Une Dernière Bataille

Chapitre 0 : Prologue : Le Mystérieux Objet

2010 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2024 19:36

6 avril 1987

Japon, quelque part dans la sombre forêt d’Aokigahara

 

Lentement, la nuit installait sa douce torpeur bleutée sur la mer d’arbres, située au pied de la face nord-ouest du mont Fuji. Si le volcan et les grands lacs qui l’entouraient étaient réputés pour être des lieux touristiques fréquentés chaque année par des milliers de personnes, peu de gens osaient s’aventurer dans la forêt elle-même. De nombreuses légendes plus effrayantes les unes que les autres circulaient sur ce territoire. On considérait, hier comme aujourd’hui, que ces bois étaient la tanière d’esprits tourmentés, de démons et de bêtes sauvages.

La densité de cet enfer végétal était telle que la lumière de l’astre diurne y pénétrait très difficilement, rendant impossible toute tentative d’orientation de par la faible portion de ciel visible. Le paysage n’offrant que peu de diversité, l’esprit humain avait du mal à appréhender les distances et le dénivelé. De ce fait, les différentes directions qui s’offraient aux voyageurs se ressemblaient toutes et contribuaient à l’égarer.

C’était pourtant au cœur de cet océan de verdure maudit de tous, que se trouvait une élégante maison. Cette dernière avait été construite de plain-pied dans un style purement japonais et de manière à être en harmonie avec la nature qui l’environnait. Sa charpente était en bois de cyprès et ses murs constitués de deux cloisons en lames de bois avaient été remplis avec un treillis de bambou et consolidés avec un torchis composé de sable tamisé, de terre et d’une fine paille de riz. La toiture, quant à elle, était recouverte de tuiles en céramique.

Des cerisiers, dont les fleurs n’avaient éclos qu’il y a peu, entouraient la bâtisse comme pour former un rempart de beauté autour de celle-ci. L’air était doux, chargé de parfums délicats et fruitiers. Tout dans cette atmosphère respirait la tranquillité et la sérénité des temps immémoriaux, quand l’homme vivait encore en accord avec la nature.

Au centre de l’habitation, un jardin zen avait été élaboré, sanctuaire spirituel propice à la méditation et à la contemplation. Le sol était composé de petits galets gris et blancs et de multiples essences de plantes cultivées avec soin, étaient disposées un peu partout. Un gros rocher noir de forme plate trônait telle une île, au milieu de cet environnement minéral et végétal.

Sur cet énorme morceau de basalte se trouvait un jeune homme, assis en tailleur. Il était plongé dans une méditation si profonde que seuls sa respiration à peine audible et les lents battements de son cœur indiquaient qu’il était encore de ce monde. Son cosmos blanc aux éclats de jade était déployé tout autour de lui afin d’accroître ses perceptions.

Depuis deux heures maintenant, il avait pris place à cet endroit qu'il affectionnait tant et s'était replié en lui-même, cherchant sa source de plénitude au plus profond de son être. Dans cet état de concentration, il avait l'impression de ne faire plus qu'un avec l'univers. Il pouvait discerner l'énergie des formes de vie qui l'entourait ; plantes, insectes, même le pouls de la terre ne pouvait échapper à son acuité. Immergé au cœur de cet ensemble de perceptions, il ne ressentait plus les maux liés à la chair ou à l'âme. Tout lui semblait plus simple, plus facile, plus clair.

Alors qu'il tendait à s'enfoncer de plus en plus profondément dans cet océan de quiétude, la pensée que son maître désirait s’entretenir avec lui s’imposa à son esprit. Il était donc temps pour lui de quitter cet état. Revenant petit à petit à la conscience, il dut endurer la fraîcheur ambiante qui s'était accentuée depuis le début de ses exercices.

 

Tout en se relevant, il étira son corps musclé et se dirigea d’un pas léger, presque félin, vers la pièce qui lui tenait lieu de chambre. Arrivé devant l’entrée, il fit coulisser le shôji et pénétra à l’intérieur. La pièce chichement meublée ne comportait qu’un futon, un porte sabre et un coffre posé dans un coin.

Le jeune homme s’approcha du coffre contenant les vêtements propres, l’ouvrit et en sortit un kimono de coton blanc dont il se vêtit. Ensuite, il attacha ses cheveux noirs en une courte queue de cheval avec un lien de cuir.

Une fois prêt, il se mit en route pour rejoindre son seigneur. Il suivit le chemin extérieur constitué par des lattes de bois, jusqu’à arriver devant la pièce où résidait son maître et fit glisser la cloison. Rentrant dans une sorte d’antichambre, il s’immobilisa devant le fusuma dont le papier washi était décoré de fines calligraphies ; son ombre se découpait clairement dessus.

- Entre Byakko, dit une voix derrière la porte.

 

Byakko pénétra dans une salle aux murs lambrissés de bois. Il foula de ses pieds nus la surface dure du tatami en paille tressée, puis s’inclina. Les flammes des bougies, disposées sur une tige métallique munie d’un pied, firent scintiller ses yeux verts tels deux émeraudes. Ces derniers se posèrent sur l’homme à qui il avait juré fidélité. Celui-ci avait un visage sans âge, ses longs cheveux couleur nuit étaient soigneusement ramenés en une queue de cheval sur le sommet de son crâne, cependant, quelques mèches libres retombaient devant ses yeux, couleur d’un ciel d’orage. Vêtu d’un kimono bleu indigo à motifs de vagues, il était assis en tailleur, un coussin au-dessous de lui, devant une table basse sur laquelle se trouvait une bouteille de saké.

