L'Arche du Péché

Chapitre 36 : Danse avec le diable au clair de lune

14116 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/04/2021 22:45

Danse avec le diable au clair de lune


Le Dôme était une fourmilière sans cesse en activité. En particulier les salles d’entraînements aux murs métallisés (le cyan sombre des murs aux motifs psychédéliques, demeure des Potentiels, dont seule une petite partie atteindrait le rang d’un Élitiste, parqués dans des bâtiments gris ardoise, côtoyaient de manière concentrique l’imposante tour des Recruteurs, deuxième plus haut édifice du Dôme après le palais), desquelles résonnaient nombre de chocs assourdis, ou le frottement redondant des balais trapézoïdaux (la mode actuellement en vigueur pour ce qui concernait les produits d’entretien, depuis qu’Adriel avait fait une apparition avec un saphir céruléen de cette forme autour du cou) maniés par les servants des maisons nobles.

Néanmoins, deux endroits échappaient à cette nuée de futurs combattants (ou vermisseaux destinés à les servir) brûlant de l’impatience d’étendre la force conquérante des leurs au-delà du Dôme sombre les protégeant, pourtant inquiets à l’idée de s’éloigner de la formidable Source leur accordant leurs dons, si précieux car les empêchant de sombrer tout au bas de l’échelle de la hiérarchie. Et ce depuis la nuit des temps, quoi que puisse murmurer le Redakaï quant à l’éphémérité du Dôme et du kaïru de Thiers. Punissant, pour le premier lieu, les rares et stupides audacieux en les privant de ce qui les avait poussé à commettre pareil crime : leurs membres tout d’abord. Puis les yeux, car ils avaient contemplés ce qu’ils ne devait guère jamais connaître de l’ensemble de leur existence. Enfin, la langue, car nul ne détenait le droit de raconter les secrets conquérants tramés dans l’ombre des lourdes tentures des appartements du Seigneur Régent. À l’exception notable de son fils, Teos, unique enfant, légitime ou bâtard, du Maître exclusif du Dôme, et de quelques personnalités dont la présence se trouvait expressément réclamée. Alimentant les rumeurs les plus folles concernant les machinations pouvant s’y tramer, incitant chacun à scruter attentivement le visage de leur Seigneur Héritier sortant, dans l’espoir de déceler un indice sur les sujets abordés durant les entretiens.

Le second endroit était évité pour des raisons pratiques. Le donjon, où seuls les pires criminels se trouvaient jetés en pâture, traités comme les traîtres qu’ils étaient. Cela, en un sens, pouvait presque rappeler les quartiers des esclaves, largement évités par les gens bien pensants à cause de la saleté et des dressages brutaux des jeunes personnes ayant échoué là. Contrairement aux domestiques, pouvant espérer servir un maître et servir l’accomplissement de la grande destinée du Dôme, les esclaves représentaient la pire engeance du Dôme, ceux trop stupides, incompétents pour remplir une autre fonction. Ou encore, méprisables, quand il s’agissait d’infliger la pire punition possible à des membres du Dôme ayant trahi leur paradis volant gracieusement, ignobles personnages irrécupérables et nécessitant un encadrement strict pour que plus jamais quelconque dérapage ne se produise. Véritablement, personne ne désirait descendre dans ces bas-fonds où étaient exécutées les tâches les plus viles, indignes même des domestiques dont on exigeait une obéissance absolue.

Des esclaves, rien ne devait être attendu, alors tout était autorisé. Raison pour laquelle nul n’entamait jamais le voyage à moins qu’il ne s’agisse de son métier de dresseur, aucune bordure d’or ou de coussins soigneusement brodés ne venant apporter une touche de gaieté à cet endroit sordide. Et pour laquelle aucun de ces gardiens formés à l’art de briser les corps et les esprits ne levait le petit doigt quand, sous le couvert de la nuit, l’un des nobles du Dôme glissait une bourse remplie d’or dans la main pour passer quelques heures avec l’un des esclaves, poussant son choix, enchaîné, devant lui tandis qu’il rejoignait la pièce leur étant allouée, une lueur concupiscente dans le regard. Qui se souciait bien de ce qui pouvait se dérouler quand les ténèbres éternelles pesant sur le Dôme devenaient impénétrables ? D’autant que les gardiens parfois se servaient. Aussi, pour que les choses soient plus aisées, les esclaves servant régulièrement à ces usages, bien souvent rapidement prostré dans un mutisme hagard de soumission résignée, se trouvaient parqués tous ensemble dans une petite pièce un peu plus à l’écart, de manière à éviter la moindre manifestation d’un camarade incompréhensiblement rebelle quand l’un était tiré du lot.

Si les transactions nocturnes restaient implicite, murmurées dans les ombres sans que quiconque ne les évoque ouvertement, les quartiers réservés aux esclaves étaient suffisamment sordides pour que nul ne doute de la pénibilité de l’existence menée ici-bas. Une raison, purement stratégique, expliquant le choix de Teos d’emprunter un chemin passant par ces pièces pavées de lattes de bois défoncées, bourrées d’échardes que les dresseurs écrasaient sous leurs bottes ferrées, alors que son tout nouveau prisonnier était emmené avec force gardes jusqu’au second endroit, interdit au public. Une véritable victoire sur les Radikors, cette espèce de bête enragée en permanence, tout ça parce qu’il avait vu sa coéquipière allongée dans une flaque de son propre sang, songea dédaigneusement le Seigneur Héritier, descendant les interminables escaliers, un regard jeté à l’intérieur des quartiers des esclaves. Celle-là, il regrettait de ne pas être parvenu à l’achever, malgré les ordres de son Père. Une stupide velléité de Zane, une nouvelle fois, alors que les Hiverax le maintenaient fermement au sol, le front en sang et la jambe déchiquetée par les crocs de Lionere. Personne ne sut exactement quelle magie fut employée par l’adolescent pour laisser son pouvoir exploser autour de lui en un orbe de fureur pure, ni comment, dans son état, avait-il réussi à obtenir assez d’énergie pour prendre la fuite, néanmoins Teos soupçonnait que cela ait un rapport avec son déferlement de fureur dans la grotte qui lui permit de briser la Compétence de Saïn. Dommage que sa chère vipère n’ait pu intervenir, mise à terre par Zair en question une poignée de minutes auparavant.

Enfin, rien ne l’empêchait de sous-entendre qu’aux dernières nouvelles, la jeune femme n’ait survécu à ses blessures. Tout comme le colosse, pour sa part, n’avait guère à savoir que les murmures volontairement parvenus à ses oreilles, comme quoi l’équipe de daminiens avait reprit victorieusement leur traque, n’étaient que du vent. Pour le moment. Son épaule guérissant des plus promptement, Teos se sentait bientôt prêt à combattre de nouveau. De même que Saïn, certes affaiblie par l’offensive de Zair, reprenait du poil de la bête à une vitesse presque inimaginable. Oui, dans leur état, les Radikors restant ne pourraient guère résister bien longtemps face à eux, dusse-t-il invoquer ce misérable solitaire à leur rescousse.

Ses pupilles d’argent tombèrent sur le corps frêle, presque entièrement osseux, d’une femme aux cheveux emmêlés autour de ses épaules maigres, entraînée dans un recoin sombre par l’un des dresseurs, le fouet habituellement accroché à sa ceinture déployé pour la dissuader de tenter une quelconque désobéissance.

Un bête réflexe força le jeune Seigneur Héritier à stopper net sa marche, incapable de détacher son regard de l’esclave, une poigne de glace tordant brièvement ses entrailles. Un stupide réflexe acquit durant la Transition d’équilibre, qui disparut bien rapidement, remplacé par une joie malsaine. D’un sourire cruel, il salua brièvement l’esclave, un ricanement satisfait franchissant la barrière de ses lèvres.

Attirée par ce son incongru, inattendu, l’esclave releva le nez, ne pouvant manquer le jeune homme planté au beau milieu des marches. Ses iris d’un vert délavé s’arrondirent légèrement sous la surprise, cette dernière rapidement balayée par une fureur sans nom qu’elle n’avait plus dû éprouver depuis bien des années désormais, relief de son orgueil passée. Quand elle descendait les quelques étages menant aux quartiers d’esclave, une bourse pleine en main habilement lancée aux dresseurs, pour passer quelques heures seule avec lui. Elle le reconnaissait, il en était sûr. Il voulait qu’elle le reconnaisse. Que ce rappel de sa vie passée n’en soit que plus douloureux, lui dévoilant d’une pique des plus acérées sa propre déchéance, tandis que lui figurait au plus haut sommet de la sphère de pouvoir.

Combien de chances pour que, le jour où, pour la première fois depuis ses treize ans, il revenait dans ce lieu d’ignominie et de cruauté, il tombe sur elle ? Il savait que son Père, une fois la Transition d’équilibre achevée, et les Maîtres souillés réduits à un tas de chair malmenée sur le sol, avait accédé à sa requête de jeter dans les geôles des esclaves la liste de noms dûment récitée, mais ne s’était jamais donné la peine de vérifier, peu amateur de revoir les murs parsemés de taches brunes et d’éclats sanglants. Une punition des plus satisfaisantes, conclut-il en son for intérieur, éclatant d’un rire mauvais sous les sanglots de la misérable victime, trop affaiblie pour hurler sa colère. Il lui restait bien d’autres corvées à accomplir avant de participer au spectacle de fin d’après-midi, savamment orchestré par ses soins.

Et il tenait absolument à convier leur tout nouveau prisonnier à ces réjouissances. Teos briserait ce colosse, pour l’instant tellement brutal qu’aucun soldat n’osait l’approcher sans un fouet ou une barre de fer à la main – et encore, cela n’était-il pas toujours suffisant. Lui, le Seigneur Héritier unique du Dôme, trouverait le moyen de réduire son esprit à une obéissance absolue. Un processus en bonne voie d’accomplissement, de son avis : apprendre que sa coéquipière ne survivrait pas à ses blessures l’avait plongé dans un état d’hébétude incrédule durant de nombreuses et précieuses heures, avant que son esprit ne se cabre de nouveau, refusant d’admettre la véracité de cette déclaration.

