Philtre mystérieux

Chapitre 1 : Philtre mystérieux

Chapitre final

4056 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/07/2024 21:59

Cette fanfiction participe au Défi d'écriture du forum Fanfictions.fr, « Philtres, élixirs et petites potions » de juin à juillet 2021



Philtre mystérieux



Par une belle journée ensoleillée d’octobre 1965, Guy attend les Castevet, ses voisins, devant la porte d’entrée de l’immeuble de leurs appartements respectifs. Le comédien, un grand homme aux cheveux brun foncé et aux yeux marron brillant d’inquiétude, très impatient de discuter avec eux, fait les cent pas. Observant depuis plusieurs minutes les mêmes briques de la façade et la porte de fer à l’ancienne et ajustant pour la millième fois son nœud papillon gris autour du cou et époussette la fictive poussière de son complet noir, il discerne deux formes humaines, soudain, se présenter devant lui. Elles ressemblent plus à des spectres de l’au-delà qu’à des vivants, tellement leurs vêtements sombres sont amples, leurs pas lents et leur regard torve. Un frisson parcourt l’échine du trentenaire, mais il se ressaisit rapidement. Il avance d’un pas rapide vers ces deux formes que sont Roman et Minnie Castevet, leur serrant poliment la main. Le vieil homme dans son ample complet noir lui présente une main gantée. Guy confronte son regard à celui du voisin et note ses yeux qui brillent comme deux ampoules en fin de vie, ternes et inertes.

— Monsieur Woodhouse, l’invite poliment l’épouse de Roman d’une voix modulée, vous êtes le bienvenu dans notre appartement ! Voulez-vous du thé ou du café ?

La petite vieille femme détache sa main droite gantée du bras de son mari pour exécuter un geste d’invitation poli à son potentiel hôte, large sourire sur son visage ridé, ajustant de l’autre main ses lunettes à la monture dorée au bout du nez, agitant sa chevelure blanche.

— Je vous suis reconnaissant de votre invitation et j’accepte bien un peu de thé.


Le trio arrive rapidement à l’appartement des Castevet. L’endroit est accueillant avec ses murs blancs, le soleil qui filtrent les stores en bois et une table en chêne qui trône au milieu du salon, garnie de verres d’eau et de plats contenant des friandises, des chocolatines, des baklavas, des mille-feuilles et des beignets.


Minnie sert du thé noir pour Guy, son mari et elle-même avant de s'asseoir en face de Roman. Le vieux couple échange un regard entendu et fixe leur hôte, attendant qu’il entame la conversation. Guy observe la ténébreuse lumière qui se dégage de la chandelle allumée au milieu de la table. Bougie qui ne contribue pas à l’apaisement et au calme, ni à une ambiance d’intimité, mais à la nervosité et à l’inquiétude.

— Vous savez pourquoi je viens à vous, mes chers voisins… commence-t-il d’un ton traînant.

Il passe une main dans ses cheveux pour se laisser le temps d’ordonner ses idées éparses, et boit une gorgée de thé.

— Ma carrière… C'est une catastrophe…Un échec, se lamente-t-il. Et je ne sais pas comment parvenir à une carrière satisfaisante…

— Vous connaissez la solution, Monsieur Woodhouse, lui réplique froidement le sorcier italien en affichant un sourire sincère à son invité. 

Le silence assourdissant qui s’installe entre eux alourdit l’atmosphère, rendant la petite pièce encore plus inquiétante et sinistre. Les quelques minutes paraissent une éternité pour le comédien, angoissé, qui ne cesse de promener son regard à gauche et à droite.

Rompant le silence, Roman tousse et, d’une voix forte, hurle : 

— Ma seule passion et mon seul sens à ma vie est de servir mon Maître, le Prince des Ténèbres ! Ma vie n’a aucun autre sens ! 

