Entre infini et au-delà
Noël arriva avec de nouvelles giboulées de neige, ce qui porta son épaisseur à plus d'une cinquantaine de centimètres. Cassy avait effectué quelques emplettes à Ébènelle pour trouver des cadeaux à ses nouveaux amis. Ce n'était pas grand-chose, car elle devait économiser l'argent qu'il lui restait, mais elle ne s'inquiétait pas de leur réaction. Sylvain était bien trop courtois pour ne pas se satisfaire de ce qu'il recevrait et Sandra serait mécontente même avec un coffre rempli de pépites. Quant à Peter, son avis l'importait peu.
Elle se leva juste avant l'aube pour déposer ses présents sous le sapin. Elle était probablement la dernière à le faire, car une pile de paquets aux emballages colorés s'y entassait déjà. Elle installa les siens parmi eux.
Comme elle était réveillée et que les autres ne tarderaient pas à descendre, elle décida de préparer le petit-déjeuner. Elle était installée aux fourneaux depuis quelques minutes à peine, en train de jeter dans un saladier les ingrédients nécessaires à de la pâte à crêpe, quand Sylvain la rejoignit.
- Il semblerait que tu m'aies devancé, constata-t-il. Joyeux Noël, Cassy.
- Merci, à toi aussi. Tu peux dresser la table, si tu veux, pendant que je me charge de la cuisson.
Il accepta et, tandis qu'elle versait un peu d'huile dans une poêle, il quitta la cuisine avec une pile d'assiettes et de couverts entre les bras, pour les installer dans la salle à manger. Il fit ensuite un second voyage avec la confiture de Fraive, la pâte aux baies Chocco et le sirop d'érable.
Ils lavaient la vaisselle lorsque Peter et Sandra arrivèrent, séparés par un bref intervalle. La Championne semblait toujours aussi maussade, au contraire de son cousin qui commençait à s'acclimater à sa mauvaise humeur permanente. Il salua chaleureusement les adolescents, là où la jeune femme se contenta d'un simple grognement. Noël ou pas, cela ne la rendait pas plus aimable.
- Ces crêpes sont délicieuses, Cassy, commenta Peter. Qui t'a appris à cuisiner aussi bien ?
- Ma mère, répondit-elle en espérant que cela ne soulèverait pas d'autres questions.
Elle croisa le regard de Sandra, qui exprimait de la compassion. La jeune fille lui était reconnaissante de ne jamais avoir tenté de découvrir ce qu'elle cachait, en dépit de ses soupçons. La dracologue avait des défauts, beaucoup trop pour les énumérer, mais elle savait respecter un secret.
- Et si nous allions ouvrir nos cadeaux ? proposa Sylvain avec entrain. Nous débarrasserons plus tard.
Cassy acquiesça et Peter en fit de même. Sandra se contenta de suivre le mouvement, pendant qu'ils se levaient tous de table. Elle parut se détendre un peu et réussit même à esquisser un sourire lorsqu'elle pénétra dans le salon. Elle se laissa tomber sur le canapé, dans une position décontractée, et étendit la main vers un paquet.
- Attrape ! ordonna-t-elle à Cassy en le lui lançant à travers la pièce.
Elle visa volontairement très mal, pour contraindre l'adolescente à se servir de ses réflexes. Elle parvint à s'emparer du cadeau alors qu'il menaçait de passer par-dessus son épaule et de retomber derrière elle. Sandra décortiqua son geste du regard, mais garda le silence. C'était bien la première fois.
Cassy déchira l'emballage et découvrit une petite boîte en carton, qu'elle s'empressa d'ouvrir. Du ruban adhésif lui collait aux doigts, mais elle s'en dépêtra pour révéler un magnifique bracelet. Il était d'un bleu nacré et représentait un Draco enroulé sur lui-même. La jeune fille le passa à son poignet droit.
- Comme il est beau ! s'exclama-t-elle. Merci, Sandra ! Je l'adore.
- J'ai songé qu'il s'accorderait plutôt bien avec ton collier.
Cassy caressa le bijou avec le revers de son pouce. À côté de lui, la broche sertie de fausses pierres précieuses qu'elle avait achetée pour la Championne semblait être un bien médiocre cadeau. Elle fut surprise de voir le sourire de Sandra s'élargir lorsqu'elle la déballa.
- Merveilleux ! Exactement ce dont j'ai besoin pour te piquer les fesses quand tu traînasses à l'entraînement. Je ne te savais pas masochiste.
Sylvain, assis par terre avec un pull neuf entre les mains, éclata de rire, et Cassy l'imita. Avec du recul, elle songea qu'elle aurait dû s'attendre à une telle remarque de la part Sandra. Au moins, son présent l'amusait, c'était toujours cela.
Peter se montra moins enthousiaste que les trois autres au moment d'ouvrir son premier cadeau. Il était si fin qu'il tenait dans une enveloppe. Sous le regard dur de sa cousine, il en tira une carte postale qui représentait la cité d'Ébènelle enneigée.
