Regarde ces murs, ils tombent

Chapitre 1 : Retrouvailles douces-amer

9201 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/03/2021 09:56

La route sinueuse qui s'étalait à perte de ma vue était noyée sous une couverture floconneuse blanche, au dessus de laquelle pleuraient des branches d'arbres cristallisées par le givre.

Tenant fermement les rennes qui me permettait de contrôler les pas de l'animal qui me portait, je prenais soins de ne pas réaliser de mouvement brusque afin que sa crinière flamboyante ne devienne pas brûlante. La peau de mes mains parfaitement dissimulées dans les flammes indolores, pourrait en souffrir si ce Ponyta se sentait subitement effrayé.


C'est au petit trot que nous arpentions ce cheminement jusqu'à destination. Cela faisait une bonne heure, depuis que nous avions quitté la réserve où était mise à disposition cette bête docile, que nous déambulions elle et moi sous un ciel aussi blanc que ce chemin. L'atmosphère hivernale était agréable, le froid n'était pas mordant et le vent était doux. Une agréable promenade prémice, je l'espérais, à un week end tout aussi plaisant.


La lumière du jour déclinant au fur et à mesure des mètres qui s'écoulaient, je devinais presque l'heure qu'il était. C'était seulement maintenant qu'elles s'allumaient que je remarquais des guirlande de lumières accrochées aux arbres, dessinant un chemin à travers la petite forêt. Quelques lanternes suspendues à distance sécuritaire les unes des autres, bordaient elles aussi l'allée, finissant majestueusement les branches des chênes qui les portait.


Le décor était féérique ! J'aurai pu voir sortir de terre un village miniature orné de champignons géants à poids blanc et peuplés d'homoncules vêtus de bonnet et chaussures à pompons, que je n'aurai même pas trouvé cela étrange. L'univers m'entourant se prêtait à l'imagination et à la rêverie.


Petit à petit, l'horizon se dégagea. L'allée enneigée que nous parcourions jusqu'à maintenant déboucha sur une place minuscule, toute entourée de sapins immenses et habillés de blanc eux aussi. Les guirlandes et lanternes paraient leurs étoffes d'ici et là, toujours.

Sans m'en rendre compte, j'avais ordonné d'un geste doux au Ponyta qui me portait de s'arrêter, afin d'admirer la beauté des lieux.

Devant moi à une dizaine de mètres, un chalet tout en rondins de bois foncé laissait échapper une petite fumée blanche par sa minuscule cheminée. Un ornement de petites lumières, faisant penser à des lucioles, couronnait la petite demeure chaleureuse qui nous invitait à entrer par un petit escalier de trois ou quatre marches, bordé de deux rampes de bois.

La lumière jaune, rappelant celle des éclairages à la bougie, filtrait à travers les petites fenêtres carré, divisées en quatre par un croisement de bois sur chacune d'elles.


Toujours en prenant soin d'être douce, je descendais du dos de ce gentil cheval de feu et le remerciait pour cet agréable trajet en sa compagnie. C'est par un acquiescement de tête qu'il me répondit, puis il fit demi-tour et repartit à la même allure qu'il était arrivé, me laissant là, à destination.


Je plongeai la main dans la poche de mon manteau de feutrine gris et en sortit un carton d'invitation que je relu :


« Vous êtes conviée, par le maître Harrysson, à participer au week end des retrouvailles.


Rendez-vous ce vendredi 2 janvier au chalet du domaine des Ponyta, à partir de 16 heures.

Préparez-vous également à vous parer de vos plus beaux atouts pour votre bal prévue samedi soir au relais des arcanins, à partir de 20h.


Rendez-vous au domaine, où l'un de nos fidèle Pokémon, faisant la fierté de notre réserve, vous escortera jusqu'au chalet caché dans la montagne, où vous serez accueillie par votre hôte.


Votre présence est chaleureusement attendue. 


Avec toute notre amitié.


Comité du domaine des Ponytas. »



Un large sourire étira mes lèvres, je le sentis. Je ne savais pas exactement qui j'allais revoir, à part Pierre, mon vieil ami que je n'avais pas vu depuis des années et qui était à l'origine de cette initiative, mais le projet me ravissait.




Tandis que quelques flocons recommençaient à tomber avec légèreté et se posaient comme des plumes sur mon béret, je m'avançais vers les marches de la maisonnette. Celles-ci étaient bancales, le bois en était usé, mais ces détails ne faisaient qu'ajouter du charme au décor déjà si particulier de ce lieu.

Sur le perron, je tournai la tête pour admirer l'extérieur de la demeure. Une terrasse de bois auréolait toute la bâtisse. Des bancs, de bois eux aussi, les étoffait afin de permettre à ses occupants de profiter du paysage alentour en se prélassant.


Je me concentrai difficilement sur la porte, tant le fumé odorant qui provenait de l'intérieur émoustillait mes narines, mais me décidai tout de même à faire remarquer mon arrivée.

Attrapant la chainette d'une petite cloche, je tirai dessus et fit carillonner l'instrument.

Je ne sus pourquoi ce fut à cet instant, et pas un moment avant, ou un instant plus tard, que mon cœur tambourina dans ma poitrine, alors que j'entendais un pas lourd avancer approcher et des voix graves en fond sonores.


La poignée tourna, je retins mon souffle. Le battant de la porte s'entre ouvrit dans un craquement bruyant et je vis un visage familier se découvrir au fur et à mesure que celle-ci s'ouvrit.


La texture de sa peau avait légèrement changé, mais les traits de son visage restaient les mêmes. Ses yeux bridés contenaient une sagesse certaine mais portaient le même regard amical et bienveillant. Et son sourire, toujours aussi sincère, me fit me sentir la bienvenue avant même qu'il prononça mon prénom :


_ Ondine, me salua-t-il chaleureusement, non sans une certaine émotion.


_ Pierre, soufflais-je en contenant la mienne.


On se regarda un instant, puis la distance imposée par la vie et les occupations auxquelles elle nous avait tous affectés, s'effaça subitement et nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre, dans une étreinte pleine d'affection.


Ce moment était beau. L'un de ceux qui nous apporte des certitudes sur les choses profondes de la vie.

Le temps pouvait bien passer, l'amitié elle, elle n'avait pas d'âge, elle restait là où on l'avait laissée et on la retrouvait intacte quand on revenait. Du moins, c'était sensé être cela, l'amitié.

C'était un tel réconfort dans la vie de pouvoir avoir foi en cette idée. C'était un point d'ancrage, cette certitude d'avoir toujours quelqu'un  pour attraper votre main quand vous la tendez. La confiance aveugle en le fait que vous ne serez jamais seule, jamais oubliée, qu'importe les évènements ou les années.


