Neverland : la fin du Capitaine Crochet

Chapitre 1 : Neverland : la fin du Capitaine Crochet

Chapitre final

2201 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/05/2020 14:06

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Les uns contre les autres (février-mars 2020).


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C’était une nuit sombre et orageuse ; la pluie tombait à torrents – sauf par intervalles occasionnels, lorsqu’elle était rabattue par un violent coup de vent qui balayait les rues, crépitant le long des toits, et agitant violemment les maigres flammes des lampes qui luttaient contre l’obscurité. 

Incapable de trouver le sommeil, tourmenté, le Capitaine James-Marie Crochet se tournait et retournait dans la couchette de sa cabine. Son bateau avait jeté l'ancre à quelques encablures de la ville qui s'était construite autour du port de Neverland. Les cascades d'eaux faisaient un bruit assourdissant sur le toit de la cabine et la houle secouait fortement le trois-mâts. Ce n'était pourtant pas ce qui empêchait le Capitaine de trouver le sommeil. Il était habitué au grain après des décennies et des décennies passées sur les océans de ce pays où le temps restait suspendu.

Non vraiment, le temps n'avait rien à voir avec cette insomnie. Crochet visualisa à nouveau la scène qui l'obsédait : après un énième combat avec son ennemi juré, il l'avait enfin eu à sa merci. La pointe de son épée était posée sur sa poitrine juste à l'emplacement de son cœur. L'enfant l'avait regardé avec fierté, prêt à mourir et pourtant l'impitoyable pirate qu'il était n'avait tout simplement pas pu aller jusqu'au bout de son geste. Sa main avait tremblé, le sabre lui avait échappé, sa bouche par une volonté propre avait sommé le gamin de partir. Pire : il avait perdu la face devant ses hommes qui s'avéraient en train de fomenter une mutinerie. Il avait surpris plusieurs échanges allant en ce sens et Monsieur Mouche le lui avait confirmé.

Crochet ne se comprenait pas. Des décennies à essayer de tuer ce petit insolent de Peter Pan pour finalement le laisser partir. Il songea à sa vie d'avant Neverland, l'époque où il voguait sur les Mers de notre bonne vieille Angleterre. Comme il se sentait jeune et libre à l'époque ! Tout avait une autre saveur là-bas. Les bagarres et les pillages avaient le frisson du risque de blessures et de la mort. Des femmes l'attendaient dans chaque port du monde, lui, le plus grand Pirate de sa génération était adulé et respecté. Il avait quelque chose à gagner et quelque chose à perdre. Puis il y eut la malédiction. 

Une sorcière des mers avait envoûté son bateau. Le Capitaine revoyait encore la terreur de ses hommes quand le navire avait commencé à s'élever dans les airs. Certains, pris de panique, avaient sauté par dessus bord et s'étaient noyés, d'autres avaient prié en pleurant, d'autres encore s'étaient accrochés désespérément au bastingage en hurlant leur terreur. Lui seul avait affronté la situation avec honneur et stoïcisme. Lui seul avait vu le ciel étoilé s'ouvrir devant la proue du vaisseau puis les étoiles s'étirer en longs filaments de lumière. Lui seul avait contemplé Neverland et son unique île depuis l'espace.

Le navire s'était posé en douceur. La journée était douce et ensoleillée. Tout son équipage avait crié de joie et remercié le Seigneur d'être encore en vie. Pas lui. Il avait compris dès lors que c'était une prison dorée. La seule chose qu'il ignorait encore à l'époque c'était qu'à Neverland, le temps n'aurait aucune prise sur eux. James-Marie Crochet avait gardé l'habitude de remplir quotidiennement son journal de bord. Deux-cents-cinquante ans s'étaient déjà écoulés depuis leur arrivée à Neverland. En ajoutant ses années terrestres, il était à présent âgé de précisément deux-cent-soixante-dix-huit ans depuis la veille. 

La première décennie leur avait permis d'explorer la totalité du continent, faisant main basse sur les richesses qu'ils accumulèrent avant de les cacher dans un coin secret de l'île. Les quelques bagarres avec les Peaux-Rouges des hauts plateaux les avaient divertis un temps. La chasse aux bêtes sauvages aussi. Apparemment natifs de ce monde, ces êtres vivants semblaient se reproduire et vieillir à peu près normalement même si c'était à un rythme nettement plus lent que sur Terre. 

