La femme à la robe rouge
Chapitre 1 : Léon et la femme en qipao rouge
2836 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/02/2018 19:45
La serveuse posa la commande de Léon sur la table et repartit en ondulant légèrement des hanches. Léon soupira en se disant que ça devait faire partie de ce que son patron exigeait d’elle et ne put s’empêcher de s’attrister à cette idée, d’autant que la robe chinoise traditionnelle qu’elle portait lui rappelait une connaissance qu’il aimait particulièrement. Il détourna la tête, avala une gorgée de l’irish coffee qu’on venait de lui servir et fit la moue : il contenait visiblement plus d’eau et de sucre que de café et de whisky. Pas plus mal en fait, ça me permettra de garder le sang-froid et les idées claires. Le rendez-vous avec la fameuse connaissance en qipao rouge devait en effet lui donner des informations précieuses sur l’état actuel des projets de Wesker et - possiblement - donner au gouvernement américain une occasion en or de lui passer la corde au cou.
Léon fut tiré de ses pensées par une vibration de son portable. Il le regarda et vit qu’il s’agissait d’un message d’Ashley : « Coucou ! Je sais que tu es très occupé à cause de ton travail mais n'oublie pas que je fête mes dix-neuf ans demain ! T’as intérêt à être là ;-p bisous ».
Léon pesta contre lui-même, en se rendant subitement compte qu’il avait complètement oublié l’anniversaire de sa jeune amie, qu’il n’avait pas de cadeau et qu’il serait difficile d’aller de la Chine – où il se trouvait actuellement – à Washington où l’attendait Ashley. Il se morigéna d’autant plus que, en tant que fille du président de la première puissance mondiale, elle avait toujours été habituée à ce que tout le monde lui obéisse au doigt et à l’œil – bien que leurs mésaventures en Espagne il y a quelques années lui avait un peu rappelé que dans la vraie vie, on n’avait pas toujours un majordome pour vous servir le café et les croissants au lit, pour reprendre l’expression qu’avait utilisé un agent onusien français au moment où on les avait récupéré, lui et la jeune fille, s’échappant de l’enfer sur Terre qu’avait été ces jours de terreur. Il n’empêche que la petite princesse allait d’autant plus mal le prendre qu’il la soupçonnait de ne pas avoir pour lui que des sentiments strictement amicaux.
C’était quand même beaucoup plus simple quand il n’y avait qu’Ada qui me faisait de l’œil. Il observa dans la ruelle dehors deux chiens se disputer un morceau de steak jeté par le cuisinier – Dieu seul savait pourquoi.
« M. Scott Kennedy ? lui demanda la serveuse qui lui avait apporté son verre il y a quelques minutes, le tirant brutalement de son monologue intérieur. On m’a demandé de vous donner ceci. » Léon remercia la serveuse et lui donna un pourboire en prenant l’enveloppe qu’elle lui tendait. Elle sentait la menthe fraîche et portait une empreinte de rouge à lèvres. Typique d’Ada, pensa-t-il en souriant, presque autant que son qipao. L'enveloppe ne portait d'inscription d'aucune sortes. Léon vérifia discrètement que personne ne faisait attention à lui – même si il se trouvait dans un bar sordide où les affaires illégales étaient monnaie courante – et ouvrit l'enveloppe.
« Ce soir à 11h devant la baraque à nouilles Le Vieux Lhu, à côté de l'ancien cimetière. Le gérant est un parent à moi, il est digne de confiance. Et ne t'inquiètes pas pour le cimetière, les corps y sont incinérés. »
L'écriture soignée, visiblement faîtes avec une plume de qualité, dénotait une dextérité et une élégance sans égale. Sans surprise, se dit Léon. L'heure du rendez-vous approchant, il décida d'aller payer son verre et de partir.