Il rompit notre étreinte le premier et passa un bras amical autour de mes épaules en m'entraînant vers l'intérieur, d'où se dégageait une agréable odeur de pain d'épices et de vin chaud.


_ Entre, viens te réchauffer, accompagna-t-il son geste d'une voix chaleureuse.


L'intérieur était exactement comme je l'avais imaginé depuis l'extérieur. Des murs de bois, parsemés de quelques cadres mettant en valeurs de jolis sommets enneigés. 

Une décoration cocooning faisait ressortir des couleurs rouges et blanches, le tout baigné dans une lumière chandelière.

Dans un coin, une cheminée dont le bois crépitait, diffusait un doux arôme de bûche brûlée et une chaleur réconfortante. C'était si accueillant ! Pierre avait merveilleusement choisi le lieu.


Mon ami me débarrassa de mes affaires et de mon bagage, en excellent hôte qu'il était. Puis j'admirais le grand salon autour de moi et au beau milieu duquel deux grands canapés se faisaient face.


Quelques convives étaient déjà présents -peut-être tous, je ne savais pas- et un instant plus tard, en apercevant enfin leur visages, j'immergeais en plein cœur d'un million de souvenirs. Les revoir après tant d'années était incroyable.


Parmi eux se trouvaient des amis, aussi des connaissances, mais aussi d'anciens ennemis. Qui l'aurait cru ? Le temps avait de pouvoir sur bien des choses. Pas sur toutes, certes, mais sur bon nombre.


Et je les saluai tous les uns après les autres, mon hôte sur les talons, prêt à faire les présentations si jamais un nom échappait au souvenir de quelqu'un et ainsi, ne créer aucun malaise. Voilà qui était tout à fait lui, pensais-je avec tendresse.


Ainsi, j'eus tout le plaisir de retrouver Flora, qui tout comme Aurore à ses côtés, avait merveilleusement évolué. Toutes deux étaient accompagnées de leurs époux respectifs, Drew et Paul, que je me souvenais avoir rencontré lors de festivals. Des grands noms parmi les dresseurs, assurément.

Je retrouvai également  Iris, une jeune femme que j'avais moins bien connu que les autres, mais qui, d'après les souvenirs que j'en avais, avait superbement changé elle aussi. Elle me présenta à son tour un bon ami, Rachid, dont je me souvenais également très peu.


Quand j'aperçu que Jacky était présent, j'en fus très heureuse ! J'avais voyagé avec lui aussi quand nous étions enfant, et il m'avait tenu compagnie à l'arène quelques années après cela. Le revoir était une bonne surprise.


Cependant, je fus d'avantage étonnée encore par la présence d'anciens rivaux, Jessie et James. Pierre me compta rapidement qu'ils étaient devenus amis avec le temps et que ceux-ci avaient fort changé. Ils avaient quitté le groupe mafieux de la team rocket depuis plusieurs années -non sans difficulté- pour vivre leur amour, que le boss ne leur permettait pas de vivre tant qu'ils étaient sous ses ordres. Ce récit parvint à m'émouvoir profondément, et je fus étonnamment ravie de les revoir... aussi longtemps qu'ils ne voudraient pas nous déclamer une devise farfelue, cela dit.





Après des retrouvailles profondes en émotion qui s'étaient attardé avec chaque personne présente, je pris un instant pour aller m'asseoir sur un couffin près du feu de cheminée, les pieds reposants sur une épaisse peau de bête -que j'espérais synthétique.


J'en avais rêvé dés que j'étais entrée, j'adorais les cheminée ! C'était si plein de charme. Je déplorais de ne pas en avoir chez moi.


Je ne fus pas la seule, cependant, à songer à me reposer un instant de tous ces émois. Chacun se mit à son aise de part et d'autres dans la grande pièce en discutant plus ou moins, offrant un fond sonore agréable.


Pierre me rejoignit peu de temps après que je fus assise et s'installa à mes côtés en me tendant une tasse fumante de chocolat chaud :


_ Tiens, d'après mes souvenirs, tu adores ça.


Je le remerciais de bon cœur.


_ C'est gentil, merci.


_ J'ai interrompu tes pensées ? Demanda-t-il, curieux.


Je pris un instant pour essayer d' assembler les millions de pensées qui envahissaient mon esprit en une phrase simple :


_ Je pensais à plein de choses, en effet.


_ Je peux te demander à quoi ? M'interrogea-t-il de nouveau.


Bien sûr qu'il le pouvait. Il m'était juste difficile de m'exprimer. L'émotion de tout cela était grande et mes idées étaient un peu confuses.

J'avais redouté me rendre ici autant que je l'avais désiré, mais je ne pouvais pas lui avouer ça.


_ J'étais en train de me dire que tout ceci : ce week-end, cet endroit et ces retrouvailles, c'est vraiment réussi ! Tu as eu une idée géniale ! Ca fait remonter beaucoup d'émotions, tu sais, dis-je en tournant la tête vers lui.


Son visage, dont la lumière des flammes léchait les traits angulaires, était vraiment agréable à regarder. Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point Pierre était un bel homme. Ou l'était-il devenu ?


Il m'offrit un grand sourire en réponse.


_ Merci Ondine, ça me touche. Tu sais, on se dit tous qu'on devrait prendre du temps pour se revoir. Mais tu le sais comme moi, ça n'arrive jamais. Et mes amis me manquaient. J'ai donc prit l'initiative de cette idée farfelue.


_ Et tu as eu raison ! Intervins-je en prenant sa main dans les miennes pour appuyer mon approbation à sa démarche.


_ Mes amis ont toujours tellement compté pour moi ! Dit-il avec émotion.


_ Je le sais, Pierre. Et pour moi aussi.


Pendant un instant il se tut, se contentant de regarder les flammes dansantes dans le foyer, un tendre sourire aux lèvres.


_ Je suis désolé de ne pas donner de nouvelles plus souvent, souffla-t-il en baissant la tête, coupable.


Comment pouvait-il éprouver une quelconque culpabilité à cet instant et alors qu'il était le réalisateur de ce week-end de rêve ?


_ Ne sois pas désolé, Pierre, murmurais-je en posant ma main sur sa joue. Tu sais, tu es sans nul doute, parmi nous tous, celui à avoir donné et prit le plus de nouvelles, le rassurais-je. Tu n'as vraiment pas à rougir de quoi que ce soit.


Il se contenta de sourire, pour toute réponse.


_ Je te promets, c'est vrai. Tu as un si grand cœur. Et je suis... tellement émue de tout cela, avouais-je en désignant du bras la bâtisse autour de moi.


