Après toutes ces années
Chapitre 1 : La deuxième étoile à droite
2722 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 29/12/2021 11:26
« Tu vois, là-bas ? La deuxième étoile à droite, et tout droit jusqu’au matin !
— Où ça ?
— Là, entre les nuages ! Qui sait, peut-être qu’un jour Peter Pan t’emmènera aussi au Pays Imaginaire ? »
Margaret leva les yeux au ciel. Sa mère et sa grand-mère lui répétaient leurs histoires presque tous les soirs : Peter Pan, l’enfant qui ne grandissait jamais, les avait emmenées au Pays Imaginaire lorsqu’elles étaient enfants, ils avaient combattu le capitaine Crochet, dansé avec les Indiens, joué avec les Garçons perdus, tout ça entre d’autres aventures plus folles les unes que les autres. Elle était encore toute petite et buvait leurs paroles, elle croyait dur comme fer qu’elle aussi pourrait voler, rencontrer tous ces gens et vivre ces aventures incroyables. Chaque fois que Wendy et Jane évoquaient leurs aventures, leurs yeux brillaient et elles pouvait passer des heures à en parler, en faisant sauter Margaret entre leurs bras, le tout noyé dans des éclats de rire.
Elle maugréa en s’installant péniblement dans son fauteuil roulant. Ça n’était que des histoires qu’elle se remémorait pour passer le temps. Elles n’avaient pas survécu à la Seconde Guerre mondiale, elles l’avaient laissée toute seule. Un intendant était venu s’occuper d’elle, façon polie de dire qu’il voulait l’emmener à un orphelinat, le moins cher de la ville et l’un des moins tendres. Pour le moment Margaret résistait encore et il restait des formalités administratives à achever, mais tôt ou tard elle quitterait la maison familiale, et ne pourrait plus s’asseoir à cette foutue fenêtre.
Elle allait retourner à sa petite couche, prête à s’endormir : ses yeux gris fixèrent le vide en même temps que ses pensées s’entremêlaient, tant d’images volaient devant ses yeux sans le moindre répit. Il fallait qu'elle dorme.
Après plusieurs minutes, Margaret se rendit à nouveau à la fenêtre, aussi vite qu'elle le put.
Viens, viens, s’il te plaît…
Malgré tous ses efforts pour ne pas penser à ce qu’elle pourrait devenir au Pays Imaginaire et à se focaliser sur l'avenir, son cœur penchait encore et toujours de l’autre côté de la fenêtre. Elle posa ses coudes sur le rebord pour s’en rapprocher, elle fixait l’étoile avec tant d’insistance qu’il lui semblait parfois apercevoir une ombre traverser les nuages.
Si bien que lorsqu’un visage d’enfant mince aux grands yeux noisette surgit devant elle, il lui fallut un temps pour réagir.
« Salut ! T’as pas l’air très bavarde, toi !
Ces mots parvinrent à ses oreilles dans un écho, alors qu’elle prenait peu à peu conscience qu’un enfant la scrutait avec attention. Un enfant maigrichon, bronzé, aux cheveux noirs ébouriffés et recouvert d’un mince filtre de saleté, vêtu de feuilles, en tout point semblable et différent à ce qu'elle s'imaginait.
— PETER PAN ! s’exclama-t’elle en sursaut, prise dans un tourbillon d'émotions contraires. Combien de fois Wendy et Jane l’avaient décrit ainsi ? Qu'est-ce qu'il faisait là ? Elle sursauta si fort que son fauteuil roulant se pencha vers l’arrière et s’écrasa au sol, et sa tête heurta violemment le sol. Aïe !
— En effet ! continua le gosse qui s’engouffrait dans la chambre comme si de rien n’était, fier de sa frayeur. Peter Pan, en chair et en os ! Et tu es ?
— Vraiment pas contente de m’être mangé le sol, répliqua Margaret en essayant de remettre son fauteuil à l’endroit tant bien que mal. La surprise de cette rencontre était vite retombée, d’un coup cette légende mutait en un gamin mal élevé bien loin de lui plaire. Même sa voix moqueuse sonnait faux à ses oreilles. Qu’est-ce que tu fais là ?