— Et, complète Minnie d’un ton sérieux, ajustant les plis de son ample robe bleu foncé, presque noire, avant de relever sa tête vers le comédien, nous pouvons vous aider à parvenir à votre fin, pour que votre carrière soit prospère. Sans oublier que l’Antéchrist naisse d’une femme ! De votre épouse, à la condition que vous vendez ce qui est le plus précieux pour vous…

Elle se lève prestement, étonnant les deux hommes, et s’approche de Guy, l’observant comme un serpent sa proie, le paralysant sur son siège. Il a l’impression même de discerner une lueur étrange et froide dans ses yeux, lui arrachant une froide sensation au dos. Les yeux du comédien s’agrandissent pendant quelques minutes de frayeur, impressionné et inquiet des capacités de Minnie.

— … votre âme !

Elle le fixe intensément, laissant planer un malaise dans la salle. Guy, fuyant son regard, constate l’étrange bibliothèque dans le coin droit du salon, un meuble dans le style de la Restauration qui contient d’étranges livres aux couvertures multicolores et aux lettres brillantes. Vidant d’un trait sa tasse, le comédien essaie de faire bonne contenance auprès de ses amphitryons. 

— Vous le savez que je suis bien marri de mon insuccès et rien ne me fera reculer pour avoir la renommée ! s’exclame Guy avec assurance, relevant la tête vers le couple, fixant la fenêtre. Je renoncerais, sans la moindre hésitation, à ma patrie, ma maison, ma famille, mon épouse et mon âme ! Je n’ai peur ni de Dieu ni de Satan !

— Très bien ! 

Le vieux sorcier étire ses doigts engourdis de la tasse et serre la main de son épouse.

— Commençons par trouver la potion qui vous facilitera votre carrière ! murmure Roman. 

D’un geste de la tête, il désigne à sa compagne la bibliothèque.

— Allez chercher la recette ! Je ne connais pas tout par cœur, ma terreur de l’heure ! Ma chère et bien-aimée épouse, levez-vous pour réciter les formules et retrouver les ingrédients.

Minnie se lève péniblement, malgré son mal de dos, et, à petits pas, se rend devant l’étrange bibliothèque et fouille parmi les différents livres aux couvertures dorées et vermeil et aux calligraphies gothiques. Ses mains ridées manipulent avec crainte et respect l’étrange livre en caractères cyrilliques, latins et gothiques.

— Que dit le texte ? l’interroge poliment de sa voix grave son mari.

— Lorsque la serpe sert le serpent, le service sévit, psalmodie-t-elle.

— Éclairant ! commente le comédien, perplexe de la signification.

— Taisez-vous ! lui ordonne sèchement le vieux sorcier italien, poing serré, regard courroucé. 

Se tournant vers son épouse, ses traits s’adoucissent et ses yeux reprennent leur éclat habituel.

— Reprenez ma chère.

L’interpellée opine du chef, ajuste ses lunettes dorées au bout du nez et continue de sa voix criarde la lecture du grimoire.

— Lorsque la fleur mystérieuse du myste est déflorée et lorsque l’arme de la larme armée est désarmée, il faut récupérer les ingrédients nécessaires.

— Quels sont ces ingrédients ? interroge, lueur de curiosité dans le regard du mari de Rosemary.

— Un peu de terre trouvée au cimetière, une larme, un cheveu de votre épouse, un poil de votre corps, une fleur particulière — fleur brillante comme le soleil au milieu des ténèbres, fleur qui ne fleurit qu’une fois par an — un trèfle et quelques gouttes de rosée que la lune a éclairé, lui répond la sorcière polonaise.

— Et comment trouver ces ingrédients ? interroge le plus jeune homme.

Le vieux couple se lance un regard entendu, Guy demeure coi.

— Notre ami médecin saura nous aider ! s’exclament les sorciers à l’unisson.

— Qui ? Et pourquoi ? leur demande le trentenaire, étonné.

— Vous le saurez bientôt ! lui répond Roman.

Le couple âgé se lève et, d’un pas traînant, sort de l’appartement, suivi de leur invité. Ils empruntent un chemin sinueux, tournant tantôt à droite, tantôt à gauche, entre des petites ruelles inconnues, empêchant Guy de se remémorer aisément la voie. 


