Une Dernière Bataille
Grèce, Sanctuaire, Zone d’habitations des gardes
Après plusieurs minutes de course, facilitée par la déclivité du chemin qu’ils avaient dû parcourir, Marin, Jabu et Nachi arrivèrent enfin en vue des bâtiments servant de caserne aux soldats qui étaient chargés de la sécurité au sein du Sanctuaire tout entier. Depuis l’édification de ce dernier, leur rôle, en plus de repousser tout agresseur, était de maintenir l’ordre et de protéger la population du Domaine Sacré contre les nombreux vices que l’âme humaine pouvait engendrer : vols, meurtres, …
Les constructions qui leur servaient de logis s’étalaient sur plusieurs lignes parallèles. La majorité de ces maisons avaient été bâties avec des blocs de pierres calcaires taillées, certainement en provenance d’une des nombreuses carrières que comptait la région. Les murs avaient été blanchis à la chaux, afin que les habitations restent fraîches en été, grâce au pouvoir réflecteur du blanc qui les habillait. Le toit était réalisé avec des poutres en bois, recouvertes par la suite de tuiles, des tegulae, dont les bords obliques étaient relevés, non seulement pour empêcher l’eau de pénétrer dans les interstices, mais également afin qu’elles puissent s’emboîter plus facilement avec des tuiles creuses semi-cylindriques, appelées imbrices. Ces tuiles étaient façonnées de manière traditionnelle par un artisan, avec de l’argile puis elles étaient cuites dans un four en pierre.
S’engageant la première dans le réseau de rues pavées qui parcouraient le petit "village", Marin prit sur elle de guider Jabu et Nachi. Non pas que l’endroit ressemblât à un dédale où ils auraient pu s’égarer, mais parce qu’elle était la seule à savoir où se trouvait la demeure de l’homme qu’ils étaient venus voir. Les gardes qu’ils croisaient aux détours des rues les saluaient avec un respect mêlé d’admiration, parfois de l’étonnement à la vue de leurs Armures en partie détruites.
- On est loin de l’attitude qu’ils avaient à notre égard, la première fois qu’on les a rencontrés, déclara Jabu.
- Tu veux dire, avant ou après que tu leur a brisé la mâchoire ? le charria Nachi
- Oh ça va ! répondit le Chevalier de la Licorne agacé. Tu sais comme moi qu’ils menaçaient la vie de Saori. Je n’ai fait que mon devoir, contrairement à eux.
- Tu n’y es pas vraiment Jabu, intervint Marin.
- Que veux-tu dire par là ? demanda le principal intéressé plus abruptement qu’il ne l’aurait voulu.
- En fait, répondit-elle sans s’offusquer de sa réaction, presque la totalité des personnes que vous voyez ont été enrôlés très récemment. Ceux que vous avez combattus n’étaient que des soudards qui avaient été séduits par les quelques démonstrations de force brute de Saga. Avec le temps, de plus en plus de gens animés de sentiments malveillants sont arrivés au Domaine Sacré, tandis que les réels défenseurs de la justice se faisaient plus rares, préférant quitter la garde, écoeurés par ce qu’était en passe de devenir leur ordre.
- Et personne n’a essayé de résister, de se dresser contre ça ? l’interrogea le Chevalier du Loup.
- Si, bien sûr. Il y a six ans, Nereus, ainsi que de nombreux soldats sous son commandement ont tenté tant bien que mal de chasser les rebuts de la société que comptait alors leur corporation. Malheureusement, ces derniers étaient de loin la plus grande force en présence et après d’âpres combats, Nereus fut capturé puis incarcéré. Suite à cet épisode sanglant, plus personne n’osa intervenir. Ce n’est qu’après la mort de Saga qu’il fut enfin libéré. J’ai pensé que nous pourrions avoir besoin d’hommes de sa trempe alors, en compagnie d’Athéna, je suis allée le trouver et lui ai demandé s’il désirait devenir le capitaine de la nouvelle garde du Sanctuaire. Au début, il a émis quelques réticences mais après lui avoir longuement parlé, il a fini par accepter sa nouvelle affectation.
- J’ai quand même du mal à croire qu’il a été d’accord pour endosser ce rôle, alors qu’il était tout à fait en droit de refuser, au vu de ce qu’il a dû subir, avoua le Chevalier du Loup d’un air sceptique.
- Tu n’as pas tort, Nachi, répondit-elle en se rappelant certains détails de la conversation. Je pense que c’est surtout la présence d’Athéna qui a été décisive dans son choix. Dès qu’il l’a vue, il s’est incliné si bas que j’ai cru que sa tête allait heurter le sol et a complètement oublier ma présence. Il buvait littéralement ses paroles et aurait fait n’importe quoi pour la satisfaire.
Suite à cette remarque, ils crurent entendre un petit bruit de gorge rappelant un rire, et sentirent plus qu’ils ne virent un sourire se dessiner sur les lèvres de Marin. Sans tenir compte de leurs mines décontenancées, elle annonça simplement :
- Nous sommes arrivés.
Leur attention complètement accaparée par les explications de Marin, les Chevaliers de la Licorne et du Loup n’avaient pas remarqué qu’ils étaient parvenus à destination. Le bâtiment qui leur faisait face différait peu des précédents. Seuls les murs, constitués de marbre plutôt que de pierres calcaires, ainsi que la surface occupée par la construction, trahissaient un quelconque changement de rang chez son propriétaire. Alors que Marin s’apprêtait à poser sa main sur la porte en bois de chêne, une voix masculine les interpella :
- Si c’est le capitaine que vous êtes venus voir, Chevaliers, je dois vous informer qu’il n’est pas là.
Ils se tournèrent dans un même ensemble vers leur nouvel interlocuteur. A première vue, il s’agissait d’un simple soldat d’une cinquantaine d’années, assis sur un tabouret rudimentaire, dos au mur. Sa peau tannée par le soleil grec contrastait avec la blancheur des dents qu’il leur révéla lorsqu’il sourit. Ses cheveux poivre et sel étaient coupés courts.
- Et peut-on savoir qui vous êtes ? l’interrogea Nachi.
- Oh, bien sûr, veuillez me pardonner. Je me nomme Eunopios. Je suis l’aide de camp du capitaine Nereus.
Tout en disant cela, ses yeux noirs n’avaient pas quitté la petite pièce de bois qu’il sculptait habilement à l’aide d’un couteau. Légèrement irrité par l’apparente passivité de l’homme, Jabu lui demanda d’un ton pressant :
- Bon, et pourrait-on savoir où il se trouve en ce moment ? Vous devez certainement être au courant.
Le soldat se tourna vers lui, souriant inconsciemment à cette évocation de sa propre jeunesse fougueuse :
- Ne sois pas aussi impatient, jeune homme. Apprends à te maîtriser sinon cela te sera néfaste, à un moment ou à un autre.
