Aesragen
Chapitre 7 : Les fous que nous sommes (première partie)
9125 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 05/09/2020 18:52
Les fous que nous sommes (première partie)
– Je t’avais bien dit que c’était une très mauvaise idée ! pesta Tekris.
En pleine roulade arrière, Zane dut sauter de côté dès sa réception afin d’éviter la gerbe de pierres explosant sous l’impact d’une « hache blizzard » (l’adolescent détestait pertinemment cette fichue arme kaïru, avec ses deux lames en demi-lune surmontée d’une pique trop acuminée pour être honnête !). Se baissant avec souplesse, il esquiva sa jumelle, sentant son souffle menaçant frôler le sommet de son crâne. Pourquoi cette attaque devait-elle toujours se lancer par paire aussi ! Vraiment, rien ne venait lui faciliter la tâche !
Une brève pause entre les assauts lui permettant de reprendre une inspiration bienvenue, il en profita pour courir vers le colosse, heurtant sans douceur la poitrine de ce dernier dans la précipitation.
Restant appuyé contre cet amortisseur imprévu quelques secondes supplémentaires à celles de la bienséance, il ignora délibérément le râle étouffé suivant, ne prêtant guère plus d’attention à la façon dont Tekris tentait de se débarrasser de la poussière infiltrant désormais son T-shirt. Par le Danseur brûlant des Lunes, qu’il regrettait de n’avoir eu le temps de se changer entre deux poursuites ! Leurs combinaisons se trouvaient bien plus adaptées à ce type d’exercice, au lieu de ces vulgaires vêpres terriennes ! Le plus énervant étant que les tenues en question attendaient un peu plus loin, sagement à l’abri dans les sac à dos ! En un sens, il plaignait réellement Tekris ; la terre sèche s’insinuant sous le tissu, collant à une peau rendue humide par la sueur, rendrait fou n’importe quel individu sensé. Sans doute le colosse serait obligé de prendre un bain pour se débarrasser de la crasse accumulée…
Se morigénant intérieurement – la toilette éventuelle de son coéquipier restant loin de ses priorités…actuelles –, il revint à une position accroupie, fouillant les alentours du regard. Plus nettement que jamais, la vulnérabilité d’un bête tronc d’arbre en guise d’abri temporaire lui apparut. Franchement, Tekris pourrait user d’un minimum d’imagination !
– Si je n’oublie rien, c’était la seule solution que nous avions ! Je ne me souviens pas avoir entendu quelconque proposition de ta part ! répondit-il enfin, tranchant.
Le colosse marmonna entre ses dents, croyant sans doute que son compagnon n’entendrait guère ses imprécations. Hélas, le silence retombant suite à la dernière explosion en date, Zane entendit nettement le sujet du monologue pas si discret que cela.
– Qu’est-ce qu’il a mon caractère ?! grogna l’adolescent, outré d’une telle injustice verbale caractérisée.
Crier aurait été plus approprié. Sachant désormais où les deux jeunes hommes venaient de se réfugier, un sifflement désagréable fendit l’air, approchant du tronc écarlate momentanément reconverti.
Levant le premier la tête (Zane étant présentement trop occupé à le foudroyer visuellement, décidé à obtenir ses explications – méritées!), Tekris saisit le premier poignet ganté à sa portée, tirant son propriétaire vers l’arrière, sans douceur aucune. Il put seulement distinguer un éclat chatoyant fendre les airs ; l’écorce malmenée se brisa sous la charge d’une épée éclatante, à la lame droite, parée d’un rouge forçant les spectateurs à cligner des paupières. Au contact du centre de l’arme (chauffé au point d’en devenir blanc), le majestueux gommier tombé à terre se rompit diagonalement dans un craquement protestataire, coupant toute retraite vers l’avant aux adolescents.
– On en discutera plus tard, coupa prudemment Tekris, non sans s’assurer de la réaction de son vis-à-vis.
Cette fois, Zane n’insista pas, se contentant d’une moue réprobatrice.
Trente-six heures plus tôt
Dans les cieux, l’obscurité régnait en maîtresse, obombrant les rares lueurs étoilées réussissant à percer la voûte nocturne. Le voile opaque, dense, formait comme un dôme inaccessible au-dessus des silhouettes s’agitant au sol, telles de petites fourmis cherchant désespérément l’entrée de la maison. Cependant, il ne s’agissait guère du noir teinté de bleu profond propre à la nuit, s’étendant à la fois uniformément aux alentours, et traversé d’ondulations immobiles. L’air se trouvait envahi d’un brouillard dense, cendré, frayant tant bien que mal son passage au travers des cotonneux nuages artificiels. Résultat des étouffantes émanations d’une implacable fournaise, et de bois vert brûlant.
Une fois descendue à mi-chemin des imposants gommier rouge, au tronc désormais noircis, léchés par les lancinantes flambées, la brume fumigène laissait sporadiquement place à l’étincelant chatoiement écarlate, safran et flavescent illuminant les heures les plus sombres. Rapidement, seules les flammes déployaient leurs bras immatériels, enlaçant sans distinction végétation, faune et flore, dans un baiser mortel et irrévocable. La sylve perdait sa diversité pour ne devenir qu’un seul et même ensemble dévoré par des milliers d’étincelles colorées. Une étonnante beauté se dégageait de ces étreintes nombreuses, gagnant du terrain sans toutefois couper toutes retraites. Comme guidées par une main invisible.
Ou plutôt, songea Zane, par les directives soigneusement préparées d’un insupportable prince apostat.
Si quelqu’un lui avait clamé qu’un jour, il serait forcé de se préoccuper de Koz, quelqu’en soit la manière, un « faisceau d’antimatière » à bout portant aurait cessé les élucubrations de l’impudent ! Et ce de manière on ne peut plus persuasive !
Peu sensible au charme mortel de l’incendie alentour – au contraire, l’odeur âcre de la fumée manquait de le faire tousser tous les trois pas, et la luminosité accrue tendait à l’incommoder plus qu’à l’émerveiller –, ses yeux se mirent plutôt en quête de son coéquipier, perdu de vue tandis qu’un plaquage au sol lui évitait de finir en blini apéritif. Les attraits de la forêt perdaient de leur splendeur quand on s’y retrouvait pris au piège.
Ce misérable prince de pacotille osait le traiter, lui – et son équipe en passant – tel un vulgaire renardeau écervelé, qu’il fallait enfumer dans son terrier afin de le débusquer ! Lui, une vulgaire créature terrestre tout juste bonne à finir en mocassins ! Pire, par deux fois, Crétin congénital premier avait osé toucher à ce qui lui appartenait de droit ! Si une défaite publique suffisait à payer la première insolence, il se promit intérieurement de faire en sorte que les conséquences de la seconde soient bien plus marquantes. Une seule leçon ne suffisant visiblement pas à le remettre à sa place.