Le trio s’arrête devant une charmante maison en pierres isolée des autres par une immense clôture de fer. Derrière cette dernière, un petit chemin mène à une porte de bois décorée d’étranges arabesques au judas qui ressemble à un œil maléfique et aux fenêtres avec des rideaux tirés, comme des yeux fermés qui peuvent s’ouvrir à tout moment. Les arbustes et les fleurs signalent une présence féminine dans la maisonnée et donnent une certaine grâce à l’endroit. Malgré ce charmant accueil à première vue, une lueur de méfiance traverse le regard de Guy, mais il pense que les voisins, sachant l’aide que peut leur apporter cet homme, ne peuvent être amis avec un charlatan. Roman frappe doucement à la porte. Quelques minutes plus tard, Abraham Sapirstein, un grand vieil homme de soixante et seize ans, vêtu d’improbité criante et d’un complet blanc, accueille chaleureusement les Castevet, leur donnant un baiser sur les joues, radieux de les voir. Le médecin aux cheveux sel et poivre et yeux noirs brillant de malice et d’intelligence serre chaleureusement la main du comédien avant de le laisser entrer dans sa maison. Longeant un étroit vestibule aux multiples portes en bois fermées comportant des insignes kabbalistiques étranges et des pentagrammes, le quatuor aboutit au salon. Immense pièce éclairée par des rayons solaires, au centre domine une immense bibliothèque remplie de livres anciens aux couvertures jaunies. Le vieil ami des Castevet invite ses hôtes à s'installer dans le coin droit de la salle où une table en cerisier garnie de plats les plus divers et de desserts les attend. Assis, Roman s'exclame d’une voix étonnamment forte : 

— Mon cher ami, j’espère que vous allez bien ! Nous venons pour affaire sérieuse ! 

Mine étonnée, sourire joyeux effacé, air sérieux et professionnel, yeux plissés, le médecin affirme d’une voix monotone :  

— Tu veux mon aide pour quelle affaire ?

— Les ingrédients pour la potion…

— Lorsque le chasseur chasse sans son chien, il faut comprendre le signe du cygne qui se signe, lui réplique énigmatiquement Minnie.

Guy, confus, lance un regard interrogateur aux voisins, serrant avec force le verre qu’il tient. Abraham commente : 

— Je dois vérifier l’état de la plante… Notre Roi guigne le gui qui guide vers la maison…

Le couple approuve d'un geste de la tête. Le médecin se lève et s’approche à quelques centimètres du comédien, l’observant avec intérêt pendant quelques minutes avant de se diriger vers la bibliothèque. Le mari de Rosemary a été très intimidé lors de cet examen du vieil homme. Il baisse les yeux et, sentant gronder une sourde colère et impuissance, explose : 

— Quelqu’un veut bien m’expliquer le sens de vos paroles énigmatiques et de vos observations gênantes ?

Trois paires d' yeux se braquent sur lui à la question.

— Monsieur Woodhouse, lui répond le vieux sorcier italien, vous n’oubliez pas que nous, serviteurs de notre Dieu, avons des fins très précises… Et vous avez attiré notre attention…

— Et le gui, le coupe abruptement Abraham, ignorant la question, est en bonne santé… Encore hésitant, mais toujours bon !

Minnie, regard brillant, hoche la tête pour lui signifier son approbation.

— Pour répondre à votre question, nous avons des intérêts communs, jeune homme, lui réplique sur un ton cinglant le médecin. Et vous n’avez pas de raison de tout connaître ! L’essentiel, pour vous, n’est-ce pas la réussite de votre carrière ?

— Oui, murmure-t-il, déconcerté par l’attitude du vieil ami des Castevet.

— Excellent ! Alors réunissons les ingrédients ! Je m’occupe de vous trouver dans mon petit jardin les plantes nécessaires et la terre. Par contre, Monsieur Woodhouse, vous devez nous aider pour obtenir un cheveu de votre épouse et un poil de votre corps…

— Un cheveu peut être acceptable ?