_ Je suis ravi que ça te plaise, Ondine.


Puis je posai ma tête sur son épaule et nous nous tûmes. Nous profitâmes tranquillement de la chaleur et de la beauté du feu, admiratifs et silencieux, bercés par les paroles et les rires des autres convives derrière nous.


Dehors, bien qu'il ne fut pas tard, le ciel avait déjà entièrement revêtu sa parure de nuit. Et c'était agréable ce sentiment de réconfort, de sécurité et de bonheur qui m'enveloppait ici alors qu'à l'extérieur, la forêt profonde était certainement inhospitalière à ces heures-ci.


_ Il y a peut-être une chose que je devrais te dire, Ondine... commença-t-il


Puis on entendit frapper à la porte, interrompant sa phrase que je n'avais écouté que distraitement.


_ Tu veux que j'aille ouvrir, Pierre ? demanda Flora derrière nous.


Je retirai ma tête de l'épaule de mon ami, un peu à contre cœur alors qu' il lui répondait :


_ Non ça va aller j'y vais, merci Flora.


IL posa une bise sur le sommet de ma tête avant de se relever, puis se dirigea vers la porte d'entrée.

Curieuse de découvrir le prochain ou la prochaine invitée, je gardais la tête tournée, quitte à m'en dévisser le cou.


La porte grande ouverte ne me permettait pas, d'où j'étais, d'apercevoir l'arrivant(e) caché derrière celle-ci, mais j'entendis Pierre s'exclamer : 


_ Régis ! Tu as pu venir ! Je suis content ! 


Quand j'entendis son prénom, mon sang ne fit qu'un tour et je n'entendis plus rien, juste un étrange bourdonnement. Je beuguai et ne bougeai plus, distinguant vaguement qu'ils se prirent dans les bras


_ Je n'aurai pas raté ça, mon vieux! Je les ai tous envoyé se faire voir au conseil, et j'ai prit mon week-end ! Martela-t-il à l'intention de tous les gens présents.


Tout le monde leva son verre à cette initiative en poussant des « oui ! » ou encore des « super ! » « t'as bien fait ! » en guise de congratulations. Comme si laisser tomber son job au risque d'être renvoyé à son retour était une prouesse incroyable digne des plus grandes figures de ce monde.


J'aurai sans doute été outrée si je ne le connaissais pas si bien. Mais je levai les yeux au ciel, presque amusée. Il était ainsi, toujours à faire uniquement ce qu'il avait envie de faire et surtout, détenteur de ce charme qui avait la capacité de souvent rallier les gens à sa cause.


Quand à moi, je ne me fis pas remarquer et replongeai mes yeux dans le feu de cheminée, puis j'attrapai, avec toute la discrétion dont j'étais capable, un plaid juché sur le haut du canapé juste à côté.

Je fis glisser le tissu pelucheux avec habileté jusqu'à moi et le passai autour de mes épaules, ainsi que sur ma tête.


Je priais silencieusement pour ne pas être remarquée, pourtant bien consciente que mes efforts étaient vains puisque deux jours de cohabitation nous attendait tous et qu'on se croiserait fatalement. 

Cependant, plus tard se feraient les retrouvailles avec lui et mieux ce serait.


Par contre, me dis-je avec inquiétude, si le zèle l'y poussait, Pierre allait certainement faire les ''présentations'' des personnes présentes les unes après les autres, comme il l'avait fait avec chacun de nous auparavant.


D'ailleurs, je constatai que cette initiative était déjà bien amorcé puisqu'il lui présentait déjà Aurore, Iris et toute la clique...


Et moi pendant ce temps j'étais là, coincée devant la cheminée. J'envisageai un scénario dans lequel je glissai au sol telle une ninja et empruntait n'importe laquelle des portes de l'autre côté en rampant à travers la pièce, ni vu ni connu.


Ah ! la procrastination. Voilà un trait de caractère qui me définissait bien.

Pourquoi affronter les choses sur le moment quand on pouvait les repousser sans cesse à plus tard ? Pathétique personnalité.


J'étais vraiment inquiète de la tournure qu'allait prendre les évènements dés lors qu'il constaterait ma présence. Entre nous, il s'agissait d'un malaise qui ne s'évaporerait pas après de simples salutations gênées. C'était une situation inextricable. Les sentiment qui l'accompagnait était lourds et celui de la rancoeur prédominait, j'en étais certaine.

Le week-end s'annonçait finalement un brin plus compliqué que je ne l'aurai imaginé un instant plus tôt.


Je redescendais doucement du petit nuage sur lequel j'avais commencé à flotter depuis mon arrivée.




Mon cœur s'emballa et je me figeai quand j'entendis des bruits de pas s'approcher de moi et leur voix juste dans mon dos. 


_ Et bien sûr tu te souviens... d'Ondine !  hésita bizarrement la voix de Pierre.


Un silence tomba comme une chappe de plomb dans notre coin de la pièce. Je ne bougeais pas, statufiée par l'appréhension.

Pierre se demandait peut-être pourquoi je n'avais aucune réaction, à l'instar du nouvel arrivant.


Je sentais le regard de ce dernier sur mon dos. Oh certes je ne le voyais pas, prenant bien soin de rester concentrée par la danses des flammes dans la cheminée, bien trop lâche pour l'affronter, mais je le devinais.

Je pouvais presque le sentir, même, le feu sur ma peau que ses yeux incendiaires devaient alimenter.


Au bout d'un instant d'inactivité gênante, Pierre hoqueta tout de même : 


_ Heu, il y a un problème ? 


_ Ondine … souffla soudain la voix presque étouffée de Régis derrière moi.


Sa voix... quelle douce caresse pour mes oreilles. Il y avait si longtemps que je ne l'avais pas entendue. Je parvenais à détecter la surprise et la colère dans la simple tonalité de celle-ci.


Ce constat me chagrina. Le pouvoir de lui faire perdre sa bonne humeur en un claquement de doigt m'attristait profondément.


Résignée, je décidais de cesser de me montrer ridicule et laissais retomber le plaid. Je n'osais pas encore tourner la tête pour l'affronter, mais je répondis d'une toute petite voix:


_ Regis...




J'étais émue de le savoir si proche, mais j'étais aussi mal à l'aise et terriblement triste. Je me concentrai à fixer mes pieds en triturant mes doigts.


La voix de Pierre s'exprima à nouveau :


_ Je perçois un vrai malaise, c'est comme si j'avais loupé quelque chose, lança-t-il sur un ton énigmatique.


J'avais du mal à comprendre ses intonations. 

