Le renardeau

Chapitre 1 : Le renardeau

Chapitre final

5024 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/05/2022 00:44

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Retour en enfance - (mai juin 2022)



"Ne vous laissez pas faire, capitaine ! Envoyez cette grande perche au tapis !


— Ouais, elle a raison, vous laissez pas faire !" S'exclama l'ensemble de l'équipage en cœur, porté par la voix de la jeune femme.


Toute l'île vibrait en cette fin de troisième épreuve renversante, équipage pirate contre équipage pirate. Les regards étaient portés sur un duel décisif entre les deux capitaines, où tous les coups étaient permis : un vrai duel pirate ! Mais le capitaine de l'équipage qui nous intéresse venait de valser dans les airs et s'était soudain aplati sur le sol. Son adversaire, très grand et au visage bourru, se rapprochait sans hésiter pour asséner une frappe décisive et en terminer avec le match. Pendant ce temps, l'autre bougre gisait au sol et les poings enfermés dans ses gants de boxe ne bougeaient pas d'un millimètre. Tandis que les encouragements du public peinaient à le maintenir conscient, sa vie défilait devant ses yeux…


"Jeune homme, arrêtez de dormir en classe si vous voulez un jour devenir l'élite et entrer dans la Marine !" Fustigea la professeure éreintée.


Le gamin visé releva la tête, dont les traits du visage n'avaient rien d'un don de la nature. La marque de sommeil qui traversait ses joues sèches d'un bout à l'autre était en revanche le fruit d'un travail laborieux, de plusieurs dizaines de minutes de sommeil. Encore dans les vapes, le garnement réagit de façon inconsciente.


"Oui madame, pardon madame ! Désolé madame." Cria-t-il du fond de la classe. En retour, il ne reçut qu'un dédaignant "tss...", comme si ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Et à peine la professeure avait-elle appuyé sa craie sur le tableau noir que le garçon marmonna pour lui-même : "D'façon, c'est trop nul marine…", accompagné d'un rire mesquin qui en énerverait plus d'un.


Mais malheureusement pour lui, sur cette petite île située à South Blue, à part être un soldat de la Marine, il n'y avait pas beaucoup de carrières disponibles… Seul le vaste océan attendait les enfants qui naissaient ici, avec toutes les difficultés que cela entraînait. Une fois adultes, la plupart des garçons prenaient la mer, et ceux qui restaient le faisaient par amour. Ils permettaient ainsi à la population de l'île de perdurer et vivaient un quotidien paisible au village, avec au sud une grande plaine qui s'étendait jusqu'à la côte, et au nord une forêt dense, refuge d'animaux en tous genres, et donc de nourriture. Cette protection naturelle faisait du hameau isolé un havre de paix. Malgré la communauté paisible, la paix… Des exceptions survenaient de temps à autre. Des personnes qui ne profitaient pas de cette paix si bien instaurée. Des enfants même, tel que celui qui ne semblait pas vouloir se plier à la discipline de sa maîtresse.


A peine les cloches retentirent qu'il quitta la salle de classe en trombe sous les rires des autres élèves, tirant la langue à sa professeure sans penser aux conséquences du lendemain matin. Il traversa la rue principale du village, dessinée par les maisons en bois qui la bordaient, et fila vers la forêt où l'attendait un ami.


"Eh ! Kaila !" Projeta-t-il à l'autre bout du chemin blanc pour avertir son ami, certes affalé sur le sol, mais impatient. Les grands yeux bleus de Kaila s'illuminèrent lorsqu'il entendit son nom et il se leva immédiatement.


"Te voilà ! Viens, viens, on va tout préparer !" Se précipita Kaila en tirant son compagnon vers l'orée de la forêt. Ils se dirigèrent vers un tas de babioles qui brillait près d'un des arbres. Juste à côté se trouvait une paire de gants de boxe de piètre qualité, un peu usée. Le garnement lâcha la main de son ami et enfila l'un des gants, trop grand pour lui, puis frappa sans discontinuer sur l'arbre adjacent pour passer ses nerfs.


