Destins croisés

Chapitre 1 : Destins croisés

Chapitre final

3309 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 27/06/2024 21:42

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Mamma Mia ! (mai – juin 2024).



Depuis la nuit des temps, humains et Pokémon partagent leurs territoires. Il existe diverses façons de se côtoyer ainsi : s’allier, cohabiter, s’affronter, se découvrir, se soumettre, se rebeller… L’entente n’est pas une nécessité mais la rencontre est inévitable. La multitude des caractères diversifie tant et tant le monde qu’il en devient presque impossible de déterminer si la personne ou le Pokémon que nous avons en face de nous fait le bien ou le mal. Et parfois la réalité est encore plus compliquée…


               « Boss, s’il vous plaît ! Nous ne pouvons pas nous passer de vous.


               — Je ne reviendrai pas, j’ai d’autres projets.


               — Mais enfin !...


               — N’insiste pas. Et cessez de me courir après. Si vous souhaitez tous poursuivre l’activité, vous n’avez plus besoin de moi.

               

               — Vous reviendrez de gré ou de force, menaça la Caïd en brandissant sa Poké Ball.


               — Ariane… Tu sais très bien comment ça finirait. Disparais.


               — … Oui, chef. Veuillez excuser mon impertinence… chef. »



☼ ☼


Les ombres et la végétation s’entremêlaient de façon hasardeuse dans le bois aux chênes. Connu pour ses épais murs arboricoles, il laissait filer quelques rayons de soleil jusqu’aux herbes hautes qui jonchaient le sol. De nombreuses espèces proliféraient ainsi secrètement dans le refuge boisé entre les mares d’eau et les caches naturelles…. Mais les Nidoran n’étaient pas répertoriées parmi celles qui y vivaient. Le quadrupède au pic frontal et à la peau violette légèrement tachetée, qui ne mesurait qu’un demi-mètre une fois ses larges oreilles turquoise tendues, vadrouillait au milieu des arbres. On apercevait à peine sa dent unique et tranchante dépasser de sa minuscule bouche. Pour cause, il se tenait le pic en avant, les yeux fixés vers son potentiel adversaire. Quant au jeune garçon, il observait le spécimen avec plus d’intérêt que de peur. Quelle pugnacité ! Malgré sa petite taille et son manque de puissance, il faisait montre d’une volonté de dominer palpable sur ce territoire qu’il ne connaissait pas. Cela suffisait largement à Silver pour qu’il ait envie de le capturer.


Le dresseur averti ne redoutait pas une seule seconde l’échec. Il lança au combat l’un de ses Pokémon les plus faibles, un Farfuret aux griffes déjà trop aiguisées. Le Nidoran le chargea comme un Rhinocorne l’aurait fait, mais sans la puissance ni la carrure de ce dernier. Farfuret, si habile par nature, se décala d’un seul pas de côté pour l’esquiver, laissant son maître à la merci du petit être hargneux. Silver n’hésita pas une seconde. Alors qu’il plaçait sa main sur sa hanche, son sourire narquois s’effaça, son regard fixe et imperturbable laissant le choix au petit Pokémon de la marche à suivre. Le quadrupède déstabilisé s’arrêta un instant, mu par son instinct. Il releva la tête, jaugea l’ennemi et agita faiblement ses oreilles. Il avait peur. Prenant son courage à deux mains, le Nidoran se raffermit et, d’un cri strident, reprit sa course belliqueuse vers l’humain qui se couvrit d’un rictus tout en frottant ses longs cheveux rouges.


               « Feinte. »


Le Farfuret s’exécuta. Il lança une attaque Feinte, filant à une vitesse telle qu’il passa presque dans le domaine de l’invisible, puis il griffa le quadrupède de ses longs bras en y apportant une retenue évidente. Cela suffit à blesser gravement son adversaire qui, malgré toute sa détermination, ne parvint pas à se relever. Silver envoya sur le Nidoran épuisé une Poké Ball qui scintilla trois fois avant de se refermer. Il avait reconnu la solitude et la volonté de se battre du petit être chétif. Sa faiblesse du moment le hisserait un jour au sommet, comme son nouveau maître avant lui.