En tout cas, son étonnement m'informait sur le fait que Régis n'avait jamais parlé de rien. Et je devais bien lui reconnaître cette élégance.


_ Non c'est rien je suis surpris, c'est tout, bafouilla Régis. Est-ce que je peux aller me rafraîchir ? Chercha-t-il à se défiler.


Mon cœur se brisa. Il cherchait à échapper à cette situation alors que ça aurait dû être à moi de me faire toute petite et de quitter sa présence.


_ Heu.. oui là bas, par cet escalier et porte de droite en haut, lui indiqua Pierre.


_ Merci, souffla Regis en filant sans demander son reste.


Sitôt parti, Pierre s'assit à nouveau près de moi, tandis que je cachai mon visage honteux entre mes mains.


_ Il y a un problème ? J'ai fait une bêtise en l'invitant ? S'enquit-il aussitôt.


Je fus prise de compassion pour mon ami qui se faisait du soucis pour moi, comme quand on était petits. Il n'avait pas abandonné son rôle de grand frère à mon égard et cela m'apportait un grand réconfort. Pourtant, je me sentis mal de lui faire éprouver cette culpabilité qu'il n'avait aucune raison de ressentir.


_ Bien sûr que non, Pierre. Tu as le droit d'inviter qui bon te semble. Tu n'es pour rien dans les rapports entre les gens, lui répondis-je avec douceur.


_ C'est vrai mais, je ne veux pas que l'un de vous se sente mal. J'ignorais qu'il y avait une mésentente entre vous. Enfin en tout cas, c'est ce qui semble, hésita-t-il tout confus.


_ Ne t'inquiètes pas, Pierre, dis-je en relevant enfin les yeux vers lui. Ce n'est pas à toi de gérer ces retrouvailles un peu tendues entre Régis et moi. C'est à nous seuls de le faire, tentais-je de me convaincre moi-même.


_ Et, ça va aller ?


_ Oui, soupirais-je. Nous sommes des adultes. Et puis, je tiens à toi, Pierre. Et je ne veux pas que quoi que ce soit te mette mal à l'aise durant ce séjour que tu nous as merveilleusement concocté.


_ Ne dis pas ça ma belle. Tu as le droit d'avoir tes soucis.


_ Oui j'ai le droit d'avoir mes problèmes, mais je ne veux pas qu'ils interfèrent. Ca me met si mal à l'aise.


J'hésitai un instant puis fini par ajouter : 


_ Je vais essayer de détendre un peu l'atmosphère. 


_ Et de quelle façon ? Demanda-t-il sincèrement inquiet.


_ Je vais essayer de lui parler, dis-je sur un ton que j'espérai ferme et déterminé.


Mais vu la tête que Pierre afficha suite à ma réponse, je compris que je n'avais rien d'une fille déterminée et courageuse, d'un œil extérieur. Et ce n'était pas faux ! Je me sentais comme une petite chose fragile. J'étais pétrifiée à la seule perspective d'affronter son visage. Alors lui parler !

Pourtant, il le fallait. Je puisais du courage dans le visage de mon ami, m'imprégnant de son image réconfortante, et me levai.


_ Par où est-il monté ? Me décidais-je.


Il me désigna les escaliers d'un geste du doigt et je suivis son indication, chancelante. Je ne m'étais pas rendue compte, avant de me lever, à quel point cette rencontre m'avait bouleversée, tant et si bien que je tenais à peine sur mes jambes.


***



Je me donnai mentalement un coup de pied aux fesses en me disant que je ne pouvais pas être égoïste.

Je tentais de replonger dans cet état de profonde sécurité qui m'avait envahie quelques minutes plus tôt, quand j'étais assise devant ce feu aux côté de mon ami. Je décidai de me servir de cette image comme écran de veille et la gardais bien en tête. Je m'y raccrocherai comme à une bouée de sauvetage en cas de besoin.


Marche après marche, je perfectionnais cette image de fond pour réussir à affronter ce qui m'attendait, puis j'arrivais en haut de l'escalier.


Je me retrouvais dans un tout petit couloir, ou plutôt, un petit hall, mais très intimiste. Les murs couleur abricot étaient bordés d'appliques lumineuses, et de quelques cadres magnifiques rendant hommages au domaine des ponytas. Les portes en bois conservaient le charme rustique de ces lieux. C'était charmant comme tout. Et d'ici, les voix du rez-de-chaussée n'étaient plus qu'un bourdonnement.


Malgré la sérénité qui se dégageait de cette petite ambiance, je me sentais ultra nerveuse. Cependant, je devais prendre mon courage à deux mains, alors j'avançais timidement jusqu'à cette porte sur la droite, comme la lui avait indiquée Pierre.


Il me fallut un petit moment, une fois devant celle-ci, pour oser lever la main et faire résonner deux petits coups sur le battant.


Personne ne répondit. J'attendis un instant, mais rien ne se passa, alors je me demandai si j'étais à la bonne porte, ou si peut-être Régis avait trouvé refuge dans une autre pièce. Ce n'était pourtant pas son genre, avant même d'avoir visité les lieux.


J'allais faire demi tour quand j'entendis un petit bruit de clé dans la serrure. Mon cœur s'emballa. La petite poignée ronde et dorée tourna, et je déglutis en sentant une bouffée de chaleur m'envahir inconfortablement.



Je me retrouvai face à un Régis qui m'éblouit ! J'avais oublié son incroyable beauté. Il était grand et me dépassait d'une bonne tête, ce qui lui permettait de me dévisager de haut avec son regard ténébreux, m'obligeant à lever la tête pour le regarder.

Je me sentis toute intimidée devant son air à la fois triste et désaprobatteur.


_ Qu'est-ce que tu veux?  demanda-t-il durement.


Je ne sus même pas quoi répondre.


Que faisais-je là ? Voulais-je m'excuser ? Ca aurait été très déplacé, et certainement inutile. 

Voulais-je sauver les apparences ? Voulais-je l'apaiser, ou le réconforter ? ne cessais-je de me harceler de questions.


Je ne pouvais me soustraire à son regard pendant que je réfléchissais. Et en me noyant dans ses yeux, une centaine de souvenirs envahirent mes pensées, dissipant complètement mon écran de veille que j'avais soigneusement travaillé un instant plus tôt.


A présent, j'étais face à mes responsabilités, face à tout ce que j'avais fui. Confrontée à lui, à moi-même, à ce méandre de confusions, le tout dans un cadre idyllique instauré sans doute par une certaine ironie de la vie .


_ Je ne sais pas, finis-je par murmurer, toujours happée par son regard.


_ Pardon ? Fit-il, interloqué.