Allongé sur un divan en piteux état, un homme et une serveuse étaient en plein ébats, au vu et au su de tous les autres clients. Ce n'était pas très surprenant dans ce genre d'endroit . Léon se dit que cela ne le concernait pas et s'apprêtait à payer, quand il entendit un hurlement où perçaient l'effroi et la souffrance. Il se retourna et vit que, sur le divan, la serveuse était en train de dévorer le visage de l'homme qu'elle tenait dans ses bras. Deux hommes - sans doutes des “gros bras” de la Triade locale - tentèrent de lui faire lâcher prise, mais elle semblait avoir une force colossale. Pendant que la foule était partagée entre l’horreur et la surprise, un nouvel hurlement vint de derrière Léon: il se retourna et vit qu’un videur venait d’arracher la gorge d’une femme de ménage avec les dents, et entreprenait maintenant de dévorer goulûment le reste de la malheureuse victime. La foule dans le bar se mit à hurler et une véritable marée humaine se rua vers les sorties, tandis que des personnes en son sein se mettaient subitement à attaquer et à dévorer les fuyards, semblant choisir leurs victimes de manière aveugle.Wesker sait qu’on est ici, pensa Léon, en fracassant sur le comptoir la tête d’un homme en costume qui tentait de le saisir à la gorge pour mieux le mordre. Il dégaina son Colt et entreprit de se frayer un passage dans ce chaos complet. Alors qu’il était parvenu à mi-chemin de la porte de service, il se vit cerné par des individus à la bouche et à la dentition ensanglantées, au regard vide. Des zombies.
Il abattit le plus proche et écrasa le crâne d’un deuxième qui tentait de le contourner par la gauche en utilisant la crosse de son arme. Il y en a trop, se dit-il pendant qu’il vidait son chargeur sur ses assaillants, je n’aurai jamais assez de balles.
« Couche-toi !!! » ordonna une voix familière. Léon obtempéra sans hésitation. Une rafale d’arme automatique faucha une partie des zombies, bientôt suivi d’une deuxième, libérant la voie.
« Suis-moi ! » ordonna une magnifique femme aux cheveux d’un noir de jais, un pistolet-mitrailleur dans les mains, quand Léon se releva. C’était Ada. Elle l’entraîna derrière le comptoir et le fit passer par une porte dérobée. Léon constata qu’elle était vêtu d’un gilet pare-balles et d’un pantalon noir. Elle ferma le verrou de la porte derrière eux.
« Je suppose que c’est mort pour la discrétion, plaisanta Léon.
-Je ne comprendrai jamais ton humour, rétorqua Ada. C’est quelque chose d’assez typique de Raccoon City, je crois ». Son ton était sarcastique, mais elle avait un sourire sincère en parlant.
« Je suis content de te revoir, lui dit Léon.
-Moi aussi, mais on s’embrassera plus tard. La porte ne tiendra pas éternellement ».
Il la suivit le long d’un dédale de couloirs, qui allait en descendant. L’humidité de l’air se condensait sur le béton, et coulait le long des murs. La température était relativement basse, et seules les ampoules au plafond apportaient un semblant de chaleur. Ainsi que la présence rassurante d’Ada, dont émanait toujours une agréable odeur de menthe fraîche.
« Je ne pensait pas qu’un si petit bouge pouvait cacher quelque chose d’aussi grand, fit remarquer Léon.
-Crois-moi, tu ne veux pas savoir tout ce qui se passe ici. Vraiment. Pour faire simple, le bar sert de couverture à la Triade du coin. Et je pense qu’elle a été contactée par Wesker. Viens par ici, lui ordonna-t-elle en lui indiquant une pièce avec une porte en acier, tout en sortant une seringue d’un petit étui. Je les soupçonne d’avoir infecté les boissons servies ici, je vais t’injecter un antidote ».
J’ai vraiment l’impression d’être toujours un bleu, pensa Léon pendant qu’Ada lui injectait une dose du remède. Heureusement qu’elle est toujours au courant de tout.
