Avec la Stabilité du Sable

Chapitre 1 : Prologue : Une Suite de Goodstein

1381 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/08/2022 13:13

Prologue :

Une Suite de Goodstein


             Il existait de nombreuses raisons derrière la présence de Bill Hawks en ce jour précis, à cette heure précise, alors qu’il était sur le point de changer l’Histoire dans ce qui pourrait être son sens le plus littéral.

 

             Le regard déterminé et voilé uniquement par le verre de ses dures lunettes tracées à l’équerre, il n’avait que faire de l’aspect du lieu dont il était question. Le goût de la théâtralité était encore bien loin de lui, ainsi ne prêtait-il aucune attention aux murs jaunissants, aux maigres meubles de bois miteux remplis à craquer, à la plomberie délabrée attendant encore des financements qui ne viendraient jamais, aux grandes fenêtres au fond de son laboratoire alignées tels des poteaux électriques attendant la foudre ; il les côtoyait de toute manière pendant de longues heures, chaque jour de travail, et jamais ne les avait-il particulièrement portés dans son cœur.

 

             Non, l’espace importait peu : seul le temps comptait pour lui, tout autant qu’il était compté. Son associé, le timide et rêveur Dimitri, était encore en jour de congé, n’étant que récemment revenu de vacances, et ayant préféré se reposer un jour de plus : eh bien, tant pis pour lui et son manque de zèle. Cela fera plus de place sur le podium des prix Nobel, se prit-il à penser. Déjà qu’il allait sûrement devoir supporter le fait que son assistante lui ferait de l’ombre : tout le monde se souvient du fameux guignol en costume de bonhomme de neige et de ses pas sur la Lune¹, mais qui se souviendra de celui qui l’y a amené ?

 

             Ah, assez de médisances, il était mauvaise langue. Après tout, Dimitri Allen et Claire Foley étaient de parfaits collègues, tous deux des physiciens brillants et passionnés, et bien qu’il fût leur aîné en âge comme en carrière, il leur devait beaucoup. Tant d’années d’efforts, d’impasses, de découvertes, de faux espoirs, et, enfin, de résultats… Voilà où tout ceci aboutissait désormais.

 

             Bill n’avait que faire du lieu dans lequel il se trouvait, que faire des farandoles administratives de l’université, que faire de ce bureau exigu et étriqué ; mais il devait admettre qu’une chose dans cette salle valait tout de même la peine d’être vue. Cette horloge gigantesque à la reliure dorée — en réalité seulement du laiton, mais ne prêtez donc pas attention aux traces de brunissement dans les coins sombres, nous savons tous comment fonctionne le budget — surplombait une sorte de cocotte minute rouge vif entourée de tuyaux métalliques de toutes épaisseurs et couleurs.

             Tout du long, il avait été très attaché à ce que leur projet, surtout un prototype, gardât un modèle aussi sobre et strictement limité au fonctionnel que possible ; mais en cet instant, alors qu’il était sur le point de le mettre en route avec pour la toute première fois un réel passager à bord… Une part de lui remercia Claire pour son grain de folie habituel : car cette horloge aux grandes aiguilles inutilement travaillées avec des mains d’orfèvre, qui n’était là que pour les apparences et pour rappeler le but ultime de leurs recherches, était, tout de même, il fallait l’avouer, bien belle et très photogénique. Ce serait parfait pour la une des journaux.

 

             Avant de penser aux médias, cependant… Une expérience se devait d’abord de porter ses fruits. Chaque chose en son temps.

             Tentant de se ressaisir, il se surprit à devoir subtilement relâcher le nœud de sa cravate afin de reprendre son souffle.

 

             Pour la première, et peut-être la dernière fois dans sa vie, le petit directeur de recherche en blouse blanche ressentait cette sorte de nausée si rare : celle qui n’est causée ni par la maladie, ni par l’anticipation d’un danger quelconque ; mais celle qui provient d’une prise de conscience soudaine et poignante. Celle qui lui fit se rendre compte d’à quel point les quelques moments dans ce futur si proche étaient cruciaux ; celle qui lui faisait ressentir l’étendue absolue du pouvoir qu’il tenait entre ses mains ; celle qui l’enivrait avec le savoir qu’en cet instant précis, il était en contrôle non seulement de sa propre destinée, mais également de celle de tant d’autres.

 

             Encore une fois, il existait de nombreuses raisons pour justifier sa présence en cet endroit et à ce moment précis.

 

             Le progrès en était une : celle qu’il souhaitait conserver comme priorité principale, et la seule qu’il souhaitait afficher publiquement.

 

             L’ambition en était une autre : celle qu’il cherchait constamment à justifier comme étant bénéfique, tant que cela restait un moyen vers son but, et non une fin en soi.

 

             Et enfin, l’avidité… Celle dont il niait l’existence, au monde entier autant qu’à lui-même.

 

⁂ ⁂

 

¹ Il sera de votre choix de considérer ou non ceci comme un anachronisme ; mais étant donné que Bill Hawks y fait déjà référence au début du troisième jeu (qui a lieu aux alentours de janvier 1964), soit avec cinq ans d’avance, j’ai préféré considérer par commodité que dans l’univers du professeur Layton, l’humanité a été un petit peu plus précoce. D’une certaine manière, ce ne serait pas du tout surprenant, au vu de ce monde rempli de l’esthétique aux airs steampunk, et des machines farfelues que l’on peut régulièrement y trouver.

 

Oh, au passage, les jeux ont toujours essayé de demeurer aussi obscurs que possible quant à la période à laquelle ils se déroulent, justement pour ne pas avoir à se limiter dans l’imagination de machines toutes plus improbables les unes que les autres. Cependant, les développeurs ont volontiers admis qu’ils avaient pris comme source d’inspiration le Londres des années 1960 ; et de plus, l’existence d’une certaine pièce à conviction (une image datant de 2008 qui est encore présente sur le site japonais officiel) a pu prouver de manière “officieuse” que ledit jeu se déroulerait bien en 1964. J’ai ajouté “janvier” arbitrairement au vu de la neige qui tombe, du fait qu’il est plus logique de placer les premier et deuxième jeux durant l’été 1963 plutôt que 1964 (car ladite image oscille entre les chiffres 3 et 4, plutôt que 4 et 5 — indiquant a priori que PL3 aurait quitté 1963 récemment, plutôt que d’être sur le point de passer en 1965), et que ces trois jeux se déroulent dans l’espace de moins d’un an.

 

Cette fanfiction prend donc place un peu plus de dix ans auparavant, conformément à la chronologie de cette série.

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