Le poing, l'épée et le bouclier

Chapitre 1 : Le poing, l'épée et le bouclier

Chapitre final

6084 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/09/2024 07:46

“Je pensais qu’aujourd'hui, on ne donnait plus sa vie que pour défendre ses intérêts personnels, qu’on ne se battait plus que pour soi. Je pensais que même si le Grand Pope incarnait le mal, même s'il avait accédé au pouvoir par la force, son statut serait reconnu malgré tout. Je pensais qu’une victoire acquise ainsi suffisait à symboliser la justice. De toute évidence, j’étais dans l’erreur. Je ne mérite pas mon titre de chevalier. Encore moins celui de chevalier d’or.”

 

**

Bataille des douze Maisons, neuvième heure de l’Horloge du Zodiaque.

 

<<<<<<<<<<<< 

Dans les brumes du Tartare, une épée scintille,  

Elle tranche les ténèbres, redoutable faucille.  

Un poing d'airain surgit, défiant l'infidèle,  

Un bouclier d'or brandi contre les rebelles.

>>>>>>>>>>>> 

 

La main acérée de Shura dessina une entaille dans la pierre. Une entaille en tout point identique aux centaines d’autres qui encadraient le testament gravé sur le mur de la neuvième Maison du Zodiaque. Le chevalier de bronze du Capricorne ne savait pas qui les avait réalisées, mais cela lui sembla la chose à faire.

“À vous, jeunes garçons, je vous confie Athéna.”

L'émotion emplissait le cœur de Shura et de ses compagnons, Saga des Gémeaux, Deathmask du Cancer et Aphrodite des Poissons. À eux seuls, ces mots confirmaient la résolution des quatre jeunes Saints de bronze, soulageaient les souffrances endurées jusque-là au cours de leur traversée du Sanctuaire, justifiaient de s'être soulevés contre les chevaliers d’or pour sauver Saori. 

Saori. La nouvelle réincarnation d’Athéna gisait au pied des marches menant au premier Temple, une flèche d’or fichée dans sa poitrine. Cela faisait huit heures que Shura et ses frères d’armes s’évertuaient à gravir le Long Escalier Sacré, bien décidés à parvenir jusqu'au Grand Pope pour l’obliger à faire disparaître le projectile condamnateur. La huitième flamme azurée de la grande Horloge venait de s'éteindre en grésillant lorsqu’ils étaient entrés dans la neuvième Maison et que le testament leur était apparu. Le testament du chevalier d’or qui, treize ans plus tôt, avait sacrifié sa réputation et avait été déclaré traître au Sanctuaire pour avoir empêché l’assassinat de Saori, encore simple bébé en ce temps-là. 

Après avoir lu le précieux leg et s’en être imprégnés, alors que le soleil déclinait dans le ciel, alors que les heures métaphoriquement sombres s’apprêtaient à le devenir réellement, ce fut avec une motivation renouvelée que Shura, Saga, Deathmask et Aphrodite poursuivirent leur chemin. Il n'était pas encore temps d’abandonner. Pas après être arrivés aussi loin en dépit des terribles épreuves qu'ils avaient subies. Ils avaient progressé le long de l’interminable escalier du Sanctuaire. Ils avaient combattu pour convaincre les chevaliers d’or que Saori n’usurpait pas l'identité de leur déesse. Ils avaient prouvé à leurs illustres adversaires que la puissance d’un chevalier provient de sa foi en la vérité, de la justesse de ses convictions et de la profondeur de son abnégation. Ils leurs avaient démontré que l'intensité du cosmos ne dépend pas de la caste d’appartenance des Saints, mais du sens du devoir et de l’altruisme. Chaque marche gravie avait été une étape de plus vers leur élévation.

Pourtant, Shura ne pouvait se départir du sentiment que quelque chose clochait. Bien qu’il pût dire ce qu'il avait vécu ces dernières heures, il était incapable de s’en souvenir avec exactitude. Les scènes de leurs combats précédents lui échappaient, comme des rêves que l’on sait avoir faits mais qui s'évaporent dans le brouillard du réveil. N’osant craindre un traumatisme cérébral, il mit cela sur le compte du stress auquel il avait soumis son corps et son esprit. Leurs organismes à tous avaient été mis à rude épreuve et ils étaient au bord de l’exténuation.

— Nous arrivons au Palais suivant ! annonça-t-il pour effacer son malaise quand la dixième Maison entra dans leur champ de vision.

