Nous sommes pareils

Chapitre 5 : Figure paternelle

3400 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/06/2020 11:11

Environ trois heures après mon réveil forcé et une fois la totalité des dossiers parcourus pour l’avancement de mon enquête, je me prépare à aller au poste de police. J’espère pouvoir discuter de ma poursuite des investigations avec l’Inspecteur Sianh et récupérer les dossiers correspondant à la dizaine d’année suivante. En prenant mon téléphone je vérifie si je n’ai pas raté un appel de Gil mais rien.


Dans l’enceinte du poste de police la plupart des agents présents attendaient la relève de leurs collègues de jour pour pouvoir aller se reposer, j’ai encore un peu de mal à me faire accepter ici ils ne m’adressent la parole que dans le cadre de nos enquêtes. Je m’approche machinalement du bureau de Gil comme je le fais habituellement et le cherche également dans la salle de pause du personnel.


-         Gil attend moi. Est-ce qu’on peut se parler ?


Sans se retourner il continuait de marcher à l’opposé de ma direction sa tasse vide à la main.

-         S’il te plait Gil. Je dois te parler.

-         D’accord … Viens, on va dans mon bureau.

-       Gil écoute je suis vraiment désolé, je n’aurai jamais dû te parler comme ça. Surtout que ce n’est pas vrai, tu as toujours été là pour moi et tu es ce qui se rapproche le plus d’une figure paternelle dans ma vie. Je regrette vraiment de t’avoir blessé.


Après avoir entendu mes excuses Gil me regarda un long moment, il avait son regard de flic suspicieux, je pouvais voir qu’il prenait le temps de réfléchir à sa réponse et au bout de quelques minutes il brisa son silence.


-         Malcolm ce n’est pas ce que tu as dit le problème, parce que oui c’est vrai que je ne suis pas ton père, c’est la façon dont tu as dit ça, tu as tendance à toujours me repousser quand je cherche à t’aider.

-         Je sais Gil, je suis désolé d’être un idiot.

-         Ah ah, ça c’est vrai gamin.


Il essaya de boire son café mais comme je l’avais interrompu avant qu’il ne se serve il reposa sa tasse vide sur son bureau.


-         J’ai écouté ton message hier, tu avais bu ?

-        Non mais j’étais très fatigué, je le suis toujours d’ailleurs, je n’ai pas beaucoup dormi ses derniers jours … Et j’avais pas mal de chose en tête, même moi je n’ai pas vraiment compris la signification de tout mon message mais je voulais juste que tu me rappelles pour qu’on puisse se parler.

-         Dis-moi gamin, pourquoi tu ne dors pas ?

-         C’est compliqué …

-         Si tu penses vraiment ce que tu viens de dire à l’instant alors parle-moi.


Gil me fit un signe m’indiquant que je pouvais m’installer dans son canapé.


-         Tu sais il y a pas mal de raisons, comme le fait que mon père sérial killer essai de nouveau d’avoir une emprise sur moi, mais en ce moment je fais un cauchemar en particulier qui est assez terrible dans lequel mon paternel affirme que nous sommes pareils. Et la nuit dernière il était extrêmement saisissant, j’ai tellement eu envie de m’échapper que j’en ai arraché une de mes sangles.


Rien que de parler de cet événement mon corps entier était saisi par une montée d’adrénaline et ma main droite n’arrêtait pas de trembler. Je ressentais l’envie de fuir l’emprise que mon père avait sur moi en m’empêchant d’être pleinement concentré sur mon travail.


-         Eh gamin, tu es sûr que ça va ?


Non ça ne va pas, bien sûr que ça ne peut pas aller. Même enfermé dans sa cellule dans un hôpital psychiatrique mon père arrive encore à me terroriser et me gâcher la vie …


-         Euh … On va dire que oui, ça va aller, il le faut bien, j’ai juste besoin d’un grand café et de me remettre au travail.