☼ ☼


Les rayons du soleil et l’ombre des rocs s’entremêlaient de façon hasardeuse sur la route 22. La voie dégagée de toute végétation envahissante se pavait naturellement de caches aquatiques et de petits abris. Les Nidoran adoraient se promener dans ces lieux polyvalents, jouant et se bagarrant tantôt entre eux et tantôt avec les dresseurs qui croisaient leurs chemins. Pourtant, aucun ne s’approchait de l’homme qui vagabondait seul le long de la route de pierres. Son chapeau noir camouflait son visage, prolongeant sa veste de costume avec une harmonie déconcertante de facilité. L’habit élégant et imposant de ce dresseur compensait largement sa grandeur physique toute relative. Accrochées à sa taille et dissimulées dans ses poches, ses Poké Ball abritaient de puissants Pokémon. L’un de ceux-ci vibrait d’une étrange mélodie, comme rappelé à ses instincts primaires, animé d’une rage sauvage aussi éphémère qu’inextinguible. Il s’agissait d’un Nidoking. A peine un mètre quarante pour soixante-deux kilos. Le spécimen bipède aux dimensions a priori inoffensives pouvait faire trembler la terre de ses immenses pattes et queue à la peau violette aussi dure que l’acier, percer n’importe quelle surface de sa lourde corne empoisonnée, et se repérer sur n’importe quel terrain grâce à ses larges oreilles turquoise. Il sentait qu’il se trouvait sur la route 22, l’endroit où il était né. Giovanni lui-même percevait son agitation.


Le dresseur averti ne doutait pas une seule seconde des sentiments qui tourmentaient son Nidoking. Il était revenu là où tout avait commencé. Il avait tant parcouru avec son maître et vu tant de batailles qui lui avaient permis d’assouvir sa férocité innée. Malgré tous ces combats passés, le Pokémon reconnaissait en lui un homme digne de confiance. Giovanni avait le regard fixe et imperturbable des grands de ce monde, de ceux qui cherchaient à façonner leur destinée plutôt qu’à la subir. Mais pour le moment, il semblait perdu. Il attrapa la Poké Ball de son compagnon et la jeta à terre, invoquant son Nidoking perturbé.


               « Nidoooo !


               — Tu ne changes pas. Tu possèdes toujours cette volonté de domination. »


Le Pokémon qui ne comprenait pas le langage humain fonça sur son dresseur, effrayant ses congénères alentour de pas lourds qui fissuraient le sol. Sa corne paraissait alors bien plus redoutable que dans les livres, sauf pour Giovanni qui la connaissait par cœur. Il releva la tête en plaçant sa main droite devant lui, gardant la seconde dans la poche de son pantalon. Elle attira l’attention du Nidoking, qui croisa les yeux de son dresseur. Il arrêta net sa course en respirant lourdement, un poids gênant ancré en lui. Il savait qui commandait, mais était mu par un sentiment qu’il ne pouvait restreindre. Allant chercher dans ses larges poumons, il hurla au visage de son adversaire et ses épaules et ses bras retombèrent, ses griffes ne ciblant plus qui que ce soit. Il fut rappelé à sa Poké Ball après que Giovanni a caressé sa tête d’un geste lent.


               « Pardon, c’est ma faute, précisa-t-il en poursuivant sa route. Les Pokémon devraient servir les intérêts de la Team Rocket. »


« Est-ce que je doute de ma propre doctrine ?... », pensa-t-il sereinement.


☼ ☼


Route 22, deux mois plus tard. Silver parcourait le monde à la recherche de nouveaux défis. Parmi ceux qu’il n’avait jamais pu surpasser, la Ligue Pokémon était peut-être le plus corsé. Le rassemblement des cinq dresseurs supposément les plus forts de la région au sein d’un même lieu attirait les foules en quête du titre de maître Pokémon, c’est-à-dire le meilleur de la région. En vérité, peu de personnes y parvenaient. Il fallait d’abord acquérir les huit badges d’arène puis affronter la terrible route Victoire, un labyrinthe montagneux jonché d’obstacles. Enfin, accéder au bâtiment de la Ligue et vaincre les membres du « Conseil 4 » permettait de se mesurer au maître actuel... Ce parcours attirait bien plus le jeune garçon que d’hypothétiques titres. Il ne cherchait pas une reconnaissance puérile : il voulait simplement surpasser tous les autres. Ecraser le monde sous sa poigne.