— Oui, sans problème. Et vous le déposez dans ce petit flacon.

Le médecin lui remet un petit flacon en verre. Guy le range dans une poche interne de son manteau.

— Nous nous rencontrons le surlendemain, messieurs et madame, leur annonce solennellement Abraham. Ce sera le jour propice, selon mes calculs…

— À la prochaine alors !

Et Roman et Guy se lèvent de leur siège et serrent chaleureusement la main d’Abraham. Retournant par le passage sinueux, soudain, à une intersection, Roman chuchote au comédien : 

— Jeune homme, je vous conseillerais de donner le philtre à votre épouse le soir, ainsi, elle sera plus passive et ne s’opposerait pas à votre volonté de lui faire un enfant. Par contre, il faut strictement que vous suiviez le rituel, l’ordre et les gestes sont importants ! Le moindre faux-pas, la moindre erreur, peut annuler l’effet désiré ! Vous comprenez le sérieux de notre démarche ?

— Oui, Monsieur Castevet, lui répond poliment le trentenaire.

Un lourd silence s’installe entre les trois individus pour le reste du trajet.


Arrivés devant l’immeuble, chacun se quitte et revient chez soi. Guy sourit faussement à Rosemary, l’embrassant sur une joue et s’éloigne de son épouse, quittant le salon, une petite pièce fort accueillante avec deux grandes fenêtres, une petite table basse en chêne et des fauteuils beiges rembourrés. Il s’enferme dans la salle de bain, guettant des cheveux au sol. Il trouve quelques longs cheveux blonds, poils qui ne peuvent qu’appartenir à Rosemary. Ravi, euphorique, le trentenaire sort la fiole pour la remplir avec les cheveux de son épouse et les siens qu’il coupe pour l’occasion. Se précipitant dans leur chambre, Guy ouvre un tiroir pour ranger la fiole à l’intérieur. Au moment où il sort la fiole de sa poche, une voix féminine familière l’interroge : 

— Guy, que fais-tu ?

— Je ne fais rien, Rosemary… Je ne voulais que ranger ma montre dans le tiroir… Rien de plus !

Soudain, la sonnette de la porte d’entrée retentit. le couple sursaute et la grande et élégante blonde se dépêche de courir devant la porte, observant par le judas les mystérieux visiteurs. Elle reconnaît Minnie et Roman Castevet, leurs voisins.

— Guy ! Nos voisins sont à notre porte ! Veux-tu les accueillir le temps que je prépare du café ?

Le comédien range furtivement la fiole dans le tiroir, ravi qu’il ne doive pas fournir plus d’explications à son épouse ou improviser un mensonge, et invite les Castevet dans la maison, leur serrant chaleureusement la main.

Une fois les deux couples assis l’un en face de l’autre, Minnie prend la parole : 

— Madame Woodhouse, j’ai un petit cadeau pour vous !

— Lequel ? Et pourquoi autant d’attention ? affirme-t-elle, confuse.

— N’avons-nous pas le droit d’aider nos nouveaux voisins avec nos connaissances ? Nous sommes des herboristes ! s’exclame d’une voix forte Roman.

— Très certainement, murmure Rosemary, baissant le regard.

— Ainsi, continue Minnie en donnant une fiole à l’épouse du comédien, dans cette fiole, il y a une plante mise en poudre que vous prendrez lorsque vous serez enceinte et que vous ressentirez des douleurs au ventre…

— Merci beaucoup, madame Castevet !

Le vieux couple boit avec lenteur le café, analysant l’endroit et surtout l’épouse du comédien.

— Nous avons raison, jubile Roman en hongrois, elle est la femme prédestinée !

Minnie opine du chef pour toute réponse, regard soudainement brillant d’une lueur étrange et inquiétante. Les vieux sorciers remercient le plus jeune couple de leur hospitalité et retournent dans leur appartement.