Sitôt cette petite remarque moralisatrice énoncée, il reporta son attention sur le Chevalier de l’Aigle et engagea la conversation, en ayant cette fois, daigné lever le nez de son travail :
- Comment vas-tu Marin ? Ça n’a pas l’air d’être la grande forme, on dirait. Il avait prononcé ces mots avec une note paternelle dans la voix, celle d’un père s’inquiétant pour sa fille.
- Effectivement, répondit-elle, j’ai connu mieux comme situation, mais et toi Eunopios ?
- Ma foi, je vais bien. A part cette vieille blessure à la jambe qui à tendance à se réveiller un peu trop à mon goût.
Ils continuèrent à échanger quelques banalités jusqu’à ce que la perception auditive du Chevalier d’Argent fut rapidement attirée par un grognement de mécontentement, dont l’origine se trouvait être la gorge de Jabu. Voyant que le visage de ce dernier virait au rouge et que Nachi ne parvenait visiblement pas à le calmer, elle préféra prendre les devants avant que cette "bombe à retardement" explose :
- J’aimerais bien discuter davantage avec toi, Eunopios, mais nous sommes plutôt pressés, vois-tu. Pourrais-tu donc nous indiquer l’endroit où s’est rendu ton capitaine ?
- Bien sûr, bien sûr, le travail toujours le travail …, répondit-il tout en réfléchissant pour se souvenir. Hum … il est allé à la forge de Ménoidès pour inspecter sa production.
- Merci pour le renseignement. Elle se détourna en lui faisant un signe de la main. Je te verrai plus tard.
Les Chevaliers de la Licorne et du Loup se contentèrent d’un simple hochement de tête à l’adresse de l’homme.
A peine s’étaient-ils engouffrés dans une ruelle qu’ils furent bientôt rattrapés par le vieux soldat qui clopinait quelque peu à cause de son membre handicapé. Voyant qu’ils n’avaient pas remarqué sa présence, il cria :
- Attends, Marin !
L’entendant, le Chevalier d’Argent se retourna pour le voir s’arrêter et reprendre son souffle.
- Que se passe-t-il ? s’enquit-elle.
- Je … Je voulais te donner … ceci. Il lui tendit la pièce de bois qu’il avait sculptée. Celle-ci représentait un aigle, les ailes largement déployées et les serres pointées vers l’avant, prêt à s’abattre sur sa proie. Au-dessous de lui comme pour le soutenir se trouvait un éclair. Le niveau de détails était ahurissant. On aurait pu croire que la petite sculpture était sur le point de s’animer. Marin était complètement sous le charme : elle la tournait et la retournait, laissant courir ses doigts sur la surface dure, mais aussi douce à la fois. Ce mouvement quasi-hypnotique fit remonter d’anciens souvenirs depuis les tréfonds de sa mémoire.
- Il te plaît ?
- Il est magnifique, Eunopios ! Elle resta silencieuse quelques secondes. Mais, la dernière fois que tu m’as fait un tel cadeau, c’était …
- Il y a six ans, acheva-t-il, pour ton sacre de Chevalier.
Elle sourit sous son masque, émue à l’évocation de cette souvenance, chargée de tant de symboles pour elle.
S’apercevant que les Chevaliers de Bronze qui l’accompagnaient commençaient à sauter d’un pied sur l’autre, Eunopios comprit qu’il ne les avait que trop retardés. Après tout, lui aussi savait ce qu’était l’urgence d’une mission importante et il avait le sens du devoir, aussi préféra-t-il s’éclipser :
- Bien … bien …, je suis content qu’il te plaise. Je crois que tu devrais vraiment y aller maintenant. On parlera quand tu auras le temps.
Sur ces dernières paroles, il s’éloigna, toujours de son pas incertain. Ramenée au temps présent, Marin ne put qu’approuver les mots de son vieil ami. En effet, ils n’avaient que trop tardé et elle, qui les avait tant pressés, était en train de les ralentir. Légèrement embarrassée, elle décida de s’en excuser auprès de Jabu et Nachi. Si le Chevalier de la Licorne ne sembla pas s’émouvoir de ces excuses malgré un soulagement visible, Nachi, lui, apprécia le geste de Marin, bien que pour lui, elle n’eut rien à se faire pardonner. Il se mirent donc à nouveau en branle, traversant les rues et les allées d’un pas rapide cette fois-ci, courant presque.
Après une dernière intersection, ils débouchèrent sur une petite place. La forge avait été construite quelque peu à l’écart par rapport aux autres bâtiments, certainement afin de prévenir les incendies qu’elle pourrait déclencher. La maison du forgeron était attenante à son lieu de travail. A mesure qu’ils s’approchaient, la température ambiante leur sembla augmenter et l’odeur âcre du charbon de bois incandescent se fit plus pressante. Deux hommes se trouvaient là.
Le premier se tenait debout près du foyer, son visage couvert de sueur prenant une teinte orangée à la lumière du brasier. Il présentait un reste de cheveux blonds, dressés en brosse autour de sa calvitie, ainsi que des avant-bras musclés sans poils, vraisemblablement roussis par les flammes. Sa main droite enserrait dans sa poigne un imposant marteau qui s’abattait avec la régularité d’un pendule sur le morceau de métal en fusion tenu par des pinces et posé sur l’enclume. Des étincelles jaillissaient à chacun de ses coups.
Le second paraissait avoir dans les trente-cinq ans. Ses cheveux châtain clair étaient en bataille et une barbe de trois jours lui mangeait les joues. Ses yeux vairons s’attardaient sur les différentes ouvrages réalisés par Menoidès : cnémides, plastrons, casques, …
- Capitaine Nereus ?
Avant même d’apercevoir le visage de la personne qui le hélait, il la reconnut à son timbre de voix. Il s’agissait du Chevalier d’Argent de l’Aigle. Elle venait dans sa direction. Ces cheveux brun roux, légèrement bouclés, lui descendaient jusqu’aux épaules. Son Armure aux reflets argentés recouvrait de manière éparse un corps svelte et musclé, doté de jambes élancées. Son visage était dissimulé derrière un masque comme l’exigeait la tradition imposant aux femmes devenues Chevaliers de renoncer à leur féminité. Celui-ci semblait avoir souffert comme le prouvaient les nombreuses fissures qui le parcouraient. Il en allait de même avec l’Armure, remarqua-t-il après coup.
A sa suite venaient deux jeunes hommes, Chevaliers également et dont les protections étaient aussi endommagées. Si ses souvenirs étaient justes, il devait s’agir des Chevaliers de Bronze de la Licorne et du Loup, mais il n’en était pas sûr, ne les ayant entraperçus qu’une fois auparavant.
- Marin ? Mais que fais-tu ici ? lui demanda-t-il, lorsque celle-ci arriva à sa hauteur. Serait-ce à cause de …
- Tout juste ! répondit-elle. Mais ne t’inquiète pas, je suis porteuse d’une bonne nouvelle.
- De quoi s’agit-il ? Tu nous autorises enfin à nous remettre en activité ? lâcha-t-il sarcastique.
