Une étourvol dans une cage dorée.
Marguerite se tenait prostrée sur sa chaise, plongée dans l'obscurité. Ce n'était qu'un mauvais moment de plus à passer...
Il ne se passait pas une semaine sans qu'elle ne se retrouve au moins une fois dans le "cabinet de pénitence". C'était le nom poétique, inspiré du livre "Les petites filles modèles" de la Comtesse de Chuchmur, qu'avait donné Madame Piafabec à cette pièce sordide. Si le décor de la pièce rappelait vaguement celui du roman, en plus gai (de ce qu'en savait Marguerite, il s'agissait à l'origine d'une chambre secrète qui servait au premier maître des lieux lorsqu'il voulait travailler ou dormir sans être dérangé), la pénitence ne consistait pas à copier des lignes, à prier ou à étudier dans la solitude, mais à rester enfermée dans le noir complet, pendant une ou plusieurs heures. Tous les enfants De Richemensueur avaient eu le droit à ce traitement, mis en place d'un commun accord entre Antoinette De Richemensueur, la mère des quatre héritiers, et la gouvernante Mademoiselle Piafabec, que l'on appelait désormais Madame vu son âge avancé.
Marguerite était trop jeune pour s'en souvenir, mais la méthode avait été mise en place pour Pierre-Edouard, l'aîné, qui était trop turbulent et trop arrogant aux yeux de ses parents. C'était lui qui avait passé le plus de temps dans cette pièce, Pierre-Antoine et François étaient plus sages (et plus malins), mais Marguerite semblait approcher le record. A quinze ans passés, elle s'y retrouvait encore et encore, alors que ses frères y échappaient depuis bien longtemps. Elle ne comprenait pas l'acharnement de Madame Piafabec, Marguerite était plus discrète que ses frères, plus attentive, plus courtoise... Mais la moindre maladresse, même la plus anodine, la condamnait au "cabinet de pénitence".
Sa mère Antoinette avait justifié l'attitude de la gouvernante en expliquant à Marguerite qu'elle était une fille et non un garçon, elle devait être parfaite, sinon personne ne voudrait d'elle comme épouse. Sa mère lui avait également murmuré à l'oreille, pour éviter que la gouvernante n'entende son propos, qu'elle devait posséder un mental d'acier. Pour son bien et pour son avenir, elle devait avoir un steelix dans son esprit et un onigali à la place du cœur. Les mots de sa mère lui avaient donné froid dans le dos, ils étaient gravés dans sa mémoire mais elle ne comprenait toujours pas la raison de cette dureté. A l'écart du monde, dans le manoir familial, que pourrait-il lui arriver de si terrible pour justifier de n'avoir aucune émotion ?
Des bruits de pas et des éclats de rire l’extirpèrent de ses pensées. Elle tourna les yeux vers le mince faisceau de lumière qui passait sous la porte. Elle s'approcha du mur et écouta, pas de doute : il s'agissait de François et Pierre-Edouard.
« Ah ah ah ! Tu me fais rire avec ta paysanne Edouard !
- Ne ris pas ! Ronchonna Pierre-Edouard. Je préfèrerais cent fois la marier que de me retrouver seul avec cette Cunégonde...
- Tu exagères, Cunégonde est magnifique ! Une véritable reine de beauté, les actrices de Pokéwood semblent ternes à côté d'elle. Alors que moi, je dois me coltiner ce laideron d'Elisabeth Furaiglon.
- Mais c'est une peste ! Les malosses de père ont meilleur caractère que cette garce ! Même la vieille Piafabec est un wattouat à côté de Cunégonde Montaubin ! »
François éclata de rire devant la porte en trompe l'oeil du "cabinet de pénitence".
« Ah ah ah !
- Grands frères ! Implora Marguerite depuis sa cellule. Laissez-moi sortir de là !
- Tiens, tu es encore là-dedans toi ? Dit François en regardant le mur à sa gauche. Qu'as tu fait cette fois ? Laisse-moi deviner, tu as enfilé une chemise fuchsia quand le rapasdepic t'ordonnait d'en mettre une rose ? Ah ah ah !
