La joie de vivre

Chapitre 1 : La joie de vivre

4306 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/02/2021 09:22

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : Houston, on a un tas de neige (décembre 2020 - janvier 2021).


La joie de vivre


Aucune présence humaine ne venait seulement troubler le hululement rageur du blizzard venu de l’est, assez puissant pour arracher les ailes d’un dragon échouant malencontreusement dans ces contrées glaciales. Une bonne quinzaine de centimètres de neige avait bien dû venir entre les deux dernières rafales camouflant la panséléne tentant vainement d’illuner la terre de sa lumière blafarde, réduite impitoyablement à néant par la blancheur immaculée recouvrant la totalité du paysage. Et pourtant, la nuit ne tombait pas encore, oh non. En quelques heures à peine passées à patauger péniblement dans la croûte collant voracement à ses vêtements, pénétrant minute après minute le tissu trop léger pour barrer le passage aux frimas jusqu’à mordre la peau si inutilement protégée, Zane avait largement eu le temps de remarquer que la lune semblait ne jamais se déloger du firmament, déroutant encore davantage ses sens déjà confus.

Il n’y avait guère que l’adolescent pour arpenter les plaines gelées, serrant les mâchoires à s’en mordre les dents afin de les empêcher de claquer, dans un dernier sursaut d’orgueil presque stupide, auquel il s’accrochait pourtant. Tout comme il s’accrochait furieusement à la colère réchauffant vaguement ses entrailles – du moins s’en persuadait-il, craignant de laisser tout à fait tomber s’il ne trouvait pas une excuse pour contrecarrer, même imaginairement, le climat acharné – pour continuer à mettre un pied devant l’autre. Écoutant hululer le vent dansant autour de son corps malmené, le regard perdu dans le vague, plongé dans d’obscures pensées parfois traversées de l’image d’un gigantesque feu crépitant dans une haute cheminée. Ce qu’il pouvait rêver de se réchauffer auprès d’un de ces machins imposants, qu’il trouvait jusque-là hideux !

– C’est comme ça que l’on me remercie ? ahana-t-il, laissant pour l’occasion ses mâchoires se desserrer.

Personne ne vint lui répondre, le laissant à sa solitude mortelle. Marcher, encore, un pas après l’autre, pour ne pas congeler sur place. Ou céder à la léthargie, dangereuse tentatrice. Heureusement, son caractère obstiné lui permettait de repousser un abattement qui, conjugué au blizzard, aurait eu tôt fait d’avoir raison de lui.

Un grondement sourd monta de sa gorge, s’achevant en un éraillement enroué qui l’inquiéta, malgré tout. Ignorant cette petite marque de faiblesse insignifiante, il secoua violemment son crâne, chassant en partie la fine pellicule gelée parsemant sa chevelure et ses épaules, la neige s’éparpillant à la volée en gros flocon se fondant immédiatement dans la masse immaculée à ses pieds. Glissant les mains sous les aisselles à la recherche d’un peu de chaleur, l’adolescent redressa lentement son dos voûté, jetant un regard avide aux alentours. Le rideau de neige était si épais qu’il ne put rien distinguer à plus de quelques mètres, tournoyant en un ballet furieux, comme une immense bouche ouverte attendant que l’impudent, osant fouler les terres de sa demeure éternelle, cesse de lutter afin de pouvoir l’engloutir tout entier.

Déglutissant péniblement, Zane chassa tant bien que mal cette image de son esprit, courbant de nouveau l’échine, reprenant sa pénible progression. La neige montait à présent jusqu’à sa taille, engloutissant ses jambes qu’il ne sentait plus qu’à travers les mouvements saccadés provoqués par l’effort fourni pour franchir l’amoncellement barrant sa route. Comment allait-il bien pouvoir passer la nuit, si jamais elle s’avisait de tomber ? La presque totalité de son corps se trouvait déjà trempée, collant étroitement ses vêtements refroidis par les rafales à ses membres lentement anesthésiés. Et impossible de se fier au soleil, proprement invisible, pour prévoir la chute du jour. Bah, à force de marcher, il trouverait bien un abri, une grotte, un renfoncement de glacier pourquoi pas ?! Bref, quelque chose pour se protéger partiellement, le temps de réfléchir à un moyen de rebondir, et cesser de se trouver dans la position du vaurien dont on peut se débarrasser.