Et afin d’aggraver son cas, Koz continuait sur la route de l’absence totale d’instinct de survie en tendant un deuxième guet-apens au quatuor ! Les entailles trop régulières sur le tronc de l’arbre, trois ou quatre fois plus larges que lui, tendaient à le prouver de façon certaine.
Même le gosse remarquerait la grossièreté de la machination, il en aurait parié l’argent qu’il ne possédait guère ! Et encore, l’intuition de Zane lui soufflait désagréablement que le but original de la manœuvre n’était pas réellement de les séparer.
Évidemment, Koz jouerait sur le Code d’Honneur en prétextant n’avoir nullement participé au Timber Cambodgien ! Affirmation parfaitement valable d’ailleurs ; ayant trop longtemps servi de larbin à ses sœurs, le prince réintégrait les avantages de sa fonction retrouvée à une vitesse défiant l’entendement ! Y compris quand il s’agissait de laisser le bas-peuple faire le travail à sa place.
Pourquoi Zane n’était-il pas né riche ?! Lui méritait tous ces privilèges, au lieu de les voir gaspillés au service d’une tête de turc refusant de l’admettre !
Son regard onyx fouillait frénétiquement l’herbe haute parée de reflets vivaces, encore épargnée par les flammes. Personne n’apparaissait dans son champ de vision, que ce soit Tekris, Zair, ou même le gamin (celui-là, le vert se sentait légèrement curieux de connaître son nom ; enfin, il ne s’abaisserait sûrement pas à le lui demander). Concernant les deux derniers, il se souvenait clairement d’avoir aperçu l’adolescente bondir vers l’avant, tandis que la stature gigantesque du végétal s’écroulait directement sur le petit groupe. La connaissant, elle n’aurait eu aucun mal à se retrouver hors de portée de sa chute, aucun doute là-dessus. Et concernant l’autre, Tekris le projeta loin devant, puis s’écarta à son tour. Ou le colosse tenta de le prendre dans ses bras, pour sauter vers l’arrière ? Non, il saurait que cette manœuvre serait vouée à l’échec, jamais il ne tenterait une chose aussi stupide ! Et s’il n’avait pas eu le temps de fuir, que l’arbre…
Serrant les dents, il se releva à demi, effectuant un tour complet sur lui-même.
Pas maintenant, à quelques heures à peine de se débarrasser du boulet châtain collé à leurs basques ! Pas Tekris, impossible, en dépit de ses presque dix-sept ans, le garçon était une véritable force de la nature, tenta-t-il de se raisonner, son cœur frappant contre ses côtes. Périr ainsi, lui, jamais !
Réprimer l’envie de hurler le nom de son compagnon fut bien plus difficile qu’il ne le croyait. Pourquoi fallait-il que toutes les personnes possédant un minimum d’intérêt à ses yeux fussent…
Émergeant du rideau coruscant, l’objet de ses pensées atterrit lourdement sur le dos, à une petite dizaine de pas. Paradoxalement, Zane se sentit dans un premier temps empli d’un vif sentiment ; il ne comprit pas immédiatement qu’il s’agissait du plus puissant soulagement ressenti depuis longtemps, et en même temps il le sut avec certitude. Il put respirer de nouveau – quand son souffle s’était-il bloqué dans sa gorge ?
Rapidement cependant, ses capacités de réflexion eurent la bonté de se remettre en fonctionnement. Et cette vague bienfaisante céda place à une rage plus brûlante encore que l’incendie ravageant peu à peu chaque centimètres carrés de la flore.
Usant de sa vitesse surhumaine, son corps lancé avec force percuta violemment le soldat tentant difficilement d’entraver Tekris avec des liens à énergie. Ne laissant pas à l’homme le temps de réagir, sa poigne se para d’un halo verdâtre, tandis qu’il se campait solidement sur ses pieds, déjà relevé.
– Marteau titane !
Et peu importait que le Code interdise les attaques kaïru hors combat !
Réagissant à son appel, une masse atteignant facilement sa propre taille apparue, forme d’un blanc-gris reflétant les moirures hurlantes. La saisissant à deux mains, il l’inclina vers l’arrière pour prendre son élan, avant de frapper violemment le sol devant lui, y mettant toute l’inquiétude et la colère accumulées en à peine quelques minutes. Un souffle d’air, comme une vague convexe de terre et de gravats, heurta de plein fouet le soldat, à peine remit debout. Projeté contre l’écorce rugueuse, il s’immobilisa, tête inclinée dans une position rappelant celle d’un dormeur, victime d’un si lourd sommeil qu’un boulet de canon ne pourrait repousser. À peu de choses près, Zane regretterait qu’il respire encore. À moins que ce ne soit une illusion due aux émanations de chaleur ?
Quelle importance, au fond ?
Un mouvement sur sa droite l’alerta, une seconde avant de s’écarter de la trajectoire d’un tir verdâtre. La couleur des lasers lui faisait toujours mal aux yeux ! Se déplaçant sur le côté, il se plaqua contre un arbre, le temps de laisser passer la salve le suivant comme son ombre. Réduisant sa respiration au minimum, il tendit l’oreille, à l’affût du moindre son trahissant la progression du soldat.
Bêtement concentré sur l’autre andouille, il avait complètement oublié de surveiller les alentours ! Une erreur incompréhensible, tout ça à cause de son coéquipier incapable de gérer un seul individu à la fois ! Tekris ne se trouvait pas capable de se défendre seul, ou quoi ?! Surpris par l’assaut, Zane ne put voir de quel côté venaient les lasers. Et si le tireur se trouvait juste en face, ajustant simplement sa cible et son arme ?
Il n’avait plus qu’à espérer que Tekris eut la présence d’esprit de se mettre à l’abri également. Ou il baisserait sérieusement dans son estime !
Omettant de peser le pour et le contre, il se pencha légèrement sur le côté, risquant un coup d’oeil de l’autre côté du tronc.
Pour sentir l’embout circulaire d’un pistolet sur sa nuque.
– Jette ton X-Reader au sol, petit, et vite.
Zane s’étrangla d’indignation, au point d’oublier la menace le tenant momentanément en respect. Comment ça, petit ?! Non mais il s’était vu, avec sa tronche de déterré lèche-bottes ?