-         Tu as parlé de tes cauchemars avec ta psy ?

-         Je n’ai pas eu le temps, je dois à tout prix boucler l’affaire de l’inspecteur Sianh, je n’ai que jusqu’à la fin de la semaine.

-         Pourquoi est-ce qu’elle est aussi pressée, son affaire date de 5 ans ?

-         En fait je lui ai peut-être assuré que j’étais en mesure de la boucler rapidement pour être sûr qu’elle me laisse bosser dessus.

-         Tu as voulu faire le malin maintenant tu dois assumer. Mais pour tes problèmes tu devrais en parler à quelqu’un, tu ne peux pas fonctionner sans te reposer.

-         Je sais. Gil écoute, l’inspecteur Sianh compte sur moi et je veux vraiment classer son affaire. Après tout ça je te promets que je vais faire une introspection avec ma psy et une cure de sommeil pour revenir au boulot avec ton équipe.

-         Ne fais pas de promesse que tu ne pourras tenir gamin.


Après notre conversation je propose à Gil d’aller lui chercher un vrai café chez le vendeur ambulant en bas de la rue. Quand je sors de son bureau, en passant l’open space, je constate que l’inspecteur Sianh nous observe depuis un petit moment, faisant mine de ne pas l’avoir remarqué je m’avance en direction de l’entrée principale. Elle a vraiment un comportement étrange avec moi, au tout début de notre collaboration je pensais qu’elle ne portait aucun intérêt à mon travail mais aujourd’hui je me demande si elle ne cherche pas à obtenir des informations sur moi. Ou alors c’est mon cerveau beaucoup trop fatigué qui devient paranoïaque et elle était juste là pour faire son travail.  


-         Tiens Gil, allongé avec un sucre comme tu l’aimes. Et dis-moi qu’est-ce que tu sais de l’inspecteur Sianh ?

-         Elle a d’excellents états de service, elle est arrivée quelques années après moi mais je n’ai pas souvent eu l’occasion de travailler avec elle donc je n’en sais pas plus, elle est très discrète en ce qui concerne sa vie privée. Pourquoi ?

-         Je ne sais pas, c’est juste une impression. Je dois me faire des idées, ce n’est rien.

-         D’accord. Mais s’il te plait gamin fais simplement ton travail et laisse-la en dehors de tes impressions. Entendu ?

-         Ne t’inquiète pas, je vais être le consultant modèle de ce poste de police.

-         C’est bien ce qui me fait peur.


Je vais essayer de la questionner l’air de rien pour en apprendre plus sur elle, quoi qu’en dise Gil mes impressions sont souvent bonnes et j’ai un bon pressentiment en ce qui la concerne. 


-         Bright venez ici.

-         Oui. Il y a un problème ?

-         Vous avez fini vos recherches ?

-         Oui, les cartons d’archives sont à l’entrée du poste et j’aimerai discuter avec vous d’un potentiel suspect et peut être l’interroger.

-         Un seul ? Sur plus de 400 dossiers vous n’avez dégagé qu’un suspect ?

-         A l’époque la police n’en avez trouvé aucun.

-         Soit. Parlez-moi de votre suspect.


Je lui tends le dossier contenant la déposition du témoin qui nous intéresse. Ce jeune homme venait de voir son grand frère mourir dans un accident de voiture et s’en est sorti avec une simple blessure sur le visage et quelques bleus. Lors de ma première lecture j’ai pu ressentir toute l’animosité et la violence de cet homme, il venait de perdre son frère et pourtant la rancœur avait clairement pris le pas sur la tristesse du deuil.


-         C’est un homme dont le grand frère est mort dans un accident en 1983, d’après les dépositions que j’ai lu de l’époque il semble avoir vécu cet accident comme une injustice. Au moment du drame il semblait ravagé par un esprit de vengeance. J’aimerai le rencontrer et l’interroger.