Un ricanement, inaudible à ses oreilles, franchit la barrière de ses lèvres gercées, ses mains serrant plus étroitement son corps. N’était-ce pas exactement ce que Lokar avait fait, quelques heures plus tôt ?!

Comme à travers un cauchemar impensable, Zane s’efforça de convoquer ses souvenirs, qu’il aurait tant aimé remiser au fin fond de sa mémoire, puis les oublier. Néanmoins, il s’agissait de sa seule source de combustion actuelle pour alimenter sa colère. Ce qui était d’autant plus vrai depuis que le froid, après s’être attaqué à sa chair, engourdissait à présent son cerveau, fatigué d’élaborer des dizaines de raisons de s’échapper de cet endroit sans succès. Rappeler à sa mémoire le souvenir de tout ce qui avait précédé sa rencontre avec Lokar demandait même un effort de sa part, effort qu’il abandonnait au profit de ce qui était suffisamment frais sous son crâne pour s’imposer immédiatement devant ses pupilles onyx, spectre flottant pourtant plus tangible, selon lui, que tout ce qui l’entourait. Ou du moins y accordait-il bien plus d’importance. Ou, non, pas tout à fait, c’était un peu plus complexe…

Soupirant contre lui-même, l’adolescent se força à revenir à sa tâche première. Continuer à alimenter une émotion assez forte pour le faire tenir debout, malgré ses jambes de plus en plus endolories. Lokar donc. Revenu d’entre les morts, alors que tout le monde le croyait disparu pour de bon. Excepté les Hiverax, ces trois frères parfaitement identiques obéissant au doigt et à l’œil de l’homme, furieux de ce qu’il considérait comme une usurpation de son pouvoir de sa place venant de Zane. Allons bon ! D’accord, l’adolescent avait décidé d’occuper la place laissée vacante par son supérieur, une fois celui-ci considéré comme mort – explosé avec son repaire serait plus juste, ajouta mentalement Zane, un sourire mauvais s’étirant sur ses lèvres, avant de se trouver rapidement remplacé par la moue morose ne le quittant que rarement depuis son arrivée en ces lieux – et enterré dans les débris de sa forteresse. Mais ce n’était qu’une manière de continuer l’œuvre de Lokar, sa façon de lui rendre hommage en quelque sorte ! Rien qui aurait dû susciter pareille fureur de la part de l’adulte. Enfin, Zane avait peut-être une ou deux fois pesté que désormais, nul autre que lui ne tenait les rênes du pouvoir, mais de là à se retrouver châtié par le bannissement…

L’exil pour l’éternité…

Un lourd frisson parcourt son échine, qui n’avait pour une fois rien à voir avec l’atmosphère ambiante.

La punition se trouvait déjà atroce en soi, puisque cela le condamnait à se tenir loin de tout ce qui faisait sa vie, tout ce qui construisait, à ses yeux, son avenir. Mais quelle naïveté de croire que Lokar laisserait là son châtiment, le laissant continuer gentiment son bout de chemin à l’écart ! Évidemment, durant son inconscience, provoquée sans qu’il ne sache comment juste après le jugement de l’homme, il avait fallu qu’il demande à ses âmes damnées, ces maudits Hiverax, de l’emmener en plein désert de glace, fouetté par des tempêtes toujours plus brutales, contre lesquelles il n’avait au final aucun moyen de se protéger. Certes, ses gants recouvraient toujours ses mains, et il ne crachait pas sur les bandelettes recouvrant en partie ses avant-bras. Mais sans armes, dépourvu de sa cape lui ayant été retirée, en baskets et sans manches, ses chances de survie s’amenuisaient toujours davantage. Pourtant, il était bien décidé à vivre encore !