J'étais mortifiée par ma réaction, et tout autant par la sienne. Je me sentais bête. J'aurai voulu réagir, ou même bouger, mais j'étais paralysée par sa proximité.


Deux sentiment paradoxaux, de force égale et autrefois familiers, venaient m'assaillir :

D'une part, j'avais cette envie déraisonnable et jamais assouvie, de me blottir contre lui, le serrer dans mes bras, le serrer fort et ne plus jamais le lâcher.

Et d'autre part, je ressentais cette frousse, cette impression de dépendance de lui. Ce sentiment d'avoir tellement besoin de lui... qui m'effrayait.


On ne pouvait décemment pas ressentir des choses aussi puissantes sans qu'elles ne nous impactent.


Et là, seule face à lui, quasiment un an après l'avoir fui sans la moindre explication, je me sentais bête, mais aussi très vulnérable.


Et si tous nos souvenirs me revenaient d'un seul coup, alors sans doute qu'à lui aussi. Ce qui expliquait probablement sa colère.


Ce fut un signe de main à hauteur de mon visage qui me ramena à la réalité.


_ Ondine ? S'inquiéta-t-il.



_ Pardon je... je ne sais pas quoi dire, me justifiais-je.


Il expira, comme s'il était resté en apnée jusque là. Puis il appuya son épaule sur le chambranle de la porte en croisant les bras, sans cesser de me regarder lui aussi.


_ Je ne sais pas quoi dire non plus, me répondit-il sans montrer aucune émotion.


Prenant mon courage à deux mains, je tentais de me lancer dans de pathétiques excuses, le moins vraiment que je pouvais faire.


_ Je suis dé...


_ Non ! Non non, m'interrompit-il brusquement en levant les mains telles des barrières protectrices. Ne me dis pas que tu es désolée ! Ca je ne veux pas l'entendre, Ondine !


Il y avait des trémolos dans sa voix qui allaient inévitablement en faire naître dans la mienne : 


_ Je ne sais pourtant pas quoi dire d'autre,  répondis-je avec des sanglots dans la voix.


Je me sentais tellement désolée, je voulais qu'il le sache.

J'apperçus l'ombre d'un immense chagrin traverser son visage et c'en fut trop pour moi.


Je sentis les muscles de mes lèvres dégringoler et mes yeux me piquer, puis je me mis à pleurer devant lui, sans rien pouvoir y faire. J'avais tellement honte ! Pas de mes larmes, non, mais de ce qui les provoquait : mon attitude...ma lâcheté.


Il décroisa légèrement ses bras et fit un mouvement vers moi, juste un subtil mouvement vers l'avant. Mais tout aussi rapidement -et comme je m'en serai doutée- il renonça et croisa ses bras plus fermement encore sur son torse.

C'était tout lui ça : vouloir paraître continuellement dur. A vouloir franchir un pas et finalement, à reculer. A vouloir parler puis finalement, à se taire. 

Impossible de savoir, au delà des émotions et paroles superficielles, ce qu'il ressentait réellement.


Il était tellement prudent, voire presque méfiant. Il était d'une nature très pudique concernant ses sentiments. Cet aspect de sa personnalité amenait souvent les gens à penser qu'il était froid et superficiel, hors, et je le connaissais suffisamment pour savoir au moins cela : il n'était rien de ce que pensait les gens.

 Il était complexe, mystérieux et passionné ! J'avais eu le loisir de le découvrir sous cet angle.


Hors, la déception que je lui avais causée me plaçait désormais au même rang que le reste du monde, à ses yeux. Son attitude distante en témoignait. J'en étais tellement dévastée !


Je me souvins l'avoir connu chaleureux, amusant et amusé, riant aux éclats et se fichant de se ridiculiser devant moi, parfaitement à l'aise.

Nous avions partagé une relation pleine de profondeur et de respect, ce qui creusait régulièrement un sentiment de frustration. 

Régis, l'impitoyable, le méfiant, ne laissait aucune possibilité à quiconque d'entrer en contact physique avec lui, si ce ne fut pour des poignées de main ou des gestes cordiaux qui lui furent sans doute impossible à éviter.


Comment, alors, ne pas ressentir un profond sentiment d'insatisfaction, d'inassouvissement même, quand vous étiez si proche de quelqu'un, sans jamais pouvoir l'être autant que vous l'auriez voulu?


Et pourtant, malgré cette contrainte, rien ne m'avait jamais donné l'envie de m'éloigner de lui. Ne fut-ce qu'une seule chose...


Un flash me revint et ce fut comme une giffle en pleine figure. Me souvenant de la raison pour laquelle je l'avais laissé derrière moi un an plus tôt, je me mis à ressentir la même chose que ce jour-là : de la peur, de l'angoisse et une trop grande tristesse que je ne pouvais dévoiler d'avantages.


Oubliant ma bonne résolution qui m'avait faite grimper ici à l'étage,  je reculai d'un pas, puis de deux, et me retournai pour le congédier en hâte. Honteuse de ce que j'étais, et de ce à quoi je pensais.


Et alors que je le laissai derrière moi, je n'entendis qu'une sorte de sanglot et un claquement de porte très sourd, creusant un peu plus mon sentiment de culpabilité.






Je m'engouffrai dans une pièce au hasard parmi les trois qui m'entourait et une fois à l'intérieur, refermais la porte derrière moi.


Je prit le temps d'inspirer généreusement par le nez et d'expirer lentement par la bouche pour tenter de retrouver du calme et un certain équilibre. Ce ne fut qu'une bonne minute plus tard, après être parvenue à gérer mon stress, que je pris conscience d'être entrée dans une chambre.


Profitant de cette distraction visuelle pour en oublier mes soucis un instant, je fis le constat qu'il ne s'y trouvait aucun sac ou bagage, ni même aucun effet personnel. Signe que celle-ci n'était attribuée à personne, pour le moment. Au moins un point positif, je ne violais l'intimité de personne en pénétrant ici.


Je constatai, en l'observant plus en détail, que la petite pièce était ravissante, comme tout le reste ici : toute de blanc décorée ! Les parures de lit, les décorations au mur, les lampes sur les chevets, les coussins brodés, les rideaux aux fenêtres. Toute de blanc parée ! Immaculée ! Seules quelques broderies rouges rappelaient le charme montagnard de cet endroit.


Mais la douceur de l'atmosphère ne noya pas suffisamment mes idées. Très vite, j'en vins à me poser mille questions : comment Régis et Pierre étaient-ils devenus proche ? Au moins suffisamment pour que Pierre pense à lui envoyer une invitation.

