Percée Providentielle

Chapitre 1 : Percée Providentielle

Chapitre final

4723 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/12/2023 23:05

[Percée Providentielle]


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture Secret Santa du forum Fanfictions .fr : Des fanfics sous le sapin - (novembre - décembre 2023).

Si chaque région recélait son charme propre, Johto dégageait une certaine douceur automnale, un calme chaleureux. En son sein, Écorcia ne détonnait guère du règne de cette ambiance agreste.

Charmant bourg dont Hector, champion de type insecte, tenait la seconde Arène dans le parcours que faisait chaque dresseur dans le but d’obtenir les huit badges. L’Arène d’Écorcia, connue pour son parcours de plateformes d’arachnides mouvantes, décernait le Badge Essaim, un joli cercle brillant dont les colorations évoquaient celles d’une coccinelle. Écorcia possédait également, à l’entrée de la ville, une modeste grotte dont certains aventuriers appréciaient toutefois l’exploration. Le Puits Ramoloss ne constituait certes pas la plus vaste grotte de la région, même si ses mares souterraines où se reflétaient les parois de la caverne offraient une visite particulière.

Le printemps asseyait sa présence d’un fort enthousiasme. Dans la bourgade, les familles se promenaient, s’en allaient pour un pique-nique, les enfants s’amusaient à escalader les parois rocheuses accompagnés d’un Capumain ou d’un Scarhino.

Désireux d’une balade, eux aussi, un grand-père et sa petite-fille se dirigeaient vers le Bois aux Chênes. D’un pas guilleret, cette dernière menait la marche en chantonnant.

« Qu’est-ce que tu vas m’apprendre aujourd’hui, grand-père ? J’ai apporté mon petit carnet pour ne rien oublier !

– Ta hâte d’apprendre me réjouit Lila ! Tu verras, nous ne sommes même pas encore à l’orée de la forêt.

– Maaaais, se lamentait Lila, ça fait des mois que j’attends de fabriquer ma première Poké Ball ! »

Fargas avait déjà pris l’habitude de partir avec sa petite-fille explorer le Bois aux Chênes. Le maître artisan affectionnait ces sorties, motivé par l’intérêt que Lila portait à son travail. Depuis plus de quarante ans, inlassablement, il mettait son savoir à l’œuvre en réalisant tout type de Balls. Des Lune Balls, des Speed Balls, des Copain Balls, Fargas maîtrisait la fabrication de chacune d’elles.

L’ouvrage requérait, nonobstant des matières premières, ces fruits sphériques et colorés nommés Noigrumes. Denrée importante dont les arbres, dispersés aux quatre coins de Johto, n’aidait pas l’artisan à s’approvisionner. Les dresseurs qui passaient par Écorcia lors de leur voyage fournissaient donc eux-mêmes les Noigrumes en échange d’un prix au rabais.

Cette-fois ci, Fargas ne comptait pas récolter de Noigrumes, son stock demeurait satisfaisant pour le moment. Le printemps revenu, les Noigrumes avaient poussé comme un Noeunoeuf évoluant en Noadkoko. Non, il s’agissait seulement d’un après-midi dans le Bois aux Chênes aux côtés de Lila. Son cœur se voyait désireux de passer un tendre moment à ses côtés.

« Nous sommes entourés de plus en plus d’arbres grand-père, on commence à être au cœur du bois ! Je le vois bien, leurs troncs sont plus larges.

– Tout à fait, Lila. Le soleil pénètre moins bien également. Quand nous apercevrons à nouveau l’étang que nous avons vu en entrant, nous pourrons considérer que nous nous sommes bien enfoncés dans la forêt, il faut beaucoup marcher pour réussir à le contourner.

