demain à l’école ! Bye ! »

Elle s’enfuit plus qu’elle ne sortit de la maison. Dans la rue elle se mit à courir comme une dingue en direction de chez elle. Ken tira le rideau et l’observa depuis la fenêtre.

« Cette fille est un peu bizarre non ? Dit Nonos 2 à ses côtés.

- Oui, je trouve aussi. Elle n’aime ni la danse, ni les crabes, ni les moustaches. »

Olys ne ferma pas l’œil de la nuit. Après avoir découvert le secret de Ken, elle avait filé à l’anglaise et une fois chez elle, elle s’était aussitôt ruée sur son ordinateur pour rédiger un article de cinq pages plus photos à l’appui sur Ken Eraclor et sa véritable nature. Une fois terminé, elle fixa son écran pendant une bonne demi-heure, perdue dans ses pensées.

(C’est très bien et j’en fais quoi maintenant ?)

Comme d’habitude, son texte était génial : incisif, précis, bien écrit… Mais ce n’était pas le problème.

(A quel journal je pourrais le vendre ? C’est sûr que c’est de l’or en barre mais…)

Son doigt se rapprochait irrésistiblement de la touche SUPPR.

(Si je fais ça, je ruine la vie de Ken… Raaah, pourquoi j’ai des états d’âme moi ? C’est un robot, ce n’est pas grave. Il ne va pas souffrir, enfin je ne crois pas…)

Elle recula brutalement son doigt.

(Non, je ne deviendrai pas journaliste si je me montre aussi faible ! Je vais y réfléchir et je l’enverrai au plus offrant demain.)

Olys, fatiguée de sa journée, s’étala sur son lit en laissant son ordinateur allumé. Allongée en étoile de mer, les yeux rivés sur son plafond blanc, Olys continuait de douter.

(Je me demande comment vont réagir les autres quand ils sauront que leur ami est un robot…)

Des images se succédèrent dans son esprit. Elle vit Ken Eraclor ligoté sur une table de dissection. Autour de lui se trouvaient tous ses camarades : Keiji, Bibi, Hongo, Duke, Tôa, Vipère mais aussi Guillaume Colobra, Koji, Tofu… Tous avaient les yeux rouges luisants et fixaient Ken avec une mine terrifiante. Mademoiselle Gégé vêtue en infirmière diabolique, la blouse maculée de tâches de sang s’approcha de Ken en poussant un chariot chargé d’instruments médicaux, de type scalpels et ciseaux mais également d’outils comme des tournevis et des clefs à molettes.

Au centre du plateau trônait une scie électrique. Le principal Ultra Sama apparut accompagné de Stratéquerre, tous les deux en blouse verte de chirurgien, un sourire démoniaque dévoilant des dents anormalement pointues sur leurs visages. Ultra sama se saisit avec un plaisir malsain de la scie électrique, Stratéquerre lui brancha la prise. La lame démarra dans un bruit strident. Ken ne protestait pas, il attendait que la fin arrive, de la sueur coulait lentement sur son front tandis que la scie s’approchait… Et Stratéquerre lança :

« Nous enverrons le premier écrou à Olys Allen, pour la remercier… »

« Kyaaaaah ! »

Olys s’extirpa de ce cauchemar en s’agrippant les cheveux, hystérique. Elle bondit hors de son lit, manqua de trébucher sur son sac à dos et se jeta sur son ordinateur encore allumé, l’article toujours affiché en plein écran.

« Je peux pas faire ça, je peux pas faire ça, je peux pas faire ça !!! » Répéta Olys, au bord de la démence en appuyant quinze fois sur la touche suppression du clavier.

Elle se laissa ensuite tomber sur sa chaise de bureau en soupirant de soulagement lorsqu’elle réalisa que son article était bel et bien effacé. Une voix fluette mais mal réveillé s’éleva depuis la chambre voisine.

« Chérie ça va ? Tu as encore fait ce cauchemar avec le micro-onde qui parle ? Tu as bien pris tes médicaments hein ?

- Oui maman ! Vas te coucher ! » Gronda Olys.

Elle se tourna vers l’écran désespérément vide, l’affichage numérique du PC indiquait 3h26 du matin. Olys soupira encore.

« Il faudrait que je supprime toutes les photos de Ken… Je n’en ferai plus rien maintenant. »

Olys hésita à ouvrir son placard. Elle était dépitée mais aussi fatiguée.

(Ca attendra demain… Faut que je dorme pour de vrai cette fois.)

De nouveau sur son lit, Olys se plaqua un oreiller sur la tête.

(Pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi…)

A suivre...

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