Derrière lui, une flopée de neige s’engouffra dans les moindres interstices accessibles de ses vêtements, poussée par une violente rafale, le glaçant encore davantage. Dans un tourbillon qui, en d’autres circonstances, aurait pu être magnifique, le vent changea de direction, prenant l’adolescent cette fois de face. Délogeant l’une de ses mains, Zane plaça son bras devant son visage, détournant la tête pour repousser tant bien que mal l’agression – caractérisée, d’ailleurs, selon lui. Se penchant encore davantage, seul moyen de continuer à progresser sans finir le nez dans la poudreuse, il ne put s’empêcher de trembler, des milliers de picots semblant s’enfoncer sous sa peau. Les flocons, en dépit de leur grand nombre, se trouvaient tellement fins qu’ils ressemblaient à s’y méprendre à des milliers de grains de sable, râpant joyeusement tout ce qui pouvait bien se dresser sur son passage. Quoique, la neige n’était peut-être pas le pire, marmonna-t-il intérieurement, plissant les paupières en levant la tête, cherchant, sans succès, à déterminer si la lune se tenait toujours à la même place, ou profitait de son inattention pour plonger lentement vers l’horizon. Le vent, par contre…

Sans ces fichues rafales, la neige se serait contentée de tomber sans discontinuer, bouchant l’horizon tout en congelant peu à peu son corps transi – ce qui, en soi, ne le réjouissait déjà pas tant que cela. Mais avec les tourbillons enragés du zéphyr, les flocons se transformaient en une pléthore d’essaims, traversés de toutes les plus minuscules et insupportables lames en leur sein, hurlant une rage et une haine au moins égales à celles qui traversaient l’adolescent. Un sinistre chant funèbre, ricana-t-il intérieurement, toisant avec une colère pourtant fatiguée le prochain assaut, s’empressant de baisser une fois encore le nez. À vous glacer le sang !

Éclatant d’un rire nerveux sans pouvoir s’en empêcher, Zane referma sa poigne sur une congère, tirant de toutes ses forces pour dégager ses pieds presque trop enfoncés pour pouvoir avancer. Encore un effort… Personne ne savait où il se trouvait, vraisemblablement, pas même ses deux compagnons de combat. Où étaient Zair et Tekris quand il avait besoin d’eux, exactement ? L’exil à vie, voilà les paroles de Lokar. Eh bien, le « bon » côté de la chose, était qu’il ne faudrait probablement pas attendre longtemps !

Son rire s’acheva en une quinte de toux rauque, la neige profitant de son léger moment d’égarement pour s’engouffrer. Une véritable moisissure, à s’infiltrer n’importe où, n’importe comment ! Pourtant, ni son éclat, ni ses expectorations ne parvinrent à lutter contre le mugissement furieux du blizzard. Un silence paradoxal, comme si la nature ne tolérait aucune autre existence que la sienne propre.

Enfin, Zane réussit à dégager sa deuxième jambe, se hissant maladroitement sur une petite plaque légèrement surélevée, ne le recouvrant qu’à mi-cuisses. Exhalant un long soupir, un tremblement plus fort le prenant quand son torse entra en contact avec la poudreuse le temps qu’il atteigne son objectif, il prit quelques secondes pour remuer ses orteils, grimaçant douloureusement. S’il ne perdait pas une ou deux extrémités le temps de régler son… léger problème, il pourrait s’estimer terriblement chanceux. Entendant un étrange son percer, contre toutes ses attentes, le hurlement rageur des rafales, une sorte de claquement sec, bref, l’adolescent se figea, tendit l’oreille, le cœur battant la chamade. Les Hiverax revenaient peut-être le chercher ? Peut-être ne s’agissait-il que d’une punition, certes pénible, mais temporaire, prévue par Lokar pour lui apprendre à rester à sa place, une manière de lui faire peur ?

Immobile dans le vent, la neige recommençant à s’accumuler le long de ses épaules, il lui fallut un long moment avant de comprendre qu’il ne s’était agit que de son propre gémissement de douleur. À moins qu’il n’ait tout simplement rêvé ce bruit, englouti presque sur-le-champ par l’immensité gelée ?

