Les Dragons et les Veilleurs
*Il y a treize ans*
Les trois agents d’Overwatch eurent droit à un spectacle très rare : Gabriel Reyes totalement stupéfait.
- Alors, tu doutes toujours des capacités de mon petit protégé ? se moqua Bianca.
Sojiro de son coté, se remettait du coup qu’il avait pris, passant d’une grimace de douleur à une expression plus neutre.
- Je…je suppose que je vous dois des excuses, dit Gabriel à Gérard.
- Merci, commandant. Je les accepte de bonne grâce, répondit poliment le français.
- Oh, Gérard tu es trop gentil, dit Bianca. Ça ne se manque pas, l’occasion de chambrer une légende pareille.
Elle se mit face à Reyes et pointa son index vers lui :
- Je t’avais bien dit que ça marcherait.
Le commandant eut un sourire amusé.
- Parfois je me demande pourquoi Ana t’a confié ton poste.
Puis il tourna son regard vers Sojiro. Le Shimada n’était pas du tout troublé par les petites mimiques des membres d’Overwatch. Au contraire : il avait même un léger sourire amusé.
- Avec cet homme entre nos mains, beaucoup de possibilités s’offrent à nous. Il va être possible de négocier le ralliement des Shimadas contre une amnistie. Blackwatch aura bien l'usage de tels assassins.
Sojiro afficha un visage inexpressif à ses paroles et se mit à observer Gabriel.
- Non, dit Gérard.
Reyes soupira.
- Quoi encore ? Vous allez avoir tout ce que vous voulez. Une fois les Shimadas intégrés à Blackwatch, votre merveilleux plan social n’aura aucun problème à réussir et tout le mérite vous reviendra.
- Vous considérez les Shimadas comme les Deadlocks, mais c’est une grave erreur. Ils ne commettent pas de crimes parce qu’ils sont pauvres et désespérés. Ce n’est même pas la cupidité qui les motive. Ils font ça par…
Il afficha une expression de pur dégoût :
- …tradition familiale.
Sojiro se mit à regarder Gérard avec un air intéressé.
- Et alors ? demanda Reyes, en levant les yeux au ciel.
- Outre que c’est dix fois plus méprisable, cela veut dire que vous ne pourrez jamais les enrôler comme McCree. Obéir à des étrangers ne fait pas partie de leurs stupides traditions. Ils préféreraient mourir.
Gabriel fit un vague geste de la main.
- Je ferais des concessions. Ça en vaut le coup.
- Quelles concessions ? Vous laisseriez une mafia survivre pour avoir quelques tueurs à gage sous vos ordres ?
- Une bonne équipe d’assassins peut régler beaucoup de problèmes.
Gérard prit une expression plus déterminée. Une passion rare se lisait dans ses yeux :
- Ces gens sont une caste de criminels qui parasitent la société au nom de traditions archaïques. Ils doivent être éliminés.
Malgré cette tirade, Sojiro ne parut pas du tout offensé ou contrarié, continuant de fixer le français avec grand intérêt. Inversement, Gabriel paraissait extrêmement mécontent.
- J’ai été le premier commandant d’Overwatch, dit-il. Et je suis l’actuel commandant de Blackwatch. Vous êtes juste un gratte-papier recruté il y a trois ans. Je décide de ce qui ça va se passer.
- Est-ce que vous voulez que nous portions l’affaire devant Morrison ? répondit Gérard. Qui pensez-vous qu’il soutiendra cette fois ?
Gabriel ne répondit rien. Mais la grimace qu’il faisait en disait suffisamment.
- C’est mon opération, poursuivit Gérard. Mon plan a marché jusque-là malgré vos doutes et nous allons continuer à le suivre.
Il pointa son index vers Sojiro.
- Cet homme doit mourir.
Sojiro restait imperturbable. Quand à Gabriel, il fixait le français droit dans les yeux. Gérard soutint son regard.
- Alors tuez-le vous-même, dit finalement Reyes.
Gérard écarquilla les yeux, surpris. Il resta ainsi pendant quelques secondes, totalement déstabilisé par la réponse de Gabriel.
