Je t'attendrai
Chapitre quinzième,
« Et bah, on est bien silencieux, kaizoku*! » (*pirate)
Elliot se tenait fièrement, le torse semi-bombé, les bras croisés sur sa poitrine. Il rejeta en arrière ses cheveux couleur argent, et un sourire semi-satisfait s'afficha sur sa face. Il toisa ledit pirate qui se tenait à quelques mètres de lui. Il était grand, plus grand que lui, et plus costaud. Vêtu de son foutu costard noir, ses soyeux cheveux blonds tombant sur son visage, il fit glisser ses doigts le long de sa cravate, puis se prit une nouvelle cigarette avec nonchalance. Elliot grimaça et jura intérieurement. Pour qui se prenait-il, celui-là, à l'ignorer de la sorte ?
« Tu as perdu ta langue ? » Reprit l'adolescent, ses dents blanches dévoilées au grand jour.
Sanji, les yeux mi-clos, était adossé contre le mur. Ils s'étaient tous deux rendus dans une pièce adjacente de la grande salle, et étaient maintenant seuls. Il dégaina son briquet et mit feu à l'embout de sa clope. Avec décontraction, il tira dessus une première fois. Puis il rejeta légèrement sa tête en arrière et ferma complètement les yeux, avant de souffler la vapeur grise. Elliot fut d'ailleurs agacé de la classe avec lequel il exécutait ces simples gestes. C'était quoi ce type, bon sang ?
« Je pourrais comprendre, évidemment. » glissa-t-il ensuite.
Son œil droit masqué par sa mèche blonde, Sanji ouvrit le gauche et fixa le plafond, tout en inhalant une seconde bouchée de fumée. Sa main libre tomba le long de son corps, avant de venir trouver la poche de son pantalon, et il posa son pied gauche contre le mur. Elliot haussa un sourcil et serra les dents. Il allait se le faire, ce foutu gentleman.
« Serais-tu en train de te défiler ?» Enchaîna-t-il, provocateur.
Après avoir savouré les premières saveurs de sa cigarette, Sanji passa son pouce sur la naissance de sa barbe, le regard en l'air.
- Me défiler ? Répéta-t-il pensivement, enfin. Non. Mais sache que si c'est ce que tu avais prévu de faire, je te ne laisserais pas fuir.
- Te fous pas de moi, siffla Elliot entre ses dents grinçantes, bien moins calme, et agacé par tout ce contrôle et cette indifférence dont faisait preuve le blond.
Sanji se redressa, tout en restant contre le mur, abaissant sa tête.
- Aurais-tu peur ? Demanda Elliot.
- Je ne peux pas avoir peur d'un lâche comme toi, se contenta de répondre le cuistot, sans même le regarder.
L'adolescent grimaça davantage, se mordant les lèvres.
- Enfoiré, je vais t-
Le pied gauche de Sanji retomba au sol avec lenteur, alors qu'il continuait de tirer sur sa cigarette embrasée.
- Tu t'en es pris à des femmes, annonça-t-il avec neutralité, tout en dégustant les vapeurs qui envahissaient ses poumons et son être.
- Et alors ? Cracha le jeune homme en face de lui, une expression mauvaise sur son visage juvénile.
Laissant sa clope en équilibre entre ses lèvres, Sanji desserra imperceptiblement sa cravate de couleur grenat.
- Tu as fais souffrir deux femmes.
Elliot se tut, sceptique.
- Non, se rectifia le blondinet. Tu as fais souffrir Elena. Tu as fais souffrir Elena et Nami.
Son adversaire fronça les sourcils. Le blond se redressa complètement et se décolla du mur.
- Elles ont toutes les deux pleuré. Elles ont toutes les deux souffert. C'est de votre faute si elles ont été blessées. C'est de votre faute si les larmes ont coulé de leurs yeux. Et ça... Et ça, je ne le vous pardonnerais jamais.
Elliot eut un sourire. Il pencha la tête sur le côté.
- Mais c'est qu'il a l'air en rogne, dis donc, le blondinet ! S'écria-t-il avec mesquinerie.
Ledit blondinet fit un pas en avant, puis deux.