– Je suis prête à marcher, je suis en pleine forme ! Ça sent tellement bon, en plus… »

Les bottes de Lila s’enfonçaient dans le sol meuble du chemin terreux. Ce dernier se révélait pavé de larges racines qui s’étiraient çà et là, désireuses de s’étendre, de grappiller le moindre centimètre supplémentaire. Si venait aux arbres l’envie d’élargir leur territoire, la terre n’attendait que d’accueillir ces griffes tortueuses. Des chants mélodieux retentissaient de toute part, aiguillant la tête de Lila dans de multiples directions, telle une girouette se laissant aller aux vents contraires. D’où provenaient-ils ? Pourquoi ne parvenait-elle point à percevoir, entre les feuillages si denses, qui produisait une ballade si guillerette, un hululement si soudain ? Des branches remuaient pourtant, des feuilles s’échouaient au sol parfois. De celui-ci émanait une odeur sylvestre, ce parfum boisé caractéristique qui rappelait à Fargas de longues années de vadrouille dans la nature, à observer la vie qu’elle abritait.

Se rapprochant de sa petite-fille, il posa la main sur son épaule. Relevant la tête vers Fargas, Lila aperçut son index appuyé contre ses lèvres. Il s’agenouilla pour se mettre à son niveau et put ainsi lui montrer ce qu’elle peinait à distinguer. Il lui indiquait de poser sur regard sur un grand chêne au tronc épais et robuste, à peine marqué par les stigmates du temps. Lila songea que cet arbre ressemblait à son grand-père. Sur une des branches se reposait paisiblement un Hoothoot, les yeux clos.

« C’est lui qui a fait le petit cri tout à l’heure ?, chuchota Lila tout en continuant de fixer le pokémon hibou

– C’est bien lui qui a hululé en effet. Savais-tu qu’il se repose toujours sur un seul pied ?

– Même sur la branche ? Il a un équilibre super fort !

– Oui, même sur la branche. Ses griffes sont très puissantes et lui permettent de s’accrocher sans glisser. C’est un pokémon qui est très respecté dans certaines cultures.

– Je trouve qu’il est rigolo avec sa tête toute ronde. Je l’aime bien. »

L’étang commençait à reparaitre devant eux. Tandis qu’ils s’en approchaient, Lila questionna son grand-père tout en commençant une collection de glands dans sa poche.

« Pourquoi ça sent toujours si bon dans la forêt, grand-père ? J’aimerais bien rapporter cette odeur dans ma chambre !

– C’est en partie grâce à l’humus ! Tu marches juste dessus, oui, c’est ça qui colore tes bottes. Elle existe grâce à la décomposition, c’est quelque chose de très riche et de très important pour la forêt.

– Oh, zut… Je dois faire plus attention quand je marche dessus, alors ?

– Mais non, mais non, il ne le sent même pas. »

Lila semblait soulagée de savoir qu’elle ne faisait pas mal à ce sol si vital pour la forêt. Toutefois, elle aurait tout de même voulu ramener son odeur à la maison… Tant pis, elle se promènerait plus fréquemment dans la forêt à partir de maintenant !

Désormais au bord de l’étang, ils pouvaient distinguer un groupe de six Psykokwak se laissant flotter sur le dos pour tenter de calmer leurs céphalées. Ils paraissaient en effet détendus, ce qui amusait le grand-père et sa petite-fille. Néanmoins, celle-ci commença à bouder en observant plus attentivement le lac. Elle questionna une fois de plus son grand-père : pourquoi l’eau paraissait-elle si sale ? Ne devrait-elle pas être claire ? Pourquoi y avait-il sur le bord, flottant négligemment, des bouteilles d’Eau Fraîche ainsi que des canettes de Soda Cool ?

Lila grognait dans son coin. Peiné, Fargas demeurait silencieux. Comment trouver les mots lorsque la situation insensée lui apportait sans cesse les mêmes questions ? Il n’envisageait pas d’inventer une justification, rien ne pouvait valider que ce comportement.

