L'éphèbe, le santal et la canne

Chapitre 1 : L'éphèbe, le santal et la canne

Chapitre final

3602 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/11/2024 13:24

Le pétale de mûrier et la feuille de pêcher voltigeaient dans la bise fraîche du matin, emportés par le souffle céleste qui les avait arrachés à leur branche respective. Ballottés l’un contre l’autre, pétale et feuille semblaient se livrer un duel sans merci. Ils se fouettaient et se percutaient au gré des bourrasques qui les emmenaient toujours plus haut, par-delà les cimes des monts enveloppés d’une brume aurorale. Puis, le rosissement de l’horizon se transmit petit à petit aux lames végétales qui donnèrent alors l’impression de saigner.

Le vent se calma et la joute martiale se mua en une danse nuptiale durant laquelle pétale et feuille se frôlaient et se caressaient voluptueusement. Le ballet langoureux se poursuivit alors que le zéphyr ramenait les duellistes vers le sol, où un impétueux torrent les attendait. Tous deux furent avalés par le flot scintillant comme de la poussière d’étoiles. Malmenés par les vagues et les tourbillons, les limbes finirent happés par la cataracte bouillonnante que le cours d’eau turbulent alimentait.

Se fondant parmi les paillettes rutilantes des embruns, une kyrielle de gouttelettes constellant leur épiderme comme autant de diamants, pétale et feuille chutèrent. Puis, le souffle né de la célérité gonfla leur surface et les emporta à nouveau dans les airs. Enfin, ils retombèrent en planant paresseusement vers la berge qui faisait face à la cascade. Ils assolirent au pied d’un grand arbre au bois marron foncé et empourpré, un santal bordé d’un mûrier et d’un pêcher, ceux-là mêmes desquels le pétale et la feuille s’étaient détachés avant leur périple aérien et aquatique.

Une main s’empara délicatement des voltigeurs pour admirer leur surface perlée et nervurée d’un regard pers et brillant. Le vent amena une longue mèche auburn devant les yeux avides et fit s'envoler de nouveau les voiles végétales qui repartirent pour un nouveau voyage entre ciel et terre. Erichthonios les suivit un instant, jusqu'à les perdre de vue parmi des centaines de comparses. Le jeune garçon étendit son champ de vision au panorama qui se dévoilait alors que le soleil amorçait son ascension.

Il était bien loin de chez lui, bien loin de la Grèce qui l’avait vu naître, bien loin de l'île sur laquelle sa mère adoptive, Athéna, l'avait laissé pour mener la première d'une longue série de Guerres Saintes. Mais il n’avait pas été abandonné pour autant. Il avait une deuxième mère, biologique cette fois : Gaïa. 

Né accidentellement du contact entre la terre et un tissu de laine imprégné du sperme d’Héphaïstos, après qu’Athéna s’était dessouillée d’une tentative de viol par le dieu de la Forge, Erichthonios avait toujours eu du mal à connaître sa place dans le monde des dieux. La déesse de la Sagesse l’avait adopté, acceptant d’élever un enfant innocent dont la titanide de la Terre ne pouvait pas s’occuper. Aussi, à la fois divin et titan d’extraction, il devait se chercher et se trouver. La chthonienne avait donc pris le relais de l’olympienne dans son instruction et l’avait enjoint à explorer sa planète natale pour découvrir ses richesses et ses merveilles.

Il avait visité de nombreux lieux sacrés avant d’arriver ici, dans cette contrée de la Sinê, ce pays d’Extrême-Orient que ses habitants appelaient Empire du Milieu. Il avait été plus particulièrement attiré par le charme d’une région surplombée de cinq monts majestueux et par le charisme de la haute cascade qui y grondait. Avec ses embruns cotonneux qui se fondaient dans les nuages bas et la brume des cimes, l’impressionnante chute d’eau semblait se déverser directement des cieux.