– Alors premièrement, c’est non, rétorqua-t-il en serrant plus fort sa pochette, ensuite, je suis plus grand que l’incompétent vous commandant, hum, Pierre ? Paul ? Enfin, qu’est-ce que ça fait de lui à votre avis ?
La vibration caractéristique d’un pistolet sur le point de tirer chauffa la peau de son cou, l’informant de manière certaine que son assaillant n’avait aucun humour. À moins que ce ne soit parce qu’il ne s’agissait guère d’une plaisanterie. D’un autre côté, ce n’était pas le moment d’épiloguer.
Avant de pouvoir mettre à exécution sa stratégie de défense (un bon coup de manchette dans le bras, à cette distance impossible de le rater, suivit d’un coup de pied à l’endroit sensible masculin, une technique infaillible), un cri de colère vrilla ses tympans.
Il se retourna juste à temps pour voir Pierre (il préférait ce nom à l’autre. Et plus encore à Jacques) chuter lourdement au sol, heurté de plein fouet par un adolescent presque aussi grand que lui. Ne se laissant pas malmener, il frappa le colosse à la tempe, usant de la crosse de son arme. Zane eut beau savoir que le cercle de métal entourant son crâne amortirait le coup, il ne put s’empêcher de grimacer.
Profitant de l’inattention du soldat, Zane franchit les mètres le séparant des deux silhouettes. Saisissant le bras du premier, il le tordit, le forçant à lâcher son arme. Enchaînant, il se mit dos à l’homme, une main sur son col, l’autre tenant toujours le poignet, faisant basculer d’un mouvement sec le corps.
Le bruit des os entrant brutalement en contact avec le sol lui apporta une réjouissance bienvenue.
L’autre, après un dernier atemi au plexus solaire, resta grotesquement allongé sur la terre réchauffée par l’incendie avoisinant. Fouillant rapidement dans la sacoche dorée ceignant sa taille, le vert fut particulièrement déçu de n’y trouver aucune sphère d’énergie. Rien de plus que quelques munitions, et un bête manche de métal gravé du blason de Koz. Un poignard plasma sans doute, enfin, il n’avait guère le temps de trouver son mécanisme d’actionnement. À tout hasard, et en dépit du Code exigeant que les combattants kaïru n’utilisent pas d’armes, il le coinça dans la ceinture de son short. Après tout, ne pas utiliser ne signifiait pas ne pas en porter, il n’enfreignait donc aucune règle.
Un bref coup d’œil au pistolet l’informa que la sécurité digitale bloquerait toute utilisation autre que celle de son propriétaire. Une bien maigre pêche en somme.
Revenant près de Tekris, il inclina son bras de manière à former un appui solide. Le colosse s’en saisit, poussant ce qui s’apparentait à un soupir de soulagement, manquant de tracter l’adolescent vers l’avant. Néanmoins il n’en montra rien, gardant au mieux le masque renfrogné étant sien.
– Heureusement, la cavalerie n’est jamais en retard ! commenta Tekris, pressant brièvement son poignet.
Loin d’être dupe, Zane se doutait parfaitement du pourquoi de ce geste. Depuis peu, Zane ne parvenait plus à empêcher l’affaiblissement de ses velléités quand son coéquipier l’accomplissait. Son vis-à-vis ayant remarqué ce changement compromettant (possédant le titre de la plus grande force du groupe, le colosse se montrait pourtant d’une incapacité surprenante à scruter discrètement ses camarades), il devait penser qu’ainsi, il éviterait d’éventuelles imprécations visant son incapacité à se défendre seul. Une réaction habituelle chez le vert. Nulle tendresse ne s’en dégageait, il en était persuadé, et la petite manipulation de son compagnon l’agaçait fortement.
Et pourtant, sans se l’expliquer, tout désir de remontrances fondit comme neige au soleil.
Ça aussi, cela devenait problématique.
– J’ai réussi à envoyer promener son arme, par contre, il ne m’a pas laissé le temps de réagir, continua Tekris.
Il s’éloigna presque imperceptiblement, guettant la prochaine réaction.
– Tu n’es pas blessé ? demanda impulsivement Zane.
– Quoi ? Non, tout va bien, à part quelques égratignures. De ton côté, j’en conclus que ça va !
Un grognement désabusé lui échappa. Voilà une question bien loin de l’image qu’il s’efforçait de forger depuis des années ! Garder un comportement habituel face à Tekris devenait de plus en plus difficile, à son grand dam ! Était-ce sa faute si le colosse le déstabilisait !?
Encore aujourd’hui, il oscillait entre lui en vouloir à mort pour cela, ou apprécier les sentiments que…
Il secoua brutalement la tête, refusant d’aller plus loin dans ses pensées. Le moment, et surtout le lieu, se trouvaient fort mal choisis pour de telles considérations – en grande partie à cause du danger imminent, quel qu’il soit ! Les seuls moments où il s’autorisait à vagabonder mentalement prenaient la forme d’une accalmie sous la tente, quand tout le monde dormait normalement paisiblement, et personne ne risquait de venir déranger ses rêveries adolescentes. Aucun critère n’étant rempli, basta !
– As-tu vu les autres ? fit-il, autant par intérêt, que pour changer de sujet.
– Pas du tout, et ce fichu tronc bloque la vue ! Et le passage, faut dire…
– Bon, alors partons les retrouver, le coupa-t-il. Il doit bien y avoir un moyen de contourner cet obstacle !
Une flopée de cris guerriers dispensa Tekris de répondre. S’échangeant un regard, les deux adolescents conclurent rapidement que l’homme ayant précédemment attaqué celui-ci avait été envoyé en guise d’éclaireur. Car d’autres silhouettes apparurent en contre-plongée, perchées sur la petite butte bordant la sente. Certaines brandissaient le contour effilé de pistolets à plasma, ou laser, à cette distance Zane ne pouvait être formel. Et à dire vrai, il ne souhaitait pas non plus les voir de près. D’autres gardaient entre leurs mains de petites sphères, qu’il savait peintes aux couleurs de la famille royale, bleu roi au blason d’or. Le genre de coquetterie carrément kitsch à laquelle il s’attendait, de la part des Imperiaz.
Et en tête de ce petit détachement de fidèles de Koz, Illian, le seul à avoir sorti un fouet à la lanière orangée, encouragea de la voix ses hommes à mener la charge. Refusant de le sous-estimer (une cicatrice barrant sa cuisse lui ayant suffit, plus encore que la justification du commandant, à savoir « le Redakaï a dit de les garder en vie, et les plus intacts possible. Un dommage collatéral est toujours inévitable, et dans ce cas mérité ! »), il se mit en garde, imité de Tekris, soudain devenu parangon de concentration.