- Ecoute Nereus, c’était dans votre intérêt si je vous ai demandé de vous retirer de la défense du Sanctuaire quand j’ai compris que vous ne seriez pas de taille en cas d’attaque majeure. Si j’ai fait ça, c’était pour assurer votre sécurité et je suis certaine qu’Athéna aurait fait le même choix.
- Peut-être, il n’empêche que c’est notre devoir que tu as remis en cause en faisant ce "choix". Et ça, j’ai du mal à l’accepter.
Quelque peu agacée mais néanmoins compréhensive Marin répondit :
- D’accord, je te présente mes plus sincères excuses pour t’avoir infligé cela. Mais là, j’ai besoin de ton aide alors tu consens à me pardonner, oui ou non ?
- A ton air, on dirait que c’est sérieux, alors j’accepte. Pour l’instant. Il faudra qu’on s’explique plus tard.
- Merci, Nereus. Je vais tâcher de te faire la version courte de l’histoire.
Grèce, Sanctuaire, Chemin des Douze Temples
Les quatre Chevaliers venaient de franchir la sortie du Temple du Cancer, la demeure du Chevalier d’Or à la plus sinistre réputation. Heureusement pour ses visiteurs passagers, l’endroit avait été débarrassé des masques mortuaires qui ornaient ses murs, son sol et son plafond. Cependant, la traversée de ce dernier s’était révélée un peu plus ardue que celle des trois Temples précédents. Ayant été la cible du Tenma Kôfuku de Shaka, le Chevalier d’Or de la Vierge, celui-ci avait été à moitié détruit et il leur avait fallu évoluer parmi les gravats, devant parfois s’arrêter pour dégager la voie. A présent, ils gravissaient à vive allure les marches de pierre menant au cinquième Temple, celui du Lion.
Ban soupira intérieurement. Bien qu’assez excitante au départ, l’idée de gravir le chemin menant au Palais du Grand Pope commençait à lui peser. Certes, traverser les demeures des douze plus grands protecteurs d’Athéna comme l’avait fait quelques mois auparavant ses demi-frères l’emplissait d’une certaine fierté, mais la monotonie du paysage qu’ils observaient au cours de l’ascension, le silence religieux qu’ils avaient maintenu jusque-là et la quasi-futilité, selon lui, de la tâche que leur avait confiée Marin finissaient par lui miner le moral. Ah, si seulement on pouvait avoir un peu d’action, songea-t-il. Rien qui mette la Terre en péril bien sûr mais un semblant d’activité ne serait pas pour me déplaire.
Malheureusement pour lui, ils continuèrent ainsi, leurs sens aiguisés ne captant rien d’autre que le bruit de leur respiration et de leurs pieds martelant le sol au rythme de leur course, jusqu'à ce que, à environ mi-parcours, ils fussent interpellés par trois formes sombres gisant en travers de la voie. Ralentissant leur allure, ils s’approchèrent pour tenter de les identifier. Il leur apparut rapidement que les trois individus de sexe masculin étaient morts et qu’ils leur étaient inconnus. Le trio portait des tenues noires et chacune des personnes le composant avait été abattue d’une manière différente.
Le premier semblait avoir succombé à une hémorragie cérébrale. Le sang désormais coagulé, s’était écoulé par tous les orifices de sa tête : yeux, oreilles, narines et bouche. Le second baignait dans une véritable mare écarlate, due à une très profonde entaille partant de l’épaule droite et descendant obliquement jusqu’au côté gauche, s’arrêtant un peu au-dessus du bassin. Enfin, la peau du dernier oscillait entre le bleu glacé et le blanc givré. Une pellicule de givre d’où s’exhalait une froide vapeur recouvrait son épiderme. Le toucher, ne serait-ce qu’en l’effleurant, l’aurait certainement fait éclater en morceaux.
Le gel a pénétré jusqu’au plus profond de son être et l’a pétrifié, jugea Shaina en frissonnant, quelle fin terrible !
Un frisson parcourut également l’échine d’Ichi, hérissant les fins poils de sa nuque. Ce mort lui rappelait son combat contre Hyôga lors du Galaxian War, lorsque celui-ci lui avait pratiquement gelé un bras avant de s’occuper de son Armure. Secouant la tête pour se débarrasser de ses mauvais souvenirs, il reporta son attention sur ce qui les intriguait tant :
- Que peuvent bien faire ces trois cadavres, ici ? Ce serait …
- … des Spectres d’Hadès ? acheva Geki, comme s’il avait lu dans les pensées du Chevalier de l’Hydre Femelle.
- Ça m’en a tout l’air si vous voulez mon avis, affirma le Chevalier du Petit Lion. En tout cas, c’est étrange, ils ne portent pas de protections, les leur aurait-on retirées ?
Décelant une très légère odeur, le Chevalier de la Grande Ourse s’approcha un peu plus près du macabre trio. Soudainement, des volutes de fumée s’échappèrent des corps.
- Qu’est-ce que … !? s’écria-t-il, surpris, avant de reculer d’un bon mètre.
Des flammes noires coururent le long des trois cadavres et constituèrent très vite un véritable brasier. Une épouvantable odeur de chair brûlée envahit l’air ambiant, agressant leurs narines et leur soulevant le cœur. Un plainte discordante, ou plutôt un hurlement venu tout droit d’outre-tombe, celui d’une âme pleine de violence et de colère, leur déchira les tympans. Trois feux follets s’élevèrent du peu qui restait des macchabées, telles des insectes quittant leurs chrysalides racornies et disparurent dans l’atmosphère. Seules des traces noires concentriques, preuves de ce qui venait de se passer, demeuraient au sol.
- Que s’est-il passé !? Et c’était quoi ces choses !? demanda Ban, inhalant à pleins poumons, l’air de nouveau respirable.
- Je n’en suis pas sûre, avança Shaina au bout de quelques secondes, mais je dirais que ces "choses" étaient les âmes des Spectres qui se sont libérées de leurs enveloppes charnelles, en les détruisant par le feu. C’est vraiment un procédé des plus brutal.
- Apparemment, il ne fait pas bon être dans le camp d’Hadès, admit Ichi avec une pointe de pitié dans la voix pour les victimes de ce traitement.
- Dans tous les cas, je ne pense pas que nous ayons quelque chose à craindre. Remettons-nous en route, maintenant.
Le ton des dernières paroles du Chevalier d’Argent les convainquit de ne pas s’attarder plus, au risque de subir ses foudres écarlates.
Avalant la distance qui les séparait de leur objectif final, le Temple du Lion eut tôt fait d’apparaître à leur vue. L’architecture de la demeure du cinquième gardien était des plus simple. L’entrée, précédée d’un large perron, était marquée par quatre massives colonnes disposées sur une même ligne horizontale. Le toit en pente reposait sur des murs à pignons. Et le fronton du Temple était orné du glyphe du signe du Lion. La tête du roi des animaux réduite à sa plus simple expression, prolongée par la crinière de l’animal.