Erichthonios avait ressenti une puissance palpitante et envoûtante et c’était ce qui l’avait amené en ces lieux. Le fils d’Athéna avait parcouru sentes et layons, gravi pentes et raidillons pour parvenir jusqu'à la source de ce signal impossible à ignorer. Il était au bon endroit, il en était certain. Nonchalamment, il laissa son regard dériver tout autour de lui. Il s'étourdit dans la plénitude ambiante et décida d’approfondir sa contemplation. Aussi s’assit-il en tailleur au pied du santal pourpre et s’adossa-t-il à son tronc noueux et patiné. Aussitôt, des effluves veloutées, chaudes et apaisantes l’enveloppèrent. Le bois aromatique dégageait une fragrance à la fois terreuse et crémeuse, aux relents presque animaux. Le jeune éphèbe se laissa bercer par les sons, les images et les odeurs qui submergeaient ses sens.

Il frissonna alors même qu'une onde agréable se hissait de la pointe de ses pieds jusqu'à la racine de ses cheveux, en passant par son bas-ventre et son plexus solaire. La vague de chaleur glacée remonta avec une lenteur aussi insupportable qu’appréciable et il lui sembla entendre sa pilosité crépiter tandis que celle-ci s'érigeait en une chair de poule piquante et duveteuse à la fois.

Les Bienfaits de Gaïa.

Les effets d’une harmonie pleinement atteinte avec la Nature, autant avec ses éléments qu’avec ses habitants.

La récompense de la Terre Mère envers celles et ceux qui parvenaient à comprendre et respecter leur planète.

Erichthonios accueillait ces Bienfaits chaque fois que possible. Ils lui procuraient une délectation qu'il ne réussissait pas à s’octroyer autrement. N’importe quel autre contentement n'en était qu’une pâle imitation. À quatorze ans, il avait toujours eu à cœur de vivre le moins divinement possible. Mais certains plaisirs humains ne le contentaient plus et c’était là une des seules incartades à sa ligne de conduite. Alors dès qu'il pouvait bénéficier de la volupté gaïenne, il en profitait. Ce lieu sacré, qui serait bien plus tard connu comme le Mont des Cinq Vieillards ou les Cinq Pics de Lushan, lui en offrait la parfaite occasion et il n’allait pas s’en priver.

L’éphèbe aux yeux pers brisa son onanisme contemplatif pour aller se baigner dans le bassin de réception de la cataracte. Alors qu'il profitait des bouillons purs et revigorants, il avisa la conformation entre le santal, le mûrier et le pêcher auprès desquels il s'était laissé aller à communier avec la Nature. Le mûrier se dressait à l’Est, et ses longues branches ramifiées formaient des mains semblant porter le soleil levant. Le pêcher poussait vers l’Ouest, et sa large ramure se découpait dans le firmament comme une échelle céleste.

Le santal s'élevait entre les deux, majestueux. Son houppier donnait l’impression de s’envoler bien au-delà du sommet de la cascade en contrehaut et de côtoyer les Neuf Cieux eux-mêmes. Ses racines affleuraient en grande partie sur l’écore de la rivière en contrebas et paraissaient vouloir atteindre les Neuf Sources elles-mêmes.

Une illumination s’empara alors d’Erichthonios. Le jeune pèlerin avait suffisamment visité le reste de la Sinê pour prendre conscience de l’importance de sa découverte. Le triptyque arboréen incarnait la légende de l’Arbre Monde, Jian Mu, et ses deux arbres compagnons, Fu Sang et Da Tao Mu. L'énergie mystique de ce lieu l’avait attiré, lui, le double héritier de la déesse protectrice de la Terre et de la titanide personnificatrice de la planète, et son instinct lui criait que ces arbres n'étaient pas étrangers à cet appel.

Erichthonios remonta sur la rive et se laissa sécher à la faveur de la douce chaleur qui émanait des rayons solaires. Il avisa son khitṓn de laine, ses krêpis de cuir et son zhúlì de bambou. Le chapeau conique, emblématique de cette région du monde, détonait de sa tenue grecque traditionnelle mais il tenait à l'arborer car il lui avait été offert, un jour de forte chaleur, par un paysan bienveillant et généreux. Le garçon décida de se passer de ses atours et ce fut dans le plus simple appareil qu’il revint vers les trois arbres singuliers. Il était seul à des à la ronde et il sentirait la moindre présence humaine bien avant que celle-ci ne puisse le surprendre nu. Il aimait exposer sa peau aux caresses de la Nature. Il lui semblait qu'ainsi, il était plus réceptif à ce qu’elle avait à lui apprendre.