— Et ben…
Peter croisa les jambes pour faire mine de réfléchir, et ce fut seulement maintenant que la fillette réalisa qu’il flottait à plusieurs centimètres au-dessus du sol. C'est vrai, lui pouvait voler comme il voulait, quand il voulait comme s'il était né ainsi. Elle gonfla les joues, préférant ne pas y prêter attention, ni à sa jalousie grandissante.
— J’en sais rien ! J’étais persuadé que je devais venir ici, mais pourquoi ? Aucune idée !
Il s’approcha de Margaret, peut-être d’un peu trop près à son goût, scrutant chaque détail de son visage sans montrer aucune gêne, alors que la fillette était rouge de honte. Il s'écarta d'elle au bout de quelques minutes d'un geste mécontent, et resta à bonne distance.
— Alors, c'est quoi ton nom ?
— Ça ne te regarde pas ! Aide-moi à me relever au lieu de faire l’idiot ! lança la fillette d’une voix furieuse.
— Mets-toi debout, ce sera plus simple ! Peter s’éleva encore plus haut tandis que son sourire narquois s’agrandissait. Un vrai gosse insupportable. Margaret fulmina, et au prix de nombreux efforts elle parvint enfin à s’installer sur son fauteuil roulant.
— Si je pouvais tenir debout, je le ferais !
Sa voix se brisa lorsqu’elle remarqua à quelle hauteur Peter se trouvait.
Quelle chance il a… Il peut aller où il veut, quand il veut, sans limites !
La jalousie l’envahit peu à peu, si bien qu’elle détourna les yeux et fit signe au garçon de s’en aller.
— Va-t’en, je ne veux plus te voir, déclara-t’elle une voix blanche. Si tu cherches Wendy ou Jane ou je ne sais qui, elles sont mortes, tu perds ton temps. Pars.
L’enfant la fixa sans comprendre. Ses yeux s’écarquillèrent, et même s’il ne bougeait pas, un flot d’émotions variées et indéfinies traversa son regard en quelques secondes. Les traits de son visage restaient impassibles, mais cette révélation semblait vraiment chambouler Peter Pan.
— Je les connais ? Ça ne me dit rien, mais c’est pas agréable d’entendre qu’elles sont mortes…
Plus il parlait, plus Margaret avait envie de le gifler. D’après ce que sa mère et sa grand-mère lui avaient dit, elles avaient toujours eu un lien privilégié avec ce crétin, ils avaient passé beaucoup de temps ensemble… tout ça pour qu’il les oublie, comme ça ? En plus, comme le temps s’écoulait différemment au Pays Imaginaire et qu’il revenait chaque printemps, il était possible que Wendy et Jane aient passé plus de temps avec LUI qu’avec leur propre enfant ! Ses yeux se remplirent de larmes à cette pensée, même Peter parut un peu troublé. Il posa enfin pied à terre et s’approcha un petit peu de la fillette ; peut-être y avait-il un petit cœur dans ce corps d’enfant ?
— Désolé…
Sa voix moqueuse peinait à prendre un ton désolé.
— C’est rien, marmonna Margaret en se frottant les yeux, préférant river son regard sur le sol. Tu ne veux vraiment pas t’en aller ? Je comptais dormir…
— Je peux m’en aller, mais j’en ai pas vraiment envie, avoua Peter qui ne savait plus où se mettre. Il regarda un peu autour de lui, et soudain son visage s’éclaira alors qu’il prenait une des mains de la jeune Darling. Ça te dit de voler un peu ? Ça te changera !
Voler ? Dans les airs ? Sans que ses jambes ne la bloquent sur terre ? Pour qu’elle puisse fuir ? Ce serait trop beau, improbable, tellement improbable qu’elle eut envie d’y croire. Elle laissa de côté sa rancoeur envers ce garnement et saisit sa main.
— Vas-y, fais-moi voler !
Peter retrouva son masque d’enfant insupportable et défit la bourse qui était attachée à sa taille : il prit une pincée de ce que Margaret identifia comme de la poussière de fée et lui en versa dessus sans qu'elle n'ait rien demandé. Elle songea à ce que ça faisait d'en avaler, mais mieux valait ne pas tenter l'expérience.