Maintenant, Teos allait lui prouver à quel point, au sein du Dôme, il n’était rien de plus qu’un divertissement ponctuel, tout juste. Qu’ici son existence n’était rien, et ne valait rien. À la merci du bon vouloir de ses geôliers. Teos avait déjà pensé à le transférer aux quartiers des esclaves, avant d’y renoncer. Pour le moment, Tekris se montrait bien trop sauvage, et surtout, restait un prisonnier de guerre. Certes, Zane se montrait tout aussi farouche enfant, ne cessant de tenter de dérober les armes des dresseurs pour les frapper à même mesure, mais la différence résidait en ce fait : Zane était un enfant. Tekris, au contraire, possédait la musculature d’un adulte, et savait cogner assez fort pour tuer un garde sur le coup. Seule la drogue parvenait à le maintenir dans un semi état de soumission, planifiée avec une stricte régularité par Saïn de manière à ce que sa lucidité ne revienne jamais assez pour lui permettre une évasion.

Mais le moment n’était pas encore venu. Teos voulait le voir suffisamment réduit à l’impuissance et au désespoir pour que nul artifice ne soit nécessaire pour en faire ce que l’on voulait. Montrer à Zane l’étendue de son inutilité, lui qui avait assuré détenir le pouvoir nécessaire pour empêcher que le mal soit fait à ses coéquipiers. Lui qui avait osé porter la main sur lui, et pire encore, lui jurer qu’il lui ferait payer !

Que ce cher Radikors ne s’inquiète guère, durant sa future – et extrêmement proche – existence d’esclave de son Seigneur Héritier, tout le temps du monde serait à sa disposition pour contempler la destruction de ses rêves par son nouveau Maître. Que ce jour lui tardait ! Revenir à sa condition d’esclave lui serait obligatoirement insupportable, et lui, Teos, ferait de lui tout ce qu’il voulait ! Une humiliation absolue.

Oh, qu’il continue à lui échapper, encore et encore, cela ne faisait qu’attiser sa haine et son impatience !

Tremblant d’anticipation, Teos s’enfonça davantage dans les entrailles du Dôme, une langue passée avidement sur ses lèvres. Enfoncer la lame de son poignard dans la poitrine de sa jeune coéquipière, la dernière encore sous sa protection relative, et la seule qu’il ait pu sauver, lui porterait le coup de grâce.

Alors qu’il débouchait sur un couloir intégralement fait de verre, suspendu de manière à former une passerelle entre deux bâtiments dont le jeune homme admira les reliefs d’or et de topaze superbement alignés de manière à représenter une scène de bataille ravagée par la folie des arsanks, il s’arrêta un bref instant, scrutant les contrebas de l’immense caverne rocheuse si semblable à celle tapissant les appartements de son Père, ravi de ne devoir supporter la chaleur infernale s’en dégageant.

Mais dans ces conditions épouvantables, à l’extérieur de son cocon souterrain protecteur, était-ce réellement une silhouette qu’il distinguait en contrebas, prudemment assise sur une plateforme pulsant doucement chaque fois que le kaïru de Thiers fluctuait, tant la Source se rapprochait de ce lieu.

Sourcils froncés, Teos recula lentement dans les ombres, observant la fine taille de sa promise aller et venir autour de la forme sombre de son arsank. Ainsi, c’était ici qu’elle s’était empressée d’amener son animal blessé. Au plus près possible, sans pénétrer au sein des appartements de son Père, de l’énergie lui ayant conféré la vie, probablement dans l’espoir que cela l’aide à se rétablir. Certes, mais les alentours du donjon n’étaient certainement pas l’endroit le plus glorieux pour une jeune femme destinée à devenir la maîtresse de la vie toute entière, songea-t-il pensivement, tapotant silencieusement le lourd brassard d’or et de pierreries entourant son poignet gauche. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’il peinait à comprendre le comportement de sa future épousée. Leurs moments d’intimité, autrefois union parfaite de leurs sens et de leurs corps, en devenaient presque difficile à supporter, tant la froideur de la brune maîtrisait la totalité de ses réactions, là où, entre ses bras, elle s’autorisait enfin à lâcher la bonde aux émotions que le jeune homme était capable de lui faire ressentir. Outre son orgueil peu appréciateur d’un tel changement, plus le temps passait, moins lui et elle ne faisaient le premier pas vers l’autre, préférant se plonger dans leurs devoirs respectifs – ou, pour Adriel, veillant Evdam aussi souvent qu’il lui était permis – plutôt que de partager l’un de ces moments de gêne incompréhensibles, presque insupportables.

Croulant sous le poids des bandages, la vieille servante d’Adriel, Ammay, ouvrit péniblement une lourde porte saturée de décorations finement ciselées, trottinant jusqu’à sa jeune maîtresse en claudiquant. Un reste handicapant ayant pour origine une correction des plus sévères infligée par la Maîtresse des Domestiques, chargée de former toutes les femmes passant entre ses mains, alors qu’elle apprenait tout juste les premières ficelles de son statut. La vieillarde se révélait d’une maladresse consternante dès qu’elle se trouvait séparée de sa jeune maîtresse… Une autre chose que Teos n’était jamais parvenu à comprendre, en dépit de ses années de vie conjointe avec sa compagne. Le seul fait de choisir celle-ci pour l’accompagner au Dôme d’Honneur l’étonnait. Pourquoi ne pas choisir Orfa, réputée pour son efficacité, ou même Delhia, tout aussi maladroite mais au moins capable de rester à sa place, plutôt que cette souillon ? Les deux femmes furent formées à l’Institut des Domestiques, contrairement à Ammay, simple orpheline sans réel talent. Il admettait que la vieillarde avait fait du bon travail en élevant Adriel, mais de là à s’engager à la supporter durant le reste de la vie de la servante, cela dépassait son entendement…

Jusqu’à présent, cela lui importait guère, seule Adriel l’intéressait, de quelque manière que ce soit. Mais avec l’éloignement provoqué par les tensions constantes, leurs corps ne réclamant plus leurs jumeaux, le grotesque d’une telle obstination lui apparaissait des plus clairement.

Sursautant au son des sacs de bandages déposés précipitamment au sol, Adriel fixa un bref instant sa servante, avant de s’emparer d’une bouteille remplie d’un liquide ambrée, assez grande pour lui monter jusqu’au genou. S’inclinant respectueusement devant sa maître, Ammay brisa une fois de plus les règles strictes établies entre les différents échelons de la Hiérarchie, glissant sans autorisation ni demande respectueuse et obligée une main noueuse dans l’épaisse chevelure de la combattante, rappelant la tignasse brune d’Ammay (qui, se fit-il une nouvelle fois la remarque, jurait affreusement avec sa peau d’un rose clair, presque terne), à peine contenue dans son traditionnelle chignon bas. Au lieu d’ordonner à sa servante de se rendre aux quartiers de la Maîtresse des Domestiques pour recevoir un châtiment approprié pour son insubordination, Adriel se soumit hideusement à la caresse, allant jusqu’à baisser la nuque, une main posée entre les naseaux frémissants de son arsank. Heureusement, elle se reprit rapidement, repoussant sans douceur, mais sans aménité non plus, la marque d’affection malvenue de la vieillarde, s’employant à ôter les bandages serrés autour du torse de son animal afin de les changer.

Un grognement guttural le sortit de ses pensées. Mécontent de se trouver, de son goût, ainsi négligé par sa maîtresse en tant qu’animal plus que comme malade, Evdam tenta de se dandiner jusqu’à elle, de sa démarche reptilienne chaloupée saccadée par les blessures. Donnant un petit coup de tête manquant de faire tomber fesse la première la brune, l’arsank se déplaça péniblement sans complexe sur le sol, près d’elle, à demi couché sur ses jambes tandis qu’elle versait de quoi désinfecter ses plaies sur ses écailles. Adriel lui sourit, grattant avec force l’encolure de son compagnon frétillant de plaisir et d’autosatisfaction, se tournant vers sa nourrice pour lui poser une question que Teos ne parvint pas à entendre.

– Quel étrange tableau, commenta une voix râpeuse, qui ne pouvait appartenir qu’à Saïn.

Pivotant très légèrement la tête, le Seigneur Héritier vit sa compagne de combat patienter sagement à quelques mètres de lui, attendant la permission de pouvoir s’approcher davantage. Pesant rapidement le pour et le contre, Teos lui accorda son approbation d’un vague geste de la main. Que pouvait-elle bien fomenter ici, dans les replis de la Source, elle qui ne parlait des prisons qu’avec un plissement de dégoût ridant sa face reptilienne ? Si la vipère se trouva insultée de ce manque de considération, elle n’en laissa rien paraître, inclinant son buste, en guise de salut. Un peu trop haut, à son goût, habitué à voir les corps des habitants du Dôme former des angles perpendiculaires au sol. Pourtant, il n’ajouta rien, les yeux dans le vague.

– L’insubordination gagnerait-elle notre comparse ? susurra Saïn, s’avançant jusqu’à poser les coudes sur le rebord de la passerelle, une vague curiosité passant fugitivement sur ses traits.

Il se tendit, presque imperceptiblement, surpris de l’entendre énoncer ses doutes aussi directement. Saïn ne le connaissant guère aussi bien que la brune, il restait une chance qu’elle soit passée à côté de ce stupide réflexe, trahissant son état d’esprit. Cependant, ce signe ne trompait pas, il n’était guère le seul à avoir remarqué le changement de comportement d’Adriel. Preuve s’il en était besoin de l’état préoccupant de sa promise. Si seulement il détenait le moindre indice sur la raison de son égarement la cause de son égarement.