Lorsque sa pensée réussit finalement à se frayer un chemin jusqu’à son cerveau, Zane ne put s’empêcher de rire de nouveau, une main prudemment posée sur sa bouche afin de barrer le passage aux flocons, tant l’idée lui parut hilarante. Juste une fraction de seconde, le temps qui lui fut nécessaire pour mesurer pleinement la précarité de sa situation ? Enfin, la précarité… Plutôt son aggravation, se corrigea-t-il, serrant les dents à s’en faire mal, prenant de nouveau appui sur la congère pour se redresser, s’exhortant à reprendre sa marche au plus vite. Continuer à penser, réfléchir, à n’importe quoi si la punition de Lokar n’était pas suffisante, pourvu qu’il ne laisse pas son cerveau s’anesthésier à son tour. Oui, la confrontation, l’homme qui ne comprenait pas ses intentions, toutes ces choses. Bon sang, que le vent arrête de lui voler sa chaleur un peu ! À croire que lui aussi se mettait du côté de Lokar pour le faire périr ! S’il n’était pas content que même lui, son élève, ait cru à sa mort, ce n’était pas la peine de le lui faire payer en l’enterrant sous six pieds de neige ! Qu’il aille se pendre une bonne fois pour toutes, comme ça tout malentendu se trouverait instantanément dissipé !

Les tremblements, devenus convulsifs, permanents, ne cessaient de le secouer, rendant ses réflexions pénibles, presque impossibles. Pourtant, Zane se força à continuer, encore et encore, à ressasser sa colère, s’accrochant désormais à elle comme à une bouée de sauvetage, désespéré à mesure que le temps s’écoulait à une lenteur exaspérante, de parvenir à dénicher une échappatoire. Partout du blanc, encore et encore, la neige s’accrochant à son pantalon fendant de plus en plus lentement la neige, après l’avoir trempé de la tête aux pieds. Le blizzard fouettait ses pommettes, ses lèvres déjà fendues depuis longtemps (comment cela se faisait-il qu’elles ne se mettaient pas à saigner, coupées en de nombreux endroits, voilà un mystère qu’il ne parvenait à résoudre. De toute façon, cela faisait un moment qu’il avait cessé de s’interroger à ce sujet, finalement bien négligeable). Au moins, cela prouvait qu’il continuait à vivre, s’il éprouvait autant de sensations !

– C’est comme cela que l’on me remercie ? radota-t-il sans s’en rendre véritablement compte.

Étrangement, pourtant, au fur et à mesure de ses pas, les essaims furieux frappant le moindre centimètre de peau exposé devinrent moins éprouvants, une information gênante transmise avec un temps de retard sous son crâne, rempli de pensées perdant leur cohérence, peu à peu. À bien y réfléchir, le froid l’atteignait même bien moins, les frissons secouant ses épaules diminuant par intermittence. Glissant soudainement sur une crevasse, ou un trou, quelque chose venant se fourrer sans prévenir sous son pied, l’adolescent battit mornement des bras, vaguement soulagé que finalement personne ne soit là pour l’observer secouer les bras de manière aussi ridicule. Parvenant, grâce à un ultime réflexe, à s’épargner une chute humiliante, il grimaça encore sans trop savoir pourquoi, titubant tandis qu’il continuait à avancer machinalement. Le tapis poudreux, tout bien considéré, ne lui paraissait plus si détestable. Au contraire, cela formait comme un matelas gigantesque, susurrant sans parler à son oreille que rien de mieux ne pourrait lui arriver que s’étendre là où il se trouvait, immédiatement, sans plus réfléchir…

Réalisant tanguer dangereusement, Zane hoqueta de surprise, penchant brusquement de l’autre côté afin de se contrebalancer. Se maudissant intérieurement, il remua frénétiquement les pieds, secouant ses orteils presque totalement insensibles. Baissant le regard sur ses bras ballants, ses mains sans intérêt depuis plusieurs centaines de mètres déjà, il mobilisa toute sa volonté, remuant précautionneusement ses doigts, tout aussi engourdis, le tissu de ses gants d’abord mouillé, puis gelé sur place, craquant lugubrement. Un instant affolé qu’il s’agisse du signe que ses mains avaient cédé, l’adolescent sentit un intense soulagement se propager faiblement en sentant la décharge électrique remontant le long de ses bras, lui arrachant un mince sourire craquelé en même temps que ses yeux s’embuèrent sous la souffrance. Était-ce trop demander, juste une bête cabane abandonnée, afin de lui permettre de se protéger du blizzard ?!

– C’est comme cela que l’on me remercie ? se répéta-t-il, ignorant s’il prononçait ces mots ou les pensait.