L’éphèbe se posta face au trio végétal et les scruta, songeur. L’heure n'était plus à la béatitude, mais à l’analyse. Une main sous son menton et l’autre tenant le coude levé, il se mit à louvoyer autour des troncs, enchaînant les allers-retours, concentré sur le moindre détail que son regard pouvait capter. Il apposa une paume délicate sur l'écorce du mûrier, puis sur celle du pêcher. Il eut beau focaliser ses sens sur leur surface ligneuse, il ne perçut pas la moindre étincelle d'énergie cosmique. C'était pourtant bien du cosmos, auquel il était rompu, qui l’avait attiré en ces lieux. Il en était convaincu !

Et ce cosmos, il le trouva en touchant le santal.

Jusque-là ténu et dormant depuis que le garçon était arrivé aux Cinq Pics, alors qu'il avait brillé comme un phare tout le temps que le jeune pèlerin avait été en chemin, l’énigmatique cosmos lui envoya une véritable décharge. Chatouillé, Erichthonios émit un rire cristallin.

— Bonjour à toi aussi, déclara-t-il. Mais…

La main du jeune garçon s’attarda sur le grain fin et dense du bois de santal.

— Qu’es-tu ou qui es-tu vraiment ?

La question de l’éphèbe resta sans réponse. Il appliqua sa seconde paume et caressa résolument la douce écorce patinée.

— Que désires-tu ? Pourquoi m’avoir appelé ?

Erichthonios leva ses yeux pers et pétillants vers le sommet de l’arbre empourpré.

— Quel mystère dissimules-tu ? Qu’attends-tu de moi ?

Sans y réfléchir à deux fois, il se mit à grimper. Ses muscles fins et déliés l’emportèrent de branche en branche, ses doigts agiles et ses orteils assurés dénichant les plus petites prises. Chaque effleurement du tronc lisse sur ton torse et son abdomen le faisait frémir. Chaque frôlement d’une feuille duveteuse dans son dos l’électrisait. Lorsqu'il arriva au sommet, tout son corps tremblait… mais pas de l’effort qu’il avait dû fournir car, préparé physiquement par sa mère Athéna depuis sa plus tendre enfance, cette escalade ne lui en avait demandé aucun.

La cime, qui tanguait paresseusement, se para d’une oriflamme embrasée lorsque le vent fit s'envoler la longue chevelure vénitienne du jeune homme. Les frissons parcouraient sa peau juvénile offerte aux souffles conjoints du ciel, de la terre et de la cascade. La somptuosité du paysage s'offrit à lui : l’astre du jour étincelant, le rideau d’eau miroitant, les hauts monts rassurants sillonnés de rivières opalescentes et de pistes poudroyantes. Une série pulsatile de vagues alternant entre le torride et le glacial arpenta son corps, explorant la moindre parcelle de son être. Ses pieds, posés sur l'une des dernières branches de l’arbre, se crispèrent, ses jambes se tétanisèrent, son buste se raidit, ses bras se figèrent et ses mains se contractèrent.

Celle qui tenait la base de la branche apicale se serra avec tant de force que le bois craqua jusqu'à cœur. La prise d’Erichthonios céda et le jeune garçon bascula. Il se laissa choir dans un premier temps, savourant la sensation d’apesanteur qui précédait toute chute, profitant de l’instant à la fois infini et éphémère durant lequel la force de rétention s'équilibrait avec celle de la gravité. Puis, lorsqu'il se sentit aspiré par le vide, il déploya son cosmos, tournoya sur lui-même et se rétablit souplement au sol.

