Nous sommes pareils
Ce schéma est un véritable casse-tête, le profil des différentes victimes est totalement aléatoire, le seul lien qu’ils ont entre eux c’est qu’ils étaient en famille dans leur voiture. Pas de lien entre les métiers, l’apparence physique, les lieux d’habitations, les activités, les connaissances, les écoles des enfants. Bref ce sont deux familles que tout oppose, en dehors de la raison de leurs morts. Je ne comprends pas ce qui a poussé l’assassin à choisir ces deux véhicules, il les a forcément choisis car la probabilité de chance de tomber sur deux familles à 5 ans d’intervalle est pratiquement nulle mais en même temps je ne vois pas comment il a déterminé que ces familles deviendraient ses futures victimes.
C’est très perturbant d’être largué dès le début de mes recherches. Cela fait bientôt six heures que je suis devant les déclarations d’accidents, les rapports d’enquête et les dizaines de photos prises devant chacun des accidents, j’ai besoin de changer de point de vue, j’ai besoin d’aller sur les lieux, je dois ressentir ce qu’a pu ressentir l’assassin lors de son passage à l’acte.
- Inspecteur Sianh je vais me rendre sur les lieux des accidents.
- Vraiment, mais vous savez qu’ils se trouvent à plus de 100 kilomètres d’ici ? Et qu’il fera nuit dans moins de 2 heures.
- Oh. Vous avez raison pour être encore plus fidèle à la psychologie du tueur je devrais prendre la même route que les victimes, en voiture, pour être immergé dans l’ambiance de ces accidents. Je pars tout de suite, je dois emprunter la voiture de ma mère.
- Attendez Bright, vous êtes sûr de vous ? Les routes de montagnes la nuit sont dangereuses, vous ne voulez pas attendre demain ?
- Faites-moi un peu confiance Inspecteur, il faut que je puisse entrer dans sa tête et pour se faire je dois retrouver l’état d’esprit dans lequel il se trouvait au moment où il a poussé le premier véhicule hors de la route. J’ai besoin d’aller sur place pour avoir euh … un contexte.
- Dans ce cas je veux un rapport complet demain sur mon bureau avant de faire la visite de la deuxième scène de crime.
- Ce sera fait.
J’irai presque jusqu’à penser qu’elle s’inquiète pour moi. Bon maintenant je dois m’arranger avec une femme qui va réellement s’inquiéter pour moi si je lui explique ce que je veux faire avec sa voiture, je vais plutôt rester factuel et éviter de lui donner trop de détail au sujet de mon expédition dans le Connecticut.
- Allô maman.
- Oui mon chéri. Comment vas-tu en ce moment ?
- Ça peut aller. Dis-moi est-ce que je pourrais t’emprunter ta voiture ce soir, j’ai disons quelque chose à faire et je..
- Tu as un rendez-vous ? Avec une femme ?
- Euh … Pas exactement je..
- Chéri, tu peux tout me dire je suis ta mère.
- Oui tu as raison, j’ai un rendez-vous et … j’ai prévu de la conduire voir une exposition en dehors de la ville je pense que je pourrais plus facilement … euh …
- La séduire ?
- Oui exactement. Alors ça ne te pose pas de problèmes ?
- Non bien sûr, si c’est pour que mon fils ait une vie sociale normale je suis prête à tous les sacrifices.
- Génial, merci. Je passe la chercher.
Ouf, je sais que je ne devrais pas lui mentir mais elle n’aurait probablement pas accepté si je lui avais dit la vérité, et j’ai besoin de me retrouver sur les traces de ce tueur. Au moment de récupérer les clés de voitures de ma mère dans notre maison familiale j’entends mon téléphone sonner et en un instant je sens mon sang se glacer en voyant que mon père essaye encore de me contacter via l’autorisation de communiquer qu’il a obtenu grâce à certains services rendus à d’anciens patients. Je dois retrouver mon calme, je dois faire face à mon angoisse pour ne pas faire paniquer ma mère et surtout qu’elle n’apprenne jamais que son ex-mari a l’autorisation de téléphoner. Je sens ma main droite trembler pendant que je tente de raccrocher et je vois ma mère s’approcher de moi avec son magnifique sourire de la mère fier de son fils qui s’apprête à aller à un rendez-vous. Finalement mon téléphone continue de sonner dans le vide et je le laisse pour ne pas provoquer les soupçons de cette femme magnifique que j’ai rendu heureuse avec mon mensonge.