- Ce n'est pas drôle François ! Fais-moi sortir d'ici, s'il te plaît !
- Hors de question, répondit Pierre-Edouard sur un ton ferme. C'est ton problème. Si on te libère, ça deviendra le nôtre. Et personnellement, j'ai passé suffisamment de temps dans cette saloperie de pièce.
- Quel langage mon cher frère, ricana François qui se fichait toujours de tout.
- Je vous en prie... J'en ai assez ! Supplia Marguerite.
- Non c'est non, gronda Pierre-Edouard. Prends ton mal en patience.
- Tu n'as qu'à faire plus attention à ce que tu fais petite soeur, lui conseilla François d'une voix faussement compatissante. Et un jour, cette vieille sorcière ne t'y enverra plus.
- S'il vous plaît... »
Ses supplications étaient inutiles, Pierre-Edouard était déjà loin. La simple présence de cette porte invisible à côté de lui le mettait mal à l'aise, et les pleurnicheries de sa soeur ne faisaient qu'accentuer le phénomène, alors il avait pressé le pas pour s'éloigner au plus vite du cabinet et rejoindre l'escalier en colimaçon menant aux étages de l'aile Est. François passa son chemin lui aussi, après un dernier haussement d'épaules.
« Désolé Marguerite, c'est la loi de la jungle de Parmanie. Eh eh... »
Marguerite s'affaissa contre le mur et se laissa glisser jusqu'au sol. Ses frères n'avaient aucune pitié pour elle, cela l'attristait énormément. Dans le lourd silence du cabinet, elle recommença à attendre... Attendre que sa maudite gouvernante décide de la libérer.
Plusieurs minutes après le passage de ses frères ainés, elle entendit à nouveau des pas dans le couloir, des pas lents, légers et réguliers. Ces pas, elle les connaissait bien, il n'y avait que le cadet des garçons pour marcher comme ça : Pierre-Antoine. Elle sentit alors quelque chose la frôler. Devant elle, deux yeux jaunes brillants flottaient dans l'obscurité et la regardaient. Elle ne fut pas effrayée un seul instant car elle savait de quoi il s'agissait.
« Fantominus, toi tu vas m'aider pas vrai ?
- Niiieee... »
Le pokémon tourna deux fois autour de la jeune femme avant de passer à travers le mur et de ressortir comme il était rentré. A nouveau, Marguerite se colla contre la porte.
« Pierre-Antoine ! Je sais que c'est toi, aide-moi à sortir de là, s'il te plaît.
- La clef n'est pas sur la porte Marguerite. » Répondit le jeune homme, d'une voix placide.
Marguerite connaissait suffisamment bien son frère pour savoir quand il était gêné. Elle tenait sa chance.
« S'il te plaît Antoine ! C'est la troisième fois cette semaine, je n'en peux plus. »
Le garçon ne disait rien, alors Marguerite insista.
« Demande à Fantominus de déverrouiller la porte, il y arrivera lui. »
Il y eut un nouveau silence, Pierre-Antoine ne répondit pas à sa sœur. Cependant, au bout de quelques secondes, elle sentit un courant d'air froid sur sa main. Elle recula de quelques pas pour s'éloigner de la porte et dans un léger cliquetis, le passage secret s'ouvrit sur la silhouette fantomatique souriante du pokémon.
« Nieee...
Marguerite sortit du cabinet et sourit gentiment au fantominus.
- Merci. »
Elle se tourna ensuite vers son frère qui se tenait à l'écart. Pierre Antoine ne souriait pas, mais Marguerite savait qu'il n'était pas fâché. Simplement, Pierre-Antoine ne souriait jamais, ce qui ne l'empêchait pas d'être le plus séduisant des trois garçons De Richemensueur, bien plus beau encore que François déjà classé dans la catégorie des bourreaux des cœurs. Même sa petite sœur le trouvait magnifique.
« Merci Pierre-Antoine.
- Pas de quoi, dit sobrement le jeune homme. Tu ferais mieux de ne pas traîner dans le manoir si tu veux profiter de ta liberté.
