Le Meilleur des mondes possibles

Chapitre 9 : Chapitre II — Partie I

2355 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/08/2014 14:57

— Chapitre II —

La Théorie des cordes

« Les hommes, ma chère, sont comme les cerfs-volants : plus on leur tend de corde, plus on les tient. »

— Alexandre Dumas, fils —

Lieu inconnu. En tout cas, pas en France, ça c’est sûr. Date inconnue. Probablement le même jour. Le 12 Mai 2013. Heure inconnue. Absolument aucun indice à ce propos.

 

Raphaël reprit lentement conscience, faisant d’abord trembler ses paupières puis les ouvrant peu à peu. Sa tête était encore le siège de lourds échos assourdissants, et il était profondément stupéfait que son crâne tînt malgré tout le coup, alors qu’il lui semblait comprimé et frappé en cadence de la même manière que les cloches de Notre-Dame sonnaient l’heure.

Il se sentait vaciller d’un côté et de l’autre, mais peut-être était-ce simplement le fait qu’il venait de se réveiller et que le choc qu’il avait reçu lui était encore douloureux. Il était dans une salle sombre, dans ce qui lui sembla être un lit qui n’était pas des plus confortables. Certes, il s’imaginait bien qu’il y avait pire, mais ce n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable lorsque l’on se réveillait ainsi, alors que l’on se sentait si désorienté et que la tête nous semblait si pesante… Que s’était-il passé pour que cela lui arrivât ? Il n’avait pas dormi chez lui, c’était certain, et cette douleur intense…

 

Finalement, tout lui revint en un éclair qui le fit sursauter, se relevant brusquement. Sa douleur à la tête ne le reprit que plus fortement encore et il dut porter ses deux mains tremblantes à l’arrière de son crâne tandis qu’il geignait silencieusement, mais cela ne lui sortit pas de l’esprit. Il se souvenait de tout, désormais. Mais alors…

 

Marie.

 

Où était-elle ? Où ? Comment allait-elle ? Que lui avait-on fait ? Que lui voulait-on ? Pourquoi les avoir attaqués ?

 

La porte de la salle dans laquelle il se trouvait s’ouvrit brutalement. Sorti de ses pensées et désormais totalement éveillé, l’adolescent put observer avec plus de détails et d’attention les alentours de cette dernière : c’était une porte blindée, mais ne semblant pas faite pour être la porte d’une cellule de prison toutefois. C’était une porte lourde et solide, mais dont le rôle n’était pas d’empêcher un quelconque détenu de s’échapper. Et l’homme qui venait d’entrer, bien qu’armé, ne portait pas ladite arme dans les bras, comme s’il était prêt à se défendre en cas d’attaque du supposé détenu.

Non. Cet homme, d’une vingtaine à une trentaine d’années environ, en costume noir, à la chevelure courte et brune, au regard ambre assuré et bienveillant, venait le voir les mains dans les poches, littéralement.

Alors que c’était ce même homme qui, précédemment, s’en était pris à lui.

 

Raphaël dut cligner deux ou trois fois de suite les yeux, incrédules, l’air béat, avant de secouer violemment sa tête encore douloureuse pour enfin reprendre une allure grave. Il n’était pas encore totalement réveillé, en fin de compte ; mais il l’était désormais suffisamment pour jeter deux yeux ombrageux à cet homme qui venait d’arriver et s’approchait de lui, confiant et avec un air presque amical.

 

« Qui êtes-vous ? » lâcha finalement le Parisien, qui ne supportait plus le silence.

 

L’interrogé parut pris au dépourvu par une telle question, fronçant les sourcils avec un mélange d’incompréhension et d’embarras. Il répondit au bout de quelques secondes, mais ce ne furent que des bribes de marmonnements incompréhensibles.

L’adolescent demeura stoïque pendant quelques instants.

 

« Ah d’accord. C’est sûr que si vous parlez pas français, on va avoir l’air fin à avoir un dialogue de sourds comme ça. »

 

L’aîné parut réfléchir ; mais il ne tarda pas à répliquer par une question :

 

« Est-ce que tu parles anglais ? »

 

Question qu’il avait évidemment posée dans ladite langue qu’il venait de mentionner. Raphaël n’hésita pas à répondre positivement, rassuré de voir qu’ils auraient au moins un moyen de se faire comprendre malgré tout.

 

« Qui êtes-vous ? répéta-t-il aussitôt, en anglais cette fois-ci.

- Ogawa Shinji, agent de la Seconde Division des forces spéciales en cas de désastre, répondit-il sans hésiter. Et manager de la chanteuse Kazanari Tsubasa du groupe Zwei Wing. Mais je suppose que cela ne te dit rien, n’est-ce pas ?

- Pas vraiment, non. »

 

Il y eut un court silence. Mais l’adolescent était bien décidé à soutirer le plus d’informations possible de cet homme. Quelles étaient ses intentions ? Que se passait-il, au juste ?

 

« Où sommes-nous ? Où est Marie ?

- Ton amie est en sécurité, ne t’inquiète pas pour elle. Elle est sous bonne garde, il ne lui arrivera rien.