Le Capitaine et ses hommes avaient également trouvé la Vallée des fées et tenté d'en asservir quelques unes mais ces petites créatures ailées étaient indépendantes, têtues et acariâtres. Ils avaient vite jugé plus prudent de les laisser tranquilles pour éviter que d'autres pirates se retrouvent transformés comme cet idiot édenté qui avait fini en Crocodile géant. L'animal, pas édenté pour deux sous par ailleurs, suivait depuis lors le bateau, espérant une proie facile.

Ils avaient également mis les pieds dans la lagune aux sirènes, séduits par leurs chants envoûtant et leur apparence innocente. Là aussi il déchantèrent en constatant leur dangerosité et décidèrent de se tenir à distance de ces croqueuses d'homme.

L'ennui avait commencé à s'installer. Les réserves de rhum étaient vides, les hommes déprimaient et s'empâtaient sérieusement. Des bagarres eurent lieu au sein de l'équipage, nourrissant le Crocodile d'hommes de moins en moins nombreux à bord (et le renforçant dans son comportement de proximité avec le bateau). Par chance, d'autres personnes étaient par moment acheminées à Neverland, apparaissant au gré du hasard, amenant un peu de nouveauté. 

C'est ce sang neuf qui avait découvert qu'on pouvait faire appel à l'imagination pour faire apparaître ce qu'on voulait. De nouveau le rhum coula à flot et la table se couvrit de mets variés. Manger et boire relevait de l'habitude. Le corps n'avait besoin de rien pour persister. La mort naturelle ne pouvait survenir dans ces contrées. Cette nouvelle distraction ne dura qu'un temps.

Le Capitaine ne retrouva réellement goût à la vie que des années plus tard, en découvrant par hasard des enfants livrés à eux-mêmes. Il se mit en tête de les élever mais ces derniers refusèrent, affirmant leur volonté de liberté. Un, tout particulièrement, lui tint tête et devint le leader du groupe : Peter Pan. Ce morveux avait le physique d'un enfant d'une dizaine d'années et s'était fait une place de choix à Neverland, obtenant les faveurs de toutes les créatures vivantes : les peaux-rouges l'avaient adopté comme un des leurs, la jeune Lili la Tigresse en était d'ailleurs officiellement éprise, les sirènes se pâmaient devant lui et faisaient chacune de ses volontés, même une fée, Clochette, avait décidé de vivre à ses côtés, lui offrant la capacité unique de voler quand cela lui chantait. Lui seul était libre d'aller et venir entre Neverland et la Terre. Cela, le Capitaine Crochet ne pouvait pas lui pardonner.

L'occupation principale des pirates devint donc de capturer les Enfants Perdus pour essayer de mettre la main sur Peter mais chaque fois il s'en sortait, volant comme une hirondelle, ridiculisant les uns et les autres avec son poignard, libérant ses amis. Crochet avait tout le loisir de chercher des stratégies pour piéger le gamin qui s'avérait, comme tous les enfants, d'une naïveté touchante. Les enfants semblaient d'ailleurs prendre pour un jeu toutes leurs incartades et quelque part c'en était un. 

Les choses changèrent pour le Capitaine le jour où Peter Pan lui coupa la main gauche pour la donner à manger au Crocodile. Ce dernier avait pris goût à la chair de Crochet et focalisait dorénavant uniquement son attention sur lui, pour sa plus grande terreur. La seule chose qu'il avait trouvé à faire pour se protéger de la bête, bien trop dangereusement démesurée pour prétendre la tuer, avait été de lui faire avaler un réveil. Ainsi le Tic-tac l'avertissait de son approche et lui permettait de se mettre en sécurité.

La douleur de sa main tranchée, le crochet de fer qui l'avait remplacée, la peur du Crocodile en plus de la jalousie maladive qu'il vouait à la liberté de Peter fit naître un sentiment de haine chez le Capitaine Crochet. Le jeu pris alors une tournure plus sombre, agressive. Tuer le garçon était devenu sa raison de vivre, mutiler ses amis, un moyen de le faire souffrir comme lui souffrait. Il mit alors en place des stratagèmes de plus en plus cruels et tortueux, s'en prenant aux terriens que Peter emmener jouer à Neverland, kidnappant Lili la Tigresse en essayant de faire porter le chapeau aux enfants perdus, faisant du chantage en utilisant des sirènes captives…

Des décennies passèrent sans que rien ne change vraiment. Plusieurs fois le Capitaine James-Marie Crochet accula Peter. Il réussit à l'isoler de ses amis, à retourner les indiens contre lui, il détourna même la Fée Clochette en jouant sur sa jalousie mais chaque fois le gamin réussissait à s'en sortir. Chaque fois, sauf la veille. Il avait enfin eu la possibilité concrète de mettre fin à sa misérable vie mais ne l'avait pas fait. Et ça vraiment il ne comprenait pas.