– Je ne vois Koz nulle part, souffla le colosse, dos contre celui de Zane pour prévenir un encerclement.
– Je sais. Soit il est resté en arrière afin de préserver son royal séant…
– Soit il est parti de l’autre côté, face à Zair et au petit. Quelles chances qu’ils s’en sortent ?
– Si elle a l’intelligence de le laisser en pâture au lieu de se le coltiner, Zair le sèmera avant qu’il n’ait eut le temps de dire panier piano.
Sans prendre la peine d’écouter si protestations il y eut suite à sa déclaration, il poussa Tekris sur la droite, suivant le même chemin à son opposé. Sifflant entre leurs corps, trois sphères d’énergie rebondirent sur le sol, sans rencontrer la résistance prévue. Ne prêtant attention au filet qu’elles formèrent en se reliant entre elles, s’ouvrant en croix, il vérifia la bonne réception de son compagnon, reprenant sa garde.
– Qu’est-ce qu’on fait ? On utilise nos pouvoirs ? questionna Tekris, récupérant l’arme du soldat inconscient.
– Essayons d’éviter. Je sens que nos réserves d’énergie pourraient se révéler très utiles plus tard, soupira-t-il.
– On ne peut pas les battre tous à la fois !
– Hors de question de fuir, rétorqua-t-il.
Baissant les yeux sur le pistolet à plasma récupéré par Tekris, il remarqua, gisant à quelques pas du soldat toujours inconscient (peut-être le tua-t-il finalement, pensa-t-il un bref instant – juste avant d’ouïr un faible gémissement soulever la poitrine comprimée par sa position inhabituelle), une tâche sombre se détachant du glacis flamboyant. Ornée du blason ridicule de la famille royale de Mandraliore, planète natale de Koz, bien évidemment. Les balles d’énergie ! S’il arrivait à en saisir une ou deux avant l’arrivée des paysans en armure, goûter à leurs propres pièges ne pourrait pas leur faire de mal…
Peine perdue. Aussi rapide fut-il à tendre la main, celle-ci manqua de peu de perdre quelques doigts, visée par un tir ennemi. Sommation, ou cible manquée ? Avec ces maladroits, l’un comme l’autre était probable.
– Zane ! cria de nouveau Tekris, le corps prêt à se dérober en dépit de ses pieds solidement plantés au sol.
Reportant son attention sur les hommes de Koz, l’intéressé eut la désagréable surprise de les apercevoir bien plus proche qu’il ne l’espérait. Illian en tête, pour changer. Il aurait dû s’en douter, s’il se trouvait à portée de tir, se morigéna-t-il. Dans peu de temps, les six gaillards seraient sur eux. Eh bien, il les attendaient !
– Ils ont d’autres balles d’énergie, informa Tekris, pointant son arme sur le plus proche de leur assaillant en dépit de son manque total de conviction.
– Je sais, ils en ont tous dans leur sacoche. Pourquoi crois-tu qu’un dispositif de contrôle orne leur ceinture ?
– On ne peut pas les battre tous à la fois, répéta le colosse, de plus en plus nerveux.
Sur le point de lui intimer de se la boucler, l’autre adolescent se trouva face à un dilemme. S’étant fait surprendre – lâchement, il tenait à le préciser – pendant son sommeil, la simple idée de fuir face à ces hommes, représentant l’autorité du prince mandralien, hérissait sa chair de protestation. Sans parler de la frustration de se trouver levés comme des lapins prépubères ! Le désir de vengeance chantait à ses oreilles, douce mélodie l’emplissant de rêves éveillés, dans lesquels ces misérables rampaient à ses pieds, demandant son pardon. Oh, il n’aurait pas le temps de les choquer suffisamment pour en arriver là, il en était conscient. Mais les secouer au point de les voir fuir en couinant telles des jouvencelles, en revanche…
Il réussit bien à faire pleurer une jeune recrue de Koz rien qu’en lui décrivant quel sort l’attendait si l’adolescent taciturne le voyait de nouveau sur son chemin ! Avoir la preuve que sa réputation ne tombait guère dans l’oubli fut proprement satisfaisant.
D’un autre côté, la réflexion de Tekris l’amenait à reconsidérer la question – bien que sitôt après, il se demanda pourquoi. Ne se fourvoyait-il pas en pensant détenir les capacités de les battre ? Six, et tous armés ? Lui se trouvait uniquement pourvu de son X-Reader (quoique cela ne signifiait pas non plus inoffensif), et Tekris n’avait qu’un pistolet. Impossible à utiliser, encore la sécurité digitale évidemment !
Tout bien considéré, et aussi déplaisante fut l’idée, il n’était pas certain de leurs chances de l’emporter.
– On dégage, grogna-t-il finalement entre ses dents.
– Hein ? Tu peux répéter ? fit Tekris, abasourdi.
– Certainement pas !
Sans plus de cérémonie, Zane tourna les talons, prenant juste le temps nécessaire pour vérifier que Tekris suivait bien ses traces. Heureusement, le colosse pensa à conserver l’arme au poing.
µµµ
Zane choisit de ne pas s’éloigner excessivement du lieu de l’embuscade. Autant le gamin restait une inconnue dans l’équation jusque là parfaitement maîtrisée de son équipe, autant Zair raisonnerait d’une manière analogue, rôdant dans les environs afin de retrouver le reste de l’équipe.
Bloqué dans leurs déplacements à cause de l’incendie, les deux adolescents durent d’abord s’enfoncer un bref instant au sein même des flammes, là où de minuscules foyers résistaient encore et toujours à l’envahisseur artificiellement créé. En effet, les soldats de Koz coupaient toute retraite par le Sud, son opposé cardinal continuant de brûler sur pied, sans que l’incendie ne soit réellement maîtrisé. L’ouest ? Un tronc géant occupait encore l’entièreté de l’espace. Ne restait plus que l’est, destination bien trop évidente pour ceux qui suivaient les fuyards (seulement penser ce mot laissa un goût amer sur sa langue. Et puis non, il ne s’agissait nullement d’une fuite, mais d’une retraite stratégique !).
Aussi le chef du quatuor opta pour l’option la plus improbable – et la plus dangereuse. Si Tekris montra clairement son inquiétude face à cette décision, il ne contesta pas, plaquant le foulard habituellement noué autour de son crâne sur son nez. Évitant de s’enfoncer trop avant dans les bois, Zane les dirigea juste ce qu’il fallait pour donner l’illusion de se précipiter dans la fournaise, assez loin pour garantir de n’être pas suivi.