– Que veux-tu dire ? finit-il par répondre néanmoins, le ton d’une neutralité presque ennuyée de devoir débattre sujet si trivial.

Distraitement, il remarqua que la vipère avait revêtu ce qui figurait probablement parmi ses plus beaux atours. Une robe d’un rouge profond, le haut de son buste rappelant celui d’un débardeur. Deux fins voiles pourpres parsemés de paillettes dorées partaient néanmoins de ses épaules pour retomber élégamment sur ses biceps, eux-mêmes entourés de deux brassards jumeaux, d’or et d’argent, représentant chacun un arsank royal magnifiquement ouvragé. Plus à l’aise avec des talons que la fois où ils étaient allés recevoir les ordres de son Père, elle parvenait à paraître presque naturelle, les côtés de sa robe retombant sur ses hanches en un effet froissé des plus joliment orchestré. Seules une paire de boucles d’oreilles de jade ovales constituant sa parure, pour un effet que Teos qualifia intérieurement… d’intéressant. La vipère n’était guère belle de son point de vue, mais elle savait mettre en valeur le profil acéré de son visage. Cela, il ne pouvait le nier.

– Nous avons enfin remporté une véritable victoire dans notre traque, suffisamment pour organiser un petit divertissement afin de fêter cela. Pourtant, elle ne semble guère impatiente de partir se préparer, il me semble. Tu es même reparti le lui rappeler, en dépit des blessures récoltées durant ton courageux combat, afin d’être certain de la conduire à temps. Cela mériterait plus flagrante déférence, ne trouves-tu pas ?

Il ne répondit pas tout de suite, fixant le dos filiforme de Saïn, laissé dénudé.

– Elle viendra. Pas une fois elle n’a manqué un divertissement d’une telle importance. (plus bas, il ajouta encore, forçant Saïn à se pencher vers lui pour l’entendre.) J’ai hâte de commencer à briser ce maudit colosse. Peu importe son résultat dans l’Arène, une fois que j’en aurai fini avec lui, il lui restera juste assez de force pour qu’il s’agenouille devant notre gloire. Je veux que Zane voit cela. Et il viendra, je le sais. Laisser un de ses coéquipier à ses pires ennemis maltraite bien trop son orgueil pour qu’il accepte de rester sagement à l’écart. Mais s’il est trop apeuré pour oser se confronter à nous, eh bien, il sera plus aisé encore de retourner son propre compagnon contre lui.

– Si tel est ton désir, je te suivrai, commenta platoniquement Saïn, son manque de conviction perçant cruellement dans sa voix. Néanmoins, il me paraît fort peu décidé à se mettre à notre service. Une telle stature est bien plus agréable à contempler aux travers des barreaux d’une cage aux fauves.

Remarquant enfin que la jeune femme n’était guère venue seule, Teos lança un bref regard en direction des deux silhouettes sagement stationnées à l’entrée de la passerelle, les yeux humblement baissés pour ne pas outrepasser leurs droits en dévisageant leur Seigneur Héritier. Tout en ne pouvant guère s’empêcher de scruter fébrilement les échanges entre les deux jeunes gens, la respiration retenue, les gestes lents et calculés pour ne pas déranger leur discussion. Bien évidemment, cela devait être une aubaine pour les parents de Saïn, de voir leur fille unique en si bons termes avec le futur souverain du Dôme.

La vipère se contenta d’un bref signe de la main envers son père, Ormaen, avant de sourire avec assurance en direction de sa mère, Inoï, leur indiquant de ne pas avancer davantage pour le moment – excellente initiative, songea Teos, guère encore préparé à subir les admirations de ces deux sujets, continuant à se préoccuper du manque de vigilance de sa promise. Une puissante démonstration d’affection en public, elle qui se montrait si réservée habituellement. Le jeune homme paria en son for intérieur qu’ils attendaient le moment idéal pour la pousser à se retrouver presque seule avec lui, de manière à assurer encore sa position d’Élitiste Royale, et plus encore, une position plus élevée encore dans la Hiérarchie pourvu que Saïn se montre suffisamment habile pour prouver sa valeur, autre part que sur le champ de bataille.

Que savait-il d’eux, au fait ? Le premier exerçait le métier d’armurier, fournissant un travail de qualité, il ne le niait guère. Les lances à deux pointes, fierté du Dôme, qui armaient leurs soldats n’ayant la capacité de devenir Élitistes provenaient directement de ses ateliers, pour la plupart. Quant à Inoï, son manque de Compétence ne l’empêchait pas d’être l’une des meilleurs Facultés, une maîtresse d’arme pour ceux n’étant pas touchés par la Source (du moins tant que cette dernière restait entravée par les maléfices des opposants de Thiers), connues. Cette femme possédait même une Collégiale, généreusement allouée par le Seigneur Régent – puisse-t-il réduire à néant ses détracteurs ! – où elle entraînait les futurs soldats et combattants aux arts de la bataille, en récompense de ses services. Mais il ne s’agissait pas de la plus importante, ni de la plus réputée. De plus, les Arashi n’appartenaient à la noblesse que depuis peu, aussi étaient-ils considérés comme une jolie brochette de parvenus par la majorité, profitant de la Transition d’équilibre pour s’enrichir. Il se murmurait même qu’au départ, Ormaen tenta de soutenir les Maîtres souillés, les Hauts Traîtres, en leur fournissant nombre d’armements soi-disant révolutionnaires. Devant la débandade de ses mécènes, il vira de bord, œuvrant dans l’ombre tout en laissant son épouse se battre au front.

La promotion de leur fille devait être la plus grande aubaine qu’ils n’aient jamais rencontré pour s’élever plus encore dans la société. Et si Saïn se montrait digne de son rôle, nul doute que leur commerce en sortirait plus que florissant. Une ascension inespérée donc, plus ou moins méritée.

Ne ressentant que du mépris à l’égard du couple, Teos se concentra de nouveau sur leur fille.

– Je te trouve surtout bien méfiante. Souviens-toi, Adriel a proposé d’avancer la cérémonie, afin de commencer le dressage de Tekris, et le divertissement du Dôme d’Honneur, plus tôt encore. Il ne s’agit pas là de ma définition de l’irrespectueux.

– Ou calculé, rétorqua Saïn, un rictus indéchiffrable aux lèvres.

Elle se tut soudainement, pâlissant significativement. Émettre une telle accusation, pour une créature de son rang, inférieure hiérarchiquement à la brune, cela équivalait à une condamnation immédiate à mort. Au minimum, à une correction des plus exemplaires pour lui rappeler où se situait ses obligations.

Cette remarque fit cependant sourire Teos, détachant son regard de sa promise pour la scruter avec attention, appréciant ce sentiment de vie ou de mort sur ses sujets, quels qu’ils soient. Il suffisait d’un seul ordre, d’une pauvre phrase, pour que les propres parents de la jeune femme n’aient d’autre choix que de se saisir de leur fille pour la jeter dans les geôles. Et qu’était une phrase, sinon un bête assemblements de mots dépourvu de toute autonomie, une fois désolidarisés de leur carcan initiale ?! Voilà le véritable pouvoir, conclut-il intérieurement, admiratif. Et dire que si son Père ne s’était pas échappé de sa prison de cauchemar, parvenant à la plier par la seule force de sa volonté, lui, son fils, n’aurait pu accéder à une telle puissance !

Comprenant marcher sur un fil tendu au-dessus du vide, Saïn eut la prudence de ne pas soutenir son regard, gardant les pupilles légèrement de biais afin de ne pas le fixer droit dans les yeux, ses parents, inquiets, observant la scène sans savoir comment l’interpréter.

– Peut-être, finit-il par admettre, soudainement de meilleure humeur, ravi de l’intérêt que lui portait la vipère tout comme de sa force personnelle. Je suppose qu’une femme telle que toi connaît bien ce genre de tenants.

Surprise, elle faillit en oublier la politesse en scrutant son visage, à la recherche d’un indice sur une éventuelle plaisanterie. Elle n’en trouva aucun. Alors elle inclina doucement le buste, ne pouvant se retenir de sourire au compliment, l’émotion l’empêchant de répondre immédiatement.

– Je me fie à ton jugement. Nul ne pourrait te tromper.

– Oui, évidemment. Néanmoins, je remarque ton empressement à me préserver. Cela me touche.

De nouveau il la regarda, coin de la bouche relevé en un pli souriant.

– Te voilà bien apprêtée, au fait. Un choix bien étrange en ces environs.

– Je conduisais mes parents au Dôme d’Honneur, pour le petit spectacle de tout à l’heure. Et, je dois humblement l’avouer (Teos manqua rire sincèrement, tant cet adjectif ne lui paraissait pas convenir à sa compagne), en apprenant ta présence en ces lieux, j’éprouvais soudainement le désir de venir à ta rencontre. Tu devrais te ménager, si ce conseil m’est permis. Tu es l’espoir de cette nation, de notre peuple. Il est important de préserver ton corps et ton esprit. Cette mission est désormais presque gagnée. Les Radikors restant, blessés comme ils sont, ne pourront plus nous échapper. Sans parler de la maudite traîtresse, le phare de la nuit, qui ne s’en est tiré jusque-là qu’à l’aide de tours de passe-passe.

– De nombreuses questions restent cependant en suspens, rétorqua sèchement Teos, serrant les poings.

Ses sourcils se froncèrent, son visage brut se ferma ; elle craint un instant de l’avoir froissé. Heureusement, cela ne dura pas, ses traits se détendant de nouveau alors qu’il réfléchissait à cette proposition.

– Très bien. J’escomptais rendre une petite visite à notre prisonnier, mais tu m’as convaincu. Accompagne-moi, ainsi que tes parents, au Dôme d’Honneur. Il est plus intéressant encore d’observer le visage de l’adversaire qui se rend compte de l’insolubilité de sa situation, assura-t-il, tendant son bras à la vipère, qu’elle prit avec déférence. Je crains qu’Adriel ne souhaite guère être dérangée ; elle nous rejoindra plus tard.