- Je le suis, commença-t-il.
Sanji tira une dernière fois sur sa cigarette, avant de l'éteindre du bout de ses doigts. Il plongea son regard sombre dans celui de son ennemi, et lâcha :
« Alors ramène-toi, kono yarou* »
Et là, il fit tomber sa cigarette.
Dans une autre pièce, un peu plus loin, avait été séparé un second duo d'ennemis. La salle était grande, autant espacée en longueur qu'en largeur, mais aussi très sombre et délabrée. Parfaite pour ce type de combat, avait pensé Zoro. Il n'avait pas besoin de lumière pour se battre, et il devina au sourire de son adversaire qu'il en était de même.
L'adversaire en question poussa un hurlement de rage pour la trentième fois et l'instant d'après, une vingtaine de gros serpents sifflants lui fonçaient dessus avec la célèbre vitesse de ces foutus reptiles. Zoro grimaça. Il n'aimait pas ces animaux. Fourbes, vicieux et lâches : tout ce qu'il détestait. Il se fit donc un plaisir de tous les trancher d'un simple coup d'épée, comme il le faisait depuis une dizaine de minutes. Mais évidemment, lorsque leurs corps furent séparés en deux, ils se dédoublèrent et de nouveaux serpents, bien que plus petits, prirent naissance. Le bretteur soupira, agacé. C'était le même manège depuis le début.
La source de ses problèmes était une femme plutôt grande, avec d'immenses cheveux couleur lavande, de grands yeux reptiliens exorbités, une peau pâle, un répugnant visage teinté de perversité et une horrible langue fourchée. Elle était vêtue d'une longue robe couleur prune qui dissimulait ses jambes mais dévoilait presque entièrement sa poitrine disproportionnée et titanesque. Ses doigts étaient crispés, et elle arborait une position plutôt primitive, comme prête à lui bondir dessus à chaque instant. Une plaie décorait son ventre, d'où son sang continuait à couler, sang qui se transformait par ailleurs en minuscules serpents violets dès qu'il touchait le sol. Snaky, c'était son nom. Et il lui allait à merveille.
Depuis maintenant pas mal de temps, ladite Snaky ne cessait de harceler Zoro, le bombardant de dizaines de reptiles, à chaque seconde, l'insultant presque aussi souvent. Le pirate avait également découverts qu'il y en avait de différents types : certains étaient plus rapides, d'autres étaient plus venimeux, ou encore plus puissants, plus discrets que d'autres, etc. Il y en avait même qui avaient la possibilité de se rendre invisible, et qui tentaient de s'approcher de lui. Mais Zoro était plus fort que ces vulgaires ovipares. Il n'avait pas peur.
Alors le combat dura ainsi, durant de longues minutes. Mais quand le bretteur en eut marre, la donne changea avec brutalité. Zoro soupira. Il ne pouvait pas se permettre de s'éterniser avec une typesse comme elle. Alors il se décida à être sérieux, ou du moins, à agir. Le résultat fut instantané. Combinant son Haki à son art du maniement du sabre, il supprima en une seule attaque la totalité des serpents de la pièce, provoquant la colère frénétique de Snaky qui ne cessait de prendre en intensité. Elle s'apprêtait visiblement à se jeter sur lui, mais elle s'arrêta en pleine action dès lors qu'elle le vit fermer son seul œil restant. Oi, …
Puis, après quelques instants, il rouvrit son seul œil opérationnel et le plongea dans le regard de Snaky. Elle eut un bref sursaut. Malgré la distance qui les séparait, celle-ci fut scotchée par l'intense lueur qui brillait dans son unique prunelle. C'était une lueur... Animale. Une lueur sauvage. Zoro vit bien qu'elle n'était pas rassurée, tout à coup, et un sourire étira ses lèvres lorsqu'il remarqua les gouttes de sueur qui prenaient naissance sur sa face.
« C'est à mon tour, tu ne crois pas ? » Lâcha-t-il avec un sourire.
Snaky déglutit. Elle s'immobilisa. Quelque chose avait changé. Quelque chose avait changé dans l'atmosphère, dans la pièce. Quelque chose avait changé chez lui. Et lorsqu'il fit un pas vers elle, son sang se glaça dans ses veines.