Souhaitant de base obliquer dès que possible vers le sud-ouest, une fois l’obstacle du géant végétal déchu contourné, il dut revoir ses plans quand une série de broussailles s’écroula devant les deux garçons, les forçant à rebrousser chemin. Gêné par la luminosité aveuglante de l’incendie, il manqua à plusieurs reprises de trébucher sur des arbrisseaux à demi-calcinés, des roches mal placées, changeant sans cesse de point de repère afin de ne pas perdre leur trajectoire. Les retours de flammes manquèrent également de griller l’un d’eux sur place, la victime du moment s’écartant brutalement du sentier avant de se faire happer par une langue vorace, qui se retirait dans une espèce de plainte ressemblant fort à un ricanement. Par moment, un habitant de ces bois jaillissait d’un buisson proche, parfois seulement affolé, parfois une partie ou la majorité de la fourrure en flamme. Même sans être particulièrement sensible à la cause animale (à vrai dire, il le se sentait guère concerné, ayant pour sa part nombre d’autres projets bien plus prioritaires), Zane se surprit à grimacer de dépit face à leurs cris de détresse. Tekris, quant à lui, fixait obstinément droit devant lui, détournant le regard quand l’une de ces pauvres créatures envahissait brutalement son champ de vision.
Une chose demeurait positive, cependant : les soldats ne les suivaient pas dans leur promenade forestière.
Après une énième correction de parcours par Tekris (uniquement parce que son compagnon n’y voyait pas à plus de quelques pas devant lui ; son sens de l’observation restait le meilleur), une trouée bienfaisante perça entre deux palétuviers aux troncs à demi-calcinés. Accélérant le pas, ils purent enfin respirer correctement, ne stoppant cependant leur marche qu’une fois passés de l’autre côté de la sente, le chemin de terre battue n’offrant aucune prise au feu ravageur.
Encore fallait-il que le vent continue de briller par son absence.
Néanmoins, aurait-il apprécié que Zair et le gamin ne jouent pas non plus les filles de l’air.
Restant sur ses gardes, il balaya rapidement les alentours, imité par Tekris. Forcé de plisser les paupières à cause de ses yeux embués par la fumée, il envia le colosse, n’ayant qu’à essuyer de son foulard les verres de ses lunettes pour voir de nouveau clair. Tout en devant cependant admettre que retrouver une certaine obscurité, même relative, soulagea ses rétines.
– Ils ne sont nulle part en vue, rapporta Tekris, doigts serrés sur le pistolet dérobé.
– Je sais, j’ai des yeux pour voir, répondit l’autre en retour.
Bon sang ! S’il ne sortait pas rapidement Zair de ce foutu climat équatorial, elle n’allait pas danser la carioca sous le soleil de minuit quand il la retrouverait !
– Peut-être sont-ils dans le coin ? hasarda le colosse. Zair ! Minipuce !
– La ferme ! tança Zane, irrité de la bêtise du garçon.
Voulait-il ameuter tous les soldats encore en faction dans le coin, ou quoi ?!
– Illian !
– Je ne t’ai pas demandé à qui tu pensais, mais de la boucler !
– Non, Illian, juste devant !
Suivant la direction indiquée par le doigt tendu, Zane ne put qu’abonder dans son sens, lâchant un juron sanglant. Comme il parla dans sa langue natale, Tekris ne put traduire littéralement ses propos (ce dernier ne l’apprenant que depuis quatre ans, après maintes demandes répétées inlassablement, certaines subtilités lui échappaient parfois). Cependant, il en comprit le sens général, aussi se tut-il prudemment. Par contre, Zane tiqua quand il leva les yeux au ciel. Discrètement (seul le haussement de ses sourcils, à cause des lunettes recouvrant une partie de son visage, restaient de bons indicateurs), mais pas assez pour ne pas se faire remarquer.
Voilà qu’il se permettait bien des libertés ! Un bon coup de pied aux fesses ne ferait pas de mal, une fois Koz ratatiné – définitivement serait l’idéal.
Remettant à plus tard son puissant désir de remettre les pendules à l’heure, il se mit à scruter le sol, laissant Tekris surveiller nerveusement l’avancée des soldats. En privé, la correction, hors de question de mêler les deux autres à ce qui ne les regardait pas. Garder les bras croisés, mains hors de portée du colosse, serait l’idéal, juste au cas où.
– Filons, nous sommes trop rapides pour qu’ils nous rattrapent ! intervint Tekris. Rester le plus longtemps sur place avant de se faire attraper, ce n’est pas un jeu amusant !
– Je ne joue pas, andouille, je cherche. Non, corrigea-t-il, laissant un sourire triomphant étirer ses lèvres. J’ai trouvé.
– Quoi donc ? L’endroit idéal pour nous enterrer ?
– Ce que tu peux être bavard ! Suis-moi !
Puisque ni Zair, ni le gosse, ne montraient quelconque signe de vie, il devenait évident qu’ils avaient été emmenés contre leur gré. Les entailles marquant la terre battue, comme autant de plaies disgracieuses, rendaient la supposition évidente. Tout aussi naturelles que l’incendie consumant la sylve dans leur dos, évidemment.
Heureusement, Koz n’était pas connu pour agir avec discrétion. La haie guerrière l’entourant en permanence n’arrangeant nullement ce constat. Trouver quelques traces du passage de ces nigauds ne lui prit guère beaucoup de temps, aussi purent-ils s’enfoncer au sein des bois avant d’être rattrapés par Illian et ses hommes. À force de tendre des guet-apens en personne, il acquérait quelques compétences de pisteur.
Il n’y avait pas une seconde à perdre ; la piste, encore fraîche, commençait pourtant à s’effacer, les empreintes de pas s’imprimant mal sur le sol asséché.
La traces du petit contingent fut plus aisée à suivre quelques dizaines de mètres après s’être enfoncés entre les hauts sommets, fiers reflets de leur camarades terminant leur agonie sur l’autre rive. S’ils se dépêchaient, ils pourraient intercepter rapidement les ravisseurs de leurs compagnons. Sans compter que Zair s’arrangerait sûrement pour leur faire perdre de précieuses minutes.