Il traversa ainsi les routes 22 et 26 avant de rejoindre la route Victoire. Matant un à un les dresseurs devant lui, il ne pouvait s’empêcher de repenser à sa dernière visite. Il avait affronté Gold, son rival, au bout du labyrinthe qui menait à la Ligue, et avait perdu. Alors qu’il avait vaincu sans conteste tous ces adversaires, ce dresseur-là s’était placé plusieurs fois entre lui et son but, sans qu’il ne puisse rien y faire. Une défaite irrémédiable et systématique. Que pouvait-il lui manquer ? Devait-il s’entraîner encore et encore ? Le doute germait peu à peu dans son esprit. Il ne renoncerait pas à son objectif : être le plus fort. Mais avait-il la bonne méthode ou la bonne façon de penser ? Etait-il encore et toujours influencé par ce père qu’il avait à peine rencontré ?...


☼ ☼


Giovanni vagabondait au fil des cavernes du Mont Argenté. Le lieu terriblement oppressant abritait des dangers insoupçonnés, cachés dans les tréfonds. Des Pokémon reclus dans l’obscurité aux dresseurs qui avaient atteint le sommet du monde, chacun d’eux cherchait soit l’isolement, soit l’affrontement. Giovanni cherchait les deux. La défaite de la Team Rocket, d’abord face à Red puis face à Gold, avait mis ses projets à mal. Après tout, prendre le contrôle du monde et soumettre tous les Pokémon requérait une certaine force, une force à même d’écraser tous les opposants. Et si, certes, l’ancien Boss de la Team Rocket possédait une puissance incommensurable, on ne pouvait pas en dire autant de ses subordonnées. Plusieurs fois, il s’était retrouvé seul contre des groupes armés.


L’âge commençait à le prendre ; un flot contre lequel il ne pouvait rien le diminuait peu à peu. Il ne s’agissait pas d’une vulgaire diminution physique, d’une emprise du corps sur l’esprit, mais bien de l’inverse, car avec l’âge qui venait sa volonté s’estompait. Pourquoi faisait-il tout cela, quel était le but de la Team Rocket ? Que faisait Silver en cet instant, et qu’allait-il devenir ? Les ambitions démesurées qui lui avaient fait abandonner son fils, pouvait-il s’en défaire pour le retrouver ?... Il avait conscience du caractère familial : cela ne serait pas si simple. Et puis laisser derrière lui la Team Rocket reviendrait à renier sa propre vie. Jamais dans ses actes le grand Giovanni ne montrerait un tel regret. Alors il escaladait le mont Argenté, pour trouver à son sommet le dresseur qui lui permettrait de se décider.


☼ ☼


Cette fois, personne n’arrêterait Silver. En sortant des grottes de la route Victoire, il découvrit pour la première fois la façade de la Ligue Pokémon. Il contempla un très bref instant les tours qui se hissaient de chaque côté de l’entrée, construites en briques rouges et ornées de dorures mates, modestes mais imposantes. Elles contrastaient assez aisément avec le chemin de gazon sur lequel il se tenait, entouré de jardins géométriques finement ordonnés. Le seul élément vraiment remarquable venait du bâtiment qui, lorsqu’on levait les yeux, nous emmenait loin au-delà du ciel, perdant notre vue dans une mer blanche, infinie et insaisissable. Une vision d’inaccessible qui disparut à l’instant où Silver franchit les portes de l’édifice.


Un centre de soins et une boutique attendaient les dresseurs épuisés par la Route Victoire. Le jeune garçon n’était pas de ceux-là. Il se dirigea vers les arènes de combat, un garde contrôla ses huit badges, puis il se jeta dans le défi de la Ligue… Malgré l’évidente excitation qu’il aurait dû ressentir, son visage restait ferme et son pas stoïque. Les pouvoirs psychiques de Clément, les poisons de Koga, la force d’Aldo et les Pokémon Ténèbre de Marion… Chacun de ces talentueux membres du Conseil 4 ne constituaient qu’une étape. Il traversait les salles une à une, perdu dans un challenge plus complexe et plus lointain. Seul Peter, l’éminent maître de la Ligue, parvint un tant soit peu à le sortir de sa torpeur. Le dracologue à l’habit noir et à la cape rouge dirigeait ses compagnons Dragon avec brio dans cette salle d’or aux piliers immenses. Chacun d’eux enflammait et meurtrissait l’espace… Silver manqua de succomber contre son Dracolosse, le Pokémon le plus fidèle de Peter, un dragon bipède de deux mètres dix, à la peau jaune caractéristique et aux petites ailes. Acculé, il dut faire appel à son Nidoran, qui avait depuis lors évolué en Nidorino puis en Nidoking…


☼ ☼


Giovanni avait enfin atteint le sommet du Mont Argenté. Il s’avança par-delà la tempête de neige en marchant à l’orée des nuages, la brume voilant et le ciel et le sol, même par-delà l’immense gouffre qui s’élevait à l’horizon. Comme gardant le précipice en devant, un dresseur trônait seul et immobile.