- Tiens les voici, mais tu ne comptes quand même pas aller à ton rendez-vous habillé comme ça. Tu as l’air. Comment dire.
- D’avoir travaillé toute la journée.
- Exactement. Prends une douche avant ton rendez-vous et surtout change toi, et Malcolm s’il te plait ne soit pas si …
- Moi-même ?
- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Essaie simplement d’être Malcolm, gentil, attentionné et qui aime aider les autres. On est d’accord ?
- Je vais essayer. Maman, je dois vraiment partir, merci pour ta voiture.
Je me presse de repartir avant qu’elle ne change d’avis ou qu’elle ne décèle mon mensonge. Je dois énormément à ma mère, elle a eu le courage et la force de nous élever, ma sœur Ainsley et moi alors que notre père venait d’être jugé coupable d’au moins 23 meurtres. Son côté surprotecteur peut facilement m’agacer mais je n’oublierai jamais tout ce que je lui dois.
Sur la route depuis déjà une trentaine de minutes je décide de m’arrêter pour m’aérer un peu l’esprit, je commence à sentir la fatigue que j’ai accumulé depuis plusieurs jours et je ne peux pas me permettre de m’endormir au volant. Pour me garder en état de veille et pousser mon instinct à analyser les éléments de mon environnement comme l’aurai fait le tueur je me replonge dans les photos de la première scène de crime. J’essaie d’enregistrer les mouvements de volants et les déplacements de la voiture du tueur pour tenter de les reproduire jusqu’à la scène de crime. La nuit est enfin tombée et je me sens suffisamment en forme pour reprendre la route, les virages me font avoir quelques frayeurs ce qui est exactement ce qu’il me faut pour être adéquation avec l’état mental dans lequel se trouvait le meurtrier il y 5 ans. Tout dans cet environnement me fait ressentir la rage de cet homme, je peux percevoir sa volonté profonde de mener la voiture qu’il poursuivait à sa perte, il cherchait à évacuer quelque chose à assouvir un besoin viscéral. Un besoin de vengeance ? Non. C’était pour lui le seul moyen de laisser s’échapper une pression qui lui venait d’un ancien traumatisme peut-être … Oui c’est ça, je suis à peu près sûr que ce schéma résulte d’un traumatisme qu’il a vécu et dont il ne peut se séparer, reproduire cet événement de la façon dont il a décidé que ça se terminerai est le meilleur moyen pour lui de se faire pénitence. Mais dans ce cas pourquoi attendre 5 ans entre les deux passages à l’acte … Il s’est probablement produit un événement, un nouveau trauma, quelque chose dans son environnement qui a recréé cette tension et il n’a pas su gérer son angoisse autrement qu’en reproduisant un schéma qui l’avait déjà soulagé auparavant. Mais oui c’est ça la clé, le soulagement, il a voulu libérer la pression, comment est-ce que j’ai pu passer à côté de ça, c’est tellement évident, la rage pendant sa première course, son inconscience … « C’est ici, ici que tout a commencé, la source de mon malheur se trouve dans ses montagnes et sur cette route … Ce jour-là ma vie a basculé et maintenant je dois vivre avec les restes de ce passé. Je n’arrive plus à le supporter, toute cette pression c’est trop pour moi, depuis cet événement ma vie est devenue un cauchemar dans lequel je suis enfermé … Et ce soir ça doit se finir, ce cauchemar doit se terminer, je dois en finir … De toute façon qu’est ce qui aurait changé si j’étais mort dans cet accident. Rien, personne ne l’aurait remarqué et comme aujourd’hui personne ne le remarquera, alors à quoi bon. » Non, en fait je faisais fausse route depuis le début. Il n’avait pas prévu de tuer cette famille, ils se sont simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, il voulait se suicider c’est pour ça qu’il roulait si vite, et dans son délire il a peut-être revécu son événement traumatisant. L’accident a peut-être été pour lui le moyen de revenir à la réalité … Mais alors pourquoi récidiver ? Je dois retrouver la source du problème, je dois en apprendre plus sur l’événement qui a fait basculer sa réalité.