Aucune réponse. Comme d’habitude. Laissant ses bras retomber le long de ses flancs, trop fatigué par sa longue marche, Zane se retourna à demi, trébuchant de nouveau, s’aidant ironiquement de la neige, si épaisse que ses mains ne s’enfoncèrent que peu en son sein, pour se rétablir. Enfin, le résultat n’aurait sûrement pas été le même si, au lieu de glisser, son corps était tombé de tout son poids, se déclara-t-il intérieurement, sans que la moindre envie de rire ne monte dans sa gorge, cette fois.

Aucune trace derrière lui, rien. Pour un peu, il croirait qu’il n’existait déjà plus. À moins qu’en réalité, il n’avançait plus depuis longtemps, restant à la même place sans s’apercevoir de rien ? Peu importait, se morigéna-t-il vaguement. L’essentiel était de progresser maintenant. Ses jambes se soulevèrent de nouveau, pesant bien plus lourd qu’une minute auparavant, le souffle de sa respiration sonnait désagréablement à ses oreilles, assourdissant. Par n’importe qui et n’importe quoi, ce que sa peau pouvait le brûler sur les bras ! Ce n’était pourtant pas si compliqué de lui laisser juste sa cape, pour se protéger un minimum…

Enfin, il arriva à une nouvelle plaque, surmontant la plaine l’engloutissant de quelques précieux centimètres. Dépliant ses membres avec une lenteur exaspérante, il se saisit d’une corniche à sa hauteur, laissant échapper un cri de douleur étouffé quand sa paume se referma sur sa prise. Continuant sur sa lancée, il plaça sa deuxième main, son pied gauche glissant quand il tenta de l’user pour se propulser. Abandonnant ce dernier, comprenant instinctivement qu’il ne parviendrait pas à grand-chose, Zane s’appuya sur le droit, moins engourdi que le premier, réunissant ses minces forces pour se hisser péniblement. Clignant des paupières, étonné de parvenir à atteindre la surface de la plateforme, il planta ses coudes dans la neige. Croisant les doigts pour ne pas retomber plusieurs mètres plus bas, il balança lourdement son mollet, le crochetant maladroitement sur un affleurement de glace. Tirant sur ses appuis, l’adolescent réussit à imprimer une rotation désespérée à son corps, effectuant une roulade complète, enfin parvenu au sommet.

D’une secousse, il se retrouva sur le ventre, ramenant avec effort ses genoux contre sa poitrine, glissant ensuite une main derrière son genou pour remettre la plante de ses pieds sur le sol. Réitérant l’opération avec sa seconde jambe, il put constater, hochant avec approbation la tête, une petite vague de neige venant s’écraser sur l’épais manteau immaculé, que ce dernier ne lui arrivait plus qu’à la cheville. Sûrement un décalage, plus important que prévu au prime abord, empêchait la poudreuse de se fixer avec autant de ténacité au sol ? Sauf si le blizzard la chassait, exceptionnellement ?

Néanmoins, la véritable réponse lui apparut rapidement. Tournant son cou raidi vers sa gauche, en direction de la nouvelle zone glacée à parcourir, les pupilles onyx ne rencontrèrent d’abord qu’un paysage aussi inhospitalier que celui qu’il venait de quitter… à un ou deux kilomètres de là. Plissant le front, incapable de comprendre cette étrangeté, Zane baissa le nez. Sous ses pieds s’étendant une pente, la première ou presque rencontrée depuis le début de son exil, également recouverte de flocons tranchants l’empêchant d’évaluer la profondeur de sa couche superficielle. Si elle ne se révélait pas aussi abrupte que les défilés montagneux rencontrés au cours de sa vie, sa longueur en faisait un obstacle à ne surtout pas négliger. Tout comme l’amoncellement neigeux s’accumulant, années après années, à son pied. Voilà, songea-t-il amèrement. Maintenant, il savait pourquoi le plateau contenait si peu de poudreuse.

À présent, ne restait plus qu’à franchir ce machin finalement bien malvenu.

– C’est comme cela que l’on me remercie… répéta-t-il encore, le découragement combiné au froid ne cessant de le malmener montant lentement.