Une lueur de convoitise passa dans les prunelles d’ébène veinées de bleu roi, alors qu’elle s’emparait avec une déférence mesurée le bras du jeune homme. Hochant la tête à l’attention de ses parents, elle ne pipa mot quand ceux-ci les entourèrent promptement, empruntant les marches recouvertes de tapis ocre les menant à la surface, Teos reportant son attention vers les hauteurs.

Un soupir d’extase franchit la barrière de ses lèvres, comme chaque fois qu’il admirait l’incroyable ouvrage séparant les bâtiments de métal multicolores, rivalisant de faste les uns avec les autres, s’étalant à ses pieds de l’atmosphère hostile de l’espace. Le Dôme ; une gigantesque coupole entourant l’ensemble de la planète, l’isolant des dangers de l’extérieur, tout en assurant une vie paisible à ses habitants, pourvu qu’ils respectent les Trois Tabous avec diligence et respect. Adriel suivit des yeux sa courbe parfaite, miroitant délicatement de ce gris si caractéristique de leur pouvoir. Un remous agitait par moment sa surface, le fripant comme s’il se rétractait après avoir été pincé, conférant une fausse impression de liquide. Pourtant, le Dôme prouvait sa solidité depuis des décennies, résistant à toutes les agressions extérieures.

Et il en serait ainsi de nombreux siècles encore. Il ne pouvait en être autrement.


µµµ


Elle voulut retourner, de toutes ses forces, dans son corps. Zair sentait, en dépit de pouvoir comprendre clairement ce qui lui arrivait, que l’urgence pressait sa chair malmenée de toutes parts dans le monde réel, exigeant un tribut à ramener auprès de Teos, quel qu’en soit le prix. Ce n’était guère le moment de se plonger profondément dans l’inconscience, sans se soucier de ce qui leur tomberait, à elle et le reste des Radikors, sur le coin de la figure, la prochaine fois. Et pourtant, au lieu de laisser son… son quoi, au juste ? Son entité astrale ? Où se trouvait seulement son corps, à dire vrai ? Elle éprouvait l’étrange impression d’appartenir à l’atmosphère lourde épousant les formes de ce qu’elle était en ce lieu. Toute direction se trouvait absente, troublant ses sens déjà tout juste capables de la maintenir dans une sorte d’état de conscience par une violente manifestation de sa volonté. Tout ce qu’elle pouvait s’assurer, était qu’elle sentait la présence de son enveloppe charnelle, quelque part, bien qu’elle fut en peine de déterminer précisément où. À portée de kaïru intérieur, presque assez proche pour qu’elle puisse la toucher, trop loin pour lui permettre de quitter l’obscurité et se réveiller dans le monde réel. Si tant était qu’il soit possible de considérer celui-ci comme faux. Enfant, elle s’y promenait suffisamment pour se convaincre de son existence propre.

Peu importait que personne, pas même Lokar, ne l’ait seulement évoqué durant sa formation.

En somme, au lieu de revenir sagement dans le carcan douloureux de son corps, l’adolescente restait à flotter dans un entre-deux, à la fois obscur tant les contours de son environnement se confondaient les uns dans les autres, néanmoins illuminés par une sorte d’aura malsaine courant le long des murs inexistants de cette cage imposée. Une prison qu’en un sens, elle s’était elle-même fabriquée, songea-t-elle amèrement, observant les déplacements incessants, parfois lents, soudainement d’une célérité telle qu’il lui fallait s’écarter promptement pour ne pas connaître un sort funeste. Des millions et des milliards de vies, animées ou non, de créations, de lignes temporelles un instant proches, puis brutalement hors de sa portée. Un ensemble de Chemins Temporels qui, lors de la première offensive d’Adriel, avait manqué rendre Zane fou quand sa jeune sœur sortit du temps afin de les sauver.

Comprendre comment ils avaient été si rapidement retrouvés, se força-t-elle à se concentrer. Elle était pourtant certaine que cela n’avait pas de rapport avec une éventuelle utilisation de la Source par Zane, une hypothèse qui aurait pu tout expliquer. Non seulement l’adolescente aurait senti une telle manifestation de puissance, ses sensations bien plus développées ces derniers temps du fait de sa manipulation du kaïru de Thiers plus fréquente lui assurant une certaine assurance dans ce domaine. Mais surtout, et plus important encore, elle ne croyait pas une seconde que son frère avait usé du pouvoir de la Source pour créer son portail. Certes, la puissance déployée existait bel et bien, impossible de le nier. Néanmoins, les pouvoirs de Zane n’avaient guère été empreints du Pouvoir de la Source, elle en était certaine.

Soudainement, plongée au sein de cet entre-deux dépourvu de logique, Zair réalisa que pas une fois, de toute son enfance, de sa vie entière même, elle n’avait senti son frère se servir du kaïru de Thiers. Pire encore, la seule fois où sa mère, Averitia, avait tenté d’introduire un cristal de jäadi sous sa peau, censé focaliser plus efficacement l’énergie pervertie par Thiers, Zane avait complètement perdu l’esprit, massacrant une partie de l’audience venue assister à la cérémonie. Pourtant, le pouvoir résidant en lui ne venait guère entièrement du kaïru plus classique, ses caractéristiques différaient bien trop.

Et si Zane était tout simplement incapable de maîtriser le kaïru de Thiers ?! Tirant ses dons d’une autre forme de kaïru ?! Hélas, cela ne fut guère suffisant pour empêcher l’équipe de se faire malmener par Teos…

Et une fois encore, ce fut au sein de cet univers cauchemardesque, pavant les souvenirs de son enfance, que la Radikors trouva refuge. Une fraction de seconde après avoir été propulsé dans les airs par une attaque de Vexus, son échine heurtant le sol violemment… En dépit des innombrables années d’entraînement endurcissant son esprit et son corps, Zair ne put lutter, sombrant instantanément dans une inconscience presque bienfaisante. N’était l’image de l’homme qu’elle aimait en ignorant tout bon sens, immobilisé sans savoir comment, ni pourquoi, incapable de se défendre face à Saïn. De même, Zane avait-il réellement crié son nom ? Peut-être. En tous les cas, jamais elle n’aurait cru qu’elle parviendrait à s’échapper, d’une manière ou d’une autre. Car si elle conservait un semblant de réflexion, même détachée de son corps, il fallait bien qu’elle fut vivante. Une option inenvisageable si Teos, ou ses nouveaux compagnons Hiverax, avaient mis la main sur elle.

Puis vint cette sensation écrasante… Cette force si vive, si brutale, si brute dans son utilisation du kaïru de Thiers, que la jeune femme crut perdre l’ensemble de sa sanité mentale d’un seul coup. Une puissance incroyable, imbattable. Elle ne faisait pas le poids contre cette manifestation létale, elle le sut instantanément.

Au moins équivalente au pouvoir colossal ayant attaqué la forteresse, contraignant ses occupant à la fuite.

Et pourtant, elle parvint à repousser la panique, retrouvant ses capacités de réflexion, avant de se retrouver absorbée toute entière par cette présence écrasante, douée d’intelligence, ne possédant plus rien d’humain. Une fraction de seconde. Une fraction de seconde, qui décida de sa survie ou de sa perte définitive.

Oubliant tout principe de précaution, Zair réunit la force pulsant encore au fond de son être, propulsant son esprit loin, bien loin de ce terrain de jeu si facilement accessible à la présence destructrice. Courant se réfugier au seul endroit lui étant assez familier pour lui assurer une chance de fuite. Craignant que sa seule soustraction à son assaillant soit insuffisante, elle poussa plus loin, loin, loin encore, s’enfonçant au cœur des Chemins Temporels, prenant seulement garde à ne pas se laisser entraîner par un espace-temps ne lui correspondant guère, empruntant des sentes immatérielles s’effaçant sitôt son pied posé. Jusqu’à se laisser dériver, brisée de fatigue, rompue par l’angoisse de ne plus trouver sa place nulle part, par le chagrin de n’avoir rien pu faire pour Tekris, épuisée par l’inquiétude de ne savoir si Zane était encore en vie.

Attendant sans remuer le moindre flux de son pouvoir en priant pour s’être suffisamment éloignée pour ne plus être sous l’emprise de la puissance la poursuivant, la jeune Radikors perdit totalement pied, réduisant son activité à esquiver les dangers immédiats, obligée de reprendre un semblant de force si elle souhaitait continuer de lutter, d’une manière ou d’une autre. Combien de temps s’écoula entre son abandon partiel, et le sursaut de volonté de son cœur, s’offusquant de son inactivité, cela lui demeurait inconnu. Si elle et son équipe s’étaient abandonnés au désespoir de la sorte, jamais ils n’auraient pu acquérir la place qu’ils s’efforçaient aujourd’hui de défendre, envers et contre tous ! Plus encore, aucun d’entre eux, rebuts d’un Univers qui ne désirait rien d’autre que leur perte, n’aurait survécu assez longtemps pour devenir combattant ! Alors, cela entrait dans son devoir d’honorer l’opiniâtreté de son frère qui, enfant, vint la prendre par la main au lieu de s’enfuir seul, alors que le Dôme d’Honneur brûlait de kaïru et de sang !

Inspirant profondément (ou ne faisant rien de semblable, qui pouvait bien le prédire ? C’était bien la première fois qu’elle pénétrait au sein des Chemins Temporels sans son enveloppe temporelle), Zair repoussa les bribes de pensées tourbillonnant sous son crâne, usant toujours plus de son pouvoir à peine partiellement rétabli pour créer un champ de force de kaïru de Thiers autour d’elle. Heurter un espace-temps au moment où elle tentait de réintégrer son corps ne figurait guère parmi ses priorités. Ne pouvoir fermer un instant les paupières, ou occulter leur présence étouffante, manquait déjà la perturber suffisamment pour ne pas ajouter d’autres difficultés. Elle se devait de retrouver les siens. Voilà qui était vital, pour eux tous.