Sur les marches menant au bâtiment, on pouvait observer cinq traces noires dont l’origine ne faisait aucun doute. En ce lieu également, des hommes appartenant à l’armée du sombre monarque avaient péri.
Sans plus attendre, ils pénétrèrent dans l’antre du chasseur du Sanctuaire. La pièce principale, d’une trentaine de mètres de long pour seulement environ dix-huit de large, était occupée par un grand nombre de colonnes, de l’entrée à la sortie. Celles-ci auraient presque pu être assimilées à une forêt où il aurait été aisé de pratiquer une partie de cache-cache. Malheureusement, avec un adversaire comme Aiolia, incarnation même du félin, on était sûr de perdre à tous les coups. Espacées à égale distance les unes des autres, les torchères fixées aux murs étaient éteintes, plongeant ainsi l’endroit dans une sombre clarté.
Où que le regard se posât, il ne pouvait déceler aucune trace du combat qui avait opposé le Chevalier de Pégase au Chevalier du Lion, transformé pour un temps en démon sanguinaire par le Grand Pope usurpateur. L’endroit avait été remis à neuf après ce tragique épisode que l’on avait voulu rapidement oublier, à ceci près que le dallage comportait quelques trous comme si des objets longs et étroits en étaient sortis récemment. Une énorme brèche telle une gueule béante marquait également le sol et une énième trace noire se situait non loin.
Parcourir ce Temple était, pour Shaina, comme évoluer dans un souvenir dont elle aurait préféré oblitérer jusqu’à l’existence. Son disciple, un jeune homme du nom de Cassios, avait trouvé la mort en ces murs dans l’unique but de protéger un homme qu’il détestait depuis toujours. En effet, Seiya lui avait pris une oreille et sa fierté avant de ravir le cœur de la seule personne qui comptait pour lui, à savoir son maître. Et pourtant, malgré toute sa rancœur, il n’avait pas hésité à se sacrifier afin, d’une part, de briser la technique qui asservissait l’esprit d’Aiolia et d’autre part, sauver celui dont la mort aurait causé une immense détresse chez son maître. « A chacun sa déesse … », avait-il dit avant de s’éteindre. Plus elle y repensait et plus le chagrin étreignait son âme, menaçant de la submerger à tout instant. Pourquoi Cassios avait-il fait cela ? A dire vrai, elle n’en savait rien.
Toute à son introspection, Shaina n’avait pas remarqué qu’ils avaient franchi la sortie. Seule la douce caresse du vent frais sur son visage, dépourvu de masque, eut la capacité de la ramener à la réalité. Son absence n’avait apparemment été perçue par aucun de ses compagnons. Le soleil infléchissait un peu plus sa course alors qu’ils continuaient leur route vers le Temple de la Vierge. C’était là-bas que les récents combats avaient été les plus destructeurs.
Grèce, Sanctuaire, Zone d’habitations des gardes
- Ainsi donc, l’éclipse qui vient d’avoir lieu était l’œuvre du seigneur du Royaume des Morts, lâcha le capitaine de la garde après avoir écouté le récit du Chevalier de l’Aigle. Et notre déesse, désormais victorieuse, va bientôt nous revenir ! Mais c’est une merveilleuse nouvelle que tu m’annonces là, Marin !
Voyant un large sourire se dessiner sur son visage barbu, elle réalisa que ce qu’elle redoutait venait de se produire.
Le problème avec Nereus, c’était que sa dévotion allait un peu trop loin. Certes, c’était un excellent soldat mais dès qu’il était question d’Athéna, il devenait difficile de lui faire penser à autre chose, tant ses pensées était accaparées par l’image de la déesse. Laissant échapper un petit soupir, signe d’une exaspération naissante chez elle, Marin lui dit :
- Je sais, et je m’en réjouis moi aussi. Mais avant de te laisser aller à l’enthousiasme, j’apprécierais que tu t’occupes de la tâche que je t’ai confiée.
- Ça va, ça va, j’ai bien compris. Je vais rassembler mes hommes et me mettre au travail. Franchement, tu sais que tu es une sacrée rabat-joie quand tu t’y mets !
Jabu et Nachi qui étaient restés silencieux jusque-là, ne purent s’empêcher de glousser, suite à cette réflexion. Ils s’arrêtèrent bien vite dès que le Chevalier d’Argent darda son regard d’albâtre sur eux.
- Si tu veux, admit-t-elle, souriant finalement à cette boutade. Nereus aimait toujours la taquiner sur son attitude beaucoup trop sérieuse, selon lui, depuis qu’il la connaissait. Tant que tu fais ce que je t’ai demandé, je peux bien te laisser dire ça.
Elle se tourna vers les deux Chevaliers de Bronze qui attendait non loin et les appela : Jabu ! Nachi ! Venez, nous allons rejoindre Shaina et les autres au Palais du Grand Pope. Et elle s’éloigna.
- Enfin ! J’ai bien cru que j’allais prendre racine à force de rester planté là, déclara le Chevalier de la Licorne avec soulagement, avant de partir à la suite de Marin, ses mains croisées derrière la nuque.
- Il y en a qui ne changeront jamais …, marmonna le Chevalier du Loup, en le suivant.
- Hum, tu as dit quelque chose ? l’interrogea son compagnon, certain de l’avoir entendu parlé.
- Moi ? Non.
Grèce, Sanctuaire, Souterrains
La noirceur l’environnait telle une mer d’encre au centre de laquelle il aurait été le phare salvateur. Combien cela faisait-il de temps qu’il marchait dans ce tunnel ? Une heure ? Un jour ? Il n’aurait su le dire. Byakko savait que ce n’était qu’une simple impression imposée par son esprit en manque de repères. Ces absences l’empêchaient de se situer, d’évaluer la distance qu’il avait parcourue. Cependant, le fait que sa torche ne se soit pas encore entièrement consumée prouvait bien que son séjour sous terre avait débuté il y avait peu.
Il avait tout d’abord suivi une longue galerie naturelle qui descendait en pente douce, jusqu'à un étroit boyau. Le franchir ne fut pas une partie de plaisir, mais une fois qu'il l'eût fait, il constata que le tunnel suivant perdait de sa rugosité pour finalement devenir lisse. Les parois de ce dernier avaient dû être creusées par des mains humaines, avant d'être habillées de pierre de taille. En tout cas, ceux qui ont réalisé ça ont dû se donner beaucoup de mal, pensa-t-il. Jusqu'ici, son parcours était demeuré rectiligne. Certes, il rencontrait parfois des coudes et des tournants mais la direction, d'une manière générale, restait unique. Il n'avait donc pas eu besoin d'utiliser l'orbe pour s'orienter. En repensant à ce qui lui était arrivé, ou pire, à ce qui aurait pu lui arrivé, la crainte que lui inspirait le mystérieux artefact augmenta. Pourtant, les choses capables de l'effrayer n'étaient pas légions. Est-ce que son seigneur était au courant de l'étrange pouvoir de l'objet ? Non, il doit l'ignorer, essaya-t-il de se convaincre, sinon il m'aurait mis en garde. Malgré tout, la graine du doute s'était implantée dans son esprit.
