Liùsaidh et le Duc du Devonshire

Chapitre 3 : Une danse éternelle

Chapitre final

3334 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 4 jours


Liùsaidh arriva devant la résidence des Carrow, anxieuse à l’idée de rencontrer ce monsieur Figgings, qui avait l’âge d’être son grand-père. La calèche s'immobilisa, et le majordome lui offrit la main pour la faire descendre. Lorsqu’elle se retrouva debout face à la porte d’entrée elle aperçut les lumières et écouta le son des rires qui s’ensuivaient. Ce son ne lui était que trop familier, car c’était celui qui avait bercé toute son enfance jusqu’à ces quatre dernières années, un son empreint d’allégresse et d’insouciance. Elle ressentit un mélange de sensations variées et resta figée, les bras le long du corps. La joie de retrouver une vie sociale se mélangeait à la mélancolie de ces bonheurs passés. Tout lui revenait en mémoire, l’amour de son père lorsqu’il l’embrassait sur le front, la bienveillance de Scott qui ne faisait que la prendre sous son aile lorsqu’elle se sentait frêle, comme à cet instant, et l’insouciance de Kenneth qui lui aurait pris la main en direction de la piste de danse afin de la faire valser jusqu’aux premières lueurs du matin.

Une main froide lui attrapa le poignet vers l’arrière et la fit revenir au moment présent. Elle tenta de s’en échapper mais plus elle essayait et plus il la serrait. Sans un regard, elle sentit cette main dure et ferme qui appartenait à son cousin William, qui s'approcha d'elle au plus près pour lui murmurer à l'oreille avec dédain.

- Observe à quel point ils te regardent tous !

Liùsaidh n'avait pas remarqué que tous les convives à proximité ne faisaient que la regarder. Il était évident qu'elle était en totale contradiction avec toutes ces femmes habillées en couleur pastel et aux cheveux blonds ou bruns. Toutes la regardaient avec un air outré devant la magnificence de sa robe, mais surtout en raison de ses cheveux roux vifs attachés à moitié par endroit. Les hommes, en revanche, semblaient étonnés, mais de manière très plaisante. William poursuivit sa tirade.

- Cette robe te donne une allure de catin. Il saisit sa main et la porta à son bras pour la faire avancer, tout en murmurant doucement. Père souhaite que je sois ton unique cavalier ce soir, à l’exception de Figgings. Alors garde-toi droite et ne me fais pas honte.

- Ce n’est pas moi qui fais honte à cette famille William. Elle le regarda d’un air de défi et avança.


La maison était ornée de fleurs de Giroflée rose et blanc agrémentées de feuillages. Des centaines de chandeliers étaient disposés dans toute la demeure. Tout y était lumineux comme en plein jour mais de manière douce. Cela créait une ambiance angélique, bien qu'avec beaucoup de richesse, mais sans rien d’ostentatoire et réalisée avec élégance. Lady et Lord Carrow se trouvaient dans le couloir d'entrée, juste avant la grande salle, pour accueillir tous leurs invités. Après avoir salué leurs hôtes, William inclina la tête en signe de respect et présenta sa cousine, qui fit une révérence digne des grandes dames.

- Lady et Lord Carrow, nous tenons à vous remercier pour votre aimable invitation. Je ne suis pas certain d’avoir eu le plaisir de vous présenter ma cousine Liùsaidh Cameron de...il s’interrompu brusquement comme s’il refusait de prononcer ces mots.

Liùsaidh prit alors l'initiative et se tourna vers Lord Carrow, tout en retirant sa main du bras de William, qui la fixa d'un air surpris.

- Lady Liùsaidh Cameron d’Achnacarry, je suis heureuse de faire votre connaissance. La beauté de votre maison est remarquable. Vous avez réalisé un travail magnifique, Lady Carrow. Ensuite, en mettant en évidence les fleurs qui l'entourent. Les Giroflées ont toujours eu ma préférence, même si elles sont peu communes chez moi en Écosse.

L’hôtesse fut très heureuse de ses paroles et fit également la révérence à Liùsaidh.

- Je constate que vous êtes une femme de goût Lady Cameron. Nous sommes enchantés de vous recevoir dans notre demeure. Vous êtes ici chez vous. Puis en lui adressant la salle de la main. Je vous invite à profiter pleinement de cette soirée.