Elle n’en pouvait plus d’ignorer le sort leur étant réservé ! Plus de se demander sans arrêt si elle pourrait, à son réveil, profiter d’une absence de Zane pour caresser de nouveau la forte poitrine de son coéquipier.

Invoquant une image mentale de son enveloppe charnelle, tentant d’imaginer quelle représentation elle donnait à observer à ses coéquipiers (guère sexy, elle n’en douta pas une seconde, avec la multitude de blessures parcourant sa peau… Sans parler de l’état de ses vêtements – et d’elle-même, si plusieurs jours s’étaient écoulés sans une bonne douche), la jeune femme se concentra sur le lien certes ténu, mais toujours présent, la reliant à son enveloppe charnelle, légère pulsation lui servant de phare dans la nuit éclatante l’entourant de ses membres fantomatiques. Hors de question de lui donner la satisfaction de couler dans son étreinte. Son énergie se concentrait certes dans son entité astrale, mais son corps en contenait encore une parcelle, assez pour la guider. Juste un petit effort, une petite poussée aidante pour lui montrer la voie…

Hélas, au moment même où elle crut retrouver une trace de son enveloppe charnelle, une barrière de kaïru de Thiers se leva devant son esprit flottant, se jetant sur elle, la destruction gavant les liens immatériels manquant de peu se saisir de son entité astrale. Poussant un cri inaudible, projetée en arrière par une force encerclant les espaces-temps les plus proches, Zair recula violemment, réunissant son kaïru intérieur autour d’elle. Avisant un passage d’espace-temps à quelques millimètres d’elle, l’adolescente plongea, se glissant entre deux de ses comparses, frôlant le plus près possible les plans de différentes réalités composant l’essence même de l’existence afin de brouiller les pistes. Enfant, son père, le Maître du Dôme dont elle refusait de seulement penser le nom, poussait sa maudite Compétence au maximum dans le but d’obtenir des prédictions sur son avenir, ou un moyen de neutraliser définitivement les adversaires se dressant sur sa route en les privant de ce qui leur inscrivait une place dans le monde : leur naissance dans une des lignes du Temps, et par extension de l’Histoire. Autant il connaissait sur le bout des doigts les opportunités offensives du pouvoir de sa progéniture, autant elle n’avait guère eu le temps d’apprendre à user de son don empoisonné de manière plus subtile. Aussi devait-elle sans cesse improviser, croisant les doigts pour que ses prises d’initiative fonctionne de manière adéquate. Et encore, peinait-elle à utiliser ses pouvoirs sans finir allongée sur un lit, à deux doigts de rendre tripes et boyaux, tant cela lui demandait un effort considérable.

Certes, par la suite, elle parvenait à réitérer l’expérience en diminuant fortement les dommages infligés à son être, néanmoins, maîtriser les marionnettes d’Adriel lui avait valu plusieurs heures de faiblesse insupportables, passées patiemment uniquement parce que Tekris la distrayait admirablement.

Or, il lui apparaissait de plus en plus clairement qu’à présent que la retraite de Zane et d’elle avait été éventée de toutes les manières possibles, rendant inutiles leurs précautions pour tenir le kaïru de Thiers éloignés d’eux et surtout des Oreilles, il lui fallait rattraper ces années perdues et combler ses lacunes avec l’énergie artificielle coulant dans ses veines… contre son gré. La souffrance, la folie et la destruction…

Aurait-elle la force de lutter contre ces menaces appâtées par sa force intérieure, alors qu’elle repoussait la haine et le désir de faire payer les blessures infligées à Tekris de la pire des façons uniquement en se concentrant ailleurs ?! Pourquoi continuer à prêcher le raisonnable, alors que la sentence était juste ?

Peu à peu, elle commençait vaguement à comprendre comment la vengeance avait pu devenir, durant toutes ces années, l’un des moteur de son frère, l’obnubilant tant qu’il en oubliait les deux fidèles coéquipiers se tenant à leurs côtés. Être emportée par le torrent de colère bouillonnant insidieusement sous sa chair se révélait extrêmement tentant. Pourtant, elle refusait de céder. Pour avoir observé de près les effets d’un tel emportement sur son frère, elle savait ne jamais vouloir ressembler à cela, bien que cela fut cruel.

S’apercevant ne plus être poursuivie, ou du moins trop éloignée pour être véritablement en danger, l’adolescent cessa de fuir, les membres de son entité astrale tremblant de fatigue. Elle était bien trop atteinte par les récentes attaques, et trop peu expérimentée du fait de sa longue absence de maniement des espaces-temps, pour rester indéfiniment dans les Chemins Temporels. Il en allait de sa survie désormais.

Mais quel voie emprunter ? Songea-t-elle piteusement, promenant son regard sur les Chemins s’étendant à perte de vue, sans cesse changeants, totalement inconnus de ses perceptions. Habituellement, quand elle entrait dans ces sentes maudites, inaccessibles au commun des peuples de l’Univers, c’était un fait volontaire. Inscrivant les espaces-temps sujets de son attention, elle parvenait à inscrire leur marque en elle, puis à les manipuler à sa guise, les retrouvant n’importe où pourvu qu’elle ne se laisse distraire. Car il était fréquent, et bien trop facile, de perdre sa concentration et de laisser filer le filon lui permettant de se repérer.

Exactement comme maintenant… Rien de ces dimensions grisâtres, puis écarlates, éclatantes avant de devenir aussi ternes qu’une étoile morte, ne lui évoquait le moindre souvenir, tout comme son kaïru intérieur ne reconnaissait pas la moindre parcelle de pouvoir. Comment retrouver son chemin à présent ?!

Si seulement elle savait où Tekris se trouvait, il lui serait tellement facile de le rejoindre !

Écartant sans ménagement la panique sourdant au creux de sa poitrine, luttant contre sa colère, née de l’impatience de ne pouvoir agir, Zair tendit une main intangible en direction d’un espace-temps, l’attirant à elle… Ou se laissant approcher par lui, elle ne le sut pas exactement.

Soudainement, les contours des Chemins Temporels s’effacèrent, ne laissant qu’une fragrance de kaïru que l’adolescente suivit prudemment. Elle sentit que cet espace-temps appartenait à une femme, jeune, ou du moins à peine adulte, ses traits se gravant dans sa mémoire sans lui permettre de les convoquer assez pour reconstituer un visage. Les temps étaient heureux en cet instant, miraculeusement. Une manipulatrice de kaïru également, comprit-elle instinctivement, les remous de l’énergie venant la heurter sans qu’ils ne la happent au sein de cet espace-temps. Sûrement s’était-elle trouvée attirée par les capacités de la femme parmi toutes les autres possibilités l’entourant. L’inconnue secoua sa longue chevelure brune, l’azur de son regard balayant rapidement le lac s’étendant à perte de vue devant sa silhouette musclée par les années, sans prétention. Les éclats nitescents reflétés par un soleil argenté, aussi énorme que s’il avait avalé la Voie Lactée toute entière, formait de superbes reflets aux formes indescriptibles sur la peau épaisse, d’un doux gris pâle, de la combattante, doucement allongée sur une serviette trempée par une récente baignade. Étrangement, bien que cette scène lui parut des plus crédible, une délicate brise effleurant son corps dématérialisé, Zair sentit comme un sentiment d’urgence, de temporalité, beaucoup plus intense qu’au sein de tous les espaces-temps rencontrés au cours de sa vie.

Comme si tout cela était voué à disparaître d’ici peu, impitoyablement écrasé par les lois éternelles de l’existence. Peut-être qu’elle assistait en direct à une mort proche, supposa intérieurement la Radikors, incapable de mettre des mots sur ses sensations. Parfois, un professeur n’aurait guère été de refus…

Surgissant comme par magie d’un affleurement rocheux, bien trop subitement pour que cela soit accepté par les lois de la physique, un homme s’approcha doucement de la jeune femme, aura écrasante interdisant aux passants d’ignorer sa présence. Majestueux, il s’arrêta à quelques pas de la combattante, un sourire forcé aux lèvres, un X-Reader de forme inconnu de Zair battant son flanc gauche. Même dépourvue de son corps physique, la Radikors comprit que quelque chose d’énigmatique se produisait là, une force certaine bouillant au sein de l’homme, alors que son kaïru se révélait d’une faiblesse absolue. Jamais un type de sa trempe ne parviendrait à accéder au rang de Redakaï. Obtenir un X-Reader figurait sûrement parmi la plus grande – et la dernière – des avancées de sa carrière de combattant. Pourtant, un pouvoir certain pulsait par intermittences, renforçant l’arrogance peinte sur son visage d’une once d’assurance mystérieuse.

Remarquant enfin la présence de l’homme, la femme, de taille moyenne, se redressa, courant se réfugier contre sa large poitrine, trop petite pour poser le menton sur l’épaule de son compagnon. Retenant une grimace agacée, l’homme, ses cheveux violets retombant entre ses omoplates fermement noués en catogan, tapota le haut de son crâne, observant avec envie l’immensité libre et tranquille du lac. S’écartant de la puissante poitrine, la femme fut trompée par le sourire faussement tendre de l’homme, une main posée sur son ventre légèrement proéminent. Ouvrant la bouche, sans que Zair n’entende quoi que ce soit, elle plongea la main dans sa poche. Enfin, l’adolescente reconnut le type. Un homme appartenant autrefois à l’ordre des combattants, d’après le livre récapitulant l’histoire du Redakaï volé par Zane alors qu’il était encore élève de Baoddaï. Emmett, si elle se rappelait bien, extrêmement faible dans son art, mais utilisant ses maigres compétences pour renforcer au maximum ses capacités physiques et mentales, le rendant presque totalement insensible aux attaques bleues. Néanmoins, en le voyant se dresser devant elle, Zair comprit qu’autre chose se cachait derrière la particularité inexplicable d’Emmett. Quelque chose lui étant totalement inconnu.