- Je vais aller me dégourdir les jambes dans le parc. Je vais passer par la porte de service.
- Non, les domestiques vont te voir et le piafabec va te tomber dessus. Lui expliqua calmement Pierre-Antoine. Passe plutôt par la fenêtre des toilettes, c'est le chemin que prennent François et Edouard pour retrouver leurs copines dans le jardin. Il est sûr. Glisse-toi derrière le cabanon du jardinier pour ne pas te faire repérer, ensuite le feuillage des arbres prendra le relais.
- D'accord, merci Pierrot, je te revaudrai ça ! »
La jeune fille fila dans le couloir, folâtrant comme un tylton libéré de sa cage. Pierre-Antoine soupira en hochant la tête de droite à gauche.
« Nie ? Demanda Fantominus.
- Elle m'a appelé Pierrot... Elle est décidément indécrottable. »
Tranquillement, Pierre-Antoine partit dans la direction opposée de sa sœur, son fantominus planant à ses côtés.
Marguerite se retrouva rapidement dehors. La fenêtre teintée des toilettes donnait sur une platebande épaisse de géraniums. Elle atterit en douceur au milieu des feuilles et des fleurs. Devant elle, à une quinzaine de mètres, se trouvait un cabanon en bois où étaient stockés les outils du paysagiste. Elle se rendit compte que ce coin du parc était visible depuis la plupart des fenêtres de l'aile Est, là où se trouvait le bureau de père et les chambres de ses frères... Elle comprit pourquoi Pierre-Antoine lui avait conseillé de passer derrière la cabane et non devant.
Marguerite fit donc le grand tour, en se glissant derrière les arbres à baies qui formaient une haie dense le long de la cabane. Elle avançait accroupie dans la terre meuble et grasse, tout en relevant sa robe pour ne pas la salir, une grimace répugnée sur le visage.
Elle atteignit enfin la cahute de bois. Elle se redressa et fila derrière le cabanon. Elle se retrouva alors nez à nez avec Christophe, le jardinier, affalé sur une vieille chaise longue, une bouteille de vin à la main. Il la regarda d'un œil vitreux et haussa un sourcil dans un rictus d'ivrogne.
« Eh bée... C'est pas la ptite héritière que je vois là ? Eh eh, on dirait bien que si, HIC ! T'es venu faire un bécot à Cri-cri le jardinier ? HIC ! Viens un peu par-là ma nirondelle. »
Marguerite jeta à Christophe un regard dédaigneux, sa lèvre supérieure retroussée par le dégoût. Elle évalua le chemin devant elle ; vu l'état dans lequel se trouvait le vieux jardinier, elle pouvait passer avant qu'il ait le temps de réagir et de la toucher.
Elle détala comme un lockpin. Christophe, complètement saoul, se pencha en avant pour l'attraper plus de dix secondes après qu'elle soit passée devant lui. Marguerite gloussa d'amusement. Son rire ne dura pas très longtemps car l'alcoolique se mit à brailler comme un groret.
« Reviens ici pti'te ouisticram, reviens ici ! Sale garce... C'est bien une Richement-sucette celle là ! Comme sa lippoutou d’mère. Hic ! Reviens ici ! »
Marguerite qui espérait se promener tranquillement dans le parc dut accélérer le pas, de peur que cette outre à vin sur pattes ne la poursuive.
Essoufflée, elle finit par s'arrêter de courir. Elle en avait assez. Sa journée était épouvantable, mais elle était à l'image de bien d'autres. Marguerite sentait la colère monter en elle. Elle était frustrée, contrainte à l'intérieur du manoir. Dès qu'elle en sortait, tous les ressentiments qu'elle gardait au fond d'elle essayaient de jaillir. Elle aurait voulu crier pour se libérer mais les domestiques du côté du garage risquaient de l'entendre.
Elle leva les yeux vers la cime des arbres, à travers les branchages elle apercevait de petits lambeaux de ciel bleu printanier. Au bout d'un moment, elle finit par entendre des roucools chanter depuis leurs nids. Son calme revint tout doucement, un peu de repos, de paix et de sérénité, c'est tout ce qu'elle demandait. Ça, et un peu de liberté...