Cependant, Zane dut tout aussi promptement déchanter. Contrairement à ses convictions premières, Illian ne les perdait pas totalement de vue. Pire, comprenant instinctivement leurs projets, il arrivait régulièrement à devancer leur progression, surgissant des taillis au moment où les deux adolescents s’y attendaient le moins. Étant dans l’impossibilité d’utiliser leurs X-Readers à cause du Code d’Honneur (le « marteau titane » faisant partie des entorses sagement oubliées, un bête réflexe un chouïa trop fréquent au sein de son équipe, selon les dires de Tekris), choisir en urgence un autre chemin sans perdre la piste de vue, passant régulièrement d’un arbre à l’autre, ou franchissant des collines recouvertes d’adventices glissants les retarda considérablement. Démasquant à plusieurs reprises les embuscades des soldats, ils purent tout de même éviter certaines confrontations, étouffant le bruit de leurs pas dans les mousses bordant les branches grâce auxquelles ils quittaient le sol. Privilégier la voie des airs leur fit regagner plusieurs mètres, une victoire bien trop lente à son goût. Les mandraliens menaçaient de venir garnir la longue liste des peuples détestés par Zane !
Mais il continuait à suivre la piste, mettant parfois un long moment avant de retrouver sa trace. Il lui était impensable d’imaginer ne jamais réussir à rattraper Koz et ses séides. Penser qu’il détenait deux membres de son équipe (un et demi, le demi temporaire d’ailleurs, se corrigea-t-il) mettait déjà l’adolescent d’une humeur équivalente à celle d’un ours affublé d’une rage de dents. Aussi avançaient-ils en silence. Car aucun son peuplant habituellement les remparts émeraudes, dorés voir écarlates, ne rompait la monotonie de leur cheminement. Une situation ne manquant pas de le mettre sur les nerfs, guettant le plus petit bruit suspect atteignant son oreille. Dans ces conditions, seul un énième piège d’Illian viendrait troubler le couvre-feu silencieux enveloppant la jungle.
Le jour se leva enfin, pâle astre diurne venant tâter la surface de ses rayons timides, avant de diffuser une chaleur équatoriale qui ne manquerait pas de tremper, encore, les vêtements des fous s’aventurant sur ce territoire. Maussade, Zane redoubla de prudence. Il espérait parvenir à rattraper les assaillants de Zair – et du gamin, après tout, Koz osa s’en prendre à lui tout en sachant pertinemment en avoir l’interdiction formelle – avant l’ascension du jour, comptant pour cela sur sa vision nocturne lui conférant un avantage certain sur leurs poursuivants.
Encore et toujours de maudits contretemps ! Aussi insignifiant pouvait être le prince, il se promit que la prochaine fois qu’il se mettrait en travers de sa route, son nom s’ajoutera à sa liste de vengeance !
– Hum, Zane ?
– Silence ! J’en ai repéré deux à quelques mètres sur la droite. Ils croient pouvoir profiter des dernières minutes d’obscurité pour nous attirer dans un piège.
Un léger sourire étira ses lèvres, tandis qu’il entraînait son compagnon à les contourner, décrivant une large boucle autour d’un bourbier spongieux. Seul un léger filet d’eau trouble témoignait de l’ancienne présence d’un marécage lors des jours pluvieux. Un mélange de boue à demi-séchée tapissant ses jambes jusqu’aux mollets (plus jamais il ne dormirait en short, ni ne retournerait dans quelconque jungle d’ailleurs!), s’aventurer au milieu des étranges amas, d’un vert évoquant irrésistiblement une moisissure teintée de jus de chaussette, mouvant paresseusement au gré du courant quasiment inexistant, patauger plus avant dans la mélasse de l’intéressait guère. Oh, qu’il rêvait de se choisir une chambre d’hôtel, dans laquelle il pourrait se payer le luxe d’une douche brûlante !
– J’ai remarqué aussi, mais il fait suffisamment clair pour que j’y vois. Tu peux me lâcher le bras maintenant.
– Pour que tu réussisses à te perdre ? grogna Zane, mettant pourtant moins de verve qu’habituellement.
Uniquement parce qu’il ne voulait pas dévoiler sa position aux incompétents guetteurs ! Aussi sympathique à observer puisse être son coéquipier, la mission actuelle passait avant tout, rajouta-t-il mentalement.
Et ce n’était aucunement une justification !
µµµ
Le jour était déjà bien avancé quand, enfin, il retrouva les traces caractéristiques d’un petit détachement militaire. Pour en avoir observé bien trop à son goût ces derniers mois, il n’en eut aucun doute.
Cinq rails d’empreintes, suivis depuis le tronc effondré par les bons soins de Koz. Celles de devant appartenaient probablement au prince, puis d’autres, trop grandes pour correspondre à ses compagnons, d’un soldat tenant Zair (ces empreintes, il les reconnaîtrait entre mille), la traînant presque. Une pointe de fierté vint s’ajouter à sa colère quand il s’aperçut que, rapidement, un autre homme rejoignit son camarade ; comme quoi, l’adolescente ne s’était pas laissé faire. Mais pourquoi ne s’était-elle pas débattue dès le départ ? Par expérience personnelle, il savait qu’une fois mal lunée, elle empêchait quiconque d’avancer, véritable poids mort vivant. Contre deux hommes lourdement armés, il serait difficile de résister, d’accord, mais quand même, un petit effort pour faciliter les retrouvailles n’aurait pas été de refus !
– Il y a un problème, chuchota Tekris, scrutant tout aussi attentivement la piste des yeux. Rien ne ressemble aux empreintes du petit. Elles sont trop grandes.
Zane hocha sèchement la tête, agacé. Voilà l’objet de son attention ? Pas un mot pour leur coéquipière, combien plus importante, ni Koz, ou encore les crétins finis s’imaginant pouvoir les capturer ?!
Lâchant volontairement brutalement le biceps du colosse, il croisa les bras sur sa poitrine, ignorant superbement son regard intrigué.
– Bien sûr que je l’ai remarqué ! Pour qui me prends-tu ?
Avant de répondre, Tekris scruta les buissons environnants, réflexe manquant de faire avaler sa langue à son vis-à-vis. Sérieusement ? Maintenant, il s’inquiétait d’être découvert, après avoir pris le premier la parole ?! Encore un effort, et il lui demanderait de se taire peut-être ?
– Je ne voulais pas être désagréable, tenta-t-il d’un ton se voulant apaisant. Juste, que penses-tu qu’ils aient fait du petit ? Tu crois que Koz l’a abandonné quelque part ?
– Et perdre une monnaie d’échange ? Je ne crois pas non (voyant la moue désapprobatrice de Tekris – son ton ennuyé peut-être ? Quelle susceptibilité ! –, un regard d’avertissement l’incita à fixer le sol devant lui, par crainte de représailles plus « verbales »). Il doit jouer sur la jeunesse du gosse pour tenter de nous atteindre.