Une petite seconde ! D’après tous les rapports du Redakaï, Emmett avait soudainement disparu il y avait de cela une quinzaine d’années, et était déclaré officiellement mort par les Maîtres kaïru ! Comment pouvait-il se tenir devant elle, et dans l’espace-temps d’une autre femme combattante, dépourvue de formation si Zair se fiait à l’absence d’emblème ou de X-Reader à sa taille ? Par quel bizarrerie…

Ses interrogations s’étranglèrent au creux de sa gorge. Souriante, bien trop confiante pour les sentiments agitant son compagnon, la jeune femme tira de la poche de son pantalon ample un anneau, pendant au bout d’une petite chaînette scintillante, de ses mains extrêmement fines, pourvues de minuscules doigts, plus petits encore que les siens. Déglutissant péniblement, Zair porta instinctivement la main à son cou, observant sans d’abord pleinement réaliser l’homme ôter de son propre majeur un anneau similaire, le confiant à sa compagne. Interloquée, la femme esquissa un mouvement de recul, avant de se laisser convaincre par le discours rassurant de son vis-à-vis, acceptant de lui confier son précieux collier pour qu’il y ajoute son anneau. Lui promettant probablement de revenir au plus vite le récupérer, quand il aurait amassé assez de gains pour les faire vivre, elle et l’enfant qu’elle portait, décemment.

Car Zair reconnaissait sans peine les bagues, ternies par les années, que Tekris portait depuis quelques semaines en permanence autour de son cou. Mais pourquoi voyait-elle une telle scène, maintenant ?!

Ouvrant une bouche inexistante, la Radikors voulut hurler à la naïve inconnue de retenir son compagnon, alors que celui-ci tournait les talons en promettant monts et merveilles. Il ne reviendrait pas, et son fils ne verrait jamais le visage de l’homme qui l’avait engendré, cela ne paraissait guère assez évident ?!

Hélas, elle ne l’entendit pas, et ses déclarations se perdirent dans le tourbillon d’une existence déjà révolue depuis des années. Atterrée, Zair avança d’un pas, tendant le bras vers la femme…

… et se retrouva brutalement propulsée hors de l’espace-temps, les contours du passé s’effaçant sans prévenir autour de son entité astrale, la laissant démunie au milieu des Chemins Temporels. Que venait-il réellement de se passer ? Car enfin, aucune chance que cette scène ne se déroule dans le présent, pas avec les détails connus de Tekris, et rapportés à sa petite amie avant leur séparation ! Alors quoi ?

Jamais, jusque-là, Zair n’avait croisé quelconque manifestation du passé lors de son utilisation de son pouvoir. Pourquoi cela changeait-il maintenant ? S’était-elle égarée trop loin pour… revenir ?!

Une violente distorsion des espaces-temps secoua l’adolescente, invoquant son kaïru intérieur pour se créer une protection efficace contre les collisions redoutables de brutalité des Chemins s’entrechoquant les uns aux autres. Mobilisant toute ses capacités pour éviter un choc mortel, Zair se tourna vers la source d’une telle perturbation, quelque part vers la droite de cet entre-deux (à moins que cela ne fut vers sa gauche ? Impossible à dire). Une présence agressive, vorace, venait subitement d’apparaître, concentré de haine, de violence et de douleur refoulées, niées, se frayant une voie toute tracée à travers les Chemins Temporels… tout en paraissant ne pas savoir réellement où se diriger. Il arrivait parfois qu’une conscience s’égare au sein des espaces-temps, bien que chacun ignore comment une telle chose soit possible, avant de s’effacer rapidement pour réintégrer la temporalité lui étant propre sans autre remous.

Alors qu’elle se dirigeait vers la forme, surprise de ne pas la sentir disparaître, Zair remarqua qu’une autre entité astrale, bien moins éclatante, vacillant à chaque fois qu’un espace-temps la frôlait, s’accrochait inconsciemment à l’écrasante présence confortablement installée derrière ce qui aurait pu correspondre à une épaule. Presque comme si la première guidait la seconde à travers ce dédale, et…

Les larmes montèrent aux yeux de l’adolescente, dès qu’elle reconnut la signature si particulière, inexistante pour le reste du monde, bien trop reconnaissable pour elle depuis qu’elle l’avait imprimé de force à un corps mourant. Zane ! C’était son frère à elle, ou plutôt son corps dématérialisé, qui se trouvait ainsi guidé par une sorte de forme astrale indéfinissable ! Alors, elle n’était peut-être pas si éloignée de sa réalité !

– Zane ! C’est moi, Zair ! Ta sœur ! cria l’adolescente, heureuse de constater que sa voix portait, une fois sortie de l’espace-temps d’un autre.

Hélas, la forme brumeuse, reconnaissable de par la forme si spécifique de sa temporalité, ne réagit guère, comme plongée dans une réflexion intense, connue d’elle seule.

Se tournant d’un bloc en direction de l’intruse, la présence écrasante, agressive, braqua son regard, inexistant et pourtant transperçant son âme, sur elle. Dans un hurlement rageur, sa prise se referma sur la forme de son frère, abandonnée dans les Chemins Temporels sans la guidance de cette chose.

Repoussée tel un fétu de paille, Zair lâcha un cri étranglé, comprenant que pour le moment son épuisement ne lui permettrait pas de prendre le dessus. Battant en retraite malgré l’inquiétude et la colère tordant son ventre, la Radikors se concentra sur l’émanation des deux entités, focalisant son attention sur la maigre trace astrale qu’elles laissaient derrière elles. Il restait une chance sur deux que son corps physique se trouve près de Zane ; en ce cas, ne lui restait plus qu’à lutter contre le temps menaçant de l’enfermer à jamais dans les Chemins pour remonter la trace de son frère.

Et si jamais elle se trompait, et que son esprit dématérialisé s’égarait plus encore de son enveloppe charnelle, ne lui restait plus qu’à trouver un jeu de cartes égaré dans un recoin sombre. Elle se savait joueuse. Aujourd’hui, le jeu se révélait plus important que la chandelle, et elle n’était guère décidée à abandonner la partie. Inspirant profondément, serrant les poings pour ne pas se gratter furieusement le bras, Zair plongea, jetant un dernier regard en direction des deux formes, déjà presque hors de portée de sa perception. Même à une telle distance (ici, un pas pouvait aisément lui faire parcourir des kilomètres entiers… Si encore cela avait une quelconque valeur quand seuls le temps et la distorsion de l’espace régnaient), la fureur de l’entité accrochée à la conscience vacillante de son frère la frappait de plein fouet, comme un avertissement muet l’incitant à ne plus jamais s’approcher d’eux. Et peut-être pas seulement dans cet entre-deux dématérialisé.

Se promettant de creuser davantage la question une fois de retour dans son enveloppe charnelle, Zair se détourna, continuant sa progression. La trace de son frère s’éteignait promptement, et pourtant bien trop lentement pour les connaissances de la Radikors. Les espaces-temps étaient censés se mouvoir, naître puis disparaître, se tordre puis se recomposer avec une telle vélocité, qu’aucune trace ne pouvait perdurer plus de quelques secondes, à moins d’avoir marqué profondément les Chemins Temporels… Ou qu’un maître dans l’art de maîtriser ces sentes infinies (tel son père, en son temps, ajouta mentalement l’adolescente, la poitrine douloureuse) ait la puissance de fixer la trace d’un espace-temps en plein vol.

Mais suivre celle de deux entités, censées ne pas pouvoir se mouvoir, ni exister en ce lieu ?!

La présence de ces deux formes astrales étaient une aberration même, Zane ne maîtrisant guère quelconque Compétence temporelle. Ne restait plus qu’à identifier son mystérieux guide, peut-être.

Augmentant encore sa vitesse, refoulant la nausée indiquant que son pouvoir intérieur était sur le point de s’épuiser définitivement, Zair dirigea l’entièreté de sa conscience vers la direction empruntée par les deux entités. Enfin, cela n’aurait pas dû lui prendre autant de temps. Son cœur palpita plus violemment contre sa cage thoracique. La force ayant tenté de la soumettre, durant son inconscience momentanée face aux Hiverax, serait-elle encore là, à l’attendre, l’enfermant cette fois pour de bon dans une dimension de cauchemar ? La laisserait-elle réintégrer aussi facilement son corps ?

Ses dents se serrèrent douloureusement, grinçant furieusement. Personne ne lui prendrait sa vie. Personne ne l’empêcherait de sentir les bras puissants de Tekris autour d’elle, ou de protester contre l’immaturité de son frère ! Il lui faudrait trouver la force de lutter, d’une manière ou d’une autre.

Si seulement elle ne se sentait pas aussi vidée…

S’exhortant à reprendre ses esprits, l’adolescente ne tarda pas à ressentir la familiarité des espaces-temps l’entourant, le soulagement déferlant sur ses membres tant engourdis qu’ils lui permettaient tout juste de se déplacer. Son flanc la lança terriblement, diffusant une souffrance diffuse, à la limite du supportable, dans son esprit. Le souvenir de sa propre blessure. Plus elle se rapprochait de son corps, plus les dégâts lui étant infligés se transposaient nettement sur l’entité astrale, la Radikors n’ayant pas pénétré physiquement dans les Chemins Temporels. Une expérience qu’elle ne réitérait plus depuis le moment où elle avait apprit à y entrer entièrement, incapable d’emmener plus d’une personne à la fois avec elle.

Enfin, en dépit de ses réflexes un peu rouillés, elle ne s’en sortait pas si mal après tout, jugea-t-elle.