Après avoir reçu un regard d'approbation de la part de sa femme, Lord Carrow se porta volontaire pour accompagner Liùsaidh lors de la deuxième danse. Avec grâce elle accepta l’invitation et dû reprendre le bras de son cousin pour avancer jusqu’à la salle de bal. Il ne trouva rien à redire à sa cousine tout en l'emmenant au centre des festivités, et elle fut surprise lorsqu'il lui proposa d'aller lui chercher un verre. Il la laissa seule pendant un instant, puis elle fut félicitée par sa tante, Lady Amélia, qui était restée juste derrière et n'avait manqué aucun mot de cette conversation.

- Je te félicite ma chérie, je pense que tu as réussi à impressionner Lord et Lady Carrow. Ce ne sont pas des gens faciles à séduire. En te choisissant pour la deuxième danse, il te fait un grand honneur.

- Aye je m’en rends compte. Toutefois je n’ai fait que complimenter les fleurs. Elle esquissa un sourire subtil tandis que sa tante lui effleurait la joue.

- Prends garde de ne pas parler de cette façon en présence de ton oncle ou ton cousin, ma chérie. Tu viens de les éblouir, alors poursuis sur cette voie.


Puis elle s'éloigna pour rejoindre son époux qui, à un peu plus de distance, était engagé dans une conversation avec une famille londonienne que Liùsaidh ne reconnaissait pas. Elle ne resta pas seule longtemps, car William arriva rapidement avec deux flûtes et lui en proposa une. Elle la saisit de manière hésitante, étonnée par cette grande générosité, but une gorgée puis la remit sur le plateau que tenait un valet de pied derrière elle. 

La musique débuta et Liùsaidh commença à fermer les yeux tout en souriant. Depuis de nombreuses années, elle n'écoutait que la musique qu'elle produisait elle-même en l'interprétant au piano. Ses pieds commencèrent à marquer le rythme et dans un souffle presque inaudible, son cousin lui attrapa la main et l'invita à danser. Au départ, surprise, elle s'apprêtait à décliner sèchement, mais après réflexion, elle choisit d'accepter l'invitation pour ne pas le contrarier. Elle avait surtout un grand désir de danser.

Ils s'avancèrent vers la piste de danse, se mirant sans échanger un seul mot tout en dansant. William avait une expression qu'elle ne lui avait jamais connue auparavant, et paraissait savourer ce moment. Il ne manqua pas de lui dévoiler ses dents qui, semblait-il, devaient représenter un sourire. Liùsaidh en fut tellement surprise qu'elle manqua un pas et le fit trébucher. Il retrouva instantanément son identité propre.

- - Espèce d'imbécile, je savais que tes tentatives de séduire Lord Carrow n'étaient que tromperies.


Il lui lâcha les mains et la quitta, la laissant seule au beau milieu de la piste de danse alors que la musique et les danseurs tout autour d'elle poursuivaient leurs mouvements. Elle en fut surprise et se faufila dans la salle de la façon la plus élégante et discrète possible, afin de se sortir de ce malaise et se dirigea vers les jardins. Elle n'aimait pas être au cœur de l'attention et préféra sortir prendre un bol d'air frais en attendant le début de la seconde danse, promise à Lord Carrow.

C'est alors qu'elle s'installa sur un banc à proximité d'une fontaine et se mit à l’observer. Elle dépeignait un enfant adossé à un tronc, tenant son chapeau dans ses mains, d'où s'écoulait de l'eau. L'enfant affichait un visage joyeux et paisible, avec une petite touche espiègle qui le faisait ressembler au jeune Kenneth. Une larme glissa sur sa joue tandis qu'elle se mit à jouer avec son collier d'agate. Elle savait que si son partenaire de danse avait été son frère et qu’elle lui avait accidentellement écrasé les pieds, comme William, Kenneth aurait ri et aurait poursuivi la danse avec enthousiasme. Elle ressentait un tel manque de sa vie passée, cette joie et cette liberté d'être elle-même sans avoir à se soucier de ses actions. Elle avait toujours fait preuve de force et de caractère, mais elle ne se reconnaissait plus depuis son séjour en Angleterre. Bien sûr, la séparation de sa famille lui pesait, mais il y avait aussi cette obligation de se conformer et de se dissimuler constamment pour ne pas contrarier les Duncan, ou du moins son oncle et son cousin. Elle avait laissé échapper cet enthousiasme, cette passion qu'elle avait en elle et désirait ardemment retrouver cette jeune fille Ecossaise qui était confiante en l'avenir. Tout à coup, elle choisit de se défaire de ses chaussures, ferma les yeux, se leva et commença à danser en accord avec le rythme musical.