Puis son expression devient horrifiée quand il prit la pleine mesure de ce qu’on lui demandait de faire.
- Bianca…débuta-t-il en se tournant vers l’italienne.
Le français ne dit rien de plus mais ses yeux trahissaient sa demande.
- C’est ton opération, Gérard, répondit la femme en souriant.
Son regard était devenu curieux. Elle semblait très intéressée par ce qui était en train de se passer.
Gérard, paniqué, se tourna vers le cow-boy.
- McCree…
L’intéressé soupira, puis approcha la main de son six-coups. D’un geste, Gabriel l’ordonna d’arrêter. McCree hésita. Puis, avec un regard d’excuse vers le français, il redressa sa main.
Gérard comprit qu’il n’avait pas le choix. La panique céda la place à la résignation.
Avec un dégoût manifeste, il s’approcha du corps du garde de McCree et s’empara de son revolver. Puis, lentement, il s’approcha de Sojiro et pressa le canon de son arme contre le front du Shimada.
- Vous ne me paraissez pas être un tueur, dit ce dernier.
Malgré l’imminence de sa mort, il était toujours très serein.
- Votre famille est une bande de criminels, répondit Gérard avec hargne. Vous êtes des voleurs, des esclavagistes et des assassins. Votre mort…
Il cligna des yeux en prenant une grande inspiration.
- Votre mort est justifiée, reprit-il. Elle rendra le monde meilleur.
Il semblait parler plus à lui-même qu’à Sojiro.
- Cela est vrai, répondit calmement le shimada. Puisse cela vous aider à accepter l’acte que vous allez commettre.
D’un geste mécanique, Gérard désactiva la sécurité de son arme.
- J’aimerais émettre une dernière volonté, dit tranquillement le japonais.
Gérard arrêta nerveusement son geste.
- Oui ? demanda-t-il.
- Je vous en supplie : faits preuve de pitié envers mes enfants. Ils n’ont pas choisi leur destinée.
Gérard resta plusieurs secondes à fixer le visage de Sojiro. De la sueur coulait sur son front. Ses yeux exprimaient une panique profonde tandis que ses lèvres restaient obstinément closes. Puis son visage se détourna.
Il pressa la détente quand ses yeux ne virent plus l’homme qu’il allait tuer.
Le corps de Sojiro tomba sur le sol, dénué de vie. Gérard jeta le pistolet par terre, comme si l’arme était en train de lui brûler les mains.
- Il faut que son cadavre soit trouvé dès demain par sa famille, dit-il d’une voix faible. Nous aurons alors l’opportunité que nous attendions. Le…le but final de tout ceci.
- Je ferai en sorte que quelqu’un s’occupe de tout ça, dit Bianca en s’approchant du français.
Elle paraissait satisfaite de ce qui s’était passé.
- D’ici là, poursuivit-elle en posant ses deux mains sur les épaules de Gérard. Tu as mérité de te reposer. Et de te détendre.
Sa bouche s’approcha de l’oreille du français.
- Tu as dépassé toute mes espérances, mon petit protégé, murmura-t-elle.
Après un dernier regard sur le corps sans vie de Sojiro, Gabriel quitta la salle. Il fut rapidement suivi par McCree.
*Aujourd’hui*
- Ça va, Genji ? demanda le cow-boy.
- Est-ce la fin de ton récit ?
Il avait fait beaucoup d’effort pour rendre sa voix calme. Mais un léger chevrotement se laissait entendre.
- Si seulement… Mais il y a un dernier chapitre. Le plus dur à entendre.
- Vas-y.
- T’es sûr ? Rien de bon en sortira…
- Vas-y !
*Il y a treize ans*
Bianca, Gabriel, Gérard et McCree se trouvaient dans une salle de surveillance, portant sur un de ses murs le logo d’Overwatch. Juste devant eux se trouvait un large tableau de bord, rempli de boutons, interrupteurs et micros, en dessous d’un imposant écran.
Et sur cet écran pouvait se voir Hanzo et Genji, en train de se disputer.