"Grrr ! La maîtresse m'a encore grondé ! Ses cours sont nuls ! Moi, je veux juste m'amuser, l'école ça sert à rien !" Affirma-t-il avec un peu de mauvaise foi.


Son ami répliqua sèchement : "pourquoi t'y vas encore ? Ca sert à rien l'école."


Cela énerva d'autant plus le gamin qui, ne trouvant rien à répondre, frappa encore plus fort l'arbre, sans pour autant lui faire la moindre égratignure. Le gant finit par se décrocher avec l'élan, ne tenant pas au poignet trop maigre de l'enfant, et une dernière frappe à nue décrocha des bouts d'écorce. Un cri de douleur survint suite à l'impact.


"Te fais pas mal ce soir, idiot !" Kaila s'assura que ses paroles ne deviennent pas un mauvais présage et s'approcha de son ami pour passer sa main autour de la blessure. Il rajouta pour le réconforter : "t'inquiètes pas, c'est rien ça !" Puis il le fixa dans les yeux. "Ce soir, on met la fête au village !" Le petit garçon blessé acquiesça d'un sourire rassuré, puis fourbe, montrant ses dents blanches et relevant son fier menton carré.


"Oui, on va s'amuser !"


Les deux garçons se groupèrent autour des babioles nécessaires à la fête. Clous, petites planches de bois, ficelle, allumettes… Il y avait tout un arsenal à disposition pour créer la plus fantastique des combinaisons. Kaila avait passé la majorité de sa journée à mettre au point son plan plutôt que d'aller à l'école. A force d'acharnements, il avait fini par comprendre comment construire un bûcher, assembler un drapeau… Et ainsi organiser une vraie fête nocturne au centre du village ! Il expliqua toutes ses idées à son acolyte, pas très futé mais toujours prêt à s'amuser. Les yeux du garnement brillèrent de malice devant tant d'idées ingénieuses. Il s'imaginait déjà tendre des pièges aux adultes, qui ne sauraient jamais rien de l'identité du coupable. Mais ce qu'il attendait le plus, c'était le rire de ses camarades, à la fois spectateurs et acteurs de toutes les bêtises concoctées !


Le gamin attrapa son gant de boxe et dit au revoir à son comparse d'un geste de la main avant de filer. Ils s'étaient mis d'accord sur le déroulé de la soirée : avant que la nuit tombe, il fallait absolument que l'un d'entre eux rentre au village afin que les adultes ne se doutent de rien. Or, à peine l'école terminée, le soleil brillait encore haut dans le ciel… Le p'tit boxeur avait donc décidé de rentrer comme à son habitude au foyer dans lequel il logeait.


Situé au milieu du village, la grande bâtisse accueillait des orphelins, parfois victimes d'une tragédie, mais le plus souvent laissés là par leurs parents désireux de prendre la mer et de découvrir le monde. Qu'importe ce qui arrivait après, peu revenaient sur l'île… Le foyer représentait donc un grand lieu de convivialité pour la plupart des enfants.


"Eh les copains, les copains ! J'ai quelque chose à vous dire !" haleta le garçon impatient. Mais il ne s'attendait pas à voir apparaître au pas de la grande porte coulissante une jeune femme adulte. Ses yeux bleus perçaient les défenses du petit garçon, mais rien sur son visage, ni son petit nez fin, ni ses sourcils esquissés, ne dégageait la moindre hostilité.


"Tiens, mais te voilà ! Où étais-tu encore passé, vilain garnement ?!" Se moqua-t-elle vivement du garçon. Son sourire angélique dégageait une chaleur exprimant tout l'amour qu'elle portait pour les enfants du foyer. Loin d'elle l'idée de le gronder, elle s'enthousiasmait surtout de son retour cette journée-ci, tant son heure de retour était incertaine d'une fois à l'autre. Et notre petit héros, pourtant fourbe et réfractaire, éprouvait lui aussi de l'amour pour cette jeune femme, presque comme s'il s'agissait de sa propre mère.