Retenant un ricanement moqueur – nul besoin d’être devin pour savoir que Tekris risquait de mal le prendre, et il ne se sentait pas d’humeur à se justifier –, il haussa les épaules, enfonçant ses poings dans les poches de son short aux couleurs passées. Vraiment, une douche ne serait pas de refus.
– À sa place, j’aurais envoyé une mèche de mes prisonniers, un truc comme ça, en guise de menace.
Soudainement mal à l’aise, Tekris se tut, laissant un silence pesant s’installer entre les deux adolescents. S’il n’eut pas le moins du monde l’envie de le briser, ayant déjà produit l’effort de contenir ses répliques premières, Zane pensa qu’il s’étendrait indéfiniment, lui laissant l’occasion de réfléchir sur la direction à suivre. Aussi manqua-t-il de soupirer, quand moins d’une petite minute après, Tekris desserra les mâchoires.
– Beaucoup plus d’empreintes partent vers le sud, celles de huit personnes, neuf avec le petit, je dirais.
– En gros, Illian a laissé des renforts dans le coin, au cas où cela tournerait mal, Koz les rejoignant une fois ses petites affaires terminées (une constatation loin d’arranger l’humeur déjà orageuse de l’adolescent). Ne me regarde pas comme ça, tu ne pensais pas que notre Imperiaz favori puisse avoir une idée si stratégique?
– Non, évidemment. Tu crois que Koz va les emmener à pied en Chine ?
Zane ne répondit pas, car cela aurait été admettre son ignorance.
Comprenant qu’il en resterait là, Tekris se releva à demi, attendant le signal de l’adolescent pour se remettre en route. L’observant à la dérobée gratter son flanc – le colosse étant tout autant recouvert de poussière que lui –, il crut rêver, tellement l’idiotie de ce qu’il voyait lui paraissait inconcevable.
– Tu as gardé ce fichu pistolet ? Il ne te servira à rien, la sécurité t’empêche de l’utiliser !
– Je sais, tu me l’as dit une bonne dizaine de fois.
– Pardon ? Je n’ai pas ouvert la bouche avant d’arriver sur ce site !
Le colosse roula des yeux, quoique ce fut difficile à dire sous ses verres, pinçant les lèvres en une espèce de rictus peu convaincu. Déglutissant plusieurs fois sous le regard furibond soigneusement concocté par le vert, il ne lâcha pas non plus l’arme, resserrant au contraire sa prise sur la crosse. Un réflexe, jugea Zane, croisant les bras pour qu’il ne puisse saisir son poignet, ou tout autre partie de son corps à portée.
Finalement, il leva les bras au ciel, exprimant silencieusement sa désapprobation. Puisque Tekris s’amusait à s’encombrer inutilement, qu’il se débrouille !
Reprenant sa marche, il ne se retourna pas une fois pour vérifier que Tekris le suivait bien.
Qu’il se débrouille, oui, ce n’était pas son problème !
µµµ
Les heures passèrent, à progresser sur un terrain de plus en plus asséché, l’humidité marécageuse disparaissant simultanément avec l’éclaircissement de la sylve compacte. Le changement ne fut pas immédiat, s’insinuant sous forme de petites touches presque imperceptibles. Un gommier moins épais que les autres, l’accumulation de plaines emplies de fougères, agaviers et broussailles aux brins coupants au lieu des hautes frondaisons tutoyant l’azur. Puis, alors qu’il devenait enfin possible de voir déterminer de véritables trouées entre les bois ocre et grenat, un bruissement sous-jacent vint s’ajouter aux piaillements encore timides de la faune animale.
Illian s’étant trouvé sur le point de les débusquer (coincés entre la fourche d’un palétuvier et une vipère de Fea remontant paresseusement les frondaisons à la recherche de son prochain dîner, peu en fallut pour qu’ils dussent sauter à terre, et peu importe les conséquences), particulièrement nerveux, ils remarquèrent son attitude agacée à l’égard de ce friselis encore lointain. Finissant par écouter plus attentivement, redoublant de vigilance devant la traque virulente du capitaine de Koz, les deux adolescents reconnurent rapidement le son caractéristique d’une voix humanoïde. Encore une petite demi-heure de progression, et ils purent non seulement déterminer que cette dernière fut indéniablement féminine, et commencer à saisir quelques bribes de la conversation. Ou plutôt du monologue.
Reconnaissant la voix de Zair, Zane eut un sourire à la fois moqueur et satisfait. Tekris, pour sa part, hésita à plaquer les mains sur ses tempes pour ne plus entendre la teneur des propos.
Si Koz ne possédait aucun bouchon d’oreille, nul doute que ces dernières allaient chauffer.
Étouffant plus encore le bruit de leurs pas, les adolescents s’approchèrent furtivement, prenant garde à ne pas se faire remarquer. Pas pour la première fois, Zane maudit le soleil de se coucher si tard ; le crépuscule aurait pu leur offrir un couvert bienvenue pour s’approcher furtivement.
Grimpant à un arbre au tronc rugueux manquant râper douloureusement ses genoux (Tekris le suivant sans hésiter), il s’y arrêta à mi-hauteur, décidant que cela serait suffisant pour observer le campement de Koz. Les imprécations s’étant tues, une vague de colère monta à l’idée que le prince ait pu choisir d’autres méthodes pour faire taire sa coéquipière. En ce cas, il le lui ferait payer chèrement, et de manière à lui rappeler définitivement de ne jamais toucher aux membres de son équipe !
Heureusement, Zair se trouvait indemne, quoique loin de sa meilleure forme. Même en gardant une certaine distance de sécurité, Zane la voyait s’appuyer lourdement contre son pilier végétal, peinant à garder les yeux ouverts. Le petit, attaché à un tronc adjacent par une corde reliant ses deux mains, ne paraissait guère en meilleur état, presque aussi pâle, et grimaçant à chaque mouvement un peu trop brusque. Un bon point, les deux étaient conscients. Mais pourraient-ils courir si le besoin s’en faisait sentir ?
Tout en pensant qu’ils n’auraient de toute façon pas le choix, il commença à scruter l’espèce de clairière au sein de laquelle Koz établissait son campement, à la recherche de la meilleure manière d’aborder ses compagnons, sans provoquer de réaction trop bruyante.
– Pourquoi l’Imperiaz s’est-il déjà arrêté ? fit Tekris, venant s’installer à ses côtés. La nuit est encore loin de tomber.
– Aucune idée, mais à moins que le soleil n’ait définitivement fait farcir ce qui lui restait de cervelle, il a sûrement une bonne raison. C’est bien le seul membre de son équipe capable d’avoir une véritable idée.