********************


Rhys était chez les Carrow depuis un peu moins d'une heure, et il était juste de dire que la soirée s'annonçait longue. Il avait promis à sa mère et à sa sœur de fournir des efforts, mais pas au point d'inviter une jeune femme sur la piste. Il passerait son temps à danser avec Hannah et à converser dans le salon réservé aux gentlemen avec ses frères. Un léger émoi avait été perceptible à l'arrivée de la famille Duncan, mais Rhys n'avait pas tenté de saisir la cause de cet agissement. Il n'a jamais soutenu cette famille qu'il jugeait trop désagréable, avec un fils qui manquait totalement de respect pour les serviteurs et d’autant plus pour les femmes. Sa sœur lui avait confessé avoir été attirée par William Duncan il y a quelques années, mais heureusement, il avait a su déceler la véritable nature trompeuse du garçon derrière son sourire angélique, et à réussir à éloigner sa sœur à temps. Hannah avait écouté son frère et s'était tenue à l'écart de ce vaurien, sans jamais vraiment réussir à l'oublier.

Il observa discrètement les convives et laissa échapper un soupir léger en pensant à cette réception qui lui semblait interminable. Il n'avait pas assisté à une soirée sociale depuis presque deux ans, non par faute d'invitations, mais plutôt par manque d'enthousiasme. Et pourtant, il n'avait jamais eu de problèmes avec ces soirées par le passé, il les avait même appréciées, mais à ce moment-là, il n'était pas seul. Il n'avait pas eu à éviter ces mères qui cherchaient à marier leurs filles au premier homme venu. Il avait à ses côtés sa fiancée, Cassandra Grantham, et consacrait son temps à la faire danser, ce qui le comblait de joie. À part sa sœur, il n'avait jamais dansé avec une autre femme depuis six ans et ne prévoyait pas de changer cela.

Il aperçut Andrew et James qui lui faisaient signe au loin et décida de les rejoindre. Il entreprit de prendre un verre de whisky proposé par l'un des valets de pieds des Carrow et se dirigea vers le salon. Un immense nuage de fumée avec son odeur désagréable avait déjà fait surface. Il plissa légèrement les yeux et se dirigea finalement vers la bibliothèque qui se trouvait juste à côté. La calme de la pièce lui fut profitable et il s'affaissa dans le fauteuil situé juste en face de la cheminée qui crépitait agréablement. Il déposa son verre sur la table voisine et se massant lentement les tempes, il tenta d'écarter les pensées de Cassandra qui commençaient à le submerger à nouveau. Il peinait à refaire surface depuis sa disparition et n'en avait pas vraiment le désir non plus. Il saisit de nouveau son verre, le vida d'une seule gorgée puis le reposa brutalement. À ce moment-là, des voix puissantes résonnèrent dans le salon à côté et il prêta attention.

   - Décidemment il n'en rate jamais une pour se faire remarquer ce Duncan.

- A sa place je n'aurais jamais abandonné cette belle créature au beau milieu de la piste de danse. Dit la seconde voix.

- Belle peut être mais trop Ecossaise pour moi. Je n'ai jamais vu une femme aussi peu à sa place. As-tu vu ses cheveux ? Et ne parlons pas de son accent. Très peu pour moi.

- Tu fais bien ton difficile, pour un soir je suis certain que son accent ne te déplairait pas.

Puis ils se mirent à rire d'une façon grasse et vulgaire. Rhys en avait assez entendu et préféra partir de la bibliothèque et se dirigea vers les jardins à la recherche d'un vrai moment de calme. 


L’air était frais mais agréable, et le seul son que l’on entendait était celui des fontaines qui ruisselaient doucement. Il décida de s’asseoir dans un coin à l’abris des regards et contempla le ciel dégagé. Il savait qu’il allait devoir bientôt regagner la salle, car il avait promis plusieurs danses à Hannah, et la musique venait de recommencer à jouer, mais il se permis tout de même quelques instants de répits. Il entendit soudainement un léger bruit de pas sur sa gauche et se concentra d’un regard pour y voir une jeune femme qui semblait danser seule au beau milieu du jardin, juste à côté d’une fontaine. Elle devait être là depuis un certain temps mais il ne l’avait pas aperçu. Rhys était trop caché pour qu’elle puisse l’entrevoir, et l’observa intensément. La jeune femme possédait une beauté rare et diffusait une verdeur qu’il n’avait pas vu depuis très longtemps. Elle semblait à la fois heureuse, pleine de vie mais aussi triste à sa façon de danser. Elle faisait tournoyer son corps tout en levant les mains au le ciel. Rhys esquissa un sourire en apercevant les pieds dénudés de la jeune femme, qui avait sans doute abandonné ses souliers pour plus de commodité. C'était un geste des plus inhabituels pour une dame, particulièrement lors d'une soirée de cette envergure. Si quelqu'un remarquait sa tenue, sa réputation serait établie.