"Ma...Madame Ohara. Euh, bonjour madame Ohara, bégayait l'enfant.


— Les autres t'attendent pour goûter, viens !"


Il n'aimait pas vraiment goûter. Encore une règle idiote inventée par les adultes pour leur empêcher d'aller ailleurs après l'école.


"Euh... Désolé, j'arrive."


La dame attrapa sa main et le mena jusqu'à la petite cuisine, au pied d'une grande tablée pleine de chocolats, confitures et gâteaux en tous genres. Une dizaine de résidents entre quatre et dix ans se tenaient autour, attendant avec difficulté le retardataire. Dans le silence, elle l'installa sur la chaise vacante et, comme on lance le signal d'une course, accorda à tout le monde le droit de se servir.


"Ouais !" Chantèrent les résidents dans une cacophonie habituelle. Les mains se jetaient sur les pots de confiture, se tendaient une cuillère après l'autre, s'appropriaient les morceaux de pains, ou se faufilaient jusqu'aux bonbons. Malgré les coups bas, les marmots ne pouvaient s'empêcher d'afficher un grand sourire. Même le gamin fourbe profitait de l'instant présent. Et, à chaque fois, il pensait ainsi : "quand je serai grand, je m'amuserai comme ça ! C'est ça que je veux faire !". Ses réticences initiales, sans y survivre une seule fois, s'évaporaient au cours de la tablée, jusqu'à ce que finalement il se dise chaque soir qu'il adorait goûter. Peut-être un peu trop… Car dans ce moment de joie, pas une fois il n'avait repensé au plan escompté en arrivant au foyer. Une heure passa, avant qu'une fois ayant tout rangé sous les directives de madame Ohara, les petits, repus et calmés, retournèrent dans leurs chambres certes étriquées mais confortables, pour faire leurs devoirs. Lui, qui détestait ça, sortit malgré tout un cahier de son sac, avant de s'endormir sur la petite table en bois où il avait posé son cahier, exténué par sa journée…


"Hung..." marmonna-t-il, à moitié éveillé. La jolie trace baveuse qui dégoulinait sur son cahier dessinait un cercle parfait. Malheureusement, il ne s'agissait pas de devoirs de mathématiques… Il décolla son visage de la feuille humide, découvrant une jolie trace rougeâtre pour la deuxième fois de la journée, avant d'avoir une révélation.


"Oh ! Il y a pu' de soleil !"


Et il n'avait encore prévenu personne pour la fête ! Et Kaila l'attendait sûrement pour tout mettre en place ! Il secoua la tête pour se réveiller, traversa la chambre, ouvrit la porte, puis partit avertir ses camarades du foyer de ce qui se préparait. Il devait seulement faire attention à madame Ohara… Pièce par pièce, il invita tout le monde à le rejoindre à l'extérieur, en essayant de ne pas éveiller les soupçons de leur gardienne, qui semblait occupée dans la cuisine. Une fois tout le monde rassemblé, il se plaça au milieu du groupe et annonça la grande nouvelle.


"Ecoutez-moi !" Cria-t-il avant qu'un des invités ne le prévienne par un geste du doigt qu'il parlait trop fort. Puis il reprit, en chuchotant.


"Ecoutez-moi... Cette nuit, on va faire une super fête au milieu du village. Ca va être génial ! Kaila a tout prévu. Il y aura même du feu et des papiers volants ! On pourra faire des pièges aux adultes qui dorment." Termina-t-il en riant… Loin de la réaction qu'il espérait, le reste du groupe resta sceptique face à son idée. Cela allait à l'encontre de tout ce qu'on leur avait appris.


"Mais… Madame Ohara, elle nous a dit de surtout pas sortir la nuit. Elle dit que c'est dangereux. Hésita l'un des enfants.