Un bruit anormal la fit brusquement tourner la tête. Le feuillage s'agitait derrière Marguerite : quelque chose ou quelqu'un approchait. Marguerite recula de plusieurs pas et finit par heurter un arbre, elle se retrouva coincée. Le jardinier ivre l'avait sans doute suivi... Vraiment, quelle journée horrible.
Intérieurement, elle maudissait ses parents de ne lui avoir jamais offert le moindre pokémon pour se défendre, et son coeur s'accélérait tandis que l'être se rapprochait. Brusquement, un homme sortit des buissons. Ce n'était pas le vieux Christophe mais quelqu'un de beaucoup plus jeune. Le garçon se figea en apercevant Marguerite, il la regarda fixement avec ses yeux d'un bleu électrique.
Une fois l'effet de surprise dissipé, Marguerite se redressa, fit un pas en avant et gonfla fièrement sa poitrine. Après tout, elle était la fille des propriétaires du manoir et cet inconnu n'était qu'un intrus.
« Qui êtes-vous ? Que faites-vous sur mon domaine ? » Demanda Marguerite d'une voix forte.
L'autre resta immobile et silencieux, il n'osait pas réagir car il ne savait pas quelle attitude adopter. Marguerite fronça les sourcils, son regard pénétrant toujours rivé sur l'inconnu.
« Vous êtes un vagabond ? »
Cette fois l'homme réagit ; ses yeux s'écarquillèrent, il avait l'air surpris, presque amusé. C'était bien la première fois que quelqu'un le traitait de vagabond. C'était une façon de voir les choses après tout...
« Si vous ne partez pas tout de suite, je vous fais chasser par les malosses de mon père ! » Déclara Marguerite dans un excès de vaillance. Soudain, un rugissement résonna dans le parc. Ce n'était pas un luxray en colère, mais la gouvernante Madame Piafabec qui braillait de rage.
« Mademoiselle Marguerite je sais que vous êtes dehors ! Revenez immédiatement, je ne vous le demanderai pas deux fois ! »
Marguerite ne bougea pas d'un millimètre. Du regard, elle mit au défi l'inconnu de faire la moindre tentative en attendant qu'elle-même prenne une décision. Ses doigts se crispèrent, elle serra les poings en tremblant légèrement, l'autre le remarqua évidemment.
Elle n'avait pas envie d'y retourner, elle serait toujours punie, plus sévèrement encore que la première fois. Mais plus elle attendait, plus le courroux de sa gouvernante s'intensifiait et plus le rapport fait à ses parents lui serait préjudiciable. Elle était tétanisée, elle aurait voulu se cacher, se cacher pour toujours...
Les secondes s'écoulèrent et la patience de Madame Piafabec atteignit ses limites.
« Très bien, vous l'aurez cherché Mademoiselle ! Je lâche les malosses ! »
Des aboiements féroces accompagnèrent les paroles de la gouvernante. Ils redoublèrent lorsque les malosses furent libérés de leurs chaînes, trop heureux de pouvoir courir et s'adonner à leur sport préféré : la traque.
Marguerite et l'inconnu échangèrent un regard paniqué, mais la jeune femme resta immobile, elle était paralysée par l'angoisse. L'autre prit les choses en mains, il se jeta sur elle et la saisit par le poignet.
« Suis-moi ! »
Le garçon l'entraîna à sa suite dans le parc. Il courait très vite et était agile, Marguerite avait beaucoup de mal à la suivre sans trébucher. Il l'encouragea.
« Tiens le coup on y est presque! »
Presque, presque où ? Se demanda Marguerite. Son pied se cogna à nouveau dans une racine. Ses bas étaient déchirés. Ses mollets, désormais à découvert, étaient griffés et saignaient. L'inconnu s'arrêta de courir devant un arbre et lâcha la main de Marguerite. Il enfila deux doigts dans sa bouche et siffla. Ce fou va attirer les malosses songea Marguerite, affolée. Soudain, deux grosses lianes descendirent de l'arbre devant eux. Le garçon tira violemment sur les hanches de Marguerite et la plaça entre les deux lianes.