               « On m’avait dit que je te trouverais là.


               — …


               — … Et que tu resterais muet. J’ai renié mon fils pour dominer le monde… Puis tu as déjoué mes plans. Je pensais avoir tout perdu… confia Giovanni en baissant la tête, la main maintenant son chapeau. J’avais tort. Si mon fils se refuse à moi à cause de mes erreurs passées, il me reste toujours une chose. La domination. Toi qui m’as pris la Team Rocket, tu es la première étape de ma rédemption.


               — … »


Le dresseur à la casquette rouge s’extirpa de ses pensées éternelles et se tourna vers l’adversaire venu le défier.


               « En garde », prévint Giovanni.


Déclenchant sa Poké Ball sans même la lancer, Giovanni invoqua un Corboss qui se rua sans hésitation sur l’adversaire a priori désarmé. Ses ailes dansèrent entre les flocons, se recroquevillant l’une sur l’autre pour faire du Pokémon de type Vol un projectile aussi vif qu’imperceptible.


               « Esquive ! »


Alors que le Corboss accélérait derechef, un Tonnerre surgit du ciel et le toucha partiellement à la patte, ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre sa course. Il percuta finalement le Pikachu qui venait de l’attaquer et qui, en une fraction de seconde, s’était dévoilé pour protéger son dresseur. Il repoussa avec difficulté l’attaque Coup Bas du Corboss en lançant Queue de Fer, déviant ainsi la majorité des dégâts. Par cette seule altercation, Giovanni savait que le combat ne serait pas tâche aisée. Red avait dissimulé la présence de son Pokémon qui avait finalement lancé deux attaques fulgurantes tout en se déplaçant… Dans son entraînement strict au Mont Argenté, le jeune dresseur avait dû longuement renforcer le lien qui l’unissait à ses compagnons, mais aussi et surtout leurs capacités naturelles. Désavantagé, l’ancien boss de la Team Rocket envoya à la tâche son Rhinoféros, un colosse de type Sol craint pour sa peau impénétrable et sa corne frontale surpuissante, particulièrement efficace contre un type Electrique comme Pikachu.


Le combat qui opposait les deux légendes fit rage pendant plusieurs minutes. Les éléments mouvaient dans une élégante destruction, la montagne tremblait et l’air se fissurait, portant en eux les espoirs d’un père qui n’avait pas encore tout perdu et d’un maître qui n’avait plus à sa hauteur que l’ombre de lui-même. Red bataillait avec une ardeur inégalée, ayant trouvé un homme digne de son mérite après une si longue attente, mais la rage et le désespoir qui se lisaient sur les traits enfoncés du visage de Giovanni ne concéderaient la victoire sous aucun prétexte. Chaque Pokémon, lié de ce serment inébranlable, jouait et dansait d’une précision gracile. Une précision sans pareille, concentrée sur les convictions de son adversaire, apte à détruire l’espoir naissant ou renaissant de l’un ou de l’autre dans une valse tristement dysharmonique ; Une valse déjà suffisamment longue. Acculé, Giovanni dut faire appel à son Nidoking.





Les deux Nidoking hurlèrent leur rage commune d’un chœur séparé. Le souvenir du lien qui avait été coupé se rappela à eux, les plongeant dans une osmose profonde qu’eux-mêmes distinguaient péniblement, voilée qu’elle était dans les affres de leur affrontement respectif. Par cette sensation soudaine, ils se jetèrent corps et âme dans leur nature sauvage, exprimant un instinct de domination qui ne se résumait pas seulement à suivre leur dresseur, mais aussi à exprimer la perte qu’ils avaient vécue, l’un d’un père et l’autre d’un fils. Ses deux monstres ne se connaissaient pourtant pas. Silver, d’abord rejeté par Giovanni, l’avait renié ensuite. La voie de domination qu’ils avaient embrassé à l’unisson les rapprochait cependant de façon inextricable, à commencer par le combat qu’ils menaient simultanément. Un combat dont l’issue importait tellement peu que, quoi qu’il arrive, elle mènerait un père vers son fils et un fils, vers son père.

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