*On est encerclés par la mer, qu'est-ce qu'il peut bien nous arriver ?!* Pensa le garnement. Il était vraiment frustré de cette réaction. Du danger ? L'île est minuscule ! Les terres sont maîtrisées ! Toute la population habite au village ! N'ont-ils donc pas envie de liberté ?!


"On s'en fiche, c'est qu'une règle ! Rétorqua-t-il. Les règles, c'est juste pour qu'on puisse pas s'amuser et qu'on fasse pas ce qu'on veut, pour qu'on devienne aussi ennuyeux que les autres adultes !"


Cette fois, c'est une petite fille qui s'avança :


"Mais Kaila c'est un méchant, non ? Il va jamais à l'école… En plus, on le voit jamais au village." Les autres membres semblaient acquiescer. Désemparé, le petit garnement ne savait pas quoi répondre. D'aussi loin qu'il se souvienne, son comparse n'allait effectivement plus à l'école. Et où dormait-il ? Il n'avait jamais pensé à cela. Que faisait-il lorsqu'il y avait école, à part préparer des blagues ? Pris de court devant la réaction de ses camarades, le gamin répondit par l'émotion.


"Ben si c'est comme ça, on fera la fête tout seuls !". Il hurla si fort que Mme Ohara, à l'autre bout du foyer, ne manqua pas de s'inquiéter et d'accourir.


"Que se passe-t-il les enfants ?! Pourquoi criez-vous comme cela ?"


La vue de la jeune femme figea un instant son protégé, qui fondit quasiment en larmes. Plutôt mourir que de la laisser voir ça ! Ou s'enfuir, dans ce cas-là. Il s'échappa immédiatement vers la forêt avant qu'elle n'ait le temps de réagir, laissant le reste du groupe derrière lui. Il l'entendit lui supplier de rester, mais le petit, éconduit, ne faisait plus attention à ses ordres, et finit par disparaître loin dans la nuit. Qu'avaient-ils donc contre Kaila ?...


Le garçon, un peu plus âgé que notre protagoniste, n'était pas très intégré au village. Il semblait presque farouche à ceux qui lui avaient déjà parlé, et avait déjà refusé l'aide des habitants. Pourtant, il s'était fait un ami. Les deux orphelins s'étaient rencontrés il y a quelques années, à l'orée de la forêt. Le garnement avait alors décidé de s'aventurer dans les bois lorsque Kaila apparut devant ses yeux, à côté d'un arbre. Ils se dévisagèrent tous deux un moment, de loin. Ce jour-là, le plus jeune avait décidé de rentrer chez lui, inquiet. Il revint le lendemain, au même endroit, et Kaila était encore là, au pied du même arbre. Après s'être fixé un nouvel instant, c'est lui qui s'approcha pour saluer son cadet. Content de savoir qu'il n'était pas hostile, le gamin accepta volontiers de lui parler, puis ils devinrent amis au fil du temps.


Alors pourquoi ? S'il n'était pas méchant, pourquoi le traiter comme tel ? Parce qu'il ne suivait pas les règles ? Balivernes ! Le garnement ne pouvait pas accepter cela. Et encore moins pour la nuit festive qui se préparait. Kaila avait préparé tout cela pour lui, mais aussi pour les autres enfants. Il n'y avait aucune raison de refuser ! Cela le poussa à aller voir son compère au point de rendez-vous qu'ils s'étaient fixés. Qu'importe ce que pouvaient dire les autres.


"Kaila, Kaila !" l'appela-t-il en l'apercevant dans la pénombre. Il avait séché ses larmes et arborait un sourire… Trop honnête pour son caractère, presque faux.


"Enfin, tu es là ! Je t'attendais ! Que s'est-il passé ?!" Répondit l'investigateur soulagé.


"Je suis désolé ! J'ai mis du temps à convaincre les autres. Ils sont d'accord pour cette nuit !" annonça-t-il en souriant d'autant plus.