- Euh... Je te remercie, Sandra, même si j'avoue ne pas comprendre...
- Le jour où tu comprendras quelque chose, de toute façon, il faudra le marquer en rouge sur le calendrier. C'est juste un petit souvenir de cette ville dans laquelle tu ne mets jamais les pieds, et au dos duquel tu peux accessoirement écrire à... Je ne sais pas. Moi, par exemple ?
- Hum, hum... coupa Sylvain. Tiens, Cassy. Celui-ci est pour toi, de ma part.
- Et le mien est juste là.
Le Topdresseur reçut de la jeune fille un guide sur l'adaptation des pokémon en altitude, qu'elle avait trouvé dans la seule librairie d'Ébènelle, et elle-même obtint de lui un parfum. Le hasard voulut que ce soit exactement le même que celui que Peter offrit à Sandra. L'un des cadeaux du dracologue, celui de Cassy, renfermait une écharpe.
Alors que sa cousine ouvrait la bouche, probablement pour lui conseiller de se pendre avec, le visiophone sonna dans le hall. La Championne se leva en déclarant qu'il s'agissait probablement de ses parents, chez qui Peter et elle devaient se rendre dans le courant de l'après-midi.
Cassy se sentit légèrement coupable à l'égard de Peter lorsqu'elle découvrit le somptueux présent qu'il leur avait fait, à Sylvain et à elle. Il s'agissait d'un kit de dressage complet, qui renfermait de nombreuses Potions, plusieurs Rappels, et tous les produits nécessaires aux soins d'un pokémon après un combat.
- Ouah ! souffla le Topdresseur, admiratif. Je ne sais pas quoi dire. Merci beaucoup, Peter.
- Oui, merci beaucoup, Peter, renchérit l'adolescente en lui adressant pour la première fois un sourire sincère.
Il disparut de son visage sitôt que Sandra revint dans la pièce. Elle était blême, même si cela était difficile à distinguer sur son teint pâle de nature, et ses mains, serrées en poings, tremblaient.
- Clément nous souhaite un joyeux Noël, déclara-t-elle d'une voix hachée. Il te fait aussi savoir, Peter, qu'il part pour Safrania, où une banque est en train d'être cambriolée par d'anciens membres de la Team Rocket.
- Quoi ?
Le Maître du Plateau Indigo s'arracha aussitôt au fauteuil dans lequel il était assis pour bondir sur ses pieds. Cassy ne le lâcha pas du regard pendant que Sylvain, qui venait de piocher un chocolat dans la boîte que lui avait offerte Sandra, le remettait à sa place, l'appétit coupé.
- Ça fait maintenant un moment que l'organisation a été démantelée, et pourtant ils n'ont pas encore réussi à mettre tous les anciens partisans de Giovanni Boss en prison, commenta Sylvain. C'est à se demander s'ils y parviendront un jour.
Cassy acquiesça. Régis lui avait parlé de la Team Rocket, cette mafia qui avait eu la mainmise sur presque tout Kanto pendant plusieurs années, avant que leur chef soit finalement mis en déroute par un jeune dresseur nommé Red, avec le soutien de plusieurs de ses amis.
- Je dois y aller, décréta Peter.
- J'en étais sûre ! rétorqua Sandra. Tu ne peux pas t'en empêcher, c'est plus fort que toi.
- C'est mon devoir.
- Clément peut très bien s'en charger tout seul, d'autant que Morgane et la police sont probablement déjà sur place. Ta présence n'est absolument pas nécessaire.
- Bien sûr que si !
- Bien sûr que non ! C'est ça, ton problème. Tu as toujours besoin de tout contrôler, de t'assurer que tout se passe selon ta convenance, mais sache que le monde arrive à tourner même lorsque tu n'es pas là. On parle de sbires de la Team Rocket, pas d'une attaque de Drattak en furie ! Même Sylvain et Cassy pourraient les arrêter sans aucune aide.
- Tu n'en sais rien. Certains sont plus malins et plus dangereux que d'autres. Si je n'y suis pas et qu'ils s'échappent, ou pire, comment pourrais-je ne pas m'en vouloir ?
- Ce ne seront pas les premiers criminels qui se promèneront librement dans la nature. Il y en a toujours eu et il y en aura toujours.
- Sandra, essaye de comprendre...
- Quoi ? Tu me demandes ça à moi ? Et toi, alors ? Quand est-ce que tu comprendras que je n'en peux plus de tes stupides responsabilités et de tes promesses que tu es incapable de tenir ? Et mes parents, est-ce que tu y as pensé ? Qu'est-ce que je vais leur dire ? Que leur neveu a encore trouvé mieux à faire ailleurs ?
- Tu crois vraiment que ça me fait plaisir de partir comme ça ?