« Non... »
Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle aurait voulu parler, elle aurait voulu crier, lui hurler de rester loin d'elle, mais ses cordes vocales ne semblaient pas vouloir coopérer. Zoro semblait prendre tout son temps. Il souriait, son œil solitaire rivé dans ceux de sa victime. Et là, Snaky sembla comprendre. Ce type... Il n'était pas normal.
« N'approche pas... »
Snaky était devenue muette. Mais ce n'était pas tout. A mesure qu'il se rapprochait d'elle, elle sentait son estomac se serrer, sa gorge se nouer, ses organes se compresser. Comme si, à son approche, son enveloppe charnelle s'abandonnait à un état second et perdait ses capacités. C'était quoi... ça ? Qui était-il, bordel ?
« Je ne peux pas bouger ! »
Elle aurait du se jeter sur lui, l'attaquer, le blesser, mais son corps n'obéissait plus. Quel était ce pouvoir ? Elle avait perdu l'usage de la parole, l'usage de son corps. Elle était paralysée. Complètement paralysée. Tout ce qu'il lui restait... Ses yeux, son esprit.
Sa lèvre inférieure se mit à trembloter. La flamme sauvage qui brûlait en lui, l'aura imposante qui émanait de lui, l'effroyable instinct animal qui se lisait sur son visage. Il était dangereux... Bien trop dangereux. Une certaine appréhension s'empara d'elle.
« Oi, oi... »
Une appréhension tellement puissante qu'elle se mit à brusquement trembler de toute son âme, de tout son être. Ce type... C'était une bête, un animal. Un monstre.
« Et bien, qu'y-a-t-il ? Fit-il, son sourire carnassier toujours plus grand. Tu ne m'insultes plus ? »
Il la tenait par le regard, et elle le sentait pénétrer en elle, comme s'il s'insinuait dans son esprit, y répandant le chaos et la détresse. Tous ses membres se mirent à vriller, elle perdit tout contrôle. Lui...
Il n'était maintenant qu'à quelques mètres d'elle. Il rengaina deux de ses sabres, pour n'en garder qu'un. Celui à la lame sombre, aux teintes violettes et rouges. Sa mine s'assombrit. En détaillant la lame, Snaky se crut chanceler. La pièce lui sembla soudainement encore plus ténébreuse.
« Tu sais pourquoi c'est en train de t'arriver, n'est-ce pas ? » S'enquit-il.
Au son de sa voix pénétrante et grondante, les tremblements de Snaky prirent soudainement une ampleur inimaginable. Une détresse délirante et endiablée l'envahit. Non, cela allait plus loin. Ce n'était pas uniquement de la détresse qu'elle ressentait. C'était plus fort. Plus puissant. Plus prenant.
Soudainement, le sourire du sabreur aux cheveux verts s'évapora brutalement, et la lueur qui brillait dans sa prunelle solitaire s'obscurcit effroyablement. Snaky se crut mourir. Elle avait devant elle les Ténèbres même.
Une larme se forma au coin de ses yeux, fiévreuse. Son cœur était sur le point d'imploser, une gigantesque boule s'était formée dans le creux de son corps, elle se sentait dépérir. Tout son être tremblait avec une puissance explosive et extrême. Elle était au bord de l'hystérie et c'était incontrôlable. Elle n'avait jamais ressenti ça. C'était horrible. C'était atroce. Et quand elle vit son aura prendre une teinte noire écarlate, elle écarquilla ses yeux davantage, dans la limite du possible. Il...
« Parce ce que tu l'as blessée. »
Snaky était effrayée. Terrorisée. Oui, c'était de la peur. De la frayeur. De la terreur. Elle était terrifiée. Ce type était un démon. Oui, un véritable Démon. Et là, le Démon se jeta sur elle.
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Dans l'immense pièce régnait un chaos du diable. Les combats faisaient rage de tout côté, au détriment de la jolie métisse, au centre, qui s'égosillait, ne supportant pas de regarder ses camarades se battre pour elle, sans qu'elle ne puisse rien faire.