-         Du calme Bright, tout d’abord nous avions un accord, vous n’interrogez personne sans moi et ensuite je refuse de débarquer chez cet homme sans plus de preuve. Pour le moment à part vos suspicions en lisant de vieux rapports de police nous n’avons pas d’éléments concrets.

-         Alors quoi, on va rester ici à attendre que cet homme se décide à provoquer un nouvel accident mortel pour ne pas aller l’importuner.

-         Vous voulez vraiment que je réponde à ça. Ecoutez moi bien Bright, ici vous n’êtes pas considéré comme un génie, loin de là, alors faites votre travail correctement et trouvez-moi des éléments concrets pouvant justifier l’interrogatoire de cet homme. Dans le cas contraire arrêtez de me faire perdre mon temps.


L’inspecteur Sianh reposa violemment le dossier qu’elle tenait dans les mains pour m’indiquer de sortir de son bureau, son regard s’était brusquement durcit comme si je l’avais offensé. Pour ne pas risquer de me faire virer de cette affaire je reprends rapidement mon dossier et me dirige vers mon emplacement de travail dans l’open space. Je sais bien que mes seules impressions ne sont pas suffisantes mais c’est quand même grâce à elles que j’ai fait rouvrir son enquête qui était au point mort depuis des années. Bon maintenant je dois trouver des preuves concrètes à lui apporter si je veux rencontrer mon suspect.


-         Eh bien ça a l’air de te réussir le changement d’équipe Bright.

-         Ce n’est pas drôle Dani, je viens de réaliser à quel point Gil a confiance en moi et que ce n’est pas du tout le cas de l’Inspecteur Sianh.

-         Comment est-ce que quelqu’un d’aussi intelligent de que toi peut-il être si idiot parfois.

-         Parfois seulement ?

-         Allez Bright reprend toi, qu’est ce qui s’est passé ?

-         J’ai un suspect, enfin je veux dire j’ai un potentiel suspect vu que je n’ai étudié qu’une partie des affaires mais ..

-         La voilà ta réponse, « potentiel suspect » Bright. Si tu veux qu’elle te fasse confiance tu dois lui fournir des preuves pour que ton potentiel suspect devienne quelqu’un digne d’intérêt.

-         Mais si je m’attarde plus sur ce cas je n’aurai jamais le temps de consulter toutes les autres anciennes affaires …

-         Et qu’est ce qui te parait le plus important, creuser sur ton potentiel suspect ou continuer à éplucher les autres affaires ?

-         Maintenant que tu le dis je pense que le temps que les archives me sortent les dossiers entre 1986 et 1995 j’ai le temps de survoler les antécédents de ce suspect.

-         Tu vois quand tu veux. Allez, je dois te laisser nous aussi on a avancé sur notre affaire.

-         Dani attend, je te remercie pour ce que tu viens de faire.

-         Je n’ai pas fait grand-chose.

-         Au fait je suis désolé d’avoir accaparé la conversation, tu voulais peut-être quelque chose ?

-         Euh oui, mais … euh … Ça peut attendre, bon courage avec Sianh.


Après avoir envoyé ma demande validée au service des archives de la police pour obtenir les affaires de la dizaine d’années suivante je commence à approfondir mes recherches en ce qui concerne mon potentiel suspect. D’ordinaire c’est plutôt Dani ou JT qui réalisent le plus gros du travail de recherche, de mon côté je m’attarde davantage à la compréhension des attitudes et comportements des suspects, mais vu que je me suis imposé sur cette affaire je dois étendre mon champ de compétence à la recherche d’antécédents criminels pouvant donner lieu à un tel accident. Mon suspect a un casier assez chargé, avant et surtout après l’accident, essentiellement des bagarres, détériorations de biens publics et privés, et quelques menaces. Ses actions sont essentiellement fondées sur de la colère et de l’impulsivité, au vu des éléments de sa « carrière criminelle » je ne pense pas qu’il est pu être l’investigateur d’un schéma comme celui de nos deux affaires, il semble beaucoup trop impulsif et extraverti pour avoir envisagé le suicide comme échappatoire. L’inspecteur Sianh avait raison, ça ne valait pas la peine d’interroger cet homme et de lui remémorer les circonstances de la mort de son frère. Je devrais surement l’informer de mes découvertes sur ce suspect et rentrer chez moi pour continuer mes recherches, de toute façon je vais avoir besoin d’avancer si je veux pouvoir tenir les délais.