Ce n'était pas tout à fait vrai. Il le savait.


"Super ! Viens, on va chercher les trucs pour la fête !"

Les deux amis se rapprochèrent encore un peu de la forêt, jusqu'à l'endroit où ils étaient plus tôt dans la journée. Tout le matériel était réuni sur un chariot bricolé à hauteur d'enfant. Il ne restait plus qu'à descendre la pente légère qui conduisait au village et à rattraper le chemin central pour acheminer l'ensemble. Le cadet attrapa donc le chariot et s'affirma, tout souriant, face à Kaila :


"Tu as tout construit, alors je peux tout emmener ! Moi aussi, je suis fort !"


"Oui... Euh, écoute… C'est peut-être mieux si tu y vas tout seul." balbutia Kaila.


"Quoi ? Mais pourquoi ?! Tu es mon ami, tu viens avec moi !"


"Je... Je veux te montrer quelque chose."


Sur ces paroles, il fit un geste de la main et un cri étrange vers l'obscurité de la forêt. Des paires d'yeux commencèrent à apparaître dans la nuit. Le gamin fit un pas de recul, surpris.


"Des... Des loups !" S'exclama-t-il.


"Mais non, idiot." L'un des animaux dévoila sa forme svelte et malicieuse en s'approchant de Kaila. Il était loin de faire une taille humaine, même en comparaison avec celui qui caressait sa fourrure.


"C'est un renard, même s'il est tout gris. Je les ai rencontrés quand ils m'ont volé à manger... Je pensais qu'ils allaient plus revenir quand je les ai grondés, mais ils étaient encore là le jour d'après ! Donc à force je leur ai donné à manger. Ce sont des amis, eux aussi !"


Stupéfait, le compère ne savait pas quoi répondre. Mais une fois la surprise initiale passée, il voyait bien que ces animaux avaient l'air inoffensifs.


"C'est… C'est incroyable ! Tu crois que je peux les caresser moi aussi ?!"


"Mais oui, ils sont habitués."


Kaila en amena un dans ses mains. Un peu farouche, il fixa le garçon puis glapit. Le garnement tendit sa main sous le museau de la bête qui, au bout de quelques minutes, se laissa amadouer et caresser. Semblant comblé, il gardait quand même ce regard malicieux propre au renard.


"Dis, ajouta Kaila le regard tourné vers le sol, tu crois qu'on peut les emmener à la fête ?


— Mais oui, bien sûr ! Ce sont tes amis, alors ce sont mes amis aussi ! Ils nous regarderont embêter les adultes."


Sur ces mots, le visage de l'aîné paraissait plus serein. Même s'il était difficile de dompter un renard, ils écoutaient plus ou moins Kaila qu'ils connaissaient… Depuis longtemps. Ce secret n'existait que parce qu'il ne savait pas comment les villageois pourraient réagir face à ces petits être de fourrure. Maintenant que son ami lui avait affirmé que tout se passerait bien, il n'y avait plus de doute à avoir ! Les deux garçons se mirent derrière le chariot et Kaila, doucement, invita les renards à les suivre en terre inconnue. Ils les suivaient de loin, instinctivement, à l'affût du moindre danger. Le chariot faisait tourner ses quatre roues en bois sur l'herbe, silencieusement, puis sur le chemin de cailloux blancs. Le bruit du bois sur les cailloux effraya un peu les renards, qui reculèrent soudain, mais Kaila se tourna vers eux pour les rassurer, et ils continuèrent. Finalement, la nuit éclairée par une faible lune et quelques étoiles paraissait tout de même moins inquiétante aux abords du village, surtout pour les enfants qui commençaient à avoir plus confiance en eux.


