Au commencement de la fin
Je levai les yeux vers le bâtiment qui se dressait devant moi, un léger frisson de peur me parcourant le dos. L'orphelinat -puisque ça en était un- avait des murs d'un gris sale, couverts par endroits de traînées plus sombres laissées par la pluie ou de tâches plus claires dues au lichen qui poussait sur les pierres humides . Les fenêtres étaient sales également. Le portail, que je venais de franchir, était rouillé, et ne devait jamais avoir été huilé, à en juger par le grincement horrible qui se faisait entendre lorsqu'on l'ouvrait. Le petit jardin, si l'on pouvait appeler «jardin» les deux bandes de gazon parsemées de ronces et de vieux arbres qui couraient le long de l'allée menant à l'entrée, était en friche, l'herbe devait arriver aux genoux du jeune garçon. La misère de ses pensionnaires semblait suinter à travers ses murs, créant une atmosphère lugubre à l'entrée.
-Ne t'en fais pas, c'est mieux à l'intérieur.
C'était le policier, qui m'accompagnait, qui venait de parler, tentant sans doute de me rassurer. Il me poussa légèrement, et j'avançai vers la porte d'entrée. Je montai les deux marches en pierre qui menaient au perron, et restai planté là, entre les deux pots de fleurs qui encadraient la porte, pendant que mon accompagnateur soulevait le heurtoir, qui retomba avec un bruit sourd. Quelques minutes plus tard, une femme vint nous ouvrir. Un large sourire éclaira son visage lorsqu'elle me vit.
- Tu dois être Clive.
Je me contentai de la dévisager, jusqu'à ce qu'elle me fasse signe de la suivre. Je pénétrai donc à l'intérieur, inquiet de ce qui allait suivre. Le policier ne me suivit pas, les modalités de mon "séjour" ayant déjà été réglée au préalable. Il referma seulement la porte derrière-moi, m'adressant un léger sourire encourageant.
Je remarquai avec soulagement que l'intérieur, bien que loin d'être luxueux, était beaucoup plus propre et chaleureux que l'extérieur. Les murs, peints en blanc ou en vert sombre, étaient décorés de dessins d'enfants. Suivant toujours la dame qui m'avait accueilli, je quittai le vestibule pour arriver dans une vaste salle. Les fenêtres qui perçaient l'un des murs, quoique crasseuses, étaient encadrés de jolis rideaux blancs à carreaux rouges. Dans cet endroit, qui semblait être une grande salle de jeu, on trouvait de nombreux enfants, occupés à empiler des cubes, à gribouiller des feuilles à l'aide de pinceaux, à câliner des ours en peluches ou encore à faire rouler des voitures miniatures sur le plancher. Ils avaient l'air plutôt jeunes. Avec un pincement au coeur, je songeai que la plupart d'entre eux devaient se trouver ici depuis leur plus jeune âge. Cela faisait donc plusieurs années qu'ils vivaient ici, parce que personne ne voulait d'eux. Devrais-je, moi aussi, rester dans cet orphelinat jusqu'à ma majorité, car personne ne souhaiterai m'adopter? Je savais qu'en général, les couples préféraient recueillir de jeunes enfants. Or, j'avais déjà douze ans. Mes parents avaient été retrouvés, morts, après l'accident du laboratoire. Je n'avais personne pour s'occuper de moi, aucune famille proche. Allai-je passer six ans seul, abandonné, dans cet orphelinat?
Cependant, la jeune femme continuait de me guider dans le bâtiment. Elle me montra la bibliothèque, où je constatai que certains des orphelins étaient plus âgés que moi, le réfectoire, où l'on servait des repas d'assez bonne qualité, et m'entraînait à présent dans les couloirs. Ici, les chambres, quoiqu'un peu petites, étaient individuelles. Il y avait une salle de bain pour cinq personnes, et des toilettes disséminées le long des couloirs. Les garçons dormaient au rez-de-chaussée et au premier, les filles occupaient les deux étages supérieurs. Il y avait des horaires assez fixes, respectant les horaires des écoles, avec des temps pour étudier durant la journée. Elle m'avait expliqué tout cela tout en marchant à grandes enjambées. Elle se présenta également, disant s'appeler Emily, et être l'un des membres du personnel. Elle m'indiqua également que la directrice souhaitait le bonheur des enfants durant le temps qu'ils passaient ici, et rien d'autre.
- Tout l'argent des dons est utilisé pour les équipements intérieur, c'est pour cela que l'extérieur de l'orphelinat ne sont pas très reluisants, me fit-elle avec un sourire.
Je ne répondis rien. De toute façon, nous étions arrivés devant ce qui serait visiblement ma chambre. Une petite pièce, avec une fenêtre qui donnait sur l'arrière du bâtiment, décorée de rideaux blancs. Un lit, une armoire, une petite table avec une chaise constituaient le mobilier.
- Tu trouveras là-dedans des vêtements, continua la jeune femme en désignant mon armoire. La plupart sont d'occasion, mais, mieux vaut ça que rien, non?
- Si, marmonnai-je.
Je devais me retenir de pleurer. La dernière indication de ma guide venait de me rappeler que, hormis les vêtements que je portais sur moi lors de l'incendie, je ne possédait plus rien. En quelques heures seulement, j'avais perdu tous mes biens. Mon foyer. Ma famille. Je repensai alors à l'homme au haut-de-forme. Qui avait-il perdu, lui, dans l'accident? Sans doute quelqu'un à qui il tenait beaucoup, à en juger par l'air désespéré qu'il avait ce jour-là. Et ce n'était pas le seul. Une dizaine d'autres victimes avaient été victimes des flammes. Et tout ça à cause d'une expérience qui avait mal tourné. Le problème, c'était que les quelques scientifiques qui travaillaient là-bas étaient d'ordinaire extrêmement prudents. Quoiqu'il se fût passé ce jour-là, ce ne devait pas être une expérience ordinaire. Ils avaient dû commettre une erreur. Une erreur que d'autres avaient payé cher. J'espérais de tout coeur que l'on punisse ces scientifiques. Que méritaient-ils d'autre?
- Je te laisse, Clive. Je viendrai te chercher pour le dîner.
Je sursautai en entendant la voix d'Emily. Elle se tenait sur le seuil de la porte, la main sur la poignée.
- N'oublie pas, me lança-t' elle en refermant, tout ce qui compte, c'est que tu sois heureux ici, d'accord?
Je restai les yeux fixés sur le panneau de bois. Que je sois heureux? Comment voulaient-ils que je le sois, après ce qui m'est arrivé? Tous, les policiers, le personnel d'ici, ne cessaient de me le répéter. Mais que savaient-ils du vrai malheur?
Ce fut à cet instant que je me mis à pleurer.