— Roman, je ne sais pas quoi penser de nos voisins… Ils sont un peu étranges, non ? interroge d’une petite voix la jeune blonde.

— Excentriques, très certainement, mais pas étranges ! lui réplique son mari. Chérie, une aide n’est jamais à rejeter, n’est-ce pas ?

— Effectivement.

Le couple revient à ses occupations habituelles.



Le lendemain matin, Guy, avant d’aller au travail, frappe à la porte des Castevet. Roman l’accueille à l'intérieur et lui pose une seule question : 

— Avez-vous trouvé les ingrédients manquants ? 

Le vieil homme fixe le comédien, le mettant mal à l’aise, mais il se ressaisit rapidement, jouant nerveusement avec le bord de son veston bleu.

— Oui, j’ai trouvé les cheveux exigés.

— Excellent ! Suivez-moi ! Nous irons chez notre ami pour préparer le philtre que vous donnerez à votre épouse demain soir.

— Je vous suis.

Et les deux hommes se déplacent jusqu’à la maison du vieil ami médecin des Castevet. Ce dernier les invite courtoisement à l’intérieur et leur annonce : 

— J’ai tous les ingrédients nécessaires : terre, larme, trèfle et rosée. Il ne manque plus que les poils et la fleur…

— Mon vieil ami, ajoute Roman, agitant ses doigts crochus vers Guy, il a fait son travail… Mais comment trouver la fleur ?

Un silence gênant s’installe entre les trois hommes pendant quelques minutes.


Observant la salle, le sorcier italien attache son regard sur l’étrange bocal du médecin qui sommeille au sommet de la bibliothèque et s’exclame : 

— Mon cher ami, la plante tant recherchée n’est-elle pas dans ce bocal doré au-dessus de la bibliothèque ?

Abraham tourne sa tête vers la bibliothèque, intrigué. Il sourit et déclare d’un ton étonné, passant une main sur son front, réfléchissant : 

— Mon cher Roman, vous avez peut-être raison… Je ne me rappelle plus très bien ce qu’il contient… Vérifions son contenu… Vous savez, il y a tellement de plantes différentes et de bocaux où je les entrepose que je ne sais plus où notre fleur peut être... J'ai fouillé dans ma salle consacrée aux plantes, mais elle n'y était pas... Et je n'ai pas vérifié dans ce bocal, l'ayant complètement oublié...

Et le médecin ouvre le mystérieux bocal, souriant, main tremblante de joie.

— Vous avez raison, mon cher ami ! La fleur y est !

Et il sort de la boîte une fleur blanche comme l’écume de mer.

Roman, étonnamment rapide, l’arrache des mains de son ami, la découpe en petits morceaux et la met dans un chaudron. Mêlant la larme, la rosée, la terre, le trèfle et les poils, en remuant le tout sur un feu doux, il murmure une incantation en une langue inconnue du comédien. Ce dernier note la différence de totalité dans la voix de son voisin, mais se tient coi, ne désirant pas déconcentrer Roman de son travail qui lui permettra d’obtenir une renommée.


Quelques minutes plus tard, l’étrange potion, un liquide visqueux verdâtre, est prête. Roman le verse soigneusement dans une fiole en céramique décorée d’arabesques et de caractères hébraïques, arabes et hiéroglyphiques.

— Voilà la potion qui vous ouvrira la voie royale vers la réussite.

Et le vieil sorcier donne la fiole au comédien et psalmodie des phrases incompréhensibles, tenant solidement la main gauche de celui-ci. Abraham accompagne le sorcier italien dans sa récitation. Le comédien, étonné, promène son regard de l’un à l’autre des vieux sorciers, sans dire un mot, percevant et ressentant un changement en eux… Comme s’ils étaient habités par des entités surnaturelles, des démons, comme s’ils n'étaient plus maîtres d’eux-mêmes. Un frisson parcourt son échine, une frayeur se lit momentanément dans ses grands yeux sombres lorsqu’il pense assister à une possession et lorsqu’il rencontre leurs regards de feu. Il a l’impression qu’un autre être est aussi présent dans la salle et l’épie, une forme ténébreuse et indistincte, qui, peu importe où il tourne son regard, elle s’échappe, insaisissable. 