Comment allais-je réagir tout au long de ce week-end ? Et Régis ? Et comment allait réagir Pierre, lui aussi ? Serait-il fâché si Régis et moi ne parvenions pas à nous entendre et nous parler ?



Puis j'entendis le son de la petite cloche de la porte d'entrée. Elle faisait résonner un léger carillonnement dans toute la maisonnée. Cela signifiait qu'il y avait un -ou une- autre invité(e), qui arrivait.


Je me fis alors la réflexion qu'il serait impoli de ma part de ne pas être présente dans le salon pour accueillir le ou la nouvelle arrivant/e. Certes je n'étais pas au meilleur de ma forme, et mon esprit vagabonderait forcément à d'autres choses mais, je le devais au moins à Pierre.



Après m'être rapidement rafraîchie, il fut temps de sortir d'ici, pathétique cachette d'un lamentable échapatoire. Je me fis la promesse de ne laisser voir mon trouble à personne. Même si Régis allait être à quelques mètres de moi durant tout le week-end, personne ne pâtirait de mes émois ni n'en serait témoin.


D'une main hésitante, j'attrapai la poignée de la porte et l'ouvrit. J'entendais d'ici des manifestations de bonne humeur s'élever du rez-de-chaussée. J'en fus surprise. Non que la bonne entente ne régnait pas dans le grand salon depuis le début, mais là, c'était différent, plus prononcé.

Ce fut toute intriguée que je suivis l'écho des éclats de rire en redescendant l'escalier de bois verni.

 Je baissai volontairement la tête pour ne pas risquer de croiser son regard, au cas où Régis soit déjà redescendu parmi les autres convives.


Quand j'arrivai, je fus rapidement présentée à la nouvelle arrivante. Une jeune femme, somptueuse, à l'instar des autres déjà présentes.

Je me souvins d'elle aussitôt que je l'aperçus, et aussi que notre rencontre de l'époque m'avait laissé une drôle d'impression, en ce temps-là. Comme un rejet, voire une animosité. Ce qui m'étonnais d'autant plus alors qu'elle avait l'air d'être une personne agréable et en harmonie avec tous.


Je chassai rapidement ces vieilles impressions de ma tête. Probablement m'étais-je faite des idées, à cette époque. Elle était proche de Sacha, je m'en rappelais bien, alors sans doute la jalousie m'avait-elle poussé à imaginer des choses qui n'étaient pas.

Ou, combien même furent-elles fondées, certainement  ne seraient-elles plus de mise après tout ce temps.


J'eu tout le loisir de constater en tout cas, qu'elle était encore bien plus jolie qu'elle ne l'était déjà quand elle était enfant. Le genre de femme si sublîme qui faisait douter toutes les autres en leur présence de leur propre potentiel.


Pierre, toujours en excellent maître de maison, l'accompagna jusqu'à moi pour finir de la ''présenter'' à chaque invité présent : 

_ Et voici Ondine, vous vous êtes déjà rencontré il y a quelques années.


Si Pierre prenait cette intonation, notifiant que j'étais la dernière avec qui il faisait les politesses d'usage, cela voulait dire que Régis était bel et bien redescendu parmi eux et que donc il ne devait pas être très loin.


Cependant, je ne bronchai pas d'un poil et secouai la tête pour en chasser cette idée et me concentrer sur ce qui se passait devant moi. Séréna -c'était son prénom- me tendait sa main avec un sourire juste poli.


_ Oui, je me souviens, répondit-elle à Pierre. Bonsoir Ondine.


_ Bonsoir, ravie de te revoir, répondis-je avec chaleur pour tenter de briser la glace.


_ Oui, de même, ponctua-t-elle juste poliment.


Je ne constatai aucune chaleur dans son ton à elle. Mais je choisis de ne pas m'en formaliser. Après tout, je ne connaissais pas bien cette jeune femme et peut-être était-ce juste dans son tempérament d'être ainsi sur la réserve.


Puis, comme elle abrégeait nos salutations en retournant discuter avec d'autres invités, je me concentrai alors sur toute autre chose moi aussi et décidai de me mêler également à mes amis.


Sans que je l'eus cherché des yeux, ceux-ci se posèrent sur Régis dans un coin de la pièce, discutant nonchalamment avec Jacky et Drew, comme si de rien n'était.

Ce garçon était surprenant à sa façon de savoir camoufler ainsi ses sentiments. A passer d'un état à l'autre avec une telle aisance. Admirative, je m'ordonnais d'en faire autant.


Je m'immiscai subtilement dans la discussion que Flora et Pierre tenait, dans un autre coin du vaste salon, parfaitement à l'opposé d'où Regis se trouvait.

Flora était tellement sympathique qu'on ne pouvait que l'apprécier. Et le ton de sa voix enjouée et son humour vous faisait vous plonger totalement dans son récit et oublier le reste alentour. Ce qui était fort agréable.


_ Et alors qu'as-tu fait ? Lui demanda Pierre, intrigué, dans le courant de la conversation animée.


_ Je l'ai poussée dans le bac des aligatueurs, bien sûr ! Rigola-t-elle aux éclats.


Pierre et moi la suivîmes dans son éclat de rire.


_ C'est pas vrai ! Tentais-je de prononcer entre deux gloussements.


_ Oh arrête Ondine ! Ne sois pas offusquée. Je te connais assez pour savoir que tu aurais fait pareil à ma place ! Riait-elle de bon cœur avec nous.


_ Non non, tentais-je de me défendre. Plus jeune peut-être, mais maintenant je me contrôle !


_ Et bien quoi ! J'étais plus jeune quand j'ai fait ça, pouffait-elle. C'était il y a trois mois !


Une fois de plus nous repartimes dans un fou rire. Pierre et moi nous soutenions l'un l'autre, comme des compagnons de boissons près à tomber sous le poids de leur ivrognerie.

A cet instant, Jessie et James nous rejoignirent, intrigués par nos rires, sans doute.


_ Et bien et bien ! Qu'est-ce qui vous tord de rire comme ça ? Demanda Jessie.


_ C'est Flora ! Une de ses collègues adepte des sacs en croco, a fini dans un bassin d'aligatueurs ! Elle l'a poussé ! Parvint à articuler Pierre après sa crise d'hilarité, et en repartant dans une autre.


Jessie et James, ces anciens filous, ouvrirent de grands yeux horrifiés en imaginant la scène découlante de cet acte. Flora remarqua leur effroi et secoua les mains pour apaiser les esprits.


_ Pas de panique, leur dit-elle avec quelques restes de fou rire. Je savais que le bassin était vide évidemment. Je venais de voir Jeff, un de mes collègues, mettre les aligatueurs dans un autre bassin, car celui là devait être nettoyé dans l'heure. Je suis un peu impulsive mais pas meurtrière, tout de même.