« Remonte la Florie ! Et tiens-toi prête là haut ! »
Marguerite poussa un petit cri de stupeur lorsque les lianes se resserrèrent autour de sa taille. Elle fut hissée jusqu'aux branches les plus hautes et se retrouva assise à côté d'un boustiflor à l'oeil vif et brillant. Le pokémon descendit de deux branches en sautant de l'une à l'autre. Marguerite se pencha, elle pensait que la boustiflor allait remonter le garçon mais non. L'inconnu resta en bas, dos au tronc, attendant la venue des malosse.
« Qu'est ce que vous attendez ? Montez ! S'ils me trouvent ces fauves se contenteront de me ramener mais vous ils vous réduiront en charpie !
- Ils nous trouveront forcément avec leur odorat. Reste là haut et arrête de te pencher tu vas tomber ! » Ordonna l'inconnu.
La jeune fille se cala contre le tronc et arrêta de bouger, tendue.
Au pied du chêne, l'inconnu attendait, pokéball en main. Trois malosses surgirent des buissons en aboyant. D'autres suivaient, ils les entendaient. Les premiers pokémon se précipitèrent vers le garçon, hurlant et bavant comme des bêtes enragées.
« Poudre dodo ! »
Depuis les premières branches, Florie la boustiflor fit tomber un gros nuage de poudre bleue sur les malosses qui s'écroulèrent tous les uns après les autres, plongés dans un sommeil de monaflèmit. Avant que les autres n'arrivent, l'inconnu lança une pokéball. Entre les feuilles, Marguerite remarqua l'allure étrange de la ball : une capsule noire avec des globules verts, sans doute une sombre-ball. Un pokémon fantomatique en sortit. Le spectre à la tête pointue se retrouva aussitôt face à trois nouveaux malosses qui venaient de surgir d'un champ de fougères.
« Fantom onde-folie ! »
Marguerite vit la vague mauve sombre planer autour des malosses. L'effet fut immédiat, le premier pokémon confus se cogna dans un arbre et s'écroula, assommé. Les deux autres commencèrent à se battre entre eux. L'inconnu fit volte-face et leva les yeux vers Marguerite, dissimulée dans le feuillage.
« Florie fais la descendre.
- Boustif... »
Marguerite n'eut pas le temps de réagir, le pokémon l'avait de nouveau attaché avec ses fouets lianes. Boustiflor fit tomber la jeune femme dans les bras du garçon qui la déposa ensuite par terre avec délicatesse. Marguerite se laissa faire, le coeur battant la chamade, les joues légèrement rosies. Mais l'aventure n'était pas finie, elle le comprit en voyant l'expression dans les yeux du jeune homme.
« Tu veux retourner dans ce manoir ?
- Sans me faire voir oui !
- Ta chambre, elle donne sur le parc ?
- Oui, je dors dans l'aile Ouest, au premier étage.
- Ok, montre-moi. Vite, avant que ces monstres ne se réveillent ! » Déclara t'il en désignant les malosses dans un hochement de tête.
Marguerite emmena l'inconnu jusqu'à la façade principale de l'aile Ouest, en marchant le plus vite possible avec ses chaussures inadaptées et son jupon. Ils s'approchèrent au maximum du manoir en restant tapis dans les broussailles. L'inconnu scruta les alentours puis leva les yeux vers le mur de briques.
« C'est quelle fenêtre ?
- Les deux du milieu, celles dont les volets sont ouverts. Les autres chambres sont inoccupées.
- Ok. Fantom, j'ai encore besoin de ton aide. »
Il libéra une nouvelle fois son pokémon spectre. Vu de près, Marguerite put reconnaître un polichombr.
« Va ouvrir cette fenêtre steu'plaît. »
Le garçon pointa du doigt l'une des deux fenêtres donnant sur la chambre de Marguerite, puis il sortit deux autres pokéballs, ordinaires celles-là.