Son attitude pouvait sembler passive au premier abord, mais il irradiait de sa personne une aura de puissance incontestable. Chaque fois qu’il se présentait devant lui, Byakko sentait des frissons incontrôlables lui parcourir le corps tout entier. Se ressaisissant rapidement, il demanda :

- Vous m’avez fait mander, seigneur ?

- En effet, lui dit l’homme au kimono couleur de mer. Comme tu le sais certainement déjà, Athéna est en ce moment même occupée à affronter Hadès et elle n’a laissée qu’une poignée de Chevaliers pour défendre ce lieu que l’on nomme le Sanctuaire.

Byakko se contenta d’acquiescer en silence, attendant la suite du discours.

- Je veux que tu te rendes là-bas et que tu voles un certain objet, continua-t-il. Ignorant moi-même la nature de celui-ci, je ne peux t’en dire plus.

L’homme de main ne put masquer sa surprise suite à l’annonce de la mission que lui confiait son maître :

- Mais, seigneur si vous ignorez vous-même ce que je dois chercher, comment pourrai-je le trouver ?

L’homme sourit, car il s’attendait à ce que son serviteur lui pose cette question. En réponse, il sortit d’un coffret richement ouvragé, une petite sphère noire parsemée de veines rouges.

- Voici un artefact qui te permettra de trouver ce que je t’ai demandé. Il te suffi de concentrer ton énergie vitale en un point précis de cette sphère et elle te permettra d’acquérir une perception plus élevée des choses qui t’entourent. Cela devrait suffire à repérer la signature énergétique particulière de l’objet que je te demande de récupérer.

Byakko regarda, un instant, l’étrange artefact et s’aperçut que quelque chose semblait pulser à l’intérieur. Préférant, en temps normal, obéir aux ordres sans plus s’interroger, il ne put s’empêcher, cette fois, de poser une question :

- Puis-je savoir ce que c’est ?

Le seigneur esquissa de nouveau un petit sourire et répondit :

- Eh bien, te voilà devenu soudainement curieux Byakko. Toi qui es d’habitude si prompt à réaliser le moindre de mes désirs sans poser de questions. Cette simple remarque sembla déstabiliser le serviteur qui détourna rapidement son regard vers le sol. Néanmoins, pour répondre à ton interrogation, je te dirai que non, tu n’as pas à savoir ce dont il s’agit. Mais peut-être te l'expliquerais-je à un moment ou à un autre, acheva-t-il sur un ton mystérieux.

Reprenant la parole, il ajouta :

- Autre chose. Grâce à elle je vais t'ouvrir un passage dimensionnel qui te permettra d'arriver directement aux abords du Sanctuaire. Il te sera possible de faire de même lorsque tu seras là-bas et que tu voudras revenir ici. Pour cela, procède comme je te l'ai expliqué et pense simplement au lieu où tu veux te rendre.

Ses instructions finalement données, il concentra son énergie, celle-ci se déployant dans la pièce en ondulant, telle les vagues de la mer qui viennent s'échouer sans relâche sur le rivage. Byakko frissonna à nouveau en ressentant le pouvoir qui émanait de cet homme.

Au-dehors, à une cinquantaine de mètres de l'habitation, l'air sembla se distendre puis se déchirer. De la taille d'un homme, une brèche qui évoquait une plaie béante s'entrouvrit dans la réalité.

- J'ai terminé. Va maintenant et tâche de ne pas te faire repérer, mais cela ne devrait pas être une contrainte insurmontable pour toi.

- J’accomplirai mon devoir sans faillir, répondit humblement Byakko en saluant une dernière fois son seigneur.

 

Une fois hors de la résidence de son maître, il se hâta de retourner dans sa chambre, y choisit des vêtements plus adéquats ainsi qu’une cape capable de dissimuler ses traits. Quittant les lieux, il s’engagea dans la forêt en direction du portail qui avait été ouvert à son intention vers la Grèce et le Sanctuaire.

 



Notes de fin de chapitre :


Shôji : Porte coulissante pouvant servir de "rideau" de fenêtre. Il s'agit d'un panneau constitué de lattes de bois horizontales et verticales formant une trame sur laquelle est collé du papier translucide. Il permet d'apporter une lumière indirecte dans une pièce.

Futon : Matelas mince ou couverture épaisse que l'on étend sur les Tatami pour servir de lit et que l'on range au matin dans des placards aménagés dans les murs.

Kimono : Vêtement traditionnel japonais, de forme T. Il est souvent confondu, à tort, avec les vêtements d'entraînement des arts martiaux.

Washi : Papier japonais qui sert habituellement à recouvrir les cloisons intérieures des habitations. Fusuma : Ecran opaque (washi) coulissant utilisé pour redéfinir l'espace d'une pièce ou servir de porte. Il présente généralement les mêmes dimensions qu'un tatami. Les fusuma coulissent sur des rails en bois et ont longtemps servi de support de prédilection pour la peinture décorative.

Tatami : Panneau de paille de riz compressée, bordée de tissu, utilisé pour couvrir le plancher des palais et maisons à partir du XVIIème siècle. Avant cette époque, les gens du commun n'utilisaient que des espèces de coussins en paille (Zabuton) pour s'y asseoir. Toujours en usage dans les intérieurs japonais, ils ne sont foulés que pieds nus ou chaussés de tabi (petites chaussettes portées traditionnellement avec le kimono ; elles peuvent être dotées de semelles épaisses). La longueur varie de 1,86 m à 1,92 m selon les régions (largeur toujours égale à la moitié de la longueur). Utilisés aussi dans les dojo pour la pratique des arts martiaux.

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