Moi Siegfried, chevalier d'Asgard
Il me frappa au visage, je tombai sans réagir. Je ne comprenais rien . Je le fixai droit dans les yeux, c’était la première fois que je soutenais son regard, jusqu’ici j’avais eu trop peur de lui. Mais en ce moment, tout m’était indifférent, j’étais à peu près mort de toute façon. Au fond de mon esprit éteint, une phrase germa lentement. Je revis ma mère, mon enfance, nos moments de complicité… et puis ce bateau et cette terre glacée… elle, morte, et lui, vivant… C’était sa faute ! Oui, sa faute ! Il l’avait tuée, il nous avait tués tous les deux, nous attirant dans cette terre maudite comme les sirènes attirent les marins vers les récifs pour qu’ils s’y empalent. Ce démon… Une haine gigantesque déferla dans mes veines.
« Maudit ! Maudit sois-tu, assassin ! » criais-je en enchaînant les coups. Il avait beau parer mes attaques, ma fureur ne faisait qu’augmenter, et je me sentais plein d’une énergie nouvelle, plein de haine. Je frappai au ventre, et il se plia. Mon coude s’abattit alors sur sa nuque, et il mordit la neige. Je dansai autour de lui, plein d’une joie mauvaise. « Tu l’aimes, la neige d’Asgard, tu l’aimes tant ! Puisses-tu y crever ! ». Je redoublai de coups et fit jaillir son sang.
Mais il se redressa, de toute sa stature, avec un éclat étrange dans les yeux. Tous ses muscles étaient contractés à l’extrême, et d’entre ses dents s’échappait une sourde mélodie, une invocation d’Odin dans un langage antique. Il y eut comme une explosion invisible, et tout changea. Il se mit à parer mes attaques avec facilité. J’avais beau ruser, feinter, maintenir une concentration totale, il devenait insaisissable. Ses ripostes étaient vives et douloureuses. Je parvins enfin à m'approcher, j’enchaînai une série de coups rapides vers son visage avec toute ma rage. Impossible de tout esquiver, chaque coup qui frappait sa tête faisait bondir mon cœur. Enfin ma vengeance était palpable, réelle : je pouvais briser son visage sous mes coups.
Soudain une incroyable douleur me plia en deux. Son poing s’était enfoncé dans mon ventre avec une violence formidable, et je n’avais rien vu, rien d’autre qu’une sorte d’éclair de lumière. Brisé, je sentis le sang affluer dans ma bouche. Le second coup fut plus violent encore, et me projeta plusieurs mètres en arrière, écrasé dans la neige, plusieurs os cassés et criant de douleur. Où avait-il puisé cette force nouvelle ?
De quel mystérieux surhomme avais-je allumé la fureur ? J’avais déjà remarqué la crainte qu’il inspirait aux hommes que nous rencontrions parfois, et qui étaient dans cette contrée reculée de solides bûcherons à la carrure d’acier, ou des trappeurs à moitié sauvages. Mais qui était-il vraiment ? Je puisai assez de force pour me relever, tremblant. Il me fixait, le regard meurtrier. Il n’y avait plus ni père, ni maître, rien qu’un ennemi mortel. Il eut un cri profond, et bondit vers moi à la vitesse de l’éclair, son poing empli d’une puissance terrifiante.
Le halo
Je n’avais même pas eu le temps de penser à me défendre, et c’est probablement cela qui me sauva la vie : dans un geste instinctif, j’avais croisé mes bras devant mon visage pour parer le coup. Sa puissance déferla sur moi, me brûlant la peau dans un éclair blanc. J’avais reculé de plusieurs mètres, mais j’étais debout, vivant, et surpris autant que lui.
Sans lui laisser le temps de réagir, je saisis son bras tendu, je le tirai violemment vers moi, et mon poing s’enfonça dans son ventre. Je poussai un cri, de rage et de joie mêlés. Mon deuxième coup fut plus violent encore, il siffla dans l’air et l’envoya s’écraser contre un tronc d’arbre.
Le halo… ! L’aura… ! Je la sentais… dans mon corps. Comme si mes veines étaient gorgées d’or pur, une douce chaleur coulait en moi, je me sentais rempli d’une force nouvelle et sans limites. Je pouvais faire couler cet or dans mes bras, dans mes poings, qui devenaient durs comme du métal.
Je comprenais enfin d’où il tirait sa puissance. Et puisque son sang coulait dans mes veines, puisqu’il m’avait formé, j’en étais capable moi aussi. Parfois, lors de ses entraînements, dans les pires épreuves, j’avais frôlé l’étincelle ; à moitié mort de froid et de peur, j’avais senti une chaleur inattendue dans mes veines. Mais aujourd’hui, c’était différent. Tout me paraissait parfaitement clair : mes sens étaient décuplés, comme si chaque cellule de mon corps s’ouvrait et devenait une conscience, comme si mille cœurs battaient à l’unisson en moi, comme si ma vie se multipliait tout autour de moi. J’étais enveloppé dans une bulle d’or douce et rassurante. Je me sentais infini, invincible.
Mon adversaire se releva lentement. Il avait compris. A travers mes sens exacerbés, je sentais parfaitement ses réactions, je lisais sur son corps tout ce que j’avais besoin de savoir. Il sentait lui aussi la puissance affluer en moi, et il n’avait jamais vu un tel flux, comme une rivière qui déborde brusquement de son lit et dévaste toute une vallée. Plus que la peur, je sentais surtout la surprise, et presque une forme de satisfaction ironique : son enseignement avait enfin atteint son but, et dans le même temps provoqué sa fin.
C’est lui qui attaqua la premier. Avec la force d’un tigre, il se jeta sur moi. Mais c’était devenu inutile : la bulle d’or me guidait ; tout était devenu lent, très lent. Je m’écartai sans effort pour éviter son coup. Je fis couler l’or dans mes mains, et une simple poussée se transforma en explosion formidable. Je vis tout cela lentement, silencieusement, son corps brûler dans l’éclair, sa chute lourde dans le sol. Mon esprit était calme comme par un matin d’été. La puissance reflua de mes mains, se coula dans mon corps, dans mes pieds, dans le sol.
Je crus d’abord qu’il me regardait fixement, mais il avait cessé de vivre. Sa main était entr’ouverte, un petit cristal s’en échappa et tomba sur la terre gelée. Il était taillé dans une ovale parfaite, son éclat rappelait celui d’une étoile.
Je trouvai, sous les fondations de notre château, le caveau de pierre dans lequel s’insérait le cristal. A l’intérieur, l’armure légendaire du chevalier divin de Dubhe, formant le dragon à deux têtes, était désormais mienne. Cette armure sacrée, sur laquelle mon père et ses pères avant lui avaient veillé, était le cadeau millénaire d’Odin à la race humaine pour protéger le monde. J'étais devenu chevalier protecteur d'Asgard.