« Tu as les preuves dont tu parlais ? lui demanda-t-il.
-Affirmatif, Monsieur Kennedy. Des photos d’un labo qu’il a installé à proximité, et qui pourrait faire de cette ville le nouveau Racoon City si on ne prévient pas les autorités. J’ai aussi des témoignages enregistrés de personnes qui ont travaillé pour lui.
-Je sais pas ce que je deviendrais sans toi…
-Et bien pour commencer, tu serais mort plusieurs fois. Tu serais devenu un zombie. Tu aurais connu milles tortures, et pour conclure, tu aurais échoué à sauver la fille du président, ce qui t’aurait valu d’être au chômage si par miracle tu avais survécu. Tu m’es redevable. Pour toujours ». Disant cela, elle lui passa les doigts sur la joue et, approchant doucement son visage, l’embrassa. Léon la prit dans ses bras et serra cette femme qu’il aimait et désirait tant avec tendresse, son corps lui semblant paradoxalement si délicat. Ils s’étreignirent durant quelques secondes qu’ils auraient aimé voir durer une éternité. La situation les obligeait à mettre rapidement terme à leurs élans de tendresse, et tous les deux regrettaient amèrement de ne se voir que lorsque que des zombies menaçaient de les tuer.
« Léon…, soupira Ada. Vivement que je puisse mettre un terme à mon rôle d’agent double et qu’on puisse être un couple ordinaire.
-Ada… »
Ils se serrèrent plus fort.
« Arrêtons de batifoler pour le moment. Une horde de créatures sanguinaires peut nous tomber dessus d’un moment à l’autre, après tout », rappela Ada avec une pointe de tristesse dans la voix.
Ils se séparèrent à grand regret et vérifièrent leurs armes. Il y avait au fond de la salle une sortie de secours, ainsi qu’un râtelier d’armes appartenant sans aucun doute à la Triade, dans lequel ils se servirent sans hésiter. Ils ouvrirent la porte et se retrouvèrent dans une ruelle étroite aux allures de coupe-gorge, entre une bouche d’égout grande ouverte et un empilement de poubelles presque aussi haut que Léon. Il vit Ada sortir un téléphone d’une poche de son pantalon et parler en mandarin. Elle sembla s’énerver et raccrocha en se mettant à jurer.
« Mon contact au sein de la division armée la plus proche me dit que ses troupes ne pourront pas arriver avant au moins deux heures. Ce qui laisse à la population le temps de se faire dévorer plusieurs fois, dit-elle en grinçant des dents. Que fait-on ?
- Ce qu’on a toujours fait dans ce genre de situation, toi et moi, lui répond-t-il en souriant. On règle les problèmes nous-mêmes.
-Et on a droit à une médaille de la part des autorités ? Tant qu’elle n’est pas à titre posthume, ça me va ».
-On va d’abord faire en sorte de mettre autant de personnes que possible à l’abri. Ensuite…
-On temporisent ?
-On temporisent, acquiesça Léon. Et on tient jusqu’à l’arrivée de la cavalerie.
En sortant de la ruelle, ils virent sur une petite place une foule paniquée qui tentait de s’enfuir ou de se cacher d’individus difformes qui se jetaient sur eux pour les dévorer. Léon lança une grenade qu’il avait trouvé dans la cache de la Triade pour endiguer le flot de zombies qui déboulait de la rue principale. Il se posta ensuite devant la rue en question, un pistolet-mitrailleur dans les mains, pour faire face au nouvel afflux qui se dirigeait vers eux.
« Ada ! Je les retiens, trouve un moyen de leur bloquer l’accès ! » hurla-t-il en vidant un premier chargeur. Des créatures tombèrent, les autres se dispersèrent, cherchant visiblement un moyen de le contourner.
Il n’y a que cette rue et la ruelle par laquelle on est arrivé qui donnent sur cette minuscule place. Mais si ils sont assez intelligents pour passer par les bâtiments, c’est la fin, pensa-t-il en serrant les dents. C’est à ce moment qu’Ada arriva au volant d’une camionnette, qu’elle gara de façon à bloquer le passage.