- Vous dites ça alors que c’est vous qui nous avez attaqués et enlevés ? » fit-il remarquer sarcastiquement en haussant un sourcil.

 

L’agent parut embarrassé par une telle réponse et détourna le regard comme pour chercher un argument à lui opposer pour se justifier.

 

« Disons que… ton amie a quelque chose de très particulier. Sa présence ici est une nécessité d’ordre international. »

 

Ah oui. À ce point-là. D’accord.

 

« Vous dites que vous êtes de l’armée ? C’est pas censé être quelque chose de confidentiel, ou quelque chose comme ça ?

- Disons que comme tu es déjà dans nos locaux, il serait difficile de ne pas te prévenir… Alors autant te le dire tout de suite. De toute manière, il serait difficile dans ta position de divulguer n’importe lequel de nos secrets d’état pour le moment. »

 

Le Parisien haussa encore un sourcil, puis grogna.

 

« Je vois. Et je peux savoir où nous sommes ?

- Dans le sous-marin de la Seconde Division des forces spéciales en cas de désastre, notre quartier général pour le moment étant donné que l’ancien a été détruit il y a moins d’un mois par les précédents événements. »

 

Au vu du regard ennuyé et froid que le jeune homme lui lança, il ne s’agissait visiblement pas de la réponse qu’il désirait.

 

« Non, vraiment, où sommes-nous ?

- Au beau milieu de la mer du Japon, au large de Tōkyō. »

 

Raphaël en resta béat de stupéfaction et le regarda durant de longues minutes, incrédule.

Ah oui, d’accord.

C’était fichtrement loin de Paris, ça.

 

« C’est d’ailleurs un peu plus complexe encore que tu ne t’imagines, en réalité… Nous ne sommes pas réellement près du même Japon que celui que tu connais, à vrai dire. Disons que… nous ne sommes pas du même univers. Tu as déjà entendu parler de théories scientifiques à propos d’univers parallèles, n’est-ce pas ? Disons que depuis récemment, une branche de notre section de recherche scientifique nous a permis de réaliser ce genre de petits… voyages, dirons-nous. »

 

L’adolescent ne parut pas avoir de réaction apparente. Peut-être avait-il tout simplement décroché, en fait.

 

« Vous pouvez être plus clair…? lança-t-il d’un air un peu perdu et inquiet au bout de plusieurs longues dizaines de secondes. Parce que là, je suis pas sûr d’avoir bien compris.

- Nous sommes dans un univers parallèle au tien. Le seul moyen pour vous de rentrer dans votre univers d’origine est d’avoir notre accord au préalable. Et étant donné que nous avons besoin de ton amie pour un problème d’état d’ordre majeur… Cela risque de prendre un peu de temps ; en tout cas, si tu comptes rester avec elle, il est possible que vous restiez ici pendant un moment. »

 

Il y eut un long silence consterné.

 

« Il est évident que nous vous prendrons en charge durant tout ce temps, et nous ferons tout pour que votre séjour ici soit aussi agréable qu’il puisse être… Nous sommes vraiment désolés de vous avoir fait venir ici contre votre gré, mais nous n’avions vraiment pas le choix.

- Et je peux savoir quel rôle elle est censée avoir ? Sérieux, c’est juste une Parisienne comme une autre, non ?

- Je ne suis pas celui à qui tu devrais poser ce genre de questions, mais il est évident que si elle est ici, c’est qu’elle a un rôle à jouer qui est bien particulier ; et nous te tiendrons au courant autant que tu le souhaites, je m’en assurerai. C’est la moindre des choses que de vous fournir des explications après tout, je suppose… »

 

En fin de compte, cet homme, Ogawa Shinji, semblait plutôt être un type sincère et amical, bien plus qu’un militaire. Il avait beaucoup de mal à croire qu’il pouvait être de l’armée japonaise, lui qui s’était toujours imaginé des hommes insensibles et se contentant d’exécuter les ordres lorsqu’ils n’étaient pas ceux qui les braillaient dans une langue incompréhensible et inarticulée… Peut-être devait-il sortir ces stéréotypes de son esprit.

Et pourtant, il avait bien été celui qui avait été capable de le battre, lui qui était capable de mettre à mal toutes les forces de police rassemblées lorsqu’il voulait fuir après ses vols.

Ogawa Shinji avait été capable de battre Fantôme R. Et rien que pour cela, il était digne d’intérêt à son goût.

 

« Oh, j’ai failli oublier un détail… Nous avons été très surpris lorsque nous nous en étions rendu compte lors de nos voyages dans le but de faire des recherches, mais… il semblerait que les repères temporels ne soient pas identiques partout. »

 

Le jeune adolescent lui lança encore un regard qui se voulait neutre, mais qui ne cachait pas le fait qu’il n’avait en réalité absolument rien compris à ce qu’il venait de dire, comme il le confirma au bout de quelques secondes de silence :

 

« Et en français — je veux dire, en anglais clair et accessible au commun des mortels —, ça veut dire quoi ? »

 

L’agent leva encore un regard embarrassé au plafond.

 

« Nous sommes le sept octobre deux mille treize. »

 

Raphaël tiqua nerveusement.

 

Ah.

 

D’accord.

 

Rien que ça.

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