Pourtant, il se sentait toujours en colère ! Du moins, l’injustice piquait amèrement sa poitrine… Pourtant, s’il s’en sortait, il n’aurait d’autre choix que de rentrer dans les bonnes grâces de Lokar. S’il rentrait.

Ses jambes ne le portant plus, Zane tomba à genoux dans la neige, sans faire un geste pour se retenir.

– En m’abandonnant dans le froid et la neige, au milieu de nulle part, comme un véritable vaurien ?! cria-t-il, levant les yeux vers le ciel pour le prendre à témoin.

Cédant à la gravité, son corps plongea vers l’avant, l’entraînant dans une chute nullement amortie par le peu de flocons s’accrochant à la pente. Surpris malgré tout, l’adolescent laissa échapper un cri étranglé, le frottement ravivant les douleurs brûlantes qu’il pensait avoir réussi à occulter.

Cessant enfin de dévaler la déclivité, face contre la neige, les membres transis, Zane resta allongé, tentant de retrouver un semblant de respiration normale. Ce que ça pouvait le fatiguer, de patauger aussi stupidement…

Lève-toi, songea-t-il, de très loin. Si tu restes étalé ici, c’est la fin. Définitivement. La confrontation avec Lokar… Encore fallait-il se relever…

Clignant péniblement des paupières, l’adolescent ne remua pas un pouce.

Interdit, il se figea. Cligna une nouvelle fois les yeux.

Devant lui, là où le vide et une immensité carnivore s’offraient seuls à sa vue, deux silhouettes se tenaient, fermement plantées sur leurs pieds là où il parvenait à peine à sentir les siens. Sa vision, d’abord flou, mit plusieurs secondes à s’accommoder suffisamment pour qu’il puisse identifier les deux apparitions, leurs vêtements faseyant autour de leurs corps, les mèches de leurs cheveux dansant dans le blizzard les fouettant sans plus de pitié que pour lui. Et pourtant, le duo ne paraissait pas en souffrir, leur attention uniquement portée sur lui, sans que la moindre émotion ne les trahisse.

Zair. Tekris.

– C’est vous ? souffla-t-il, circonspect.

Pourvu qu’il ne s’agisse pas d’hallucinations. Tout, mais pas ça !

– Vous êtes venus me sauver ?! reprit-il, l’espoir de quitter ces insupportables plaines faisant trembler sa voix.

– Oui, et ce n’est pas de gaieté de cœur, assura Zair, confirmant qu’elle n’était pas une fantasmagorie de son esprit fatigué.

Son partenaire renchérissant, Zane passa son regard de l’un à l’autre, ne se formalisant pas de l’agacement teintant la voix de la jeune femme.

– Et c’est à une seule condition. Que tu arrêtes de nous donner des ordres. À partir de maintenant, nous sommes sur un pied d’égalité.

Une fraction de seconde, l’esprit de Zane se rebella. N’était-il pas censé être leur supérieur, tout comme Lokar était le sien ? L’homme n’hésitait pas à user de son pouvoir, après tout !

Néanmoins, il céda rapidement. Ranger une partie de sa fierté et repartir avec eux, ou s’entêter et périr aussi misérablement dans la neige ? Le choix n’existait pas tant que cela, tout bien pensé.

– Tout ce que vous voudrez, souffla Zane, se retournant cahin-caha, une main tendue devant soi. Du moment que vous me sortez de là !

Un petit silence accueillit ses paroles. Ils n’allaient tout de même pas l’abandonner maintenant ?!

Enfin, Tekris marmonna un mince « très bien, allons-y », s’avançant pour empoigner fermement l’adolescent. Un mince soulagement se peignant sur ses traits, promptement remplacé par une neutralité ne lui étant pas naturelle, Zair l’accompagnant en glissant un bras glacé autour de ses épaules.

Se laissant trimballer par ses coéquipiers, réalisant tout juste qu’il venait, enfin, de trouver son billet de sortie, Zane jeta un bref regard en arrière, qu’il voulut triomphant, vers la croûte neigeuse qu’il abandonnait sans un remords. Se désintéressant totalement de cette vision cauchemardesque, en entendant Zair reprendre la parole, se promettant de ne plus jamais se laisser surprendre par qui que ce soit.

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