Les quatre chevaliers de bronze se préparèrent au combat, s’apprêtant à se donner de nouveau corps et âme pour Athéna quelles qu’en fussent les conséquences.

— Je ne ressens aucun cosmos, aucune présence, s'étonna Aphrodite. C’est comme si personne ne gardait les lieux !

L’absence de cosmo-énergie se confirmait au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient. Shura n’aimait pas ça. Si le protecteur du dixième Palais était celui auquel il pensait, la possibilité qu'il ait abandonné son poste était nulle.

— Peut-être pouvons-nous passer sans nous battre ? supposa Deathmask. Peut-être que le gardien de ce Temple nous est favorable ou est occupé ailleurs ?

Mais le timbre du scepticisme assombrissait sa voix.

— Je n'y crois pas, répliqua Saga avec une amertume non dissimulée. C’est sûrement un piège… Restez sur vos gardes !

Vigilants, ils traversèrent le dixième Temple en guettant le moindre mouvement qui eût trahi la position de l’ennemi. Il était forcément là, tapi quelque part, attendant le meilleur moment pour les empêcher de sortir. Pourtant, ils franchirent sans encombre les dernières colonnades.

— Nous sommes passés ! s'exclama le chevalier de bronze du Cancer avec une incrédulité non feinte.

— Il n’y avait donc réellement personne ! s'écria le Saint des Poissons, ne semblant pas y croire lui-même.

Mais Shura perçut le danger avant les autres.

— Attention ! Ne restez pas là ! prévint-il.

Une énorme émanation de cosmos doré en forme de dragon fonça sur eux, gueule ouverte. Le sol explosa à l’endroit où les cibles de l'attaque auraient dû se trouver si elles n’avaient pas bondi pour se mettre à l’écart. Heureusement, qu’ils avaient esquivé l’attaque ! À moins que… Le chevalier de bronze du Capricorne comprit leur erreur au moment où une deuxième aura draconique se rua sur eux, les fauchant en plein saut. Le coup était d’une puissance magistrale et Shura sentit la mort l’emporter, lui et ses compagnons. Il perçut le moment où les cosmo-énergies de ces derniers disparurent, vifs brasiers soufflés comme s'ils eussent été de simples flammèches. 

Avant que son ultime étincelle de vie ne s’éteigne, sa dernière pensée fut pour Saori qu'ils n’avaient pas réussi à sauver. À cause de leur échec, Athéna mourrait, laissant la Terre sans défense face aux forces du mal.

 

<<<  

Dans la boucle du temps, ils dansent sans fin,  

Épée, poing et bouclier, liés par le destin.  

Chaque coup résonne, chaque choc est un chant,  

Dans ce cycle éternel, leur lutte est châtiment.

>>> 

 

Une énorme émanation de cosmos doré en forme de dragon fonça sur eux, gueule ouverte. Le sol explosa à l’endroit où les cibles de l'attaque auraient dû se trouver si elles n’avaient pas bondi pour se mettre à l’écart. Shura ne suivit pas ses amis, préférant esquiver vers l’arrière. À présent, un gouffre béant lui faisait face et l’isolait de ses compagnons. S’apercevant de leur séparation, Saga, Deathmask et Aphrodite s’arrêtèrent et se retournèrent. 

— Shura ! appelèrent-ils.

Mais ce dernier ne leur répondit pas. Il était persuadé d’avoir fait le bon choix, pris d’une subite intuition, elle-même née d’un étrange sentiment de déjà-vu. Sa concentration se dirigea vers l’ennemi dont il sentait dorénavant l’implacable présence. Une voix s’éleva derrière lui.

— Ta prévenance est toute à ton honneur. Grâce à ton avertissement, tes compagnons ont pu éviter mon assaut. Mais n’avais-tu donc pas confiance en tes propres capacités pour être resté ainsi en arrière ? À moins que ce soit la vision de mon dragon qui t’ait effrayé au point de te tétaniser ?

Animé d'une calme et solide résolution, Shura se retourna vers son interlocuteur. Ce faisant, il vit du coin de l’œil ses frères d'armes hésiter puis décider de poursuivre leur ascension du Long Escalier Sacré. Parfait, la priorité était de sauver Athéna. S'il le pouvait, il les rejoindrait plus tard. Il accorda complètement son attention au chevalier d’or qui lui faisait face et l’observa. 