Sans hésiter, le pas décidé et lourd, Lila plongea ses bottes et ses mains dans l’eau trouble pour récupérer quelques détritus. Ses sourcils arqués de tourment, son cœur balançait entre le désarroi et l’irritation. Des clapotements lui parvinrent, elle se retourna alors pour s’apercevoir que Fargas l’avait accompagné dans son geste. Son grand-père lui adressa un sourire, elle le réciproqua immédiatement.

Les bras chargés des quelques déchets repêchés, ils avaient malgré tout poursuivi leur balade. Un tel évènement ne constituait qu’un simple nuage sombre entachant le ciel bleu de leur journée, une simple bourrasque suffisait à l’expulser. Sur le chemin, les mains lavées grâce à l'eau pure d'une fontaine, Fargas avait appris à Lila la technique pour siffler à l’aide d’une feuille. C’était en fait la sixième fois qu’il tentait de lui apprendre. La fillette rencontrait quelques obstacles dans la maîtrise de cette pratique, difficilement repoussés par une persévérance pourtant sans faille ! Quelques années d’expériences lui manquaient, Fargas ne perdait pas espoir et s’amusait avec tendresse des sons saugrenus produits par les essais infructueux de Lila.

Poursuivant leur promenade, Fargas et Lila s’éloignaient doucement du lac. Le maître artisan fit remarquer à Lila que son pokémon aimerait certainement profiter de cette agréable marche à ses côtés. Les lèvres de la petite fille s’arrondirent de surprise devant cette remarque pertinente. La Poké Ball accrochée à un passant de ceinture du short fuchsia qu’elle portait cet après-midi, elle s’empressa d’appuyer sur son bouton central pour en libérer son Teddiursa.

« Coucou Nourson ! On se promène avec grand-père, il pensait que ça te ferait plaisir de nous accompagner ! »

Le pokémon Mini Ours pencha la tête tout en posant sa patte sur sa bouche. Soudainement, la marque de lune sur sa tête commença à scintiller et à s’éclairer. Le petit pokémon huma attentivement l’air, renifla un coup à gauche, un coup à droite, puis se mit à trottiner sans crier gare. Sans comprendre pourquoi Teddiursa s’enfuyait ainsi, Fargas et Lila l’interpelèrent tout en le poursuivant afin de le rattraper avant qu’il ne se perdît. Cette absurde course-poursuite s’acheva avant que les articulations capricieuses de Fargas ne lui rappelassent leur caractère acariâtre. Lorsque le petit pokémon se retourna vers eux, il désigna de la patte le chêne devant lequel il se tenait : celui-ci présentait un pan de son écorce recouvert d’un miel odorant, offrant des reflets ambrés et des relents sucrés dans l’air. Il fut certainement déposé ici par un dresseur désireux d’attirer des pokémons sauvages, hélas pour ce dernier, ce fut un simple Teddiursa gourmant qui tomba dans ce piège.

De cette manière, la petite fille apprit que la présence de miel attirait fortement les Teddiursa jusqu’à en faire scintiller la marque de lune sur leur front. Ne sachant s’ils devaient conserver un air quelque peu réprimandant ou se laisser aller à la tendresse que leur inspirait le pokémon Mini Ours, les visages de Fargas et Lila mélangeaient humoristiquement les deux expressions.

Tranquillement, ils retrouvèrent le véritable chemin de leur balade, après avoir promis à Teddiursa une cuiller de miel dès leur retour à Écorcia. Lila sautillait entre les racines, tournait autour des arbres avec Teddiursa, s’amusait à dire à Fargas que les Pomdepik ne ressemblaient absolument pas à des pommes de pin et que celui l’ayant nommé avait une logique qu’elle trouvait bizarre.

« Ce n’est pas parce qu’il essaie de ressembler à une pomme de pin qu’il réussit ! Il est tellement gros, et super lourd en plus ! Tu as déjà essayé d’en porter un ? Moi, oui. Je croyais que c’était une grosse pomme de pin au début… Mais c’était le Pomdepik du grand-frère de ma copine Carla.