En arrivant dans le village, personne n'avait l'air d'être réveillé. Les autres enfants n'avaient donc pas trahi leurs deux camarades. Ils progressèrent jusqu'au centre du village et empilèrent discrètement des morceaux de bois pour faire un bûcher. Ils installèrent des cordes au pied des portes des maisons, reliées à des bombes à eau, pour arroser les curieux ! Ils empilèrent des marshmallows sur des piques pour se régaler autour du feu, et accrochèrent un grand tissu sur l'une des façades.


"Ca, ce sera notre drapeau !" Précisa Kaila. "Et c'est à toi de décider ce qu'on met dessus !" Ajouta-t-il.


"Moi ?! Mais… C'est toi qui as tout fait, alors c'est à toi de choisir !"


"Non, car sans toi, je n'aurais jamais remis les pieds au village."


"Quoi ? Mais pourqu..."


Son aîné hocha la tête à l'horizontale. D'habitude peu réceptif, le garçon comprit qu'il ne fallait pas en dire plus, et il se laissa prendre au jeu.


"Alors, ce sera un drapeau pirate parce qu'ils suivent pas les règles, Fehfehfeh !" Rit-il. Puis il esquissa une hésitation. "Et... Et quoi d'autre ?" Le garçon regardait autour de lui à la recherche d'idées lorsque l'un des renards vint se faufiler entre ses jambes. Ils se connaissaient à peine, mais l'animal semblait déjà l'avoir adopté. Et le gamin l'adopta immédiatement à son tour. "Mais oui, un renard ! Ils sont astucieux et ne se laissent jamais avoir. Ils sont libres, eux aussi !" Sur le tissu se dessinait une espèce de tête étrange avec des oreilles de renard. Les os de la supposée tête de mort pirate ressemblaient à des sabliers, mais le design final avait finalement peu d'importance aux yeux du duo.


"Bien, ce sera notre étendard !" Se réjouirent-ils du résultat.


"Maintenant, allumons le bûcher et sortons les confettis !" Ajouta Kaila.


Les deux enfants sortirent les allumettes et les canons à confettis confectionnés spécialement pour l'occasion, et le plus grand pensa à la seule chose qu'il manquait encore.


"Bon, allons chercher les autres maintenant !"

"Euh... A ce propos, Kaila… "

"Quoi ?"

"Rien... Je vais les chercher, je reviens !" Sourit-il malicieusement, mais en forçant son rictus.


Le petit fuyard s'approcha discrètement du foyer, dans l'espoir d'enfin convaincre ses camarades. Il entrouvrit discrètement la porte, restée ouverte, et se faufila à l'intérieur. Une bougie luisait dans la cuisine, raison de plus pour redoubler de prudence. Il avança dans le couloir sur la pointe des pieds et prit une grande respiration au moment d'ouvrir la porte de la première chambre… Mais au moment de l'ouvrir, la porte des toilettes, de l'autre côté du couloir, s'ouvrit soudain et la silhouette de madame Ohara se dessina devant ses yeux.


"Que ?! Oh, tu es revenu ! Je suis si soulagée !"


Elle se précipita vers lui et l'étreignit.


"Bon sang, qu'est-ce qui t'as pris de disparaître ? J'étais si inquiète !"


"Je... Désolé", lâcha-t-il en perdant ses moyens.


"Allez, retourne dans ta chambre ! La nuit est dangereuse tu sais ! Il y a des bêtes qui traînent dehors."


"Euh... Oui." Répondit-il le cœur battant.


Il se tourna vers sa chambre tandis que la jeune femme repartait vers la cuisine, veillant sur les pensionnaires. Enfin… Il ne pouvait pas accepter ça. Pas cette fois. Il fit demi-tour et, avant qu'elle ne quitte son champ de vision, l'interpella.


"Ma... madame Ohara !"


Elle se retourna.


"Oui ? Tu as besoin de quelque chose ? Tu as vu des choses dehors ?"


"Je... Je veux pas retourner dans ma chambre ! J'ai un ami qui m'attend dehors !" S'exclama-t-il.