_ Ouf ! Tu m'as fait peur, s'esclaffa Jessie, soulagée.


_ N'empêche, elle a eu la peur de sa vie ! Et l'eau était sale et empestait, du coup, elle aussi puait en sortant de là ! C'était vraiment bien fait pour elle ! Ne cessait de rire Flora.


_ Oui espérons que ça l'a dégoûtée de porter du croco ! répondit Pierre qui se reprenait tout doucement.


_ Penses-tu ! Elle porte des bottes en peau de serpent, maintenant !


_ Ohlala, je sens que cette fille va finir dans le terrarium des vipélierre ! provoquais-je.



Les plaisanteries continuèrent tandis que cette fameuse collègue devait souffrir d'un très sérieux sifflement d'oreille.


L'ambiance était vraiment à la rigolade et cette humeur légère m'avait permise de me changer les idées un moment.


Puis l'heure tourna, et Pierre nous proposa à tous de passer à table, nous informant que le repas était prêt.

En effet, le festin embaumait toute la maisonnée. Un délicieux fumé de viande rôtie et de légumes dorés caressait nos narines depuis un bon moment déjà. Nous avions tous hâte de déguster ce que nous avions déjà savouré olfactivement.


Mais alors qu'on s'apprêtait à se rendre en salle à manger, la petite cloche de l'entrée retentit une fois de plus, signe que quelqu'un d'autre arrivait.


_ Ah ! Lança Pierre avec un large sourire en levant les bras en signe de délivrance, il a dû sentir qu'on allait manger !


Tout le monde rigola -tous sauf Régis, que ma vision en coin ne voulait pas lâcher- semblant partager une blague que je ne comprenais pas.

Puis Pierre se dirigea vers la porte, et avant qu'il n'eut ouvert, l'acheminement se fit jusqu'à mon cerveau et je compris sa touche d'humour.

''Qui'', parmi les gens que nous connaissions tous, aurait la réputation de se pointer juste à l'heure de manger ?

Je devinai aussitôt qui se tenait derrière cette porte.





J'avais été presque certaine qu'il ne pourrait pas être présent ce week-end, lui toujours si occupé !


Pierre se précipita pour ouvrir et sans même qu'il eut besoin de prononcer son nom, une petite brise provenant de l'extérieur porta son parfum jusqu'à mes narines.

Je fermai les yeux sous la caresse de cette effluve et je n'entendis plus ce qui suivit. C'était comme un bruit lointain. Je me laissais flotter un instant sur ce nuage parfumé.


_ Sacha ! Super mon ami tu es là ! Bordel je suis content ! En pleurait presque notre hôte de joie.


_ Et moi donc ! J'ai fait tout ce que j'ai pu pour être là ! Je n'aurai jamais voulu manquer ça !


Ils s'étaient jeté dans les bras l'un de l'autre et déjà tout le monde s'attroupait autour de lui en s'exprimant bruyamment.

Des manifestations de joie fusaient de tout le monde. La jolie blonde, Séréna, s'agrippa à lui et enlaça son cou écharpé en enfouissant son nez dedans : 


_ Tu m'as tant manqué Sacha; l'entendis-je lui dire d'une voix plus douce que le miel.


Je semblais être la seule à être restée à l'écart. Je ne voulais pourtant pas me faire remarquer mais je me sentais un peu à part de ce débordement de bonne humeur. Ce qui était follement contradictoire avec mon plaisir intense de le revoir mais, je n'avais pas envie de lui sauter dessus en lui disant à quel point il m'avait manqué, à moi aussi.

Je ne voulais pas lui crier ma joie de ''l'honneur'' qu'il nous accordait par sa présence. Réflexion un peu sarcastique, sans doute, mais pas si folle.


J'avais pourtant bien conscience que finalement, si nous étions tous réunis ici, si nous étions tous -ou presque- amis, c'était grâce à lui. C'était finalement lui le noyau de ce groupe, lui, qui avait rencontré chacun d'entre nous et qui nous avait tous présenté, à différentes étapes de ses périples.

C'était grace à lui aussi que certains d'entre nous avaient tissé des liens, et c'était lui, surtout, que chacun de nous avait envie de revoir. Cet enthousiasme que tout le monde lui manifestait, était pour ainsi dire mérité.


Je soupirais, mécontente de me démarquer de cette façon, un peu malgré moi. Puis, du coin de l'oeil, mon radar intercepta quelqu'un d'autre à l'écart. Il était adossé au mur adjacent à l'entrée, bien en retrait de ce petit comité d'accueil lui aussi, mais probablement pas pour les mêmes raisons que les miennes.

Son visage ne peignait aucune expression. Tête baissée, jambes croisées et mains dans les poches, il regardait le sol, feignant la nonchalance. Je re soupirais.

Leur rivalité ne cesserait jamais... pour mon plus grand malheur.


Je me concentrai à nouveau sur le petit noyau de personnes attroupé et inspirai pour me donner le courage d'avancer vers eux, espérant ainsi ne pas être malpolie tout en me fondant dans la masse.

J'espérais aussi, par cette initiative, ne pas froisser les sentiments du garçon à l'écart. Son ressenti me tenait énormément à cœur, malgré ce que les apparences pouvaient laisser croire.


J'essayai de garder mon attention fixée sur le grand brun qui se tenait encore dans l'encadrement de la porte d'entrée et je le vis répondre quelque chose à voix basse à Séréna. Elle sourit et se détacha de lui, tandis qu'il donnait une accolade à chacun de ses amis masculins et une embrassade à chacune de ses amies féminine.


Ne souhaitant pas plus que cela participer aux embrassades, pour diverses raisons, je tentais une esquive subtile sur la gauche, à l'opposé de son mouvement, profitant du fait qu'il ne m'avait pas encore remarqué.

J'allais me retirer furtivement vers les cuisines et sur la pointe des pieds, mais ce fut sans compter sur sa fourberie, évidemment.


_ Je me suis gardé le meilleur pour la fin ! tonna-t-il en se retournant tout à coup vers moi avec un large sourire.


Flûte ! Le sale gosse m'avait repérée !


On resta un tout petit moment à nous regarder, peut-être quelques secondes.


Il avait peu changé depuis la dernière fois que je l'avais vu, mais je ne me lassais pas de le regarder.

Il portait un manteau et un bonnet noirs parsemés de quelques flocons blancs qui n'avaient pas eu le temps de fondre.