— Il faut penser à des choses positives pour voler ! Et rêver d’aventures ! Ou alors c’est l’un ou l’autre, je sais plus… fit le gamin en rebouclant sa bourse. C'est pas si important, au final !
— Ça va, c’est clair…
— Allez, c’est pas si compliqué ! Pense à ce que tu aimerais faire, et tu vas t’envoler !
Margaret fixa un peu Peter dans l’espoir de comprendre s’il était sûr de lui ou non, mais il était parfaitement capable d’être confiant sans savoir de quoi il parlait. Elle soupira et fouilla dans son esprit ce qu’elle aimerait faire.
Qu’est-ce que je veux faire ?
Qu’est-ce qui me ferait plaisir ?
De nouveau ses yeux brillèrent.
Mère… grand-mère…
— Tu pleures beaucoup, fit remarquer le jeune garçon d'une voix où la moquerie pointait un peu plus. Quelque chose de positif, allez !
Comme si c’était facile… Margaret ferma les yeux et se laissa guider par son imagination, emportée par ses rêves les plus fous et inimaginables. Quand elle était plus petite, elle rêvait beaucoup plus, mais à quoi ? Il lui fallut un moment avant qu'elle ne se rappelle qu'elle voulait devenir capitaine à bord d’un bateau pirate. Ou encore mieux ! Cheffe de la brigade volante qui chasserait les criminels dans le ciel… ou mieux ! Pilote d’avion ! Un avion de course, pour aller plus haut que le ciel, et toucher les étoiles ! S’en approprier une ? Oui, pourquoi pas… l’appeler comme elle en aurait envie, chevaucher l’étoile pour découvrir de nouvelles planètes, peut-être d’autres personnes encore plus gentilles et amusantes !
Elle partait si loin dans ses délires qu’elle ne se rendit pas compte qu’elle décollait du fauteuil, qu’elle s’élevait à la même hauteur que Peter : il fallut qu’elle se cogne la tête au plafond pour réaliser qu’elle volait.
— Mais… j’ai réussi ! s’écria-t’elle folle de joie, portée par une allégresse sans nom.
Malgré toutes les fois où Jane et Wendy avaient tenté de lui décrire ce que ça faisait de voler, Margaret n'avait jamais réussi à se figurer la sensation d'être légère, plus libre que l'air, et voilà que c'était son tour, enfin !
Vous me regardez ?
Elle s’écrasa aussitôt par terre, accompagnée du rire désagréable à souhait de Peter qui semblait se rouler par terre de rire, mais en l’air.
— Je me disais bien que tu pouvais pas y arriver du premier coup ! Reste collée au sol, ça vaut mieux pour toi !
En d’autres circonstances, Margaret aurait pu trouver ça peu charitable de sa part : elle s’était fait mal en tombant, et aurait pu avoir un joli traumatisme crânien. Or à cet instant, elle trouva ce gamin encore plus détestable et lui agrippa la cheville pour le faire tomber par terre à ses côtés en fulminant de rage.
— Haha, t’as vu comme c’est drôle de tomber ? Sale gosse va…
Peter trouvait ça drôle, puisqu’il explosa de rire en se relevant immédiatement, et reprit la main de Margaret sans manifester la moindre douleur.
Il est pas humain, c'est pas possible autrement !
— Tu vas pas laisser tomber, quand même !
La blonde hésita un peu, son regard oscillait entre cette main blanche et crasseuse et la belle moquette propre. Elle avait le pouvoir de le faire s’en aller, et n’entendrait plus jamais parler de cet idiot qui envahissait sa chambre, pour se consacrer entièrement à une vie bien réelle, espérer être adoptée par des parents plus ou moins aimants, et vivre loin de cette maison.
Elle saisit la main de Peter, et se concentra à nouveau. Une douce chaleur l’envahit, elle se sentait à nouveau transportée par ses rêves, et de nouveau ses pieds quittèrent le sol froid. Elle s’amusa à nager dans l’air en compagnie de Peter, ses jambes ne l’alourdissaient pas meme si elle ne pouvait pas les bouger.