Il fut finalement devant son regard dématérialisé. Son espace-temps, propre à son existence, coexistant avec tant de ses semblables que si elle n’avait pas appris à occulter l’inutilité de certains, elle sombrerait volontiers dans la folie. Si proche désormais qu’elle éprouvait une impression semblable à celle des griffes d’Adriel se plantant dans sa chair tendre. Ignorant son pouvoir qui lui réclamait de cesser de le mobiliser, Zair tendit son esprit vers sa dimension temporelle, son inscription dans la ligne de l’existence, fusionnant avec son enveloppe charnelle en attente de sa propriétaire… et fut projetée à plusieurs pas de là, soulevée pour manquer rebondir contre deux espaces-temps sur le point d’entrer en collision.

Ne pouvant retenir un cri affolé, l’adolescente stoppa précipitamment la rencontre entre les deux plans temporels, les renvoyant d’où ils venaient, sans se soucier de leur destination. Elle tenta en catastrophe de s’unir à son corps. Certes, sa concentration laissait sérieusement à désirer, mais sa maîtrise aurait dû suffire. Malheureusement, un mur intangible, identique à celui l’ayant auparavant empêché de retrouver son chemin, se dressa devant elle, lui coupant tout retraite. Un nouveau cri, de frustration cette fois, franchit la barrière de ses lèvres, alors qu’un voile de ténèbres envahissait l’espace, recouvrant l’entièreté de son environnement sous sa coupe. Quelque chose s’empara de ses membres dématérialisés, les ramenant douloureusement dans son dos, bloquant le moindre de ses mouvements. Tentant de se débattre, l’adolescente invoqua sans réfléchir son lien avec la Source de Thiers, s’emplissant de kaïru une fraction de seconde avant qu’un choc ne l’ébranle. Sans son pouvoir la maintenant dans les Chemins, nul doute qu’elle aurait perdu ce combat avant même de l’avoir commencé.

Sans distinguer une seule seconde le marionnettiste derrière une telle démonstration de force, Zair fut frappée par la décharge d’énergie pure, destructrice, déversée dans les Chemins au moment où elle résista à l’asservissement échoué lui étant destiné. Croyant avoir affaire à une offensive visant directement son être, la Radikors dressa un bouclier mental devant son entité astrale. Son esprit se cabra violemment, tentant de fuir l’étreinte l’enserrant en s’esquivant, comme lorsqu’elle avait perdu conscience, une éternité auparavant.

Rien ne se passa. Pire encore, esquivant sans peine sa protection désespérée, l’invisible présence dédaigna un assaut de front, se greffant au lien grâce auquel elle puisait du kaïru de Thiers dans la Source. Criant de rage autant que de douleur, l’adolescente se plia en deux, émettant un faible gémissement dépité, parcourue de spasmes nerveux. Par les Six revenus des enfers, qu’est-ce que cette chose était en train de lui faire ?! Pourquoi ne pas l’achever en un coup, comme cela serait bien plus simple ?

La réponse lui parvint rapidement. Engloutissant sa silhouette de plus en plus frêle, Zair sentit son pouvoir l’abandonner lentement, absorbé par la créature qui osait ignoblement se jouer de sa faiblesse, alimentant la propre toile qu’elle avait fabriqué à l’attention de l’adolescente.

Le sang de Zair se glaça. Son assaillant ne comptait pas se contenter d’une bête victoire facile. Il avait l’intention de sucer ce qui faisait d’elle son esprit, ne laissant derrière son œuvre qu’une coquille inutile, vidée de pouvoir et d’âme. Une enveloppe ne contenant désormais rien d’autre qu’une souffrance incapable de s’exprimer. Déjà, la faiblesse menaçant la pousser à abandonner ses espoirs l’accablait encore davantage, corrompant les derniers restes de son kaïru, ceux qui lui permettaient de continuer à se diriger dans les Chemins.

Alors, tel était son destin ? s’interrogea-t-elle avec désespoir. Périr sous sa forme astrale, à demi fusionnée avec son espace-temps, sentant l’étincelle de vie animant son corps sans pouvoir la rejoindre ? Qui pouvait bien faire montre d’une telle cruauté ? Les daminiens étaient-ils si dépourvus de sens de l’honneur ? Ainsi, il était exact que Teos, Adriel et Saïn cherchaient à la tuer, elle… Et qu’elle était la cause de toutes les peines endurées par son équipe ces derniers mois. Des blessures marquant le corps de Tekris, pourtant parfaitement étranger aux lois cruelles de son lieu de naissance. Briser le Tabou de la Mort, pour se retrouver elle-même vaincue quelques temps après par le trépas, quelle ironie ! Non pas qu’elle se permette la prétention de croire en l’immortalité, certes non, néanmoins, elle aurait seulement souhaité connaître un peu plus longtemps le bonheur de marcher main dans la main avec un garçon acceptant l’intégralité de son passé, mieux, sans craindre de l’affronter avec elle. Était-il donc impossible d’échapper au Dôme, quand nul ne décidait de sa naissance, ou de son appartenance à sa famille ?!

Non. Non, répéta son esprit, enflammé par la colère. Ce n’était guère la question à se poser. De quel droit, plutôt, cette chose, quelle qu’elle soit, se permettait de la priver ainsi de sa force ?! De quel droit osait-elle l’empêcher de retrouver sa vie ? De sentir la poigne nerveuse de son frère la secouer dans le but de la tirer de son inconscience ? De tenir Tekris éloigné d’elle ? Enfin, au nom de quel arrêt divin quiconque avait la prétention de contrôler mieux qu’elle-même son destin !

S’accrochant de toutes ses forces au lien, dangereusement ténu, la liant à la Source, plus encore, à son kaïru intérieur, Zair opposa sa propre volonté à celle de son assaillant. Si elle parvenait à s’extraire de ce cocon mortel, à le rejeter hors de son espace-temps, elle serait probablement sauvée ! Et pour cela, il lui fallait s’attaquer directement à son origine.

Soudain, elle cessa de lutter contre l’ennemi. Au contraire, elle empoigna à pleines mains la puissance greffée à la sienne. Elle utilisait son appétit chronophage pour l’affaiblir, la réduire au néant ? Eh bien, Zair allait jouer au même jeu, à la virgule près ! Au sein des Chemins Temporels, elle était la plus puissante ! Et si par la plus grande des malchances, l’adolescente se fourvoyait, elle le deviendrait ! Si cette présence écrasante avait voulu l’emmener dans sa propre dimension, quelques heures auparavant, dans sa propre dimension, c’était bien probablement parce que ses chances de vaincre diminuaient dès qu’elle se devait de quitter son confortable cocon.

Du moins, Zair voulait le croire, de toute son âme.

Mobilisant sa vitesse, admise par l’ensemble des combattants, Zair prit son assaillant de vitesse, alors même que ce dernier paraissait comprendre son intention. Investi par le pouvoir incommensurable tentant d’annihiler le sien, l’adolescente sentit le kaïru déferler en elle, si brutalement qu’elle crut une fraction de seconde être emportée. Mais au lieu de se dissoudre avec le tourbillon de force manquant déchiqueter ses os jusqu’à la moelle, elle projeta le surplus d’énergie directement dans son propre espace-temps, priant pour que cela le renforce, et n’accélère pas au contraire l’attaque la visant.

Son propre pouvoir commença à enfler en son entité astrale, éloignant sa faiblesse.

Si elle ne bougea pas, ne pouvant à la fois gérer le flux d’énergie et continuer de tenter d’échapper à la poigne l’enserrant, l’adolescente jeta toute la violence de ses sentiments dans la bataille, ignorant toujours tout de son ennemi, bien plus ébranlée que durant l’ensemble des batailles kaïru menées auparavant.

Dans les Chemins, elle était la plus forte ! Elle le devait ! Nul ne détenait une Compétence tant en phase avec eux depuis des décennies ! Personne ne la vaincrait !

L’assaillant frappa, une seule fois, mais si violemment, qu’elle en eut comme le souffle coupé. Elle vacilla, sentant l’ennemi s’accrocher plus fermement à son espace-temps, refusant de le quitter aussi facilement, quitte à la détruire dans la manœuvre.

L’esprit embrumé, ne fonctionnant guère correctement, l’adolescente réalisa que si jamais il parvenait à fusionner, même partiellement, avec sa ligne temporelle, elle ne pourrait plus se débarrasser de lui. Mais comment le repousser ? Comment faire, quand il avait déjà trouvé la voie jusqu’à elle !? Et ce, depuis l’affrontement contre les Hiverax, leurs cœurs dématérialisés battant presque à l’unisson.

Une formidable vague de chaleur et de puissance monta en elle. Tremblant à cause de l’invasion de force se déversant en elle, Zair sentit un sourire carnassier étirer ses lèvres.

Le problème était qu’en ce moment précis, dans son présent, l’assaillant avait pénétré au sein de ce qui formait l’essence de son existence ? Alors elle allait remonter, remonter, jusqu’au moment où il ne la connaissait guère, jusqu’au moment où il ne pouvait l’atteindre ! Personne ne croyait, dans son enfance, qu’il soit possible de déjouer ainsi le temps. Plus encore, on lui avait enseigné que les espaces-temps pouvaient seulement être manipulés, voir contrôlés, dans le présent. Mais n’avait-elle pas prouvé, en ramenant son frère mort à la vie, ses capacités à briser les Tabous ? Au point où elle en était, pourquoi ne pas se dépasser, et réussir l’impossible ? Elle n’avait plus rien à perdre désormais.

– Il faut que cela cesse ! hurla-t-elle à l’immensité des Chemins.

Et elle s’immisça au cœur de sa propre existence. Empoigna, bien qu’elle ne sut pas exactement, son espace-temps. Imita les gestes que lui imposa son instinct, ce maudit jour où, abandonnant toute prudence, elle avait ramené son frère, l’avait forcé à fermer de nouveau les yeux. Dans un cri provenant des tréfonds de ses entrailles, Zair s’engloutit volontairement, toute entière, en son sein. Utilisa toute la force conjuguée de son assaillant, et la sienne propre de nouveau alimentée, étendant un réseau serré de cordons, ou de toiles, peu lui importait, tout autour d’elle, envahissant l’entièreté de l’espace l’entourant.