« Avec ça on a un peu de répit, lui dit-elle, maintenant faut trouver un abri plus durable ! ». Elle commença à interroger en mandarin les personnes apeurées autour d’eux. Un homme assez âgé sembla lui donner une réponse satisfaisante.
« Il dit que la maison du vieux Wang a une cave. On pourrait les y cacher.
-Parfait, répondit Léon, on va s’y abriter »
Accompagné par la foule, ils suivirent l’homme jusqu’à une maison grise et en mauvais état. Le dénommé Wang déverrouilla la porte et Ada expliqua à tous de se barricader dans la cave et de ne surtout pas en sortir. Au même moment, ils entendirent venant de la place des bruits de verre brisé. Ils se précipitèrent sur les lieux et virent qu’ils avaient effectivement sous-estimé l’intelligence de leurs adversaires : ils étaient passé par les habitations et arrivaient maintenant en passant à travers les fenêtres. Léon et Ada se positionnèrent de façon à ne pas laisser d’angles morts et tirèrent, mais ils savaient qu’ils n’auraient pas assez de balles pour tous les abattre. Ils vidèrent un premier chargeur, puis un deuxième, et enfin le dernier. Léon dégaina alors son couteau -il était le seul des deux à en avoir un- et lui cria de rester derrière lui. Elle lui répondit que l’heure n’était pas au sexisme mal placé et qu’elle pouvait très bien se battre elle aussi. Il se tenir brièvement la main, se disant que ce serait sûrement la dernière fois.
Des rafales assourdissantes déchirèrent alors l’air. Ils se plaquèrent au sol aussitôt. Un hélicoptère chinois était en train de mitrailler méthodiquement la place, fauchant les créatures de ses balles meurtrières. Peu après, une escouade de soldats se mettait à achever les derniers monstres. Léon et sa compagne se regardèrent dans les yeux et se sourirent.
Quelques heures plus tard, Léon rentrait aux États-Unis par un avion militaire. Il regardait mélancoliquement par la fenêtre, en pensant à Ada qui était partie en lui expliquant qu’elle devait jouer son rôle d’agent double jusqu’au bout. Mais avant de se quitter -non sans une dernière étreinte - elle lui avait confié un paquet soigneusement emballé, en lui disant que c’était un cadeau pour l’anniversaire d’Ashley et que cela lui plairait maintenant qu’elle avait grandit. Léon lui avait demandé de quoi il s’agissait mais elle lui avait dit que c’était une surprise.
Il arriva dans le pavillon résidentiel de nuit, au moment où la fête battait son plein. La musique à plein volume s’entendait de l’autre bout de la rue. Il montra sa carte d’identité au garde du corps qui surveillait l’entrée et se fraya un passage parmi de jeunes gens visiblement un brin éméchés. Il finit par trouver Ashley, assise sur un fauteuil dans un coin et visiblement en train de bouder. Depuis qu’elle était adulte, elle s’était laissé pousser les cheveux et portait maintenant une longue natte dorée, et avait prit l’habitude de porter une veste en peau de mouton qui était plus ou moins la version féminine de celle que portait Léon quand il était venu la sauver en Espagne. Elle leva les yeux et l’aperçu. Son visage s’éclaira alors.
« Léon ! Enfin ! Dit-elle en se jetant dans ses bras.
-Navré du retard, j’ai un boulot assez contraignant. Tiens, je t’ai ramené ton cadeau d’anniversaire.
-Mais c’était pas la peine, voyons ! Il suffit juste que tu sois là pour que je passe un bon anniversaire !
-Ouvre-le quand même ».
Elle déballa le paquet et sortit ce qui s’y trouvait. Elle lui jeta un regard un brin courroucé.
C’était un magnifique qipao rouge.