A mesure qu'il avançait, Byakko constata que le couloir dans lequel il évoluait allait en se rétrécissant légèrement et que le phénomène tendait à se poursuivre. Des toiles d'araignées pendaient ça et là, s'accrochant à ses vêtements et à son visage. Il tendit la main pour s'emparer des indésirables fils et entreprit de les arracher mais ce faisant, il rencontra une résistance inhabituelle. Il eût beau tiré, le dispositif tissé ne se rompit pas. A son désarroi, il réalisa que le rétrécissement du couloir n'était pas dû à un quelconque problème architectural, mais que celui-ci avait été établi afin que les intrus soient tentés d'écarter les toiles factices qui se présentaient devant eux, déclenchant ainsi l'ingénieux mécanisme. Un grondement néfaste lui parvint depuis le plafond qui venait d'entamer sa descente. Byakko se mit à courir droit aussi vite qu'il en était capable dans cet espace exiguë. Ce n'est que lorsqu'il fut contraint d'avancer courbé qu'il aperçut une échappatoire. Non plusieurs, en fait. En effet, le chemin continuait plus loin mais il se divisait en deux. L'heure n'étant plus aux hésitations, il s’en fixa une comme objectif et s'empressa de plonger vers elle, tandis que le plafond venait à la rencontre du sol derrière lui. Se relevant sans trop de peine, il décida de ne pas s'attarder plus et poursuivit sa route.
Il continua de marcher ainsi, accordant davantage d'attention à son environnement, jusqu’à déboucher un peu plus tard dans une immense salle. La pénombre et la chiche lumière de sa torche ne lui permettaient pas d’établir ces dimensions, mais elles lui semblaient colossales. A cet endroit, le sol était dallé avec du marbre veiné d’or et sur les murs près de lui, il pouvait apercevoir des mosaïques aux couleurs délavées qui avaient dû être très vives par le passé. Mais ce qui attira particulièrement son attention ce fut le plafond. Soutenu par d'énormes piliers, celui-ci émettait une lueur phosphorescente dans les ténèbres, comme s’il était tapissé de lucioles et, fait le plus remarquable, représentait la voûte céleste. Cette dernière semblait s’étendre à l’infini et comme douée de vie. Les constellations avaient été reproduites avec minutie sur toute la surface et parfois, des étoiles filantes la traversait. Cette vision l’enchanta plus qu’il ne put l’exprimer. Byakko aurait pu rester ainsi à admirer cette immensité durant des heures, bien qu’il ne les eut pas. Il s’arracha finalement à sa contemplation, non sans regrets, et ramena son regard sur le reste du décor. Après quelques pas, il s’aperçut que des constructions de forme rectangulaire, hautes d’environ un mètre vingt, paraissaient sortir du sol. En s'approchant, il comprit que ces structures étaient en réalité des sarcophages décorés par de nombreux bas-reliefs.
En regardant l’un d’entre eux de plus près, il distingua des inscriptions en grec, dont deux nombres, sur la plaque scellant la sépulture ; sûrement, le nom et les années de naissance et de mort de la personne enterrée. Toutefois, il n’arriva à déchiffrer que la date de décès : mille sept cent quarante trois.
Il regarda celui d’à côté pour y trouver, peut-être, plus d’informations. Ce dernier n’était pas fermé et la plaque reposait contre le bord du sarcophage comme dans l’attente de son propriétaire. Il était donc vide. Malgré tout, des écritures étaient gravées dessus. Le premier nombre était mille sept cent vingt-cinq mais le second n’apparaissait pas du tout, comme si on avait oublier de le mettre, ou bien que la personne à qui cette dernière demeure était destinée fut encore de ce monde, ce qui semblait absurde au vu de sa date de naissance. Le nom : SHION, ne fit remonter aucun souvenir en lui. Avisant qu’il n’apprendrait rien de plus, il chercha des yeux la sortie. A nouveau, plusieurs voies s'offraient à lui. Après les avoir étudiées, il décida de suivre celle qui s'ouvrait sur sa droite. Où pouvait donc bien se trouver l’objet qu’il recherchait ?
Au moment d'en franchir le seuil, Byakko se retourna vers la crypte. Et s'il était ici ? s’interrogea-t-il, caché dans une de ces sépultures.
Il s’apprêtait à sortir la pierre noire tant redoutée pour vérifier sa théorie quand il se ravisa soudainement. L’utiliser représentait un danger, et de plus, son instinct lui soufflait que son idée n’était pas si bonne que ça. Des pièges protégeaient assurément ce genre d’artefact. Or, ce lieu ne lui inspirait aucun danger, et pourtant il avait toujours été doué pour débusquer les chausses trappes. Décidant de faire confiance à son intuition, il poursuivit sa route.
Traversant une nouvelle fois de nombreux corridors, il finit par aboutir à une pièce dont les ombres semblaient impénétrables. Encastrées dans les murs près de l'entrée, il remarqua des rigoles qui semblaient remplies d'un liquide poisseux. Il trempa ses doigts dans la substance inconnue avant de les porter à son nez. Une forte odeur d'huile s'engouffra dans ses narines dès la première inspiration. Il recula et entreprit d'enflammer le combustible en jetant dessus le brandon qu'était devenu sa torche. Courant le long du canal, le feu fit tout le tour de la pièce pour finalement revenir près de l’entrée.
Grâce à la flamboyante clarté, il vit que le centre de la salle était occupé par un piédestal de forme ronde sur lequel reposait un coffret ciselé. Nul besoin de l’ouvrir pour deviner que l’objet tant convoité se trouvait à l’intérieur. Prudemment, Byakko s’approcha, tous ses sens aux aguets. D’où est-ce que le danger viendrait ? Du sol ? Des murs ? Du plafond ? Impossible de savoir.
Parvenu auprès de son objectif, il tendit ses mains vers celui-ci, inspirant à fond. La sueur perla sur son front. Quoi qu’il se passe, je réagirai suffisamment vite, se convainquit-il. Lentement, il saisit l’objet et le souleva précautionneusement. Aussitôt en réponse, un petit cylindre, normalement maintenu enfoncé par le poids du coffret, remonta, déclenchant une série d’attaques à l’encontre du voleur.