Les deux enfants restèrent un moment dans la chambre, surtout parce que Margaret avait encore un peu de mal à se stabiliser, et pour une fois Peter se montrait un minimum compatissant, quitte à lui tenir les mains lorsqu'elle manquait de tomber. Des éclats de rire retentissaient dans la chambre, bien loin des bavardages adultes au rez-de-chaussée, ils rebondissaient sur des nuages invisibles, se laissaient aller à leurs insouciances, jusqu'au moment fatidique.
Margaret jeta un coup d'oeil par la fenêtre, la lune était déjà bien haute et illuminait les toits de Londres, accompagnée d'étoiles si scintillantes qu'elles en paraissaient presque irréelles, et Big Ben ne se cachait plus derrière des nuages brumeux. Plus aucun passant ne traînait dehors comme par magie, la plupart des fenêtres étaient closes, personne ne risquait de les croiser par accident, absolument personne. Son coeur battit encore plus vite, si vite qu'elle pensait avoir couru plusieurs kilomètres à toute vitesse, le vent faisait glisser les fins rideaux vers l'extérieur.
— Tu as peur ? Si tu tombes, je te rattraperai ! s'exclama Peter après plusieurs secondes d'hésitation de la fillette, trépignant d'impatience. Tu ne risques rien !
Malgré de tels arguments, Margaret ne pouvait s'empêcher d'hésiter, mais pas à cause de la peur de tomber. Elle aurait sûrement l'impression d'être au paradis si elle s'échappait avec Peter loin de Londres pour se rendre au Pays Imaginaire, or elle goûtait trop longtemps à ce bonheur idyllique, les murs gris de sa chambre n'en deviendraient que plus ternes, sa vie d'après plus morne... Wendy et Jane lui avaient répété de nombreuses, très nombreuses fois à quel point il était important pour elle de grandir, peu importe ce qui adviendrait.
Elle se plaça dans l'encadrement de la fenêtre, au bord du vide. Cette vie future lui paraitrait d'autant plus insupportable, si elle partait, ce serait pour un aller simple. Sa vision se brouillait tandis qu'elle réalisait quel dilemme terrible la déchirait.
Dans les deux cas...
Elle la retrouvait, cette sensation constante de déchirement en elle, si puissante qu'un poids lui pesait littéralement sur le coeur en permanence, chaque parcelle de son corps en devenait douloureuse, comme un parasite qui s'agrippait à elle peu importe à quel point le vent le bringuebalait dans tous les sens.
Son regard oscillait entre sa chambre et l'extérieur, si bien qu'elle en avait mal au crâne, et la présence de Peter Pan juste derrière elle en devenait oppressante. À mesure que ses sentiments positifs s'estompaient, son corps s'en trouvait de plus en plus lourd, jusqu'à ce qu'elle retombe dans son fauteuil roulant dans un discret gémissement de douleur. C'était juste...
— Je vais rester ici, finit-elle par répondre d'une voix lasse. Tu peux t'en aller.
— Tu es sûre ?
Même la voix de Peter tremblait de façon imperceptible.
— Certaine.
Sa voix trancha le silence pesant. Mais malgré cela, un sourire finit par orner les lèvres de la fillette.
— Mais tu peux revenir plus tard, si ça te chante.
Le garçon parut rassuré par cette nouvelle, et n'attendit pas plus pour s'engouffrer par la fenêtre, emportant par la même une partie de l'amertume et la rancoeur de Margaret, incapable de se résoudre à ne plus jamais voler.
Juste un moment d'extase de plus, ce n'était pas trop demander.
Peter Pan ne revint plus la voir.
*tousse en se cachant derrière un rideau*
Bonjour tout le monde.. c'est moi.. enchantée... oui, je reviens comme une fleur après plusieurs années, oui.
Désolée ?
Ou pas ?
En tout cas ça me fait plaisir de revenir ! Eh oui, qui l'aurait cru ?
Bon, ça veut pas dire que je serai plus active qu'avant, mais vous pouvez toujours espérer ! J'essaierai surtout de produire un contenu bien meilleur qu'autrefois, et j'espère que ça vous plaira !
À plus les gens !
*s'enfuit*