— Maintenant, Guy Woodhouse, affirme d’une voix rauque Roman, vous n’avez qu’à donner le philtre à votre épouse au coucher du soleil. Il aura sa pleine efficacité dans quelques heures. Aussi, dès qu’elle le boira jusqu’à la dernière goutte, hypnotisez-la pour augmenter l’effet de la potion. 

L’interpellé opine du chef pour signifier qu’il a compris les paroles. Et se dirige, dos voûté, fatigué, vers l’extérieur, suivi du sorcier italien. Les deux hommes reviennent chez eux enveloppés d’un silence oppressant.



Le surlendemain soir, Guy, très nerveux du possible insuccès du philtre, ne cesse de vérifier plusieurs fois la présence de la fiole dans son manteau et ne cesse de se retourner, se sentant observé par une sombre entité tapie dans l’angle mort de son champ de vision ou derrière son dos. Il est très impatient que l’astre solaire ne domine plus le ciel pour enfin mettre en marche le plan qui le mènera à la gloire immortelle et la renommée sans fin.

Au crépuscule, lorsque les rayons solaires caressent pour une dernière fois de la journée la terre, les hommes, les plantes et les immeubles, Guy dilue discrètement le philtre dans la tasse de thé vert de Rosemary et susurre : 

— Rosemary, veux-tu venir contempler le coucher du soleil avec moi tout en dégustant notre thé vert ?

Un bruit de pas feutré s’entend derrière son dos. Se retournant, il sourit à son épouse. Cette dernière, très intriguée et étonnée de l’invitation, s'assoit sur le siège voisin et prend sa tasse. Sirotant son thé, la jeune blonde est gênée par le regard de son mari sur elle, un regard insistant, insaisissable, insatiable et indiscret, étrange et indéfinissable. Guy murmure : 

— Ma chérie, rejoins-moi dans notre lit ! Il faut bien profiter de la beauté que nous donne la nuit ! Ne t'oppose pas à ma demande, ma chère et bien-aimée Rosemary !

Déposant la tasse, elle tourne sa tête vers lui et demande : 

— Je n’ai pas compris ce que tu as dit…

— Rien ma chère… Allons dormir !

La jeune et grande femme opine du chef et se rend jusqu’au lit, suivi de son mari qui brûle de désir pour elle, n’ayant pas remarqué qu’il reste un peu de thé et de potion dans la tasse… 

Au moment où Guy essaie de forcer son épouse, alors que la lune brille au firmament, Rosemary se dégage subitement de son étreinte et lui hurle, debout, contre la fenêtre : 

— Guy, qu’est-ce qui te prend ? Laisse-moi dormir !

L’interpellé lève ses yeux brillants d’un désir incontrôlé et d’un feu étrange et, d’une voix enrouée, ordonne : 

— Femme, pourquoi me fuis-tu ? Reviens à mes côtés !

Il se lève pour la saisir, mais, plus rapide, elle sort de la chambre et s’arrête au salon. Guy, accourant jusqu’au cadre de porte, observe le spectacle qui s’offre à lui : Rosemarie en robe de nuit cachée derrière un siège, la lune qui éclaire par endroit la pièce et les tasses de thé qui sommeillent sur la table. Comme dégrisé, le comédien s’approche à pas de loup de la table et note la tasse de Rosemary qui contient encore un peu de thé. Comme un arbre frappé par la foudre, le trentenaire prend conscience que son épouse n’a pas bu le philtre jusqu’à la dernière goutte et que ses suggestions et tentatives de séductions sont vaines. Une rage gronde dans sa virile poitrine, fâché contre son insouciance, le comédien tourne le dos à sa femme et revient dans leur lit, se promettant ne pas rater le coup la prochaine fois.

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