- Nous sommes dans le meilleur scénario possible, dit Gérard.
Le français affichait de nouveau la tranquille confiance qui le caractérisait.
- J’ai du mal à te suivre, avoua Bianca. Comment ce qui est en train de se passer va-t-il nous aider ?
Hanzo dégaina son sabre et attaqua Genji.
- Oh…je n’ai rien dit.
Gérard saisit un micro sur le tableau de bord :
- Contactez la docteur Ziegler. Qu’elle se prépare pour une intervention d’urgence à Hanamura, dans le domaine Shimada.
McCree fronça les sourcils.
- Vous ne demandez pas aux agents sur place de mettre fin au combat ?
- Non. Sauver le cadet trop tôt minimiserait sa volonté de collaborer avec nous, répondit tranquillement Gérard.
Le cow-boy afficha une mine surprise à cette réponse. Sur l’écran, le combat continuait. Genji subit sa première blessure.
- Et maintenant ? demanda McCree. Vous allez dire aux équipes d’intervenir ?
- Non. Ce n’est pas encore le bon moment.
Les deux frères firent appel à leurs pouvoirs et l’affrontement gagna en intensité. Genji fut touché à la hanche et poussa un cri de douleur.
- Mais bon sang faites quelque chose ! cria McCree à Gérard.
- Pas maintenant. Encore un peu…et ce sera parfait.
Le cow-boy le regardait d’un air horrifié et stupéfait. Il se tourna vers Gabriel :
- Boss ! s’exclama-t-il.
Reyes leva les yeux au ciel.
- Je pensais que, depuis le temps, tu aurais compris que c’est son opération, dit-il, insistant bien sur le « son ».
L’affrontement se poursuivit. Genji subit coup sur coup.
- Hanzo, arrête ! cria-il de manière pitoyable, sa voix transmise par les appareils d’écoute des espions sur place.
Alors seulement, le français réactiva le micro.
- Équipe de terrain, neutralisez le frère aîné.
Des silhouettes vêtues de noir apparurent alors à l’écran, approchant rapidement, mais discrètement, du lieu du combat, leurs armes pointées vers Hanzo.
Sur l’écran, Genji tenta de s’enfuir. Il fut frappé dans le dos et s’effondra. Les agents de Blackwatch étaient presque à portée de tir d’Hanzo. Mais soudain, ce dernier se détourna, abandonnant son frère à sa lente agonie. Gérard réactiva le micro :
- Équipe de terrain, ordre annulé. Retirez- vous.
- Quoi ? s’exclama McCree.
- Les Shimadas ne savent pas encore qu’Overwatch va les attaquer. Or nous ne pourrons pas cacher un combat sur leur domaine. Inutile de révéler notre présence trop tôt.
Les silhouettes noires se replièrent et disparurent de l’écran tandis qu’Hanzo quittait le bâtiment. Une minute passa. Puis, la docteure Ziegler apparut, comme une ange tombée du ciel. Elle ne tarda pas à soigner Genji de son caducée, avant de le prendre dans ses bras et de repartir.
- Tout s’est déroulé comme prévu, dit Gérard.
- Comme prévu ? Vous avez laissé ce type se faire couper en morceaux !
- Il le fallait. Plus il subira de blessures de son frère, plus sa volonté de collaborer avec nous sera forte.
- Plus facile de regarder ça derrière un écran que de le faire soi-même, n’est-ce pas ? demanda Gabriel.
- Tss, moque-toi tant que tu veux Gabriel, commença Bianca. Reste que son plan a parfaitement fonctionné. Tu devrais être content d’avoir Gérard de notre côté. Et penser à tout ce qu’il pourra faire pour nous.
Reyes ne répondit rien. Mais sa figure devint songeuse tandis qu’il réfléchissait aux arguments de l’italienne.
- Je vais aller rejoindre Angela, déclara Gérard. Il faut que je sois présent quand ce Shimada se réveillera. Il est important qu’il me considère comme un allié.
Et il quitta la pièce.