Bon maintenant que je réussi à me faire une idée du profil et du moyen le plus simple de retrouver cet homme je vais rentrer, j’ai des rapports à rédiger demain, ou plutôt tout à l’heure, et j’ai un alibi à trouver pour ma mère. En route.
Malcolm … mon fils … toi et moi, nous sommes pareils …
Non, non laisse-moi. C’est en ressentant une terrible douleur au bras que je fus brusquement sorti de mon cauchemar. Ce n’était qu’un rêve, encore … Il n’est pas là, il ne peut pas être là, il est enfermé dans un asile et moi je suis … Oh mon Dieu, mon bras, tout ce verre sur le tableau de bord et ma tête … Qu’est-ce qu’il vient de se passer ?
Encore fébrile à cause de mon cauchemar je ne compris pas immédiatement que je n’étais pas dans mon lit après une énième terreur nocturne mais bien dans la voiture de ma mère, encastrée contre un arbre. Il faisait froid, malgré l’adrénaline de mon réveil forcé je tremblais de froid, le temps de comprendre la situation dans laquelle je me trouvais cette sensation que quelque chose m’avait écrasé le bras gauche avait envahi toutes mes pensées. Du calme, respire, ça ne sert à rien de paniquer, je dois contacter les secours, je dois sortir d’ici. Ayant repris le contrôle de mes pensées je devais retrouver mon téléphone qui avait surement glissé dans la voiture avec la violence du choc. Le moindre mouvement brusque faisait immédiatement ressortir cette intense sensation dans mon bras, je devais mon concentrer, la dernière fois que j’ai utilisé mon téléphone je l’ai déposé dans le compartiment sous la radio, et avec le choc il devrait normalement se trouver derrière moi, sur les sièges ou sur les tapis arrière. Allez, encore un effort, bingo. Mais je ne sais même pas où je suis ? Je ne me souviens même plus de nombre de kilomètres que j’ai parcourue depuis mon départ du lieu de l’accident. Qu’est-ce que je vais dire si j’appelle les secours ? J’ai une idée, je vais surement le regretter quelques temps mais c’est le seul à pouvoir m’aider.
- Bright, est-ce que tu as vu l’heure qu’il est ?
- Mais tu as répondu c’est donc que tu ne dors pas encore.
- Je t’écoute, soit convainquant avant que je décide de raccrocher.
- Gil j’ai un petit problème, je viens d’avoir un accident de voiture au milieu de nulle part, j’ai besoin de toi pour que tu me localises et que tu fasses venir les secours.
- Petit problème ? C’est ça pour toi un petit problème ?
- Tu crois vraiment que c’est le moment pour une leçon de morale.
- Est-ce que tu es blessé ?
- Oui je me suis probablement cassé le bras gauche sinon le reste ça va. Enfin je crois.
- Ne raccroche pas, je suis encore au poste, je passe voir les geeks en bas pour qu’ils te localisent.
- Je savais que tu serais encore en train de bosser à cette heure-là. Ça avance bien votre recherche du suspect ?
- Malcolm tu penses vraiment que c’est le moment de parler boulot ?
- Tu m’as dit de rester en ligne et pour être sûr que je ne perde pas connaissance quoi de mieux que de faire fonctionner mes neurones.
- Une chose est sûre, tu es toujours toi, cinglé même dans un moment pareil.
- C’est pour ça que tu aimes tan..
- Eh Bright ? Malcolm ? Réponds-moi !
Malcolm … Mon garçon … N’oublie pas que je t’aime, n’en doute jamais …