L’homme était grand et son regard doux contrastait avec la violence de sa précédente attaque. Une imposante chevelure noire et soyeuse cascadait le long d’une grande cape blanche. Celle-ci parait un corps ceint d’une armure flavescente dont l’agencement des différentes parties rappelait des écailles de tailles diverses. Ses épaules étaient recouvertes d'énormes griffes, un bouclier circulaire ornait son bras gauche et son casque lui enserrait la tête dans une gueule reptilienne béante. 

Le chevalier de bronze du Capricorne ne se laissa pas impressionner et répliqua :

— Si j’avais suivi mes amis, tu aurais lancé une deuxième offensive et nous aurions été emportés. En restant, je t’oblige à m’affronter.

Shura affichait un calme olympien, respectant le choix qu'il venait de faire et le sacrifice auquel il avait consenti pour donner une chance aux autres de mener à bien leur mission. Si même un seul d’entre eux parvenait jusqu'au Grand Pope…

— Tu veux dire que tu es resté volontairement en arrière pour permettre à tes frères d’armes de m'échapper ? Tu vas regretter ta décision, mon garçon. Je suis Shiryu, le chevalier d’or du Dragon, et c’est moi qui ai grièvement blessé le félon du Sanctuaire, il y a treize ans.

À cet aveu, une résolution féroce flamboya dans les yeux de Shura. Comble du hasard, il allait affronter celui qui avait infligé au testateur de la neuvième Maison les blessures qui lui avaient été fatales. Le jeune Saint allait avoir l’opportunité de venger celui qui leur avait confié Athéna.

— Je suis Shura, chevalier de bronze du Capricorne, et je suis fier d’être resté en arrière. C’est de toute la force de mon cosmos que je vais te terrasser et laver l’honneur de celui que vous qualifiez injustement de traître !

— Me vaincre de toute la puissance de ton cosmos ? répéta Shiryu. Sache que je n’apprécie pas ceux qui jurent vainement et font des promesses qu’ils ne peuvent tenir.

Shura fixa intensément son adversaire. Le chevalier d’or du Dragon... Le Vieux Maître des Cinq Pics avait souvent dit au jeune bronze de prendre bien garde s'il devait un jour le combattre. Bien qu’antépénultième gardien du Sanctuaire, le Saint du Dragon en était la plus haute muraille. Celui qui possédait l’armure la plus solide des quatre-vingt-huit Clothes… et le bouclier le plus résistant. On disait de cet écu qu'il renfermait l'écaille la plus dure du dragon qui avait donné la constellation du même nom. Roshi avait entraîné Shura pour qu'il développe Excalibur, technique homonyme de l’épée sacrée offerte par Athéna au chevalier de bronze du Capricorne lors des temps mythologiques. Le jeune Saint l’avait forgée tout au long de sa formation à Lushan et il l’avait affûtée au cours de ses combats précédents. Mais pour en éprouver définitivement le fil, il devrait vaincre Shiryu, sa némésis désignée.

Le chevalier d’or brandit alors soudainement son poing droit et Shura sentit sa cuisse se faire perforer sans qu’il pût voir le coup venir. Il eut l'impression qu’une griffe aiguisée se plantait férocement en lui. Sous ses pieds, le sol donna l'impression d’avoir été foré sur une profondeur insondable. Le Saint de bronze en resta interdit. 

— Cela t’étonne, Shura du Capricorne ? Peut-être te faut-il une autre démonstration ?

Le jeune bronze n'eut pas le temps de réagir qu’une nouvelle plaie punctiforme apparut, cette fois sur son bras. Le sang jaillit.

— Comment est-ce possible ? gémit Shura en flanchant. Mon armure ne me protège pas !

Shiryu expliqua avec indulgence :

— Elle ne le peut pas. Vois-tu, aucune Cloth ne surpasse la mienne en termes de solidité.

Le chevalier d’or leva sa main droite refermée sur elle-même. Son gantelet étincela. 

— Rien ne peut rivaliser avec ce poing. On dit qu'il renferme la griffe la plus solide du dragon qui a inspiré l'armure éponyme. Même parmi les armures d’or, il n’en est aucune qui puisse le stopper. Alors ce n’est pas une de bronze qui pourra t’en préserver.

Shiryu se défit de sa cape et arma son bras.

— Maintenant, meurs, Shura !