-         Vous aviez raison.

-         Je n’en doute pas un seul instant. Mais vous savez la plupart des gens frappent avant d’entrer même si je dois avouer que ce genre d’entrée ne me déplait pas. A quel sujet ?

-      J’ai fait des recherches sur le suspect dont je vous ai parlé tout à l’heure et je ne pense pas que ses antécédents criminels puissent correspondre avec le profil de notre assassin. Je voulais vous le dire avant de rentrer étudier les archives chez moi.

-         D’accord, demain je veux avoir un aperçu de votre avancement.

-         Ce sera fait.


Cette nouvelle dizaine d’années comportait 130 dossiers de plus que la précédentes ce qui m’assurait une journée et une nuit bien chargée. Pour être le plus efficace possible je dois m’attarder uniquement sur les profils profondément marqués par le traumatisme initial, ceux qui auraient des raisons de rester enfermer dans cette boucle, je recherche quelqu’un qui a vécu ce jour comme celui qui a fait basculer sa vie.

Les résumés d’accidents se ressemblent tous, les comptes rendus de déclaration de témoins sont tous plus creux les uns que les autres. Non, toujours pas, rien, pourquoi est-ce que les flics ne s’attardent jamais sur les comportements en dehors des dépositions de leurs témoins, je suis sûr qu’il me manque des tonnes d’éléments dans ses rapports … Je ne sais pas quelles restrictions budgétaires sur le papier et le temps passé à interroger les témoins il y a eu en 1987 mais ils sont vraiment avares sur les détails et le contexte dans leurs dossiers.


 Malcolm …


Toi, non, mais qu’est-ce que tu fais ici ? Le choc de voir l’incarnation de mon père comme dans mes souvenirs d’enfance devant moi me fait tomber de la chaise de bar où je m’étais installé. Avec la chute qui a réveillé les douleurs de ma blessure je réalise alors que ce n’est pas un rêve, il est toujours là, je suis en train d’halluciner. Qu’est-ce qui m’arrive …


Malcolm, mon fils. Le chirurgien s’approchait lentement de moi, son regard sombre fixait le mien. Plus je le voyais se rapprocher de moi plus la rage et la peur de cet homme qui a brisé ma vie m’envahissait. Il se tenait à côté de moi et se mis à ma hauteur pour me regarder droit dans les yeux. Le plus important c’est que tu n’oublies jamais, tu es mon fils et nous sommes pareils.


Stop, arrête. Tu n’es pas là, ça ne peut pas être réel, tu es une hallucination, tu ne peux pas être ici, tu n’es qu’une projection de mon esprit. Je sentais mes palpitations et une montée d’adrénaline me suggérer de m’enfuir tant cette apparition me terrorisait, mais je ne pouvais me résoudre à m’échapper. Je devais lui faire face, je devais lui prouver qu’il avait tort à mon sujet. Je rassemblais mon courage pour affronter mon père et lui hurler que je refusais de devenir comme lui.


Tu ne peux pas renier les liens du sang Malcolm, tu es mon fils, et pour cela tu es comme moi.


NOUS NE SOMMES PAS PAREILS ! JE NE SUIS PAS UN MONSTRE, JE NE SUIS PAS COMME TOI !


-         Malcolm ? Mais enfin à qui est-ce que tu parles ?


Merde … Maintenant elle va me prendre pour un fou. 


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