Elena avait ses grands yeux dorés paniqués. Devant elle, Franky faisait la misère des mercenaires avec ses capacités de cyborg, les bombardant de tirs, de lasers, de canons, et de toutes autres armes robotiques. Un peu plus loin, se trouvait la splendide rouquine, Nami, qui, avec son grand bâton bleu, faisait tomber les soldats les uns après les autres.
« Thunder Cloud Lion Rod ! » s'écria-t-elle, invoquant du bout de son arme un long fouet de nuages noirs gorgés d'électricité.
Il fallait dire que ces deux-là s'en sortaient extrêmement bien, étant donné que la plupart de leurs attaques avait une large portée et frappait énormément d'ennemis. Mais ils n'étaient pas seuls.
Aux côtés de l'incroyable navigatrice combattait une seconde femme, tout aussi magnifique, qui assénait d'incroyables coups à ses adversaires. Estel se mouvait avec une agilité presque sans faille qui lui était propre, et même si elle n'était pas doté d'une grande force de frappe, elle touchait rapidement, précisément et sans la moindre pitié.
« C'est que j'ai eu le meilleur mentor imaginable ! » S'était-elle écriée en souriant à Elena, lorsqu'un mercenaire qui la connaissait comme tous les autres lui avait demandé où s'était-elle procurée une telle technique.
Et, un peu plus loin, à l'écart, un énième combat se déroulait, d'une violence inouïe et bien plus importante : Chopper, transformé en un imposant cerf-ours de plusieurs mètres de haut et doté d'une masse musculaire titanesque, se mesurait à Logan. Ce dernier, utilisateur d'un fruit du démon de type Zoan, s'était également métamorphosé en une horrible bête, à mi-chemin entre le singe et le lion. Ils se confrontaient l'un à l'autre avec une puissance monstrueuse qui avait balayé tous les soldats aux alentours. Leurs muscles se contractaient sous leur pelage animal et pour la première fois, le visage du blond était contracté de frustration et crispé d'animosité.
Elena balaya la salle entière. Pour la millième fois, elle tenta de se défaire de l'emprise des menottes, avec lesquelles elle ne pouvait ni s'emparer de ses sabres, ni venir en aide à qui que ce soit. Mais son effort fut vain et elle jura de frustration. Elle s'énerva contre elle-même de tant de faiblesse. Mais alors qu'elle assénait un surpuissant coup de pied à l'un des soldats qui avait tenté de s'emparer d'elle, elle tressaillit avec violence.
Un frisson lui parcourut l'échine. Elle sursauta intérieurement. C'était quoi, ça ? Que venait-elle de ressentir ? Les battements de son cœur ralentirent et elle se concentra, à l'affût. Instinctivement, elle fit lentement volte-face et riva son regard perçant sur le trou dans le mur, par lequel il s'était en allé. Ce changement... Cette énergie incroyable... Cette présence ténébreuse... Elle l'avait sentie d'ici. Elle l'avait frappée de plein fouet, et la métisse s'était soudainement sentie envahie, giflée par une vague de puissance inconnue.
Son corps entier fut secoué d'un frisson d'excitation involontaire. L'espace d'un instant, elle en oublia tout. Elle regarda autour d'elle : elle était la seule à avoir ressenti ce changement. Et lorsqu'elle regarda de nouveau par le chemin qu'il avait emprunté, elle ouvrit grand ses yeux. C'était comme si elle pouvait apercevoir les bouffées, les émanations de cet instinct animal qu'elle ressentait malgré la distance. C'était comme si elle entendait son rugissement, comme si elle le sentait. Elle le ressentait, mais ne le comprenait pas. C'était inexplicable, inexprimable. Et même avec ses étranges « capacités », elle n'arrivait pas à déterminer la véritable nature de ce pouvoir. C'était juste... Plus obscure. Plus violent. Plus sauvage. Plus fort.
Et quelque chose au sein de son être sembla réagir à cette puissance, à cette signature. Son cœur se souleva, s'emballa, vibra, son esprit fut stimulé. Tous ses sens s'éveillèrent, ses poils se hérissèrent, son instinct se raviva et elle sentit clairement que ses sabres aussi. Tout lui apparaissait clairmeent. C'était lui. Elle le savait. Cela ne pouvait qu'être lui. Il était le seul... Le seul capable de lui faire ressentir une telle excitation, une telle envie de puissance... Un tel désir.