De droite et de gauche, deux volées de flèches jaillirent des murs en sifflant. La première salve dirigée à hauteur de ses cuisses et la seconde en direction du torse. Byakko comprit en un éclair qu’il était futile de simplement essayer de se déplacer pour esquiver, la zone d’impact comprenant l’intégralité de la salle. A une vitesse qui aurait rendu le mouvement flou à l’œil d’un être humain ordinaire, il sauta en tournoyant sur lui-même, se retrouvant parallèle au sol, le corps prit entre les deux salves. Alors qu’il était dans les airs, il sentit les mortels projectiles le raser de près, transperçant sa cape par endroits. Toujours en suspension, il remarqua du coin de l'oeil qu'une grande dalle de pierre descendait depuis le plafond pour boucher la seule issue possible. D'une légère inclination du buste, il acheva son mouvement rotatif en direction de la voie salutaire et contrôla sa chute d’une main, l’autre tenant le petit coffre. Il termina cette action en roulant au-dessous de l'obstacle, qui heurta le sol avec fracas une fraction de seconde plus tard.
- Eh bien, c’était moins une ! s’exclama-t-il sitôt relevé, en passant une main sur son front couvert de sueur.
Estimant qu’il valait mieux se dépêcher de quitter cet endroit, il alluma sa seconde torche et repartit dans le tunnel par lequel il était venu.
Grèce, Sanctuaire, Sortie du Douzième Temple
Ils parcouraient à présent le long escalier qui les mènerait à la demeure du maître du Sanctuaire. Avec la mort d’Aphrodite, le Chevalier d’Or des Poissons, ces marches s’étaient dépouillées de leur tapis de roses, barrière réputée infranchissable en raison du parfum entêtant qu’elles produisaient, guidant lentement, mais irrémédiablement la personne qui l’inhalait vers le sommeil libérateur du trépas.
Levant les yeux vers le ciel, Shaina estima d’après la position du soleil, qu’environ deux heures s’étaient écoulées depuis leur départ. Ce qui était un temps raisonnable pour réaliser un tel trajet.
Au bout de quelques mètres supplémentaires, ils atteignirent finalement le seuil du Palais. Bien que sa conception se rapprochait de celle du Temple d’un Chevalier d’Or, le soin apporté à la construction faisait toute la différence. Une fois à l’intérieur, le trio de Bronze ne put qu’être impressionné par la magnificence de l’endroit, l’aura de puissance des précédents maîtres des lieux sourdant presque de la pierre. Jetant des regards alentour, ils remarquèrent les grandes frises habilement sculptées qui habillaient le haut des murs. La plupart retraçaient des scènes mythologiques tandis que d’autres, rehaussées de teintes, représentaient des événements-clés de la vie du Sanctuaire. Leurs pas ralentirent jusqu’à ce qu’ils fussent pratiquement figés dans une attitude contemplative, sans que leurs regards pussent se détourner. Remarquant que ses compagnons n’avançaient quasiment plus à cause de leur fascination, le Chevalier d’Argent intervint pour dissiper le charme :
- Je sais que c’est très beau mais si vous vous arrêtez pour regarder, cela risque d’être la dernière chose que vous verrez. Alors dépêchez-vous.
Le ton lugubre de ces paroles les ramena aussitôt à la réalité. Ils la suivirent donc sans discuter, sachant très bien ce qui se passerait s’ils n’obtempéraient pas.
Shaina remontait d’un bon pas le long couloir qui la mènerait vers les larges portes précédant le domaine du Grand Pope. Alors qu’elle s’apprêtait à les pousser, elle suspendit son geste après avoir entendu un bruit étouffé venant de derrière celles-ci.
Après être revenu dans la crypte, Byakko avait pris une direction différente, espérant trouver une issue, autre que celle par laquelle il était venu, pour quitter ces souterrains. Une éternité plus tard, il arriva devant les marches d’un escalier hélicoïdale, et les gravit sans attendre. Parvenu au sommet, il avisa qu’une dalle de pierre l’empêchait de sortir. La voie était-elle condamnée ? Allait-il devoir rebrousser chemin et retourner se perdre dans ce dédale ? Refusant de céder au désespoir, il entreprit d’examiner la roche, s’attendant à y trouver un quelconque dispositif d’ouverture. Lorsqu’il pensa l’avoir enfin déniché, son cœur battait à tout rompre. Il introduisit sa main dans une petite fente faite dans le mur et actionna le mécanisme. En réaction, la lourde charge au-dessus de sa tête se mit à bouger en émettant un léger grondement.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Ichi, sa voix réduite à un murmure comme s’il avait peur de troubler la concentration de Shaina.
- Je ne sais pas vraiment, marmonna-t-elle, j’ai l’impression d’avoir perçu un son venant de la salle du Grand Pope. Il ressemblait à un frottement entre deux surfaces rugueuses, comme des pierres. Ecoutez, ça recommence.
Pendant que Byakko émergeait à la surface, il vit que le lourd trône qui servait à camoufler le passage qu’il avait emprunté, se remettait en place. Par chance, il n’y avait personne dans la pièce. Comptant sur le fait qu’il puisse jouir de cette bonne fortune un peu plus longtemps, il s’engagea sans perdre de temps vers l’imposant portail de bronze, qui selon toute vraisemblance devait figurer la sortie.
- Tu as raison, déclara Geki qui avait également entendu le bruit. Mais qu’est-ce que ça peut bien être ? Un des possibles Spectres survivants dont parlait Marin ?
- Le seul moyen de le savoir, c’est d’entrer, affirma Ban.
- Bien, alors allons-y, dit Shaina. N’oubliez pas que l’on ignore ce qu’il y a derrière alors tenez-vous sur vos gardes. Et pas de gestes inconsidérés.
Ils hochèrent la tête en signe d’assentiment. Le Chevalier de la Grande Ourse apposa alors ses larges paumes sur les battants des portes et poussa.
Alors qu’il arrivait près du portail, Byakko se figea quand il vit que celui-ci commençait à s’ouvrir. Evidemment, pensa-t-il, j’aurais dû me douter que les choses se compliqueraient avant la fin de ma mission. Bon, il ne me reste plus qu’à trouver rapidement une cachette.
Son regard vif se posa sur les tentures murales des murs latéraux. Celles-ci faisaient probablement office de séparation avec les couloirs situés derrière. Il lui suffirait de se cacher dans l’ombre de celles-ci, le temps que ces importuns franchissent la salle. En un éclair, il bondit vers l’une de ces voies de sortie, tandis que les Chevaliers pénétraient dans la place.
Une fois à l’intérieur, les quatre Chevaliers se scindèrent en deux groupes, chacun sur une aile, avançant précautionneusement. La pièce, de forme rectangulaire, faisait près de vingt-cinq mètres de long sur douze de large. Le sol était recouvert de dalles de marbre blanc encore immaculé malgré son grand âge. A certains endroits, il comportait de petits cratères, séquelles d’un combat qui avait certainement eu lieu dans un passé proche. Le plafond construit avec le même matériau était soutenu par d’énormes colonnes disposées en ligne de part et d’autre de la salle. Le lieu était très peu éclairé, du fait que les torchères des murs s’étaient quasiment toutes éteintes avec le temps, faute de combustible. Un tapis de couleur rouge, finement brodé occupait le centre de la pièce sur toute sa longueur, telle une ligne séparant la salle en deux parties égales. Il partait de l’entrée, filait tout droit vers un petit escalier, le franchissait et continuait son chemin jusqu’au fond de la pièce.