« Florie, Tornade à vous de jouer mes jolies.
- Bousti...
- Rooouuv, roouuuvvv !
- Un... Etourvol. » Murmura Marguerite en regardant Tornade.
Elle n'avait jamais vu d'étourvol en vrai, ce n'était pas un pokémon de la faune sauvage de Kanto. Elle leva brusquement la tête en entendant le grincement de sa fenêtre. Si polichombr était entré en passe muraille dans sa chambre, il en était ressorti en crochetant de l'intérieur la fenêtre désormais grande ouverte.
« Tornade, emmène Florie là haut et attends mes instructions. Toi Florie, une fois que t'y seras, tu fais descendre tes fouets lianes pour hisser la demoiselle. Compris ?
- Bou, bou.
- Parfait, alors allez y. »
Tandis que le pokémon oiseau s'envolait avec entre ses serres la boustiflor, Marguerite se tourna vers son sauveur avec un air soupçonneux.
« Vous êtes un cambrioleur ?
- Eh eh, non juste un dresseur débrouillard, répondit le jeune homme, amusé par la réflexion.
- Bous bou ! »
Les deux grosses lianes de boustiflor pendaient le long du mur. L'inconnu incita Marguerite à s'avancer et il aida son pokémon à trouver les hanches de Marguerite en guidant ses capteurs sensoriels situés à l'extrémité des lianes. La jeune femme commençait à trouver cela humiliant d'être porté comme un vulgaire sac de pommes de terre, mais elle se sentait reconnaissante envers ce garçon qui venait sans doute de lui éviter la punition de sa vie.
« Je... Vous remercie pour votre aide.
- Pas de quoi. C'est le rôle des princes charmants, de sauver les demoiselles en détresse, répondit le dresseur avec un sourire en coin.
Marguerite haussa un sourcil.
- Vous n'êtes pas un prince charmant.
- Ça, c'est à toi de voir princesse. »
Avec malice, il lui tapota brièvement la joue avec le doigt avant de s'exclamer :
« Aller hop Florie ! »
Il n'eut pas le temps de voir Marguerite rougir, Boustiflor la hissait déjà à toute vitesse jusqu'à la fenêtre ouverte. Elle fut beaucoup plus secouée que dans le chêne. Florie la fit tomber sur le plancher de sa chambre avant de sauter sur l'appui de fenêtre. Marguerite entendit l'inconnu crier après ses pokémon. Etourvol attrapa boustiflor et la redescendit en trois battements d'ailes. Marguerite se releva à toute vitesse et se précipita à la fenêtre pour regarder ses sauveteurs. Alors que le jeune homme rappelait Florie et Tornade, les aboiements reprirent. Marguerite avait l'impression qu'ils se rapprochaient de sa fenêtre. A voir la grimace du jeune homme en contrebas, il ne s'agissait pas que d'une impression.
« Saletés de cleps... » Marmonna le garçon avant de s'enfuir vers le parc.
Il disparut sous la ramure dense des arbres au grand dam de Marguerite, elle avait mille questions à lui poser, à commencer par : "Quel est votre nom ?".
Alors que les malosses couraient sous sa fenêtre, Marguerite la referma pour ne plus entendre leurs aboiements brutaux et effrayants. Elle se laissa tomber sur son lit en soupirant de soulagement, puis elle baissa les yeux sur ses jambes. Elles étaient en triste état. La jeune femme grimaça, elle qui avait des jambes si douces et si belles d'habitude...
Marguerite comprit assez vite qu'elle ne serait tirée d'affaire que lorsqu'elle aurait récupéré une apparence descente. Elle commença par verrouiller la porte de sa chambre, pour éviter que la gouvernante ou une des femmes de chambre ne débarque à l'improviste. Elle se rendit ensuite dans son petit cabinet de toilettes privé, où se trouvaient un lavabo et un miroir. Elle nettoya ses jambes pleines de terre et de sang. Elle les enduisit de crème hydratante et enfila de nouveau bas pour cacher les coupures qu'avaient laissées les branches sur sa peau blanche et fragile. Elle termina par laver ses chaussures et le parquet sous sa fenêtre.