Revenir en arrière, une nouvelle fois, pour échapper à l’emprise de l’ennemi, à défaut de pouvoir faire disparaître les existences des Hiverax, de Lokar, de Teos et de ses deux acolytes ! Là où personne d’autre qu’elle-même avait le pouvoir sur son destin.

Certaine de maîtriser totalement son espace-temps, Zair écarta les bras, laissant toute la puissance de sa ligne temporelle glisser le long de ses bras. Remonta, encore, plus loin, glissant le long de existence avec une violence qu’elle aurait volontiers associée à son frère. Un hurlement rageur explosa au fond de son crâne, ébranlant un instant sa détermination, alors que la présence de son assaillant commençait à se dissoudre dans le néant des Chemins. Pas assez pour l’arrêter, cependant, l’adolescente continuant à avancer, encore et encore, le cœur au bord des lèvres, son pouvoir menaçant de brûler ses entrailles. Elle sentit le lien l’unissant au pouvoir de son assaillant, et à la Source, s’amenuiser à une vitesse alarmante, seule une fraction nécessaire à son action subsistant. Sans savoir ce qu’elle faisait, qu’elle parvenait à le faire, sans pour autant avoir la moindre idée de comment sinon que cela ressemblait à la résurrection de son frère, elle continua à lutter, encouragée par sa reprise lente du contrôle de son destin.

Un feu imaginaire envahit son crâne, se transformant rapidement en un brasier incontrôlable, alors que la blessure sur son flanc cessait peu à peu de l’élancer. Purificateur, aurait-elle dit. Au sein de ce cyclone incontrôlable, son assaillant lâcha soudainement prise, une colère sauvage tentant de réduire en cendres l’adolescente, déjà hors de portée de sa fureur. Et elle, entière au beau milieu de ce déchaînement de pouvoir, elle continuait son ascension, ignorant les obstacles se dressant sur son passage.

Elle n’eut pas l’occasion de se réjouir. Perdant d’un seul coup sa source principale d’alimentation, son kaïru intérieur atteignant les limites extrêmes de sa Compétence, quelque chose rompit le charme tout-puissant, la vidant de toutes ses forces. Sentant le retour de sa démonstration de pouvoir se retourner contre elle, Zair recula, enfin, la peur tiraillant son entité astrale. D’un bond, elle fuit le souffle impossible à arrêter, se précipitant au sein de son espace-temps, tendant son esprit entier vers son enveloppe charnelle.


µµµ


Zair reprit brutalement conscience, le souffle court, la sueur trempant ses membres tremblants. Elle remarqua tout d’abord l’absence de vitres aux fenêtres taillées à même la terre cuite, ou la roche, la luminosité crépusculaire l’empêchant de se faire une idée précise. Œil blanc accusateur, lui reprochant de transgresser une nouvelle fois les règles élémentaires de la vie, l’astre lunaire étendait sa lumière blafarde sur les planches serrées les unes contre les autres formant le plancher de ce qui ressemblait à s’y méprendre à une chambre. Certainement pas la sienne, vu comment elle avait été détruite lors du dernier passage d’Adriel. De plus, de nombreuses heures avaient dû déjà s’écouler, le ciel se parant d’une robe rosée au plus éloigné de l’horizon. Or, ses derniers souvenirs remontaient au début d’après-midi.

Mais dans ce cas, où pouvait-elle bien se trouver ? Où étaient Zane et Tekris ?!

Observant avec curiosité les petites taches arrondies s’accumulant sur la couverture protégeant son corps de la fraîcheur nocturne, l’adolescente passa machinalement une main sur sa joue. La retirant, elle fut surprise de constater l’humidité tapissant la pulpe de ses doigts. Des pleurs ? Pourquoi ?

La douleur revint, en même temps que le souvenir du brasier ayant manqué de la consumer, la pliant un instant en deux. Un gémissement incontrôlé s’échappa de la barrière de ses lèvres, résonnant dans la pièce. Malgré son corps à l’agonie, réclamant grâce, elle repoussa d’un geste la couverture, s’appuyant sur la commode disposée près de la tête de lit pour se redresser, examinant son environnement. Le monde tangua tel un navire en pleine tempête, mais elle tint bon, choisissant prudemment de ne pas se lever immédiatement. Ce n’était pas le moment de s’étaler lamentablement contre le sol…

Un claquement sec retentit sur sa gauche. Les yeux ronds, regrettant de ne pas posséder ses fidèles couteaux, Zair observa un second battant, presque invisible, s’ouvrir précipitamment.

Quand le vert de ses iris rencontra l’onyx des pupilles de son frère, Zair plaqua une main sur sa bouche, les larmes coulant plus fort encore sur ses joues. La surprise marqua un instant les traits de Zane, indécis quant à déterminer s’il s’agissait d’un rêve, ou de la réalité. Chassant d’un revers du poignet les sanglots s’accumulant au coin de ses yeux, l’adolescent prit appui sur le meuble le plus proche, boitant affreusement alors qu’il se dirigeait péniblement vers sa coéquipière.

Surgissant des ombres, derrière lui, Koz se figea un instant également, avant de renoncer à s’interroger, glissant une épaule sous l’aisselle de Zane pour l’aider à franchir la distance séparant les deux combattants.

Tombant lourdement sur le matelas, le chef des Radikors avança les bras vers sa sœur. Craignant de recevoir une manifestation de sa colère, Zair crut rêver quand la poigne de Zane se referma autour de ses épaules. Cédant rapidement, à peine consciente de la présence de Koz à leurs côtés, l’adolescente répondit fortement à l’étreinte, plongeant le nez dans le cou tiède de son frère.

Depuis combien de temps ne s’étaient-ils laissés aller à cette simple manifestation de tendresse ?

Reprenant rapidement contenance, Zane s’écarta, tenant sa sœur par les épaules tandis qu’il l’examinait minutieusement.

– Tu vas bien ? demanda Zair, posant ses mains sur les poignets seulement pourvus de bandelettes.

– Je n’ai pas à ma plaindre, plaisanta Zane, forçant un sourire tandis qu’il s’efforçait de laisser une de ses jambes hors de vue de sa coéquipière.

Retenant un sourire, Zair se retint de lui faire remarquer qu’elle avait vu depuis longtemps le bandage l’enserrant.

– C’est plutôt à toi qu’il faut poser la question. Quelle idée de jouer les Belle-au-Bois-Dormant en pleine situation de crise ?

– Crois-moi, à choisir, j’aurais préféré danser avec le diable au clair de lune, plaisanta l’adolescente, calant son dos contre le mur. Où sommes-nous ?

– Au monastère. Après la… dernière attaque, je n’ai eu d’autre choix que de venir ici, puisque Ekayon semble éprouver une certaine sympathie pour nous, railla Zane, jetant un regard discret en direction de Koz pour lui promettre de plus grands détails… une fois les oreilles inquisitrices éloignées. Il y a eu quelques progressions, mais nous verrons tout cela plus tard. Dis, tu es sûre d’aller bien ? Tu ne me paraissais pas très en forme, tout à l’heure.

– Ne t’inquiète pas, un peu de repos et tout ira mieux, assura-t-elle, lui adressant un sourire réconfortant.

Étrangement, Zane ne parut guère rassuré, croisant les bras sur son torse.

– Oui, enfin, un peu plus si on considère ta blessure, corrigea-t-il sèchement.

Étonnée, Zair se figea. Sa blessure ? Mais elle ne se sentait guère entravée, de quelque manière que ce soit, pourtant.

Les mains tremblantes, elle baissa le nez vers le bandage ceignant sa taille. Certes, de larges auréoles sombres laissait présager que le sang avait coulé durant son sommeil, néanmoins…

Ignorant les protestations indignées de son frère – et répondant encore moins à ses fréquentes remises en question de la sanité mentales de sa sœur –, Zair s’empara du bout de la bande, ôtant le tissu clair de son flanc précipitamment. Une fois débarrassée de l’encombrante gaze, ses doigts fins se promenèrent pensivement sur sa chair fine. Aucun signe qu’elle ait été blessée une poignée d’heures auparavant ne marquait sa peau, pas même une maigre cicatrice.

– Mais par quel maléfice… souffla Zane, perturbé. Il n’y a pas deux jours, tu pouvais à peine marcher, et maintenant ça ?! Comment ?

– Je crois… (la gorge sèche, Zair humecta ses lèvres de sa langue, incertaine.) Je crois que j’ai remonté mon propre espace-temps, avant que ma blessure n’existe.

– Attends, c’est possible ça ? Et tu arrives à te guérir de la sorte ? s’étonna sincèrement Zane, ignorant les suppliques muettes d’un Koz ne comprenant rien à ce qui se déroulait devant lui.

Haussant les épaules, ne comprenant guère davantage, Zair se détourna, posant son front contre sa poitrine.

– Jusqu’à aujourd’hui, non, avoua-t-elle piteusement.

Un long silence ponctua ses paroles, Zane, cédant à une impulsion, glissant maladroitement une main contre le crâne de sa sœur, tendu à craquer tandis qu’il se demandait quoi faire de sa paluche désormais, hésitant. Finalement, le chef des Radikors reprit la parole, un voile de tristesse presque imperceptible teintant sa voix.

– Je crois qu’il y a quelques petites choses que tu dois m’expliquer, très chère.


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Bonjour, ou bonsoir !


Au milieu de l’avalanche de catastrophes s’effondrant sur les Radikors, de nouveaux espoirs naissent lentement… Ou, au contraire, s’effondrent. À savoir maintenant comment notre équipe favorite va réussir à tourner les évènements à leur avantage ;)


Comme toujours, j’espère que ce chapitre vous aura plu ! N’hésitez pas à laisser un commentaire, c’est toujours très encourageant !


Sur ce, bonne journée, ou soirée, et à bientôt !


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