– Tu as donc dérangé ce pauvre pokémon inutilement !, s’esclaffa Fargas

– Pas du tout !!, bouda sa petite-fille. C’est sa faute s’il ressemble à une pomme de pin bizarroïde. Oh, tu sais, fit-elle en rebondissant à propos d’un autre sujet, d’ailleurs Carla a dit que moi aussi, j’étais bizarroïde !!

– Tu es comme un Pomdepik en fin de compte, la taquina Fargas.

– Nan, je ne suis pas une pomme de pin bizarroïde, je suis bizarroïde tout court. En fait, la maîtresse avait demandé le métier qu’on voulait faire plus tard, et quand j’ai répondu que je voulais faire comme toi, artisane fabricante de Poké Balls avec des Noigrumes, tout le monde m’a regardée. »

Elle haussa les épaules, manqua de perdre l’équilibre à cause d’une racine et se rattrapa de justesse. Fargas, lui, devant une déclaration tellement importante prononcée avec pourtant tant de légèreté, demeura interdit. S’il avait conscience que Lila appréciait apprendre à ses côtés, jamais n’aurait-il imaginé l’impact et l’importance de son partage. Des fines larmes émergeant au creux de ses conjonctives, il proposa à Lila de se prendre la main pour continuer la promenade, ce qu’elle accepta avec joie, attrapant également la patte de Teddiursa. Ainsi avançaient-ils désormais tous les trois, main dans la main, main dans la patte.

Alors bien plus au cœur de la forêt, tandis que Fargas écoutait Lila raconter tout ce qui lui traversait l’esprit, elle l’interrogea une nouvelle fois sur le Bois aux Chênes. Attentivement, elle avait observé les différents empereurs sylvestres, leurs particularités et leurs traits. Son esprit rempli de questions qui fusaient de toute part, elle demanda pourquoi ceux-ci semblait si tristes, tellement éteints.

Elle n’avait pas tort. Fargas connaissait le Bois aux Chênes et ces derniers paraissaient amaigris, malades. Même les pokémons se montraient plus agités. Plus tôt, sur le chemin, ils s’étaient fait surprendre par un Papilusion qui portait un Aspicot sur son dos, prétendant être un Dardargnan énervé les poursuivant. Fargas avait compris le subterfuge des pokémons sauvages, néanmoins il ignorait ce qui les avait poussés à leur faire une telle farce. Leur comportement se dévoilait agité, turbulent.

Tandis que le visage du maître artisan portait des traits graves et fermés, peinant une fois de plus à répondre à Lila, celle-ci s’extasia d’une longue exclamation satisfaite.

« Grand-père ! Nous voilà arrivés devant l’autel ! »

Un intense rayon de soleil s’immisça entre les feuilles avant de s’estomper. La petite-fille s’apprêtait à prendre son élan pour s’en approcher quand sa hâte se vit figée par une vision inédite. Face aux trois promeneurs, semblant apparaître du côté de l’autel, une silhouette lupine se dessina. Un loup d’un blanc immaculé, dégageant une sagesse certaine.

Lila n’eut pas peur. Elle chuchota simplement à Fargas :

« Grand-père… Je ne connais pas ce pokémon loup ! 

– Il ne s’agit pas d’un pokémon, Lila, parvint à articuler le maître artisan tandis que ses yeux ne quittaient pas le loup. C’est notre déesse mère. C’est Amaterasu elle-même qui nous fait don de sa présence… Je le sens. »

À la suite de ces mots, la vision qu’avait Lila de l’animal se métamorphosa. Ses poils bouclaient mystiquement ici et là, aux épaules et aux pattes. Des marques rouges se dessinèrent tandis que sur son dos trônait désormais un miroir divin. Amaterasu ne se dévoilait réellement qu’à ceux qui croyaient en sa divinité, Lila avait immédiatement eu confiance en ce que lui révéla Fargas.

Ce dernier demeurait stupéfait. Au sein de Johto, dans le Bois aux Chênes, s’était matérialisée la déesse mère devant lui. Que signifiait une telle apparition ?