Dans sa main, il tenait l’apex du santal, un morceau légèrement torsadé d'environ deux coudées dont l’extrémité était renflée et l'écorce abîmée par l’exposition aux intempéries. L’humidité de la cascade adjacente avait favorisé le développement de mousse et de lichen. Les ardents rayons du soleil l’avaient desséchée et craquelée. Des serres, probablement d’aigles qui aimaient s’y percher à l’affût, y avaient incrusté leurs marques. La Nature était cruelle, même avec ses plus belles créations. Il émanait néanmoins de ce bout de bois chahuté une indubitable résilience, comme si cette étroite cime avait résisté aux assauts du temps depuis des siècles... voire davantage. Le sort funeste de cette pauvre branche maintenant détachée de son arbre-père, l’émut et il décida de lui offrir un dernier hommage.

Le jeune éphèbe alla se rhabiller et fouilla dans sa besace de voyage. Il en extirpa une trousse en peau enroulée sur elle-même. Défaisant le lien de cuir qui la maintenait fermée, il la déplia et ses chers outils étincelèrent au soleil. Il avait toujours aimé sculpter, graver et forger. Il était doué et tenait probablement ce talent inné de son ascendance héphaïstienne. Bien qu'il n’eût jamais côtoyé son géniteur, il pouvait au moins se réclamer de lui pour son aptitude phénoménale en ce domaine.

Erichthonios admira l’ensemble de râpes, limes, gouges, bédanes, racloirs, ciseaux et planes. Il les avait forgés lui-même, y infusant son cosmos de manière à obtenir des outils uniques, durables et parfaitement accordés à son style en tant qu’artisan. Où qu'il aille, il les emmenait avec lui, gravant ici et là, au cours de ses pérégrinations, portes, volets et autres meubles, ou façonnant jouets, mandrins et autres babioles pour remercier ceux qui l’accueillaient. Il avait usiné de nombreuses essences de bois de par le monde, mais jamais il n’avait ouvragé du santal.

Le fils d’Athéna se concentra, inspira profondément et fit glisser ses mains expertes sur la chute d’arbre. Il ferma les yeux laissant sa taction explorer les formes et reliefs de la branche cassée. Il en découvrit les aspérités, les difformités, mais apprécia au passage sa finesse, sa délicatesse. Il passa davantage de temps à parcourir le broussin apical de la cime. Ce renflement tumoral l’intrigua. Le garçon laissa son cosmos, son énergie humaine, s’immiscer dans le volume ligneux et le retira aussi sec, stupéfait. Il se heurtait à un mur infranchissable. Loin de se décourager, Erichthonios laissa exceptionnellement ses origines chthoniennes prendre le dessus sur sa volonté de paraître humain et il s'ouvrit cette fois au dunamis, l’énergie divine. Cette puissance-ci n'eut aucun mal à traverser la barrière précédemment perçue et à accéder à ce qu’elle dissimulait.

Elle était là !

Elle était là l’énergie qui l’avait attiré aux Cinq Pics !

Elle était là, pelotonnée sur elle-même dans une… perle !

Le jeune éphèbe ressortit fébrile de son coup de sonde. Ce morceau de bois recelait un véritable trésor. Une perle de dragon ! Cela ne pouvait être que cela. Seules ces créatures fantastiques en développaient une lorsqu'elles gagnaient en sagesse. Cette perle retournait ensuite sur le lieu de naissance de son propriétaire lorsque ce dernier mourait. Mais à quel dragon avait appartenu cette gemme-ci ? Dans quelles circonstances son détenteur était-il mort ? Comment ce joyau s’était-il retrouvé enchâssé ainsi dans un santal ? Erichthonios sut immédiatement qu'il ne devait pas essayer de l’extraire pour en découvrir davantage. Cela serait revenu à déterrer un mort pour une autopsie indiscrète et il ne pouvait s’y résoudre.

Mais il pouvait lui offrir une sépulture exceptionnelle. Il pouvait lui confectionner un écrin posthume qui, à l’image d’un sage, serait simple et humble en apparence, mais capable de contenir toute la complexité et la sagacité du monde. Alors il se mit à l’ouvrage avec la ferme intention de faire honneur au merveilleux défunt.

Il commença par dégrossir la silhouette qu'il voyait apparaître dans son esprit, celle qui respecterait au mieux la forme naturelle de l’apex brisé. À l’aide d’une plane, il écorça liège et liber de manière à dégager l’aubier. Puis, au moyen d’un ciseau à crochet, il détacha le bois jeune et imparfait pour révéler le duramen sous-jacent. Avant de s’y attaquer, le jeune artisan utilisa une petite scie à araser pour enlever l’extrémité déchiquetée par l’arrachement à son arbre d’origine.