Quand elle eut terminé les préparatifs, elle déverrouilla la porte, partit s'asseoir à son bureau près de la fenêtre et reprit la lecture d'un de ses livres de science. Elle n'arrivait pas à se concentrer sur ce qu'elle lisait mais qu'importe, cinq petites minutes après qu'elle se soit assise à sa table, Madame Piafabec entra brusquement dans sa chambre sans frapper.
Marguerite sursauta et se retourna, mais sa surprise n'était pas aussi grande que celle de Madame Piafabec, dont la bouche était grande ouverte.
« Vous... Vous ici ?
- Oui, pourquoi ? Où vouliez vous que je sois ? »
Madame Piafabec secoua la tête. Elle ne comprenait pas comment la jeune femme pouvait se trouver ici alors qu'elle était certaine de la trouver dans le jardin, mais dans cette histoire farfelue, il y avait au moins un fait avéré : Marguerite était sortie du cabinet de pénitence sans autorisation.
« Ne jouez pas à cela avec moi Mademoiselle Marguerite. Vous étiez en retenue et vous vous êtes sauvée avant la fin de votre punition.
- Je commence à être un peu âgée pour ce genre de chose ! Geignit Marguerite.
- Vous serez assez âgée lorsque vos parents l'auront décidé Mademoiselle, répliqua sèchement la gouvernante.
- Mais ce n'est que du temps perdu ! Punissez-moi dans ma chambre, au moins ici je peux continuer à étudier !
- Ce n'est pas une réelle punition, mais soit. La prochaine fois, je vous laisserai une lumière et un livre pour que vous puissiez continuer votre travail au cabinet. »
Marguerite soupira, cette vieille harpie bornée aurait mérité de s'appeler Madame Rapasdepic.
« Je crois qu'il est inutile de vous renvoyer au cabinet aujourd'hui... Reprit Madame Piafabec. En revanche, votre complice va y passer la soirée. Ce sera une leçon instructive, pour lui comme pour vous.
- Mon complice ? Demanda Marguerite avec un nœud dans la gorge.
- Oui, votre frère Pierre-Antoine.
- Non ! Pierre-Antoine n'y est pour rien, laissez-le tranquille ! Clama Marguerite en proie à la culpabilité, ainsi qu'à la colère envers sa gouvernante.
- Mademoiselle, personne ne peut ouvrir la porte du cabinet de l'intérieur. Vous avez donc été aidée. Si ce n'est Pierre-Antoine qui d'autre ?
- C'est... Son fantominus. Il passait dans le couloir, je lui ai demandé de m'aider », mentit Marguerine. Et comme si Madame Piafabec l'avait deviné, elle répondit avec son air sévère et glacial habituel : « Alors Pierre-Antoine sera puni pour ne pas avoir su contrôler son pokémon. »
Sur ces mots, Madame Piafabec tourna les talons et sortit de la chambre en claquant la porte. De rage, Marguerite balança son livre sur la porte. Le choc fut bruyant et l'espace d'un instant, Marguerite crut que Madame Piafabec allait revenir et la punir malgré tout à la place de Pierre-Antoine, mais elle n'en fit rien. Pourtant, elle avait forcément entendu le choc...
Marguerite se tourna vers son lit et se laissa tomber dessus, l'adrénaline redescendit aussi vite qu'elle était montée. Marguerite avait beaucoup moins de sang froid que ses frères. Elle avait également moins de force et moins d'aplomb, elle détestait cela.
Elle poussa un long soupir fatigué et déprimé. Elle se retourna sur son lit, ses yeux légèrement humides dans le vague. Alors qu'elle se laissait sombrer peu à peu dans la mélancolie, elle remarqua une ombre sur le sol. Elle se redressa lentement, plissa les yeux et, comme elle ne voyait pas de quoi il s'agissait, elle se leva et s'approcha de l'objet. Elle se pencha au dessus et cligna des yeux. Heureusement que Madame Piafabec ne l'avait pas remarqué ! Marguerite sourit et ramassa la plume d'étourvol.