Néanmoins, ils remarquèrent que le tapis était déchiqueté un peu avant les marches par un cratère plus gros que les précédents. Ce n’est qu’après coup qu’ils prirent conscience du rai de lumière qui descendait depuis le trou béant dans le plafond, entrée probable de l’attaque. Seule une puissante frappe énergétique avait pu faire de tels dégâts, constatèrent-ils. Au sommet de l’escalier reposait l’imposant trône du Grand Pope constitué d’airain et d’argent, richement décoré par de fines gravures dorées, ciselées sur la totalité de sa surface. Il représentait le pouvoir mais aussi la charge du Grand Pope. Et c’était derrière ce dernier, caché par de lourdes tentures rouge sombre, que se trouvait l’unique passage pour se rendre au Temple d’Athéna.
De prime abord, il n’y avait rien qui trahissait la présence d’un éventuel intrus. Le Chevalier de l’Ophiuchus commença à se demander si elle n’avait pas imaginé cet étrange bruit.
- Shaina, dit Ban, je ne vois rien d’anormal. Pas la moindre trace indiquant que quelqu’un se soit trouvé là récemment.
Sans se laisser démonter, cette dernière répondit :
- Vérifiez si personne ne se cache derrière les tentures.
Byakko, ayant écouté leur conversation à travers le rideau, s’empressa de plaquer ses pieds contre la paroi à laquelle il était adossé, et tendit son bras libre vers le côté opposé. A force de tractions, il se hissa tout en haut, son corps tendu tel un câble d’acier entre les deux murs opposés.
Ichi écarta la pièce de tissu et scruta les ténèbres alentours. Ne décelant rien, il se tourna vers ses compagnons, il leur signifia d’un mouvement de tête qu’il n’avait rien trouvé de concluant. Les autres répondirent de la même manière.
Me serai-je vraiment trompée ? s’interrogea le Chevalier d’Argent. Impossible ! Et pourtant, …
- Nous allons continuer notre progression jusqu’au Temple d’Athéna, déclara-t-elle, mais avant de partir, j’aimerais que l’un d’entre vous reste pour monter la garde, au cas où.
- Enfin, Shaina, protesta Geki, tu as bien vu qu’il n’y a pas âme qui vive dans les environs. Ce que tu proposes n’a pas de sens.
- Vous ne pouvez nier que nous avons entendu quelque chose. Je préfèrerai ne pas prendre de risques. Et puis la distance entre la salle et le Temple ne doit pas être bien longue. Celui qui restera pourra nous rejoindre rapidement. Maintenant, choisissez !
Les trois Chevaliers de Bronze se concertèrent et établir assez vite la façon de procéder.
- On a qu’à faire comme quand on était à l’orphelinat, proposa Geki.
- Bonne idée, répondit Ban, allez c’est parti !
Tout en agitant leurs mains en cadence, ils s’écrièrent à l’unisson :
- Jan – Ken – Pon !
Les poings de Geki et Ban étaient fermés alors que l’index et le majeur de celui du Chevalier de l’Hydre Femelle formait un V.
- Pas de chance, Ichi, tu as perdu ! s’exclama Ban, enthousiaste.
- Ouais, ouais, c’est bon, maugréa ce dernier. Vous devriez vous dépêcher de rejoindre Shaina avant qu’elle s’énerve.
- Ce n’est pas faux ce que tu dis. Si tu remarques un je-ne-sais-quoi de bizarre, tu n’auras qu’à aviver ton cosmos pour nous prévenir.
Les dernières consignes données, ils écartèrent les tentures rouge sombre qui se trouvaient derrière le trône et s’engagèrent dans la galerie ainsi découverte.
Après leur départ, le Chevalier de Bronze se mit à faire les cent pas, persuadé que rien ne se produirait.
Ne préférant pas s’aventurer plus loin dans le couloir car il ne savait pas où cela le mènerait, ni sur qui il pourrait tomber, Byakko opta pour une sortie plus risquée.
Apparemment, ils sont partis en ne laissant qu’un surveillant dans la pièce. Un homme seul ne devrait guère me causer de tracas mais il serait tout de même bon de ne pas le sous-estimer.
Il attendit plusieurs minutes avant de passer à l’action, mémorisant le déplacement de la sentinelle. Par chance, cette dernière effectuait quasiment le même trajet, à chaque fois. Il compta le nombre de pas qu’elle faisait lorsqu’elle allait et venait. Du peu qu’il en ait vu, il estima la taille de la pièce à une vingtaine mètres ; la sentinelle en arpentant à peu près dix-huit. Au son de ses pas, il estima que ses foulées faisant environ quarante centimètres, il lui fallait donc en faire quarante-cinq pour réaliser son parcours d’un bout à l’autre. Trente-huit, trente-neuf, …, compta-t-il.Estimant qu’elle s’était assez éloignée, Byakko jaillit de l’alcôve tel un diable de sa boîte et fonça vers la sortie à vive allure, ses pieds touchant à peine le sol. Tandis qu’il courait, il continua à compter mentalement. Quarante-quatre, quarante-cinq ! Comprenant qu’il ne pourrait pas atteindre son objectif, il se fondit dans l’ombre d’une colonne et patienta à nouveau. Dès que son observateur lui eût tourné le dos, il reprit sa course vers le portail et l’entrouvrît juste assez pour traverser sans heurts.
Croyant que quelque chose passait derrière lui, Ichi se retourna vivement, en faisant jaillir les griffes rétractiles de ses gantelets au passage. Il étudia la scène quelques secondes avant de reprendre sa patrouille. Ce devait être mon imagination, conclut-il.
Byakko franchit d’un pas rapide le long couloir et déboucha sur le parvis du Palais. Ebloui par la lumière déclinante du soleil, il eut à peine le temps de voir fondre sur lui la lanière de métal. Agissant d’instinct, il recula vivement et s’aperçut que la dalle où il se tenait quelques secondes plus tôt était en partie brisée.
La source de l’attaque se trouvait juste en face. Une silhouette masquée comme lui, mais plus menue et tenant un fouet d’airain à la main. Une boîte de bronze reposait près d’elle.
- Qui es-tu ? demanda l’inconnu à travers son capuchon.
Une femme ? déduisit Byakko d’après son timbre de voix. Normalement, tout aurait dû se passer sans encombres et me voilà réduit à éliminer les preuves de mon passage. Mais quel idiot ! se morigéna-t-il, Je suis sorti sans m’assurer auparavant s’il y avait quelqu’un. Le genre d’erreur que l’on ne fait pas deux fois.
- Je répète ma question : Qui es-tu ?
Cette fois-ci, la voix était moins neutre, comme chargée de menaces à peine contenues. De toute façon, il ne pouvait rien faire qui aurait trahi ses ordres de mission.