Et puis, ces yeux ténébreux ! Cette mèche de cheveux noirs qui lui tombait toujours sur le visage, lui prêtant une allure mystérieuse. Et cette expression sur ses traits quand il me regardait, comme si j'étais la personne la plus importante du monde ! Tout du moins, c'était ce que je m'autosuggérais. Et, ce sourire ! Je les retrouvais intactes et comme je les avait toujours -trop- aimé.


Je connaissais assez ce garçon pour connaître toutes les expression de son visage, et je savais qu'il avait un sourire propre à chaque situation, et aussi qu'il en avait un pour moi.

Je me sentais une sorte de privilégiée, grâce à celui-ci, et cela me plaisait, malheureusement.


Je devais avoir un visage béat quand il arriva droit sur moi en me tendant ses bras.

Que faire ? L'esquiver ? Le repousser devant tout le monde au risque de l'humilier ? Le laisser faire et risquer d'égratigner les sentiments du garçon de mon radar?


Je n'eu pas beaucoup de temps pour me décider cela dit, il parcourut rapidement les deux mètres qui nous séparait et fondit sur moi en m'enlaçant avec fougue. A tel point que je dus fournir un effort particulier pour garder l'équilibre.

Je fus très étonnée de constater qu'il ne me déposa pas de bise sur la joue, comme à toutes les autres. Il se contenta de me tenir dans ses bras, en me serrant fort, très fort même.

Je ne trouvais aucune autre réaction appropriée à cela que celle de refermer mon étreinte autour de lui, moi aussi, me laissant ainsi glisser dangereusement sur cette pente que je savais très glissante, et sans pouvoir neutraliser la culpabilité qui m'assaillait.

Parce que, je le sentais, cet autre regard, dans mon dos. Il me brûlait...


_ Salut, Sacha, réussis-je à prononcer dans son épaule, malgré mon trouble.


Cette étreinte me faisait du bien. Je m'y sentais bien.


Depuis toute petite, oui, depuis que je l'avais connu dix sept ans plus tôt, c'était tout ce dont j'avais toujours rêvé. Me retrouver dans ses bras, lui dire à quel point je tenais à lui. Dans mes rêves les plus poussés, il me disait éprouver la même chose.


Je ne saurai pas décrire ce que cela représentait pour moi, parce qu'aucun mot ne pourrait retranscrire ce que je ressentais. 


Au mieux je retranscrirai parfaitement les sentiments de la fille subjuguée et amoureuse que j'avais été. Une pauvre adolescente désespérément alliénée à un garçon qu'elle avait aimé et...qu'elle continuait à aimer.

Mais, rien ne saurait retranscrire avec précision ce qu'il en était exactement. Car c'était bien plus que tout ça, en fait.


Au mieux, je parlerai d'une sorte de lien qui nous unissait. 


Réalisant que nous n'étions pas seuls et que des regards par dizaines nous encerclait, je me retirai de son étreinte, embarrassée.


J'étais toute retournée. Je pensais m'être suffisamment préparée à ces retrouvailles, au cas où celles-ci auraient lieu, mais force m'était d'admettre que je ne l'étais pas tant que ça, finalement. La tête me tournait légèrement.


Il n'était pas bon de se laisser submerger par de tels sentiments, alors je m'éloignais un peu de lui, sans me départir pour autant d'un sourire amical.

Sacha, lui, me regardait fixement. Ses yeux étaient plein de quelque chose d'indéchiffrable, brillants, menaçants de trahir une chose qu'il semblait batailler à garder caché.


Fouinant dans ce même endroit secret en moi, je trouvais la possibilité de feindre un détachement et trouvais quelque chose à dire, pour rompre ce moment intense :

 _  Heum...Pikachu n'est pas avec toi ? 


Oups ! Si mon mental avait voulu tenter le détachement, ma voix tremblante m'avait démasquée. Traîtresse !


Il sourit, se mordit les lèvres puis me répondit : 


_ Si, il arrive, il jouait dans la neige.


Pierre qui se tenait à deux pas de nous, se râcla la gorge discrètement comme pour signifier sa présence et invoquer une permission silencieuse de se manifester :


_ J'ai plutôt l'impression qu'il aime se faire désirer, plaisanta-t-il.


Sacha rigola.


_ Oui, il y a aussi un peu de ça.


Nous rîmes tous à cette perspective, et ce fut le moment que choisit Pikachu pour faire son entrée, accueillie par tous avec une vive émotion, pour la plus grande flatterie de celui-ci.


Puis, l'heure de gloire du petit Pokémon passée, Sacha fut rapidement happé par d'autres amis qui ne l'avaient pas vu depuis longtemps et qui l'assommèrent de questions et d'anecdotes en très peu de temps. Pikachu sur son épaule ne perdait pas une miette des conversations.


Quand à moi, mon attention fut attirée par tout autre chose, qui m'interpella d'avantages que les récits de Sacha : devant le feu de cheminée, se tenant assis comme moi un peu plus tôt dans la soirée, Régis tournait le dos à tout le monde et observait les morceaux de bois flamber dans le brasier.

Il était proche de nous et pourtant à des milliers de kilomètres à la fois ! 

Tout, dans sa posture voûtée, ses bras croisés sur ses genoux en tailleur, son corps penché en avant, montrait qu'il était dans sa bulle. Une bulle impénétrable à qui que ce fut.


Surtout à moi, me dis-je.


Je me rendis compte soudain que, même si Sacha avait remarqué sa présence, à aucun moment il n'avait prit la peine de le saluer. Leur attitude l'un vis à vis de l'autre avait toujours été entâchée de mauvais sentiments, et cela n'avait jamais été sain. Ni pour eux, ni pour moi, finalement.


Et alors en le voyant comme ça, assis seul et perdu dans ses pensées, j'oubliais en un éclair la scène qui venait de se jouer, et j'eus envie de le rejoindre.

J'avais envie de m'asseoir près de lui, comme près de Pierre plus tôt, et poser ma tête sur son épaule.


Je prendrai alors sa main dans la mienne, rêvais-je, et le laisserai passer son bras autour de mon épaule pour me coller à lui.

Je secouai une fois de plus la tête pour me sortir ces pensées adolescentes de l'esprit.


Sentait-il, lui aussi, mon regard sur lui sans même le voir ?

Car bien que rien ne lui indiquait ma présence à quelques mètres derrière lui, il pivota la tête à quatre vingt dix degré par dessus son épaule. Ses yeux ne croisèrent pas les miens, mais ce geste furtif laissa sous-entendre qu'il savait que je l'observais. 

Tout comme le fait de replonger son attention sur le feu de cheminée était un message clair qui signifiait de le laisser tranquille...


La soirée ne s'annonçait pas paisible...


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