*Aujourd’hui*
- Alors tout était vrai, dit Genji. J’aurais préféré qu’il en soit autrement…
Il avait désormais cessé de marcher. Les deux anciens agents étaient seuls aux milieux de la vaste plaine désertique.
- Je t’avais dit que rien de bon ne sortirait de cette histoire.
- Gérard a tué mon père pour faire en sorte qu’Hanzo m’inflige ces mutilations. Toutes les transformations que j’ai subies, toutes les souffrances que j’ai endurées…sont de sa faute.
- Moi aussi j’étais choqué quand c’est arrivé. Et j’ai toujours du mal à admettre que cet homme, qui paraissait si horrifié de devoir presser la détente, soit le même qui ait pu froidement te regarder te faire découper en morceaux. Mais maintenant que j’y ai réfléchi…c’était le choix du moindre mal.
- Le moindre mal ? répéta le japonais.
- Avec ton père mort, ton frère en exil et toi de notre côté, les Shimadas n’avaient plus de chef. Les portes-flingues et autres petites frappes ont perdu toute confiance en leur patron. Gérard en a profité pour leur proposer son programme de réinsertion. Des milliers de personnes qui n’avaient connu que le crime ont choisi une vie honnête. Alors que si on avait suivi le plan de Reyes, la moitié de ces types auraient été flingués et l’autre moitié serait allée en prison, pour en ressortir toujours aussi criminelle, voire plus.
Il eut un regard très triste avant d’ajouter :
- Ta cousine, ton père et toi…vous avez payé pour que tous ces gens aient une seconde chance.
- Personne ne m’a donné le choix de ce sacrifice.
- Je sais. C’est sale de te l’avoir imposé.
- Sale ? As-tu la moindre idée des souffrances que j’ai subies ?! Pas seulement physiques mais aussi morales. Le dégoût de ce que j’étais devenu m’a empoisonné pendant des années !
- Non, Genji. Je n’en ai pas la moindre idée. C’est au-delà de tout ce que j’ai vécu. Et dieu sait pourtant que j’ai eu une vie difficile.
- C’est pour ça que tu es devenu mon ami ? Pour apaiser ta conscience en m’aidant un peu ?
- Ouais, y’avait de ça. Mais c’est aussi parce que tu es un type sympa.
Un lourd silence s’abattit après ces paroles. Le regard de Genji restait fixé sur un point au-dessus de l’épaule de McCree.
- Tout ça n’a plus d’importance, reprit ce dernier. Gérard est mort, Gabriel est mort. Et Bianca a disparu depuis la chute d’Overwatch.
La visière de Genji bougea brusquement, se retrouvant face aux yeux de McCree.
- Oui. Il ne reste plus que toi.
Et il dégaina son sabre court.
McCree fronça les sourcils. Il fit quelques pas en arrière, tout en approchant la main de son six-coup.
- Tu es rapide Genji, dit-il. Mais pas autant qu’une balle.
- C’est ce que nous allons découvrir.
McCree dégaina et tira. La balle ne fit que traverser l’air. Genji avait été plus rapide. Le cyborg franchit la distance qui le séparait du cow-boy en une demie-seconde, puis il frappa de son sabre.
Mais McCree avait vu le coup venir. Il fit une roulade arrière pour esquiver l’attaque, tout en saisissant une de ses grenades flash. Le projectile fonça vers Genji, qui le dévia avec son sabre.
Le cow-boy fut ébloui par sa propre grenade et le cyborg en profita pour le mettre à terre, d’un puisant coup de pied. Genji arma son bras et projeta sa lame, en plein vers la nuque de McCree.
- J’aimerais bien voir comment tu réagirais aujourd’hui, face à une même situation, lui dit la voix de Jagna, résonnant dans son esprit.
Genji arrêta sa lame, à un centimètre de la peau du cow-boy.
Les deux anciens amis restèrent immobiles une poignée de secondes. Puis Genji rengaina son sabre et recula de quelques pas.
- Adieu, McCree, dit-il. Mieux vaut que nous ne nous revoyions jamais.
Genji tourna les talons et partit, sans un regard en arrière.