Le vent léger porteur des arômes forestiers tant appréciés par Lila soufflait entre les feuillages qui se répondaient. Seuls leurs bavardages pouvaient se faire entendre au milieu du règne d’un silence respectueux. Même Teddiursa se tenait immobile, sage comme une peluche. Comment oser faire le premier pas devant une déesse ?

Elle avança de quelques pas vers eux. À chaque fois qu’elle relevait la patte, l’herbe verdissait. Des fleurs bourgeonnaient et poussaient dans la même seconde pour finalement éclore, hâtive d’exposer à la forêt ses teintes les plus charmantes. Les yeux de Lila s’écarquillaient devant un tel miracle.

Amaterasu s’arrêta devant Fargas, Lila et Teddiursa. De ses pupilles sombres, elle scrutait chacun d’eux, semblait les sonder un par un. La petite fille se retint même de respirer, un court instant.

« Tu es venue pour nous aider, c’est ça Ama ? »

La déesse plissa les yeux à la prononciation de ce surnom. Elle se rappelait de précieux souvenirs.

« Toi aussi, tu es triste comme moi, je le sens ! Le bois souffre, je le vois, et toi tu le sais aussi… Tu es venue pour l’aider parce que tu as des pouvoirs de déesse ? »

La gueule de la louve esquissa un fin sourire en guise de réponse à Lila. Elle s’entoura, ainsi que les trois promeneurs, d’un fin tourbillon de flammes majestueuses. Aucun d’eux n’eut peur, ils se sentaient apaisés à ses côtés.

Fargas observait avec une sérénité certaine la déesse mère user de ses pouvoirs. L’état du Bois aux Chênes se détériorait, il en avait conscience, supportait cela en éprouvant une grande désolation. L’endolorissement de la forêt s’aggravait sans qu’il n’eût jamais pu contrer ce phénomène. La vase s’étendait sur la surface du lac tandis que les Ptitard se raréfiaient, les écorces des chênes se voyaient mutilées par des mains loin d’êtres les bienvenues… L’artisan ne pouvait que ramasser les dizaines de déchets qu’il voyait s’accumuler à chacune de ses balades.

Amaterasu conserva un moment ses paupières closes. Elle se concentra intensément. Il lui fallait visualiser la forêt et toutes ses souffrances, comprendre ses peines, ses blessures. La déesse comprenait les plaintes des petits pokémons sauvages, discernait les murmures des vents alourdis. Il lui fallait réparer les blessures causées par une main en regroupant tant d’autres, une main tellement semblable à celles de Fargas et de Lila, pourtant si adverse.

Elle-même venait à souffrir, subissait d’accueillir en elle l’ensemble de ces maux accumulés, alors si denses, transperçant ses émotions et son esprit de leur colère lancinante. Le tourbillon s’intensifia tandis que le visage d’Amaterasu traduisait son propre mal-être. D’un bon, dans la sympathie des sentiments la plus totale, Lila étreignit la fourrure de la louve. Sans un mot, Fargas et Teddiursa rejoignirent ce geste. Le visage de la déesse mère abandonna son rictus, le tourbillon cessa. Les complaintes de l’esprit de la forêt lui avaient été transmises. Tous purent retrouver leurs esprits, Lila caressait doucement le pelage soyeux de la louve qui appréciait cette attention. Si l’importance de sa présence ici ne lui restait pas à l’esprit, il ne lui en aurait pas fallu davantage pour s’assoupir.

Entre les crocs de la somptueuse Amaterasu se matérialisa un pinceau. Fargas hoqueta d’admiration face à un tel artisanat. Chaque poil qui habillait la tête de cette pièce paraissait telle une fibre tissée de l'énergie même de la déesse. Sa poigne d’un bois clair, sculptée d’une main possédant une maîtrise vénérable de la boiserie, présentait de multiples ornements symboliques. Les cycles de la nature, ses humeurs lors des changements des saisons, les surprises des éclipses se présentaient en relief sur le manche de ce petit outil.