Ce dernier, paralysé par la douleur et les révélations de son adversaire, ne réagit pas. Comment aurait-il pu lutter contre un tel pouvoir ? Comment lui, simple chevalier de bronze, même enrichi par ses combats précédents, pouvait-il se confronter au plus terrible défenseur du Sanctuaire ? Comment pouvait-il espérer tenir tête à de si impitoyables et imparables attaques ? Shura dut se rendre à l'évidence, il avait présumé de ses forces, avait négligemment sous-estimé Shiryu malgré les mises en garde du Vieux Maître.

Quand il sentit le poing pénétrer son cœur, son esprit était déjà mort. Mort de honte, de frustration et d’abandon. Son cosmos s'éteignit et il s’effondra aux pieds du chevalier d’or dans une mare de sang.

 

<<<  

L'épée fend le ciel, déchirant l'éther,  

Le poing frappe le sol, éventrant la terre.  

Le bouclier se dresse, invincible rempart,  

Ce duel sans fin, à nouveau repart.

>>> 

 

Shiryu se défit de sa cape et arma son bras.

— Maintenant, meurs, Shura !

N’écoutant que son courage, le chevalier de bronze n’attendit pas la mort. Il se précipita témérairement sur son adversaire et réduisit la distance qui les séparait tous les deux. Il avait la ferme impression que le renoncement, la fuite ou la parade ne lui vaudraient qu’un trépas aussi rapide que violent, impression accompagnée d’une inexplicable sensation de récurrence. Alors il avait pris la seule décision encore possible : passer à l’attaque malgré ses blessures et tenter le tout pour le tout. 

— Je ne vais pas me laisser vaincre sans rien faire ! C’est à mon tour ! rugit Shura en augmentant sa cosmo-énergie.

Shiryu ne cacha pas sa surprise. Profitant de cette stupeur et de l'ouverture tant espérée qui en découlait, Shura s’élança, passa dans le dos de son opposant et sauta, plaçant au passage ses pieds sous les aisselles ouvertes du chevalier d’or médusé.

Jumping Stone [Envol prodigieux] ! clama le Saint de bronze en projetant violemment son adversaire dans les airs.

Mais alors que Shura emportait Shiryu, ce dernier parut se détendre, comme rassuré. Le chevalier de bronze n'eut même pas l’occasion de se sentir insulté par tant d’indolence qu’il en reçut l’explication :

— Penses-tu réellement qu’une telle technique fonctionnera face à un chevalier d’or ? Tu t’es toi-même mis dans ma ligne de mire !

Shura comprit trop tardivement son erreur et ne put échapper à ce qui suivit. Shiryu profita que le jeune bronze se fût placé au-dessus de lui pour frapper d’un puissant coup ascendant :

Rozan Sho Ryu Ha [Colère du Dragon de Lushan] !

L'arcane emporta le jeune bronze qui alla s’écraser contre le fronton du dixième Temple.

— Impos… sible… bredouilla Shura pour lui-même en retombant lourdement. Mon attaque… n’a eu aucun… effet.

La chute lui parut se dérouler au ralenti de ses amères pensées. La différence de puissance était bien trop grande. Plus grande encore que contre ses précédents adversaires. Face à Shiryu, il se trouvait insignifiant. Il n'était finalement rien de plus qu’une chèvre face à un dragon. Le désespoir gagna du terrain dans son esprit fatigué. Shura fit un bruit mat en chutant sur le perron de la Maison du Dragon. Il entendit un craquement et, à la douleur qui se propagea soudainement dans son corps, il douta que ce fût son armure. L'ombre de son défaiseur le recouvrit, dominatrice et implacable.

— Je vais t'épargner des souffrances inutiles et t'achever dès à présent, prévint Shiryu en brandissant son redoutable poing.

Sans attendre, il abattit son bras. Le choc fut terrible. Le chevalier d’or avait mis dans ce coup bien plus de puissance que lorsqu'il avait démontré sa supériorité plus tôt dans le combat. Un gouffre circulaire s’ouvrit en même temps que la griffe du Dragon percutait le jeune Capricorne. Shura sombra concomitamment dans l’abîme de la mort et de la Terre.

 

<<<  

Dans la boucle du temps, ils dansent sans fin,  

Épée, poing et bouclier, liés par le destin.  

Chaque coup résonne, chaque choc est un chant,  

Dans ce cycle éternel, leur lutte est châtiment.

>>> 

 

— Je vais t'épargner des souffrances inutiles et t'achever dès à présent, prévint Shiryu en brandissant son redoutable poing.