Sans savoir pourquoi, Rhys se leva doucement de son banc et s’approcha de la jeune femme comme si une force invisible l’attirait vers elle. Elle cessa brusquement de danser en le remarquant, mais plutôt que d'avoir l'air embarrassée ou troublée, elle lui dédia un sourire tendre, tout en inclinant légèrement la tête. Elle leva alors la main vers lui pour l'inviter à se joindre à sa danse. Sans hésiter, ses jambes furent attirées vers elle et il se retrouva à quelques centimètres. Ils demeurèrent silencieux, se scrutant pendant quelques instants, comme si l'univers qui les entourait s'était volatilisé. Il lui saisit doucement la main droite et ressentit un frisson traverser l'ensemble de son corps. Ils se mirent à danser en entendant la mélodie émanant de la maison, tout en continuant de se regarder. Il la fixait avec une grande intensité, incapable de saisir ce qui se passait en lui. Il contemplait les mèches de ses cheveux qui tombaient sur sa nuque, lui conférant une apparence angélique. Elle possédait une beauté qu'il ne lui avait été jamais donné de contempler auparavant, avec sa bouche charnue, son nez retroussé rehaussé par ses quelques taches de rousseur, la douceur de sa peau et l'éclat de ses yeux. Il n'avait jamais observé de yeux en amande aussi magnifiques, d'un vert émeraude intense, semblables à celle de sa robe. Leurs souffles se confondirent et ils dansèrent sans interruption au son de la musique, comme si le temps était suspendu. Tout ce qui importait était la douceur de sa main sur la sienne et son odeur florale qui paraissait aussi étrangère et indomptée qu'elle. Soudainement, Rhys, trop hypnotisé par la beauté fascinante de la femme, trébucha sur la fontaine qui était à côté d'eux et manqua de chuter. La jeune femme laissa échapper un rire cristallin et ne parvint pas à s'arrêter, ce qui provoqua également un sourire chez Rhys qui commença à l'accompagner. Leurs mains demeuraient toujours enlacées et leurs éclats de rire résonnaient à travers tout le jardin, surpassant le bruit de la musique et des fontaines voisines.

Tout à coup, une ombre apparut à proximité d'eux, et ils s'écartèrent comme si quelque chose les avait piqués, mais la silhouette c'était évanouie dans une autre allée. Il se regardèrent à nouveau, légèrement gênés, puis Rhys se racla la gorge et se prépara à se présenter, car sa seule obsession à cet instant était de découvrir l'identité de cette mystérieuse femme aux yeux vert émeraude. Toutefois, contre toute attente, elle lui sourit, prit ses chaussures et se dirigea vers la maison. Rhys se trouva tout à coup seul au cœur du jardin, envahi par ce sentiment curieux qui ne cessait de le troubler. Il observa sa main tout en repensant à la sensation de la paume de la jeune femme contre la sienne. Il n'avait pas éprouvé cela depuis Cassandra, et cela le troublait profondément.

Il fut alors attiré par un morceau de tissu qui gisait au sol près de la fontaine. Il se pencha pour le ramasser et le toucha délicatement du doigt. C'était une étoffe en tartan jaune, bleu et beige, qui avait été transformé en bracelet. Il devait appartenir à la jeune femme qui l'avait probablement égaré pendant cette danse enchanteresse. Il l'observa attentivement quelques instants, le plaça délicatement dans sa poche et se dirigea également vers la maison des Carrow. Il avait pour mission de lui rendre son bracelet, mais plus que tout, il souhaitait découvrir qui elle était.

Dès son arrivée dans la salle de bal, il la rechercha du regard et la repéra enfin, au fond, en compagnie de nul autre que William Duncan. Il observa, avec une certaine distance, la scène qui se déroulait devant lui et ne comprenait pas pourquoi la jeune femme semblait si troublée voir effrayée. Lorsqu’il vit William lui agripper le bras et l’emmener au dehors de la maison son poing se serra, et un mauvais présentiment s’empara de lui. Il fallait qu’il sache ce qui se passait et pourquoi elle semblait sous l’emprise de ce scélérat de Duncan. Il heurta les personnes qui se trouvaient sur son chemin tout en présentant ses excuses, mais de façon brusque, jusqu'à ce qu'il atteigne enfin le devant de la maison. Il courut jusque sur la route, mais c’était trop tard, la calèche des Duncan était déjà partie emportant avec elle l’étincelle qui lui avait redonné gout à la vie l’espace de quelques instants. Il mit sa main à la poche et en sortit le bracelet qu’il commençait à serrer délicatement dans son poing. Il devait la retrouver.


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