- Oh que oui, parce que rien ne t'y oblige, hormis ton égo démesuré !
- Si je me dépêche, je serai sûrement revenu d'ici cet après-midi et je...
- Arrête de me prendre pour une idiote, coupa Sandra. Tu sais très bien qu'une fois là-bas, tu trouveras autre chose à faire, et ainsi de suite, et lorsque tu parviendras peut-être à trouver cinq minutes pour revenir ici, nous serons déjà en été.
- Fais-moi confiance, insista Peter.
- Non, justement ! C'est terminé, tout ça.
Le dracologue poussa un soupir et tenta de contourner sa cousine, qui bloquait la porte, mais elle le retint par le poignet au moment où il s'apprêtait à sortir de la pièce. Il tenta de se dégager de son étreinte, mais grand et mince comme il l'était, il ne semblait pas avoir autant de force que la Championne.
- Je te préviens, menaça-t-elle, si tu quittes cette Arène, ce sera plus jamais la peine d'y remettre les pieds.
- C'est chez moi aussi, je te rappelle.
- Non. Ça ne peut pas l'être uniquement quand ça t'arrange. Un chez-soi, c'est un endroit où l'on vit, et toi, tu ne vis pas ici. Tu n'es rien qu'un étranger.
Peter soutint les yeux de Sandra, qui le foudroyaient, et lorsqu'elle le lâcha enfin, il disparut dans le hall. Cassy et Sylvain échangèrent un regard quand ils l'entendirent décrocher sa cape de la patère, puis la porte de l'Arène se refermer derrière lui, mais ne prononcèrent pas un mot.
La Championne poussa un mugissement de rage, puis saisit le flacon de parfum offert par son cousin pour le fracasser contre le mur. Une odeur entêtante se diffusa dans l'air, tandis que Sandra quittait furieusement la pièce. Le son hargneux de ses pas s'atténua à mesure qu'elle gravissait les marches de l'escalier.
- Quel crétin ! siffla Cassy entre ses dents.
- Si encore il la fuyait en raison de son mauvais caractère... murmura Sylvain. Mais en fait, je crois surtout qu'il en est la cause. Dans le fond, Sandra est quelqu'un de bien, elle ne mérite pas ça.
- Je croyais que tu comprenais l'importance que Peter accordait à son travail.
- C'est vrai, mais ça me fait de la peine de la voir souffrir. Et toi aussi, d'ailleurs. Même si tu essayes de le cacher, je vois bien que ton histoire avec ton meilleur ami t'afflige encore. Aimer quelqu'un ne devrait pas être douloureux. Je ne comprends pas qu'Arceus puisse le permettre.
- Arceus... ricana Cassy. C'est à se demander le bien qu'il fait, celui-là. Il laisse le chaos régner sur le monde, mais pas les gens être heureux. Tu es croyant ?
- Pas vraiment, avoua Sylvain. Je connais mieux la mythologie arcésienne que la religion à proprement dite. Mes parents étaient archéologues, ils privilégiaient les faits à la foi.
La jeune fille acquiesça, mais ne releva pas. Elle se demandait si elle devait rejoindre Sandra et tenter de la réconforter, sachant qu'elle voyait mal comment elle pourrait adoucir sa peine, même en lui répétant sans cesse que son cousin était le roi des imbéciles. Elle décida finalement de nettoyer le parfum qui imbibait le papier peint avant que l'air de la pièce s'imprègne irrémédiablement de ses effluves.
- Cassy, attends ! appela Sylvain alors qu'elle se dirigeait vers la porte. Je... Il faut que je te dise quelque chose.
Elle s'immobilisa et l'adolescent franchit la distance qui les séparait l'un de l'autre pour se poster face à elle, mal à l'aise. Il passa nerveusement une main sur sa nuque, avant de se lancer :
- Tu sais, ce qui se passe entre Peter et Sandra m'a permis de prendre conscience qu'il est important de dire aux gens ce qu'on ressent pour eux et... C'est pour ça que je dois t'avouer que je suis amoureux de toi.
Cassy, loin de s'attendre à une telle révélation, ouvrit des yeux ronds. Sa surprise l'empêcha de s'exprimer et, lorsqu'elle s'estompa, ce fut pour laisser place au doute et à la méfiance. Les sourcils froncés, la bouche légèrement tordue, elle déclara, non sans bredouiller :
- C'est que... Tu me prends un peu de court, là. Je t'apprécie beaucoup, Sylvain, mais je ne suis pas certaine d'avoir de la place dans ma vie pour de tels sentiments actuellement. C'est... Tout est trop compliqué. Je suis très heureuse de recevoir ton amitié, mais je ne souhaite rien de plus pour le moment. Tu comprends ? Je... Je suis désolée.
Cassy, profondément mal à l'aise, détourna les yeux pour ne pas voir son expression déçue et, avant qu'il ait songé à lui répondre, elle se précipita hors du salon.