Sans attendre, il abattit son bras. Shura réagit au quart de tour. Plus qu'une impulsion, il lui semblait avoir déjà vécu un avant-goût de ce qui l'attendait s'il laissait l’accablement et le doute le gagner. D’où venait cette vision ? Et d’où lui venait le pressentiment qu’elle avait été réelle et, pire, itérative ? Il fit prendre à sa main droite une forme de lame et entreprit de contrer le terrible coup :

Excalibur ! émit-il. 

La douleur de l'impact fut fulgurante mais la pointe de l’épée sacrée stoppa celle de la griffe légendaire. Le temps sembla se figer… jusqu'à ce que, sous la pression du manchon d’or, une fissure s’arborisant en de multiples fêlures s’ouvre tout le long du gantelet de bronze. Le jeune chevalier ramena son avant-bras contre son corps pour le soustraire à l’impact, mais c’était trop tard : il était brisé.

— Voici donc Excalibur ? apprécia Shiryu. Elle est digne de sa réputation, Shura, tu peux en être fier. Sans elle, tu serais mort. Néanmoins, tu viens de perdre ton atout majeur. Ton sort n’est plus qu'une question de temps.

En un éclair, le chevalier du Dragon frappa à plusieurs reprises. L'armure du Capricorne se disloqua, fracassée par les terribles coups. Shura ne put rien faire, impuissant face à la destruction de sa Cloth. Il se retrouva torse nu, la peau constellée de plaies sanglantes et de contusions rougeoyantes.

Le Saint du Capricorne tomba à genoux, son corps n'étant qu’agonie glacée et brûlante à la fois. La désolation pesa lourdement sur sa nuque et il baissa la tête, adoptant involontairement une posture de soumission face à l'hégémonie du chevalier d’or. Shiryu leva lentement son poing :

— Cette fois, c’est la fin ! gronda-t-il férocement en abaissant sa main refermée.

Le couperet tomba sous la forme d’une lame acuminée, le poing du Dragon se muant en griffe ébiselée qui emporta la vie de Shura.

 

<<< 

Les siècles passent, mais la lutte perdure,  

Épée, poing et bouclier, dans une danse pure.  

Leur combat est une légende, gravée dans le temps,  

Un récit héroïque, un éternel tourment.

>>> 

 

Le Saint du Capricorne tomba à genoux, son corps n'étant qu’agonie glacée et brûlante à la fois. La désolation pesa lourdement sur sa nuque et il baissa la tête, adoptant involontairement une posture de soumission face à l'hégémonie du chevalier d’or. Shiryu leva lentement son poing :

— Cette fois, c’est la fin ! gronda-t-il férocement en abaissant sa main refermée.

Mais Shura n’avait pas dit son dernier mot. Il venait de vivre sa propre mort. Une énième fois. Non, impossible… Pour la première fois ! Non, pas plus cohérent... Et pourtant, il en était sûr. Il s'était vu tomber sous le poing indestructible du Dragon. Mais qu'est-ce qui lui arrivait ? Quelle était cette folie ? Comment ses sens pouvaient-ils le tromper à ce point ? À moins qu’ils ne le guident dans un but abscons… L’incompréhension aviva sa colère et, mû par des réflexes nés d’un entraînement intensif aux arts martiaux, il saisit le poignet de Shiryu, ses deux mains l’enfermant dans une prise en tenaille.

— Alors comme ça, tu avais encore la force de te relever et d'arrêter la griffe entre tes doigts ? nota le chevalier d'or.

— Oui, répliqua le Saint de bronze, fébrile et encore troublé par ce que son esprit était persuadé d’avoir vécu et que son corps s’évertuait à réfuter. C’est grâce à cette prise que je vais me sortir de ce mauvais pas et te terrasser !

Shura se concentra et fit flamber son cosmos puis, tenant fermement le bras de Shiryu, frappa à bout portant de ses deux pieds la poitrine de son adversaire.

Jumping Stone ! cria-il avec une hargne qui était autant dirigée contre son ennemi que contre son esprit.

Shiryu fut propulsé en arrière et, pour la première fois de cet affrontement, se retrouva à terre. Quand il se redressa sur ses coudes, ce fut pour constater que Shura s’était remis debout, le tatouage flamboyant d'un bouc sirénien surgi des eaux ornant son dos.

— Mais où puise-t-il une telle force ? Et d’où vient ce capricorne sur sa peau ? s'écria Shiryu, incrédule.