"Mais enfin, qu'est-ce que tu…"


Elle n'avait pas eu le temps de finir sa phrase. Un bruit d'eau assourdissant résonna dans le village silencieux.


"Que se passe-t-il ?!" Réagit-elle, avant d'accourir à l'extérieur.


Seul le garçon savait de quoi il s'agissait. Seulement, il ne comprenait pas plus qu'elle pourquoi la bombe s'était déclenchée. Il la suivit.


Elle tira la porte centrale et vit les bûches entreposées, même si l'ensemble était assez bas, et le drapeau.


"Mais... Qu'est-ce que ça veut dire ?... " Son incompréhension grandissait de seconde en seconde. Ce ne fut que lorsqu'elle vit un second garçon qu'elle crut deviner qui avait fait ça... Avant d'apercevoir l'un des renards qui, surpris par le bruit, avaient commencé à s'éparpiller dans le village. Elle cria alors :


"Des renards ! Des renards dans le village !"


Ses cris finirent de réveiller une partie des villageois, dérangés par la bombe à eau, et alertèrent également Kaila, qui vit son compère derrière la dame inconnue. Il le rejoint, inquiet.


"Eh ! L'un des renards a déclenché l'une des bombes à eau, ça les a effrayés !" Informa-t-il son ami et la jeune adulte.


"Que... Quoi ? Mais qui es-tu ?! Attends, je te reconnais… C'est toi qui as disparu il y a quelques années ! On t'avait cherché partout, mais impossible de te retrouver !"


"Non, attendez, vous faites sûrement erreur… Plus important, il faut retrouver les renards !" Rétorqua Kaila, encore ingénu par l'âge.


Les villageois, réveillés par les cris, commençaient à sortir de chez eux. Les portes s'ouvrirent une par une, déclenchant les bombes à eau, provoquant le même mécontentement chez toutes les victimes. Un bref instant, les deux garnements en furent heureux.

"Ca au moins ça a marché, fehfehfeh !" S'exclamèrent-ils, malgré la présence de madame Ohara.


Bien vite, les rires laissèrent place à l'inquiétude.


"Qui a fait ça ?!" Résonna une voix grave. "Oh bande de vauriens, si je vous attrape !..." Résonna une autre. Et elles se multiplièrent, sans discontinuer, avant que l'attention ne se porte ailleurs. L'une des voix changea de sujet.


"Mais ?!… J'ai vu un renard passer, j'ai pas rêvé ! Bon sang, il file vers la forêt !" Et une autre voix enchaîna sur le même sujet… Une voix rauque, adulte. "Ils en restent, j'en ai un qui vient de me filer devant les yeux ! Bon sang, ce sont les renards argentés qui tuent nos poules depuis des mois ! Chérie, attrape le fusil !" Ordonna le mari.


Kaila réagit en premier.


"Non, arrêtez, ce sont mes amis !" s'époumona-t-il.


Le grand costaud, interloqué, ne se fit pas avoir par de telles balivernes.


"Qu'est-ce que tu racontes ? Rentre donc te coucher !" Le villageois attrapa le fusil que venait de lui apporter sa compagne et mit en ligne des mires l'un des trois ou quatre spécimens qui n'avaient pas encore fui le hameau.


"Arrêtez !" Cria-t-il une nouvelle fois, en vain. Il tenta de s'interposer mais la dame du foyer, prévenante, avait attrapé le garçon par le bras pour éviter un drame.


"Reste là, c'est dangereux !" S'expliqua-t-elle.


La poigne de la jeune femme, menée par une force propre à l'instinct maternel, ne semblait pas faillir, malgré la lutte de Kaila. C'est donc son ami, situé derrière elle, qui intervint en une fraction de seconde. Il courut vers le chariot, situé à une dizaine de mètres, et attrapa le paquet d'allumette avant d'en allumer une comme s'il avait toujours su faire, même avec sa faible force enfantine. Pendant ce temps, l'homme bourru enfonçait lentement son doigt dans l'interstice de la gâchette en maintenant sa visée.