Mais la bretteuse fut brusquement sortie de ses pensées lorsqu'un infime cri lui parvint aux oreilles. Il était presque sourd, infime, mais cette voix... Elle la connaissait. Intriguée, elle fit un tour complet sur elle-même, à la recherche de l'origine de ce bruit, mais ne trouva rien. Était-ce en rapport avec cette énergie qu'elle venait de capter ? Non, elle en doutait. Et elle compris bien vite qu'elle était la seule à l'entendre, ou du moins, pour le moment.
Elle vit Franky se figer et pousser un long soupir d'exaspération. Son corps semblait... Résonner. Le métal utilisé pour sa construction été secoué, et tremblait. Il chancela et mit quelques secondes avant de retrouver son équilibre, alors que le cri était de plus en plus fort et alertait de plus en plus de personnes.
Puis, Franky porta sa main à son ventre et fit apparaître une trappe dans son abdomen, comme si de rien n'était. Il l'ouvrit, quoi qu'un peu anxieux, et à ce moment précis, un être humain en sortit, s'écrasant au sol. Tous les mercenaires écarquillèrent leurs yeux et nombreux d'entre eux s'immobilisèrent, abasourdis et stupéfaits. Putain de merde, mais c'était quoi ce bordel ? Elena ouvrit la bouche de stupeur, et ses yeux se mirent à briller d'une intense lueur lorsqu'elle reconnut le jeune homme qui roula au sol avec puissance.
Franky et Nami sourirent ; Charles, toujours sur son trône, eut sa mâchoire décrochée. Sous les yeux éberlués de tous ceux présents ici, le brun se releva avec lenteur, la mine sombre. Une fois debout, il fit craquer son cou et s'étira les bras. Son visage était dur, son front était contracté par une colère noire, et ses yeux porteurs de ce même ressentiment.
« Luffy... » souffla Elena alors qu'il remettait en place son chapeau de paille.
Ledit Luffy se tenait droit sur ses jambes, en forme, quoi que légèrement égratigné. Il semblait avoir récupéré la totalité de son poids. Lorsque cette pensée traversa l'esprit d'Elena, elle tilta. Sanji... Il avait réussi. Un sourire illumina son esprit, mais elle se garda bien de l'afficher extérieurement. Charles lui aussi semblait avoir tilté, car il se mit à pousser une horrible et longue série de jurons tous plus grossiers les uns que les autres. Où était Shado quand on avait besoin de lui ?
Mais le pirate n'y prêta pas attention. Il se tourna vers Elena, agenouillée au sol, et la fixa longuement. Puis il s'avança vers elle. Lorsqu'il fut à proximité d'elle, il plongea son regard pénétrant dans le sien. Elle eut un hoquet de surprise. La rage qui déformait son visage ne lui était pas destinée. Aucun des deux ne parla pendant un long moment. Un assourdissant silence s'installa dans la salle : ils étaient tous suspendus aux lèvres des deux jeunes gens, et Charles n'y faisait pas exception.
Ils se fixaient l'un l'autre avec intensité, quand Luffy entama la conversation :
- Pourquoi ? Lâcha-t-il.
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi n'avoir rien dit ?
Elle détourna le regard. Il y eut un temps d'attente.
- Cela ne te... Ne vous regardait pas.
- Bien sûr que si, répliqua-t-il aussitôt.
- Non, assena-t-elle. C'est mon problème, cela n'a jamais été le votre.
Il ne répondit pas, se contentant de la fixer, alors elle continua :
- Je vous ai trahi, c'est tout ce qu'il y a à retenir. Maintenant, prenez Nami et Estel, et partez.
Elle s'arrêta un instant, baissant la tête, avant de rajouter :
- Je ne vous causerais plus de problèmes. Alors... S'il te plaît.
- C'est hors de question, rétorqua-t-il d'un ton sans appel.
A ces mots, elle releva de grands yeux sur lui.
- Qu-
- On ne va pas te laisser ici, enchaîna-t-il. Tu es des nôtres, je pensais que tu l'avais compris.