— Ce capricorne n'apparaît qu’à l'apogée de ma détermination, lui répondit Shura. Quand il se manifeste, sache que mon adversaire n’a plus aucune chance… Shiryu du Dragon d’or, je vais te faire une promesse : dussé-je y laisser la vie, je te vaincrai.

Le Saint de bronze tendit son bras gauche, sa main raidie en forme de lame.

— Tu as cassé mon bras droit, mais il me reste le gauche. Tu as cru Excalibur brisée ? Tu te trompes… et je vais te le prouver ! proclama Shura.

— Une belle proclamation, mais ton épée s’est déjà brisée contre mon poing. Qu’est-ce qui te fait croire que cela sera différent cette f…

Shiryu s’arrêta en pleine phrase en sentant le cosmos de Shura s’élever au-delà de ce qu'il aurait cru possible pour le chevalier de bronze. Ce dernier était sur le point d’atteindre le septième sens, cet état ordinairement l’apanage des chevaliers d’or. La puissance du jeune Saint commençait même à l’atteindre

— Très bien, Shura. Tu as réussi à réduire l'écart entre nos deux cosmo-énergies. Mais cela ne suffira pas !

— Crois-tu ? défia Shura en s’élançant vers son opposant. Essaye d’arrêter une fois de plus Excalibur !

Shiryu fut plus rapide. Son poing fusa et s’enfonça dans la poitrine de Shura. Mais quand il voulut le retirer, le Saint de bronze avait contracté les pectoraux de façon à lui emprisonner la main. L'instant suivant le tranchant de Shura sectionna le poignet du chevalier d’or. Les phalanges du Capricorne se brisèrent néanmoins au passage du fait de la dureté de l'armure du Dragon. Le sang gicla. Shura s’effondra. Shiryu frissonna.

— Félicitations, Shura, murmura-t-il d'une voix légèrement tremblante. Tu as réussi à m’ôter ma griffe en te laissant atteindre.

À ses pieds, Shura tenta de se redresser. Il était arrivé plus loin qu’il ne l’aurait jamais cru contre cet adversaire. Ce n'était pas le moment de flancher ! Pourtant, il était à bout de force, les deux bras fracturés, l'esprit au bord de la folie, son cosmos sur le point de s’éteindre. Que pouvait-il bien espérer ? Mais il était un Saint d’Athéna. Pour l’amour de sa déesse et de la Terre, il devait se relever. Tout son organisme trembla sous l’effort qu'il devait réaliser, écartelé entre détermination et affliction.

— Arrête, chevalier, lui intima Shiryu comme pris de pitié. Je t’ai pratiquement pourfendu le cœur. Si tu t’obstines, tu mourras en te vidant de tout ton sang.

Shura réussit tant bien que mal à se remettre sur ses deux genoux. La voix de Shiryu lui paraissait lointaine, comme assourdie par la brume, celle d’une réalité qui se délitait et que sa conscience avait de plus en plus de mal à capturer.

— Que cherches-tu à faire en te relevant ? reprit le Dragon. Car il me reste mon deuxième poing, ainsi que mon bouclier, alors que tu n’as plus qu’un corps traumatisé et un cœur bien abîmé.

Toujours sans tenir compte des paroles de Shiryu, Shura réussit à se mettre en trépied en vacillant.

— Tu l’auras voulu ! hurla Shiryu en brandissant son poing valide, dont le bouclier sus-jacent refléta les dernières lueurs du crépuscule. Adieu !

Shura roula sur le côté et évita le coup qui le manqua de peu.

— Quel triste spectacle, Shura. Ton entêtement est ridicule ! Tu n’es plus en mesure de m’attaquer avec Excalibur. Laisse-moi abréger tes souffrances inutiles !

— Je t’ai déjà dit, balbutia le Saint de bronze, que même si je devais y laisser la vie, je te vaincrai. Si je meurs, ce ne sera pas seul !

À ces mots, le chevalier d’or sembla frappé d’une éclair de lucidité et parut soudainement inquiet. Shura le devina incrédule face au cosmos grandissant d’un adversaire à l’article de la mort. Pourtant, alors que ses forces étaient censées le quitter, il restait bel et bien au Capricorne un ultime arcane.

— Pardonnez-moi, Vieux Maître, marmonna Shura en levant les yeux vers les cieux où la constellation du Capricorne se mettait à briller de plus en plus fort. Mais je vais vous désobéir. 