De son côté, Peter Pan cherchait lui aussi le sommeil. Il avait vu pour la première fois La Mort dans les yeux, l'avait sentie sur sa poitrine comme en attestait la petite marque rouge là où la lame avait entaillé la peau fine. La Mort il l'avait apperçue pour les autres, souvent, il ne s'en souciait pas, il ne s'en était jamais soucié. Il goûtait la liberté de son enfance éternelle où tout n'était que jeu. La contrainte n'existait pas, la frustration non plus seulement le plaisir de sa toute puissance et de sentir ainsi le souffle de La Mort sur lui avait soudainement tout changé. Pour la première fois depuis sa naissance Peter Pan accéda au sentiment de finitude. Et pour la première fois de sa vie il se sentit las, fatigué de son existence. Pour la première fois il se questionna sur le sens de sa vie.

Au cœur de l'arbre du pendu dans lequel il habitait avec les enfants perdus, la douleur le terrassa soudainement. Son corps se mit à se tordre, à convulser, à grandir, se couvrir d'une pilosité d'homme. Peter grandit d'un seul coup : son enfance éternelle l'avait subitement quittée. La Fée Clochette affolée tournait autour de lui en tintinnabulant. Il ne la comprenait même plus ! Les enfants perdus s'éveillèrent et ne le reconnurent pas. Ils le chassèrent malgré les tentatives de Clochette pour les en empêcher. 

Peter était perdu. Il ne savait pas où aller. Dehors la pluie continuait de faire rage, il essaya de s'envoler, peine perdue, impossible de retrouver les pensées légères qui le lui permettaient. Son corps adulte semblait peser le poids d'une enclume. La mort dans l'âme il marcha sous la pluie là où ses pas le guidèrent. Avisant de grandes feuilles, il prit le parti de se confectionner un vêtement de fortune pour cacher sa nudité. Il ne reconnaissait pas son corps. Il baignait, en état de choc, dans un sentiment d'étrangeté difficile à décrire. 

La pluie cessa progressivement. Le soleil se leva baignant le paysage d'une lumière dorée et rosée. Peter arriva sur la plage. Le bateau des Pirates était proche. Une chaloupe avait été tirée au sec sur le sable. Le Capitaine Crochet y était adossé, se demandant encore ce qui l'avait poussé à mettre pied à terre. 

Les deux hommes se retrouvèrent face à face. D'abord Crochet ne reconnut pas Peter, il crut à un nouvel arrivant comme il en arrivait de temps en temps. C'est en le voyant s'approcher qu'il avisa la forme pointue de ses oreilles, qu'il reconnut les yeux de son ennemi juré, qu'il avisa la marque de sa lame sur la peau de l'autre. 

– Peter Pan ? Est-ce vraiment toi ?

– Je… je crois… je ne sais pas ce qu'il m'arrive… répondit-il sans reconnaître sa propre voix.

Les deux hommes étaient maintenant face à face. Ils ressentirent l'un et l'autre l'envie irrépressible de tendre la main. Quand leur paumes se touchèrent l'univers entier sembla basculer. La lumière du jour et l'obscurité de la nuit s'alternèrent à toute vitesse, les étoiles tracèrent des spirales dans le ciel, leurs deux corps se soulevèrent comme emportés par un tourbillon coloré. Ce fut le trou noir. 

Crochet ouvrit péniblement les yeux. Il était allongé sur une plage qu'il ne reconnut pas. Ses vêtements étaient en lambeaux, ses yeux et sa langues gonflés par le sel de la mer. A côté de lui gisait inanimé un jeune garçon d'une dizaine d'années. Crochet posa les mains sur le sable pour essayer de se relever, les deux mains! Son crochet n'était plus. Il eut soudain envie de rire et de pleurer mais il s'en avéra incapable.


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