Intrigués par cet outil, Fargas et Lila l’observaient sous tous les angles. Amaterasu se redressa sur ses pattes, se plaçant face à Lila.

« Je peux le prendre, c’est ça ? »

Saisissant le pinceau que la louve lui tendait, elle sentit poindre en elle l’émergence d’une énergie nouvelle. Se laissant aller à sa joie, la louve remua la queue avant de reprendre davantage de contenance. Amaterasu prêta alors à Lila le petit pot d’encre qu’elle conservait constamment. Comme à son habitude, elle y trempa le bout de sa queue qui noircit immédiatement. Elle s’offrit quelques secondes de repérage puis se positionna sur ses appuis. Si elle désirait montrer l’exemple, encore fallait-elle qu’elle réussît elle-même ! Se propulsant avec une force divine, elle forma un cercle dans les airs, du bout de sa queue, face à un chêne malade dont les feuilles, tachetées de brun, étaient rongées par ce mal. Quand Amaterasu se réceptionna, les quatre levèrent simultanément la tête. Ce geste leur permit de découvrir un chêne vigoureux aux feuilles saines et chlorophyllées.

Amaterasu ne prit pas le temps de contempler les visages ébaubis d’admiration. Allant de bon en bond, elle guérissait chêne après chêne, consolait des fleurs, rendit au lac sa pureté. Ce fut à bout de souffle qu’elle revint vers le trio, s’allongeant un moment après cet exercice éprouvant.

Le bois s’était mué, présentait un tout autre aspect. Cette phénoménale guérison apportée par la déesse mère constituait un présent inestimable dans le cœur de Fargas. Lila, qui s’était installée auprès d’Amaterasu, caressait à nouveau son dos.

La louve se redressa, ressourcée. Elle tourna autour du petit pot d’encre et jappa pour indiquer à la petite fille de s’approcher. Empreinte d’une pédagogie lupine, elle colora le bout de sa queue de l’encre noir de jais puis attendit patiemment, regardant Lila. Celle-ci fixa le petit pot, dirigea ses yeux vers le pinceau entre ses doigts et bondit sur ses pieds. Amaterasu désirait qu’elle trempât le pinceau dans l’encre, ce qu’elle s’enquit de réaliser succinctement. Dès que le pinceau goutta, la louve se plaça face à un amas de fleurs sauvages dont les tiges rachitiques s’affaissaient de tout leur long. Elle effectua la même rotation que précédemment, elle ralentit seulement le geste pour que la petite fille pût l’appréhender dans la méticulosité nécessaire à son accomplissement. Un à un, les pétales recouvrirent leur éclat.

Lila semblait euphorique. La déesse lui confiait la tâche d’essayer une reproduction de sa magie. C’est en tout cas ainsi que le percevait la fillette. Elle pivota lentement sur elle-même, scrutant les alentours avant de remarquer une jeune pousse écrasée, sans doute abattue par le soulier d’un passant. Accroupie, Lila observa la plante, tenta de se concentrer aussi intensément qu’Amaterasu. Derrière elle, Fargas et Teddiursa lui transmettaient leur plein soutien.

Son premier échec fut amer, un peu comme lorsqu’elle avait goûté un Noigrume Drink aux Noigrumes Blu. Persévérante, elle recommença encore et encore à encercler la pousse de son cercle aérien. Elle ne comptait plus ses tentatives quant elle réalisa que la dernière, dont la technique se révéla congrue, aboutit à un succès. Entre ses doigts, son outil lui avait semblé tellement différent lors de son tracé. Le pinceau céleste avait épousé la toile invisible de la réalité, illustrait une ligne saisissante, laissant traîner derrière lui des tracés de lumière. Son coup fut une bénédiction pour la plante qui s’érigea fièrement, emplie de santé et de gratitude. Lila avait soigné ses maux.