Au centre approximatif de la « clairière », bien avant que la verdure ne laisse place à de rachitiques buissons racornis par de trop fréquentes insolations, Koz trônait sur une chaise de bois améliorée, ridiculement haute en cet environnement gavé de branches basses et autres lianes pendantes. Autour de lui, sagement alignés en demi-cercle, huit soldats buvaient ses paroles presque religieusement. Si Zane se fiait aux empreintes, en plus des deux hommes allongés un peu à l’écart sur de petites civières confectionnées à la hâte, il ne devait donc plus y avoir que trois ou quatre quidams à leur trousse. Pour que les blessés soient ramenés promptement et soignés en conséquence, le chemin menant au campement devait être une promenade de santé quand le risque de se faire capturer à chaque craquement révélateur n’existait pas. L’ambiance était étrange, en apparence totalement détendue (les armes des hommes reposaient même, pour la plupart, hors de leur ceinturon). Cependant, en y prêtant un peu plus d’attention, une certaine tension planait dans l’air, les visages par moments crispés jetant fréquemment de lourds regards mauvais du côté des prisonniers. À croire que l’armée gardait sa chasteté fragile, supposa Zane.
– Ils sont encore plus nombreux que là-bas, regretta Tekris, obligé de se rattraper à une branche haute pour ne pas glisser. Il faudrait créer une diversion, pour pouvoir se faufiler, et les délivrer.
– Non. Attendons la nuit, nous serons plus discret. Koz ne nous verra pas venir, et ses gardes sont incapables de garder un scarabée, pourvu qu’il se glisse dans leur dos.
Comme pour le narguer, à peine eut-il finit sa phrase, qu’un puissant battement fouetta l’air, ployant les smaragdines ramures sous son impulsion.
Alors que les pales imposantes du X-Scaper obliquaient, de manière à lui permettre d’amorcer sa descente, Zane put presque entendre le bruit fait par des illusions brisées par l’ironie des coïncidences insupportables.
Oh, lui alors, siffla-t-il intérieurement, dardant ses pupilles onyx sur le jeune prince, allant à la rencontre de ses invités. Si ce dernier ne pouvait le voir, peut-être ressentit-il toute l’animosité de l’adolescent, grattant furtivement entre ses omoplates, avant de reprendre une contenance faussement digne.
Tel la victime d’une mauvaise blague, Zane réserva le même traitement visuel aux trois adolescents descendant l’escalier dépliant menant au vaisseau, sans obtenir cette fois de réaction.
– Ils vont les emmener, souffla rageusement Tekris.
– Je sais, j’ai des yeux pour voir ! répéta, pour la deuxième fois, Zane.
Claquant nerveusement la langue – un autre fichu tic quand le colosse se trouvait dans les parages ; quant à savoir pourquoi spécifiquement la langue, il ne voulait pas le savoir –, Zane fit fonctionner ses cellules grises à toute vitesse. Il lui fallait un plan, et maintenant ! Une fois le X-Scaper envolé sous leur nez, il leur serait impossible de le rattraper, ne possédant pas la puissance de doubler un vaisseau spatial à la course. Il n’eut aucun doute sur la destination finale du canari volant ; cependant, s’y rendre en espérant les prendre de vitesse aurait signé leur condamnation immédiate.
– Tant pis, intervint Tekris, sur le point de descendre de leur perchoir, j’y vais, on ne peut pas les laisser disparaître sous notre nez sans réagir ! En forçant le passage, nous aurons peut-être une chance…
– Tu auras une chance, oui, coupa Zane en le toisant, car pour ma part je ne m’engagerais jamais dans un plan aussi stupide !
Comme trop régulièrement ces derniers temps, il éprouva la nette sensation que le colosse se trouvait sur le point d’ajouter quelque chose, de possiblement déplaisant bien évidemment.
Décidément, remettre les pendules à l’heure se révélerait rapidement indispensable.
Néanmoins, s’il se tut prudemment, la contrariété se lisait sur les traits de son coéquipier.
– Que proposes-tu alors ? Zair saura sûrement se débrouiller, mais le gosse ne devinera jamais qu’il doit agir si le signal n’est pas extrêmement voyant. Pour être poli.
– Depuis quand es-tu courtois, toi ?
Sa réflexion n’ayant pas eu l’effet escompté, il reprit une posture neutre, continuant d’observer anxieusement les soldats s’éloignant du X-Scaper, laissant le terrain dégagé pour son décollage.
Le seul avantage de cette situation, résidait dans le respect absolu qu’entretenaient les Stax envers le Code d’Honneur. La phase « récupération des prisonniers » ne poserait en soi aucun problème majeur, un simple Défi kaïru réglerait le problème.
Mais pour atteindre le vaisseau…
– Une diversion, hein ? Je peux faire ça, déclara-t-il en glissant de sa branche.
Si seulement il pouvait enfiler son costume avant d’aller se battre, cela lui éviterait les démangeaisons impromptues courant le long de ses membres ! Oh, qu’il haïssait le stupide gazon de plus de trente centimètres de hauteur !
– Et comment ça ?
Zane sortit simplement son X-Reader, dédiant à l’autre adolescent une de ses plus belles expressions confiante. Bizarrement, il n’en parut pas particulièrement plus rassuré.
– Rassure-moi, tu ne comptes pas te battre ?
– Pourquoi poses-tu la question, si tu connais la réponse ?
– À deux contre trois ? Quatre si Koz se joint à la partie ?
– C’est un risque, mais peu importe leur nombre, nous les vaincrons. Personne ne touche à mon équipe, à part moi.
– Hum, mais durant le dernier tournoi…
– Qu’est-ce que j’ai déjà dit ? siffla Zane – dommage qu’il n’ait le temps d’effectuer un volte-face en règle pour lui remonter les bretelles en règle. Jamais plus on ne reparle de ce jour-là !
Alors qu’il sautait les derniers pas le séparant du sol, l’écran de son appareil se teinta d’une lueur orangée, illuminant son visage par le bas. Un de ses effets préférés quand il souhaitait renforcer le poids de ses paroles ; possédant des traits durs, un éclairage adéquat incitait son interlocuteur à se taire et écouter.
Une fois encore, cela fonctionna, puisque Tekris s’immobilisa sans insister, attendant ses ordres.
– Quant au misérable vaisseau des Stax, hum… À quelle distance peux-tu lancer tes « pinces dévastatrices ?
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Bonjour bonsoir ! Voici le nouveau chapitre, en deux parties cette fois ! Rendez-vous dans une dizaine de jours pour la suite !