Elle serra les poings, et fuit de nouveau son regard. Son visage s'obscurcit lorsqu'elle baissa la tête, pour ne pas avoir à le regarder en face.
- Non, fit-elle sombrement. Tu... C'est toi qui ne comprends pas. Je ne suis pas des vôtres. Je ne fais pas partie de votre équipage, et je n'en ait jamais fais partie. Je n'ai pas de famille, je n'ai pas de nakama. Je ne suis pas celle que tu crois. Je ne suis pas la gentille et rigolote Elena qui plaisante tout le temps. Tu ne sais rien de moi, tu ne me connais pas, alors ne t'en mêle pas.
Elle marqua un temps d'arrêt, avant de reprendre, en s'écriant cette fois-ci :
- Pourquoi... Pourquoi ne me détestes-tu pas ? Tu devrais me haïr ! Tu devrais me frapper, m'insulter ! Pourquoi agis-tu ainsi ? Tu ne peux pas débarquer ici, et faire comme si de rien n'était ! Putain, je vous ai trahi, Luffy ! C'est ça, la véritable Elena ! C'est moi ! Celle qui a fait du mal à Nami ! Celle qui ne vous a attiré que des problèmes, depuis le début ! Celle qui a du sang sur les mains ! Celle qui ne fait que répandre le mal autour d'elle, depuis sa naissance ! Tu ne peux pas tout réécrire, Luffy... C'est moi la méchante, dans l'histoire ! Tu ne peux pas changer ça, tu ne peux pas me changer ! Alors arrête... Arrête d'essayer de me sauver ! Je n'ai pas besoin d'être sauvée, hurla-t-elle pour finir, complètement essoufflée, relevant ses yeux brillants vers lui.
Il avait posé une main sur son chapeau, l'abaissant davantage sur son visage assombri. Elena sembla alors se calmer. Elle avait réussi.
- Partez d'ici, ajouta-t-elle. Vous ne-
Mais elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase car brusquement, Luffy lui agrippa l'extrémité de son armure, la soulevant soudainement par le col avec une telle violence qu'elle eut un hoquet de surprise. Il rapprocha violemment son visage déformé de hargne du sien et hurla, comme habité par une colère follement explosive.
- FERME-LA !
Brusquée, Elena ouvrit grand ses yeux de stupeur. Que- ? Mais il ne s'arrêta pas là. Avec la même intensité, il continua, sa voix ébranlant la salle entière :
- Je t'ai déjà dit que c'était hors de question !!! Plus jamais je ne te laisserais seule !!! Quand est-ce que tu vas arrêter de tout porter sur tes épaules, hein ? Hurla-t-il. Quand est-ce que tu vas arrêter de nous rejeter ? Oui, je ne sais rien de ton passé. Et alors ?! Ce que je sais est amplement suffisant ! Tu es ma camarade, tu es mon amie ! Je te l'ai déjà dis ! Oui, je ne peux pas changer le passé. Et alors ?! Ce qui est fait est fait, on doit faire avec ! Mais le présent nous appartient, et c'est à nous de nous forger notre propre futur !!! Tu as encore le choix ! Alors arrête de te chercher des excuses ! Arrête de prétendre vouloir rester seule ! Arrête de rejeter ceux qui veulent te soutenir et t'aider ! Arrête d'essayer de me repousser, car moi, je ne te lâcherais pas !!!
Il s'arrêta alors. Il assurait toujours sa poigne de fer sur le col d'Elena qui semblait littéralement en état de choc. Ses yeux semblaient sur le point de s'échapper de leurs orbites, sa bouche était ouverte d'effarement. Mais qu'est-ce que... ? Elle semblait avoir perdu l'usage de la parole, l'usage même de son corps.
Puis, il ajouta plus calmement : « Si tu n'as pas de famille, alors nous serons ta famille. »
Les bras d'Elena tombèrent le long de son corps. Cette journée avait été riche en émotion, mais ça... Ces paroles, c'était... Il n'y avait aucun mot pour décrire ce qu'elle ressentait. Un silence de plomb se mit à régner dans la salle, et Luffy lâcha Elena, qui tomba aussitôt à genoux. Son corps était vidé de toute force, elle semblait avoir été plongée dans une sorte de comas, une sorte d'état second.