« Grand-père, tu as vu ?! J’ai réussi, j’y suis parvenue comme une grande ! »

Fargas enlaça sa petite fille, débordant d’émotion, tandis que Teddiursa l’applaudissait avec grand enthousiasme.

« Merci de m’avoir aidée Ama, et merci de m’avoir aidée aussi, le pinceau… Je suis heureuse d’avoir pu aider un peu la forêt moi aussi. »

Lila se tut un instant, contemplant le pinceau roulant entre ses doigts. Elle releva la tête et planta son regard dans celui d’Amaterasu.

« S’il te plaît, est-ce que je peux garder ce beau pinceau ? J’en prendrai soin, je te le promets. J’ai envie d’aider la nature comme toi tu l’as soignée ! J’imagine bien que je ne pourrai pas soigner des grands arbres ou un lac… Je ne suis pas une déesse comme toi !, souligna-t-elle dans un grand rire. Si je peux aider un peu, ça reste quand même un peu important ? »

Pour toute réponse, Amaterasu colla son museau contre la main de la petite fille. Le pinceau scintilla soudainement. Désormais, une nouvelle illustration réhaussait la somptuosité de l’artéfact : deux personnes, un loup et un pokémon Ourson au milieu d’une forêt. Ainsi, jamais Lila n’oublierait cette après-midi divine.

Lila prenait conscience que ce réceptacle de pouvoir signifiait l’existence d’une grande responsabilité pour la petite fille qu’elle était. Ce lien sacré noué avec la nature représentait sa volonté de préserver l’équilibre fragile entre l’humain et la nature.

Les larmes montèrent aux yeux de Fargas, ému de percevoir cette connexion si profonde entre Lila et le Bois aux Chênes. L’harmonie restaurée de ce dernier l’apaisait sans que pour autant ses questionnements ne tarirent. Si l’humanité continuait de cheminer aveuglément dans son inconscience insensée, qu’adviendrait-il ? Lila lui rendait cependant la foi dans l’avenir, le désir de conserver un espoir réconfortant. Cette promenade mystique, où Fargas avait voulu montrer à Lila cette nature qui l’avait bercé, avait dorénavant créé une affection infrangible entre les deux, voire entre tous.

Jamais nul des quatre ne saurait oublier cet échange, ce partage, cet élan de vitalité. La brise oxygénée portait ce souffle de vie ardent et sauvage qui s’engouffrait dans leurs poumons. Les adieux portèrent le poids de cette rencontre, les cœurs s’unissaient dans leurs tempos. Une dernière caresse, une dernière prière, les regards se séparèrent pour que les âmes persistassent dans leur unité. Un clignement d’œil et Amaterasu disparut derrière l’autel, rassurée, le pinceau confié à Lila.

Fargas, Lila et Teddiursa rentrèrent à Écorcia, conservant en eux le voyage ineffable de cette journée. Le maître artisan était persuadé que Lila ferait de grandes choses, porteuse de ce nouvel air. Si le rêve de suivre ses pas venait à se concrétiser, certainement serait-il le plus heureux des grands-pères. Peu importait sa décision, Fargas serait continuellement porteur d’une éternelle affection et éprouvait une fierté telle qu’elle ne le quitterait jamais. Son propre amour pour la nature, ce désir de transmettre à sa petite-fille son savoir-faire avaient-ils pu jouer un rôle, prendre la forme de clefs ouvrant la possibilité d’un pareil miracle ?

Aucun autre mot ne naissait aussi spontanément dans son esprit. Fargas chérissait le souvenir de sa rencontre avec Amaterasu d’une infinie tendresse. Déesse du Soleil, drôle de louve, quel charisme et quel charme émanaient de cette divinité si espiègle. La protectrice du Japon fut pour un jour la bénisseuse de ce bois si cher au maître artisan. La gratitude s’inscrivait, infiniment gravée en Fargas, telle la réminiscence de l’aura d’Amaterasu. 

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