- Bien, puisque tu ne veux pas répondre, je vais me charger de te rendre plus loquace.
Elle s’empara d’un pan de son manteau et le retira d’un ample mouvement, révélant une Armure tirant sur le vert sombre, avec quelques reflets azurés, qui mettait subtilement en valeur un corps aux formes galbées surmonté d’un visage masqué à l’opulente chevelure blonde. Sitôt cette action terminée, elle lança une série d’attaques avec son arme, visant les membres de son adversaire.
Byakko s’étonna de la maîtrise du Chevalier, elle semblait meilleure que ce qu’il avait imaginé. Néanmoins, cela était loin d’être suffisant puisqu’il esquivait chaque coup sans s’épuiser outre mesure.
Pour June, c’était tout le contraire. Elle commençait à perdre de son assurance et à se poser des questions.
Mais comment peut-il éviter chacune de mes frappes ? s’interrogea-t-elle. A ce rythme, je n’arriverai à rien. Essayons autre chose.
Une brusque décharge de cosmos dans son bras lui permit d’attaquer avec une rapidité et une force accrues. Pourtant cela ne changea rien à la donne, son ennemi la dominant toujours et sa frustration de ne pas le toucher augmentant en conséquence. Son corps se para d’une intense lumière turquoise, l’entourant comme un seconde peau.
Remarquant la hausse d’énergie, Byakko haussa un sourcil, preuve de son intérêt grandissant.
On dirait qu’elle devient sérieuse, pensa-t-il. Je me demande bien ce qu’elle me réserve.
Le cosmos courait à travers elle, embrasant son cœur. Parcourant chaque muscle, chaque cellule, chaque atome de son être afin de le fortifier pour ce qui allait suivre. June dirigea cette puissance une nouvelle fois vers son bras armé et s’en servit pour déclencher un de ses arcanes :
- Whip Tongue ! scanda-t-elle au milieu du bruit assourdissant produit par la vitesse de sa technique.
Byakko regarda le fouet qui filait en direction de la partie gauche de son crâne, à la vitesse du son. Comme il tenait toujours le coffret du même côté, la situation l’obligea à parer avec le membre opposé. Il utilisa alors une quantité négligeable de son cosmos pour entreprendre une action lui permettant de bloquer suffisamment vite la lanière. Celle-ci ripa en conséquence sur sa protection d’avant-bras en métal.
June le regarda faire, incrédule.
Il maîtrise également le cosmos !? s’étonna-t-elle. Je n’avais rien ressenti jusque-là. Et même maintenant la sensation est infime. Mais ce n’est pas fini !
Imprimant une torsion sur le manche de son arme, elle fit décrire à l’extrémité plus alourdie un demi-cercle vers l’autre face de son visage.
Celui-là, je doute que tu le vois venir, sourit-t-elle intérieurement.
Malheureusement pour elle, Byakko n'en était pas à son premier combat et il devina aisément sa stratégie en observant sa gestuelle. En conséquence, il reporta son bras sur sa dextre et dévia la pointe du fouet au moment où celle-ci allait le percuter.
Que … !? pensa-t-elle, déconcertée. C’est impossible ! Il n’a pas pu voir arriver un coup dans son dos !
La tension du combat abandonna June d’un seul coup et son trouble se répercuta sur sa combativité qui chuta en flèche.
Sentant son relâchement, Byakko sut que c’était le moment propice pour contre-attaquer. Il franchit les quelques mètres qui le séparait de son adversaire et focalisa une étincelle de cosmos dans son poing qui se mit à luire d’une lumière blanche mouchetée de vert. Quand il fut assez prêt, il projeta sa main droite en avant, paume ouverte et doigts repliés. Une explosion d’énergie suivit son mouvement.
June l’observa sans pouvoir réagir. Elle sentit le souffle de l’attaque mais ne put la voir, la bourrasque s’abattant sur elle en un instant. Elle eut le sentiment de se faire lacérer par les griffes d’un fauve. Son corps se couvrait de zébrures sanguinolentes, l’Armure de Bronze ne stoppant en rien les coups portés. Au contraire, celle-ci se fissurait, volant en éclats par endroits pour s’enfoncer dans ses chairs. Son masque se brisa, découvrant un visage aux traits délicats dont les grands yeux bleus étaient écarquillés. Puis elle s’effondra sur les marches au milieu d’une mare de sang et de métal brisé. Chaque partie de sa personne était en proie aux affres de la douleur. Elle souffrait mais ne pouvait rien tenter, incapable de bouger, ses membres semblant peser comme du plomb.
Byakko passa près d'elle sans rien dire.
Quel dommage que tu te sois trouvée sur mon chemin, pensa-t-il. Non, à dire vrai, c'est de ma faute ; je n'avais qu'à être plus prudent.
La respiration de June était saccadée. Etait-ce dû à ses blessures ou à son angoisse grandissante ? La souffrance commençait à se calmer, mais était-ce une bonne chose ? Tant de questions sans réponses. Un voile descendit sur ses yeux.
Je ne peux pas mourir, s'exhorta-t-elle, pas maintenant. Je dois revoir Shun.
Elle trouva la force de lever un bras vers le ciel et se mit à caresser un visage imaginaire.
Shun ...
Et puis tout devint noir.
- Adieu, brave guerrière, murmura-t-il en la contemplant.
Reportant son regard sur l'horizon, la fièvre du combat l'abandonna et ses réticences à utiliser l'artefact resurgirent, plus fortes. Il sortit l'orbe de son manteau et le considéra d'un air lugubre. Ses doutes devaient-ils faire obstacle à la réussite de la mission qui lui avait été attribuée ? Finalement, son sens du devoir obtint l'ascendant et lui fit faire abstraction de ses peurs. Désormais, il lui fallait agir vite car si son sixième sens ne le trompait pas, un groupe d'individus, des Chevaliers sans méprise possible, se dirigeaient vers sa position. Et en tenant compte de ceux qu'ils avaient laissés derrière lui, il allait se retrouver pris en tenaille.
Une nouvelle fois, Byakko fit appel de manière furtive à son cosmos et forma une image mentale de sa destination. A son grand étonnement - et soulagement aussi - la tentative d'intrusion psychique dont il avait été victime quelques heures plus tôt ne se réitéra pas. L'air alentour frémit et une faille s'ouvrit dans le tissu de la réalité. De forme ovale et d'un noir profond, la surface du portail, légèrement mouvante, ressemblait à une étendue d'eau que le souffle du vent aurait ridé. Arrêtant là son observation, il s'engagea à l'intérieur du passage qui le ramènerait aux côtés de son seigneur. La brèche se referma dès qu'il l'eût franchie, ne laissant aucun indice qui aurait pu trahir son existence.
Notes de fin de chapitre :
Tenma Kôfuku :
La Capitulation du Démon
Whip Tongue :
Langue Fouet
Jan – Ken – Pon :
Equivalent au Japon de notre Pierre-Papier-Ciseaux en France.