Le prodige caressa l’œuvre dégrossie, mais loin d'être terminée, d’une main fébrile. Du bout des doigts, il visita et épousa les plus petits reliefs et contours, sans craindre les échardes. Il évalua la torsion naturelle de la branche et mémorisa son schéma tant dans sa chair que dans son âme. Il se munit ensuite d’une gouge et d’un bédane pour désincruster les sillons de la mousse et du lichen qui avaient échappé à sa plane et son ciseau. Il prit bien soin de ne jamais occasionner la moindre rayure au bois parfait. Le duramen devait rester intact.

À ce stade, sa respiration était à la fois profonde et irrégulière, car il la bloquait lors des passes les plus délicates. La transpiration perlait sur son front et il se positionna de manière à ce qu’aucune goutte ne vienne contaminer le fruit de son travail. Le racloir lui permit de se débarrasser de certains restes récalcitrants d'aubier ou d’écorce.

L’affleurage enfin terminé, il passa aux finitions, d’abord à la râpe puis grâce à des limes au grain de plus en plus fin. À chaque changement d’outil, Erichthonios vérifiait le résultat obtenu en palpant méticuleusement la surface patinée, lutinant presque l’item qu’il avait obtenu. Quand il fut satisfait, il s'affaira à l’échampissage, la toute dernière phase, celle qui allait faire ressortir le veinage et les nuances du bois précieux. Il avait la matière toute désignée pour cela, l’huile de tung, une substance qui lui avait été donnée par un forgeron auquel l’éphèbe avait rendu service peu après être arrivé en Sinê. Déchirant une partie de sa tunique, il l’utilisa pour appliquer le liquide révélateur.

Le produit fini était sublime. Le jeune artisan le posa sur son extrémité étroite pour en vérifier l'équilibre. Malgré le renflement qui contenait la perle de dragon à l’autre bout, l’objet restait parfaitement balancé. Il ne restait pas la moindre imperfection sur sa surface lisse et douce.

Une canne.

Erichthonios avait sculpté une simple canne, mais la banalité de son apparence globale n’avait d'égal que l’exquisité de sa réalisation minutieuse.

Un item à l'image d’un sage.

Un item à l’usage d’un sage.

Il communia avec cet artefact, y intégrant son empreinte animique, comme il le faisait avec chacune de ses créations. La perle qui y était enchâssée s’ouvrit alors à son subconscient et lui offrit sa mémoire. Il apprit à quel dragon elle avait appartenu. Zǐlóng, le dragon même qu’Athéna avait vaincu lors de la Titanomachie et qu’elle avait transformé en constellation. Il comprit que la canne obtenue devait rester ici, en Sinê, et plus précisément sur les terres sacrées où la fabuleuse créature était née des milliers d’années plus tôt, aux Cinq Pics. Il admit que cette canne ne lui était pas destinée, à lui, Erichthonios, fils de Gaïa et d’Athéna, mais à un autre, un être bien plus vieux et sage qu'il ne le serait jamais. Et il sut ce qu'il convenait de faire.

L’éphèbe se leva et s'avança cérémonieusement du pied de la majestueuse cataracte. Il leva son bras pour présenter la canne renflée aux rayons du soleil couchant et aux embruns étoilés. Puis il la jeta dans l'écume bouillonnante.

Tandis qu’elle sombrait lentement dans les profondeurs du lac de réception de la haute cascade, il composa un poème de bénédiction :


Sous l’ombre du mûrier et du pêcher,

La branche de santal fut façonnée.

De l’essence noble naquit une canne,

Renfermant un illustre patrimoine.


Des Neuf Cieux aux Neuf Sources,

L’eau céleste poursuit sa course.

La cascade des Cinq Pics murmure,

Ses remous nacrés baignent la sculpture.


Adoptant l’aloi du diamant,

La canne devient talisman.

Qu’elle soit l’héritage un jour,

D’un sage aux beaux discours.





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