Mais à cet instant précis, une horrible voix se fit entendre, et on entendit hurler : « Allez-y !!! Emparez-vous d'eux !!! Vite !!! »
Eux-même pris de court, les soldats se regardèrent les uns les autres, incrédules. Mais Charles reprit, criant de plus belle : « Virez-moi ces déchets, immédiatement !!! Je vous l'ordonne ! »
Mais eux non plus n'eurent absolument pas le temps de faire le moindre pas, car quelque chose d'inédit se produisit sous leurs yeux effarés. Luffy fit volte-face. Son visage était déformé par la rage, ses yeux brillaient maintenant d'une lueur effrayante et menaçante, une veine était apparue sur son front contracté, et ses dents étaient tout aussi serrées que ses poings. Il lui suffit d'un regard.
Oui. Il lui suffit d'un seul et unique regard. Son pouvoir s'activa de lui-même et sans qu'ils n'eurent compris le pourquoi du comment, tous les mercenaires s'évanouirent et tombèrent sur le sol, raides comme des morts. Logan, qui continuait son combat avec Chopper, ouvrit grand ses yeux. Alors c'était ça, le Haki Royal... Il vit Charles chanceler et lutter pour s'évanouir. Son visage était habité par une réelle peur de l'ennemi dont il n'arrivait pas à détacher son regard.
Mais quand il vit que Luffy gravissait les marches pour s'approcher de lui, le Chef se mit à paniquer davantage et s'écrasa contre son fauteuil avec affolement. En le voyant ainsi, Nami ne put s'empêcher de faire le parallèle avec l'épisode de l'Archipel Sabaody, quand son précieux Capitaine s'en était pris au Tenryubito, ayant tiré sur leur ami Hacchi. Il avait toujours été comme ça, même pour elle. Et aujourd'hui, en ce moment-même, Elena ressemblait énormément à la Nami de l'époque. Cette fois-ci, le visage de Luffy était d'ailleurs tout aussi effrayant, si ce n'était plus. Sa mâchoire était crispée, ses muscles contractés. Il fit craquer les jointures de ses poings sous les yeux de la sabreuse qui ne semblait toujours pas réaliser.
Cette dernière n'en revenait pas. La rage qui l'habitait... Elle était si puissante, si noire. Sa haine semblait tout aussi intense que celle qui la rongeait de l'intérieur. Comment était-ce possible ? C'était comme si il ressentait... Comme s'il comprenait exactement ce qu'elle ressentait. Et là, comme si il jugeait que la distance était trop longue, Luffy prit appui. Le carrelage se brisa. Et l'instant d'après, il se propulsait avec une puissance inhumaine vers Charles qui s'était figé de terreur. Son poing entra rapidement en contact avec le visage de cet être ridicule. Mais l'impact ne se fit pas de suite.
C'était comme si son bras élastique accumulait la puissance. Une puissance titanesque. Un craquement se fit ressentir. Au même moment, Luffy se mit à pousser un cri de hargne qui résonna dans la bâtisse toute entière. Son rugissement de rage fit tressaillir Elena, qui avait été secouée jusqu'au plus profond de ses entrailles.
Luffy...
Et ce fut à ce moment précis que l'impact se fit. Le Pirate au Chapeau de Paille relâcha toute la puissance de son membre et le corps tout entier de Charles se déforma sous la force du choc, avant d'être propulsé à l'opposé de la pièce. Il s'écrasa contre le mur de derrière avec une violence hors du commun et de l'ordinaire, son enveloppe charnelle complètement difforme et ensanglantée. Puis, ce réceptacle inerte retomba au sol, les yeux complètement vides de vie, laissant un creux béant dans le mur en question.