Un souvenir de la fin de son entraînement aux Cinq Pics lui revint en mémoire.

[...]

— Oui, Shura, interdite est l’attaque nommée Ex Caliburn [Acier libéré]. Jamais elle ne devra s'échapper de ton corps, avait prévenu le Vieux Maître.

— Interdite, Roshi ? Cela signifie-il que je ne pourrai jamais m’en servir ? s'était étonné l’apprenti chevalier du Capricorne.

— Exactement, avait répondu le Vieux Maître. Cette attaque transcende Excalibur elle-même. Elle propulse le tranchant de ton cosmos bien au-delà des limites habituelles. Il n’y a rien de comparable à Ex Caliburn. C’est en poussant Excalibur, même brisée si tant est que cela advienne, à son paroxysme que tu peux produire Ex Caliburn. Ainsi, en maîtrisant l’épée suprême, deviendrais-tu un être invincible sur Terre. Si tu devais la déchaîner, personne ne pourrait t'arrêter, pas même moi.

— V… Vraiment ? avait demandé Shura, impressionné.

— Oui, vraiment. Mais sache que tu n’y survivrais pas. Cet arcane est si puissant qu'il pulvériserait ton adversaire. Aucune défense ne peut lui résister, pas même le bouclier d'or du Dragon que l’on dit pourtant sans égal. Mais ton corps ne résisterait pas non plus à une telle puissance. Si tu l’utilises, Shura, tu en mourras. Alors, mon garçon, prends bien garde à ne jamais utiliser Excalibur à son paroxysme ou au-delà. C’est une épée à double tranchant dont tu devras toujours maîtriser la puissance. J’insiste : n'atteins jamais Ex Caliburn.

[...]

 

Shura se servit de son bras gauche à la main inutilisable pour soulever son bras droit brisé. Une enveloppe de cosmos pers le ceignit et se mit à briller plus fort que jamais. Shiryu accepta cet ultime duel.

— Très bien, fit-il en dressant devant lui l’écu du Dragon et en se parant également de sa cosmo-énergie dorée portée à son apogée. Nous verrons lequel du bouclier le plus résistant ou de l'épée la plus puissante l’emportera.

Plus mort que vif, Shura puisa dans son abnégation la force de générer une puissance telle qu’elle illumina jusqu'au firmament. Il transforma l’essence même de son cosmos et de sa vie en épée. La lame s’étira jusqu'à la voûte céleste.

— Je ne sais pas précisément ce qu'il se passera en utilisant cette attaque, convint Shura, mais je suis sûr d’une chose : si je péris, je t'emmènerai avec moi !

— Que t’apportera cette victoire si tu y laisses la vie ? demanda Shiryu. Qu’est-ce qui te pousse à agir ainsi ?

— En tant que chevalier, tu devrais comprendre. C'est pour notre déesse Athéna. Je crois fermement que Saori Kido en est la réincarnation et c’est là le sens de ce combat et des précédents. C’est Saori qui devra affronter les forces du mal qui menaceront bientôt la Terre. Si elle peut apporter la paix aux humains, alors mon sacrifice n’est pas vain.

Le regard de Shiryu se radoucit soudainement, et un sourire satisfait apparut sur son visage.

— Tu pensais qu’aujourd'hui, on ne donnait plus sa vie que pour défendre ses intérêts personnels, qu’on ne se battait plus que pour soi. Tu pensais que même si le Grand Pope incarnait le mal, même s'il avait accédé au pouvoir par la force, son statut serait reconnu malgré tout. Tu pensais qu’une victoire acquise ainsi suffisait à symboliser la justice. De toute évidence, tu étais dans l’erreur. Ces mots ont été les tiens en leur temps. Maintenant, tu te dis faire partie de ceux qui font passer la justice avant tout, de ceux qui donnent leur vie pour les autres. Donner sa vie par amour est incroyablement beau. Donner sa vie pour défendre la justice est plus fort que tout. Plus triste aussi. Shura… tu en es arrivé là des centaines de fois déjà, mourant au passage des milliers d'autres. Mais c’est une leçon que tu devras apprendre encore et encore.