"Si vous tirez, je… Je vous lance l'allumette dessus !" ajouta le gamin tremblant en fixant le chasseur.


"Euh chéri, peut-être que tu ne devrais pas…" Malgré les mots de sa femme, il hésita un instant. L'allumette ne lui faisait pas peur. Cependant, les yeux terrifiés jetés sur lui, ceux d'un enfant apeuré, le firent vaciller. Ils feraient vaciller tout bon parent.


"Tss... J'ai compris, pas de civet de renard ce soir." Se résout-il sur ces mots. Il pointa son fusil vers le sol, le désarma, et les deux époux retournèrent chez eux. Cela refroidit également les ardeurs des autres villageois.


"C'est juste des gosses… " entendait-on parmi les voix. "On verra ça demain, c'est pas grave…"


Le gamin, pétrifié, restait figé, avec son allumette dans la main. Les réactions rassurantes des villageois n'y changeaient rien. Pourquoi tout cela était-il arrivé ? A cause d'eux ? Ou à cause des autres ? Qu'avait-il fait pour mériter ça ?


Madame Ohara et Kaila accoururent vers lui. La jeune femme s'agenouilla dans les cailloux pour l'étreindre, tout en prenant soin d'attraper l'allumette et de l'éteindre.

"Mais enfin, pourquoi as-tu fait ça ?..." Demanda-t-elle la bouche tremblante, sans vraiment attendre de réponse. Elle savait déjà pourquoi.


Cette fois, il n'allait pas échapper à la vérité et aux larmes. Il avait déjà fui sa gardienne tout à l'heure, évitant de la confronter. Mais même le plus rusé des renards ne peut plus s'enfuir lorsqu'il est pris dans le piège. La chaleur de la jeune femme referma ce piège. Les larmes se dégagèrent et coulèrent. Lentement, avec amertume, puis à flots.


"Je... Je… Reniflait le garnement, perdu. Je voulais m'amuser avec mes amis ! Kaila, les renards, les autres enfants, tout le monde ! Les autres enfants ont pas voulu de Kaila ! Les villageois veulent pas des renards ! Personne a rien fait de mal ! Je comprends pas ! Je comprends pas…"


Une larme salée coula sur la langue de l'enfant, le faisant déglutir légèrement. Kaila, entendant le discours de son ami, se sentit désemparé également. Mais aussi reconnu, et heureux. Les sentiments se mélangeaient dans sa tête, si contradictoires que son visage restait figé, ne sachant pas quoi exprimer. Madame Ohara, elle, savait comment répondre, mais pas comment résoudre son problème...


"Le monde est ainsi fait, mon petit Foxy..."


Cette réponse ne le calma pas. Elle le libéra, plutôt.


"Alors je veux pas du monde ! Je vais battre le monde ! Et quand j'aurai fini de me battre, je bricolerai un endroit où tous ceux qui veulent pourront s'amuser ! Je ferai pas de différence ! Tout le monde pourra venir !"


Oui, un endroit où tout le monde aura sa place… Madame Ohara en rit, mais un rire étouffé, chaleureux.


"Mais Foxy... Si tu bats tout le monde, il n'y aura plus personne pour s'amuser." Rit-elle encore, de ce rire dont elle seule avait le secret, ouvrant une voie directe… Au cœur. L'enfant arbora un rictus malicieux, porté par cette chaleur.


"Oui, c'est vrai… Fehfehfeh…"


"Fehfehfeh...", le capitaine d'équipage revint à lui, un peu sonné. Ce n'est pas une droite comme celle qu'il venait de prendre qui allait le mettre K.O. ! Il fit le mort encore un peu, attendant suffisamment pour que son adversaire se rapproche à portée, puis releva d'un coup la tête et son poing, protégé par un vieux gant de boxe usé, avant de lancer son fameux rayon.


"Ramollo Beam !"

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