Durant un long moment, personne ne bougea, ni même Chopper et Logan. Mais soudainement, Luffy se mit à aspirer l'air avec un tel débit que les molécules qui le composaient en devinrent visibles. Il aspira, aspira, aspira, jusqu'à en faire gonfler son torse de caoutchouc. Lorsqu'il eut atteint ses limites, il ferma sa bouche. Un temps d'attente se fit. Puis, avec une brusquerie qui lui ressemblait bien, il hurla, relâchant tout le souffle qu'il avait accumulé :
« TU ES MA NAKAMA, ELENA !!! »
Bien évidemment, tout se mit à trembler, que ce soit la terre, ou ceux qui la peuplaient. Mais ces tremblements n'étaient rien comparés à ceux qui agitaient Elena. La concernée flancha instantanément. Pas à cause de la puissance de ce cri inhumain qui avait manqué de faire écrouler la bâtisse dans sa totalité, mais plutôt par la puissance de ses mots. Elle avait été surprise et choquée à de nombreuses reprises durant cette journée, elle avait même pleuré pour les premières fois de sa vie. Mais là... Là... Là, c'était vraiment trop pour elle.
Il lui fut impossible de se contrôler. Les larmes ruisselaient déjà sur son visage avant même qu'elle ne s'en rende compte, avec une intensité qu'elle n'avait jamais connu, même plus tôt dans la journée. Elle sentit une main se poser sur son épaule et lorsqu'elle se retourna, elle vit Sanji, une nouvelle cigarette à la bouche, qui la fixait, un sourire sur les lèvres.
- Vous n'avez pas le droit..., sanglota-t-elle, ses yeux de plus en plus brillants. Vous n'avez pas le droit de me pardonner.
Sanji s'approcha d'elle, et lui adressa un sourire empli de sincérité et de bons sentiments.
- Tu étais pardonnée depuis le début, Elena, fit-il tendrement, en posant sa paume sur ses cheveux couleur ébène. Mais maintenant, tu dois te pardonner toi-même.
Et là, Elena craqua complètement. Littéralement. Ses yeux rivés dans ceux de son ami, elle relâcha tout. Ses lèvres se tordirent, ses yeux se plissèrent, et elle se mit à pleurer comme jamais elle n'avait pleuré. Elle se couvrit le visage de ses mains tremblantes et déjà humides, secouée de violents soubresauts. Les gémissements s'échappèrent de ses lèvres sans la moindre difficultés, avant de se transformer rapidement en cri de ressenti.
A l'instar de Chopper – pourtant en plein combat – Estel et même Nami manquèrent de se mettre à pleurer elles aussi, ce que Sanji remarqua avec un sourire attendri. Même Franky s'y mettait.
Elena déversait tout. Elle criait tout ce qu'elle n'avait jamais pu crier, elle pleurait toutes ces larmes qu'elle n'avait jamais pu verser. Elle hurlait à s'en briser la voix, pleurait à s'en faire exploser les yeux. Tout ce qu'elle n'avait jamais pu dire, jamais pu exprimer, était en train de se déverser sur le sol, à mesure que ses larmes s'échappaient de ses yeux. Elle frappa ses poings contre le sol et se colla le front contre le carrelage froid. La délivrance d'Elena commençait à peine.
Sanji regarda autour de lui et poussa un soupir intérieur. Où était ce foutu cactus vert quand on avait besoin de lui ? Enfin.
Mais au bout de quelques minutes, la métisse se figea net, sans que personne ne comprenne pourquoi. A cet instant précis, ils la virent tous changer. Complètement. Et à vrai dire, personne ne s'attendait à ce qui allait succéder. Alors, quand elle se redressa lentement et riva ses yeux vers la porte principale, qui avait été précédemment tranchée par Zoro, ils firent tous de même et suivirent son regard. Ils durent attendre quelques instants pour pouvoir entendre les bruits de pas que la bretteuse avait perçus il y a de cela bien longtemps.
Luffy se retourna complètement et retira son précieux chapeau de paille. Nami et Estel se rapprochèrent instantanément d'Elena, par pur instinct. Elles aussi, elles avaient fini par reconnaître ces pas lents et assurés. Franky plissa ses yeux. Sanji suspendit sa cigarette, son visage se ferma.
Et là, il apparut.
Ce n'était pas Zoro, non, comme ils l'avaient tous espéré.
C'était son opposé même.
Le pire cauchemar d'Elena.
Il était là.
Shado.