Les paroles du chevalier d'or firent éclater la vérité dans l’esprit du Saint de bronze. Une vérité cruelle à laquelle il ne pouvait se soustraire. Maintes vies et maintes morts l’avaient mené ici-même. Mais il était déjà trop tard pour briser ce cercle à la fois vicieux et vertueux. Déjà, emporté par l'élan de sa résolution, son bras était en train de s’abattre. Déjà, esclave de son incantation, il s’entendait clamer :

Ex Caliburn [Acier libéré] !

 

<<<<<<<<<<<<  

Dans la boucle du temps, ils dansent sans fin,  

Épée, poing et bouclier, liés par le destin.  

Chaque coup résonne, chaque choc est un chant,  

Dans ce cycle éternel, leur lutte est châtiment.

>>>>>>>>>>>> 

 

La main acérée de Shura dessina une entaille dans la pierre. Une entaille en tout point identique aux centaines d’autres qui encadraient le testament gravé sur le mur de la neuvième Maison du Zodiaque. Le chevalier de bronze du Capricorne ne savait pas qui les avait réalisées, mais cela lui sembla la chose à faire…

 

**

Du haut de sa colline, son buste de femme offert aux vents et sa chevelure de serpents agitée par une bise qui faisait également frémir les écailles noires du bas de son corps draconique couvert de centaines de vipères, Campé, la gardienne du Tartare, observait les suppliciés sur le mont Kairos. Cette montagne, située au plus profond de la prison infernale à la triple enceinte d’airain, était le lieu des châtiments récurrents, le seul endroit des Enfers qui n'obéissait pas à la notion linéaire du temps, mais plutôt à sa dimension circulaire, celle de l'éternel recommencement. C'était la geôle de Shura, Saga, Deathmask et Aphrodite, autant que celle de Sisyphe avant eux, le lieu où ceux dont le crime était d’avoir trahi leurs dieux se retrouvaient, après la mort, obligés de revivre perpétuellement la même sanction.

Campé avait cantonné les anciens chevaliers d’or sur le versant opposé à celui du demi-dieu condamné à faire rouler pour l’éternité un rocher qui redescendait chaque fois que celui-ci atteignait le sommet. Mais leur pénitence à eux quatre était toute autre. La gardienne du Tartare les avait enfermés dans une boucle temporelle qui les forçait à se retrouver dans la peau de simples chevaliers de bronze et les obligeait à affronter les illustres chevaliers d’or du Sanctuaire. Ils expiaient ainsi leurs fautes, contraints d’endosser à répétition le rôle de ceux qu'ils avaient tant malmenés de leur vivant.

Même si tout cela n'était qu’illusion et contrefaçon concoctées par elle, Campé les avaient voulues suffisamment réelles pour que ces parjures ne s'aperçoivent pas de la supercherie. Elle ne leur laissait en prendre conscience qu’en de rares moments clés, partiellement en cas de défaite prématurée, et totalement lorsqu’ils étaient sur le point d’obtenir la victoire. Alors, la boucle revenait automatiquement en arrière, de quelques instants dans le premier cas, et intégralement dans le deuxième. 

L’oblivion était la clé de cette torture. Pour un chevalier persuadé de sa droiture et de son honorabilité, l’arduité et la douleur ne représentaient rien. À l’inverse, découvrir sa propre félonie après tant de hauts faits lui infligeait une souffrance psychologique pire que toute autre. Alors, faire oublier sa rédemption à un Saint repenti, le convaincre d’une rectitude et d’une probité fallacieuses, puis lui rappeler sa forfaiture à la fin de son parcours du combattant, représentait la condamnation suprême. Et c'était sans compter le contre-coup. En effet, cette sanction s'avérait plus terrible encore lorsque le chevalier réalisait qu’il allait subir cette affliction à de nombreuses reprises et qu’il allait systématiquement vivre le choc de la nouvelle comme si c'était la première fois. Aucune accoutumance possible ! Nulle habituation salvatrice ! La réaction du pénitent face à cette peine en deux temps ne cessait de fasciner Campé.

Cette fois concentrée sur le châtiment de Shura, la femme-dragon avait accompagné chacune des réminiscences d’un couplet ou d’un refrain de sa composition. Sa voix suave et rauque s’était élevée sur les pentes du mont Kairos, enveloppant ce purgatoire d'une mélopée aux notes mystiques et épiques avant que tout ne recommence encore une fois.

Un chant pour l’épée sacrée contre le poing légendaire. 

Une ode pour la lame fabuleuse contre le bouclier mythique. 

Un péan pour le bronze promu à l’or contre l’or déchu en bronze.


Laisser un commentaire ?