OMOFALLS (Gravity Falls X Omori Crossover)
[Grimoire de Faraway Town, page 5]
"Nous ne connaissons personne dans cette ville qui soupçonne une activité paranonormale venant de la forêt. OMORI et moi enquêtons depuis plusieurs mois sur le cas Faraway Town. Là où un individu normal verrait une petite ville isolée, nous, fervents détectives surnaturels, voyons un lieu vivant de par sa magie. Même si nous demeurons encore les seuls à pouvoir observer ces phénomènes, je reste persuadé qu'il suffit d'un peu de curiosité pour découvrir ce monde palpitant. Il vous suffit simplement de fermer les yeux..."
— FLOWER CROWN, photographe et détective paranormal
***
Une ampoule.
Noire en son centre, ne semblant pas projeter de lumière.
C'était le seul élément concret dont il pouvait se souvenir, bien que tout détail semble brouillé par un déchirement dans l'espace; un brouillard, aussi visuel qu'auditif, enveloppait son rêve d'un voile de douleur fantôme.
C'était difficile à expliquer, c'était difficile de se souvenir, pourtant la sensation de déchirement qui prenait son corps quelques minutes plus tôt était encore fraîche. Le garçon, tétanisé, suintant de sueur, agrippait son drap jusqu'à ce que le blanc de ses phalanges s'accorde à celui de sa couette.
Même s'il semblait aussi lourd qu'un cadavre, après quelques efforts, basculements infructueux et un orteil cogné sur sa table de chevet – et accessoirement un juron évité – il réussit enfin à se redresser. Ça ne changeait rien au fait qu'il soit toujours aussi perdu, mais au moins sa peur post-cauchemardesque s'était atténuée.
Ses cheveux de jais, d'une longueur atteignant ses épaules, collaient désagréablement sa nuque avec une sensation d'irritation et d'humidité poisseuse. Quand il passait sa main sur son cou, il ressentait non seulement les conséquences de ce réveil – à savoir des palpitations saccadées et des mains moites – mais aussi la sensation qu'une paire d'yeux se jouait de lui, moqueuse par delà sa cachette. Tiens, cela ne lui était pas arrivé la nuit dernière.
Ensuite, son mécanisme de rationalisation se mit en marche. Il ne fallait pas qu'il perde la tête pour un simple cauchemar.
"Mon nom... mon nom... Je m'appelle Sunny... Respire..."
Une ampoule.
"Sunny Suzuki, quinze ans, Faraway Town...Ouais, c'est ça."
Alors que sa respiration se stabilisait, qu'il reprenait ses esprits avec les souvenirs encore frais de son cauchemar, il se lança presque inconsciemment dans une phase d'analyse.
"Une ampoule... C'est un objet que je vois tous les jours, tiens, d'ailleurs il faut que je pense à changer celle de la salle de bain."
Théorisait le garçon, qui fixait silencieusement le ventilateur de plafond, plongé dans ses pensées. Il venait à peine de se réveiller, divaguer lui était inévitable.
Le ventilateur de plafond, d'ailleurs, était toujours allumé, remuant faiblement ses cheveux décoiffés. En temps normal, il l'aurait éteint : Sunny est frileux et préfère amplement rester au lit, bien au chaud, dorloté dans ses deux couvertures de fourrure – qu'il ne retirait pour rien au monde, même pour les chaudes journées d'été. Mais pour le moment, il n'avait plus aucune intention de dormir.
D'ailleurs, plus il essayait de se souvenir, plus le brouillard dans sa tête s'épaississait, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une ampoule dans un infini de blanc. Même s'il ne restait presque rien de son rêve, il pouvait toujours ressentir cette terreur résiduelle, les épines par milliers qui perçaient sans pitié sa peau si pâle, en contraste avec son sang qu'il sentait encore couler le long de son dos. Tout était flou, tout n'était que blanc, mais aussi de noir et de rouge. Lui-même ignorait ce que cela signifiait. Son subconscient avait toujours été étrange, après tout.
Là-dehors, le bleu nuit se battait contre l'oranger des réverbères, et le crissement des feuilles battuent par la brise fraîche de l'été; le regard perdu de Sunny balayait entre les différents coins de la pièce.
En face de lui se trouvait un lit vide, aux draperies roses qui semblait avoir été délaissé depuis des mois. Quant au sien, il était entouré de cadres photos, de ses amis, de son entourage, comme pour lui rappeler leur visages. Oui, c'était comme si le côté gauche de la pièce était totalement désert, tandis que le côté de Sunny hébergeait supers héros, peluches, autocollants et souvenirs. Mais, comme lorsque l'on voit le verre à moitié vide, en entrant dans cette pièce, on ne pouvait ressentir qu'un manque, planant ou profond.
Sunny, d'ailleurs, fixait le cadre photo devant lui. Assis sur le rebord de son lit, il contemplait leurs mines souriantes, à peine éclairées par la nuit. Il refusait d'admettre qu'il admirait un visage en particulier. Bon sang, il n'était plus un gamin. Il était trop âgé pour ces coups de cœur enfantins - quoi qu'il devait avouer que son joli minois ne le laissait toujours pas indifférent. M'enfin, de toute façon, il n'arriverait plus à dormir de la nuit. Être entouré de photos n'arrangeait pas son cas, quoi que ça le rassurait légèrement de reconnaître chacune des paires d'yeux qui le fixaient indirectement. C'était justement lorsqu'il étudiait ce cadre photo qu'il remarqua qu'un objet inconnu s'était invité sur sa table de chevet.
Ses yeux d'ébène brillaient par la manière dont le clair de lune courait sur les rebords métalliques de l'ouvrage. Il s'agissait en effet d'un carnet assez épais, usé par le temps et rempli à ras-bord. Si bien qu'à vue d'œil, la couverture avait l'air de peser un kilo à elle seule, pour qu'elle arrive à compresser les pages de la sorte...
Sunny s'en saisit, faisant s'envoler au passage un couche épaisse de poussière. Si épaisse qu'il était persuadé qu'elle devait à elle seule alourdir le livre de trois kilos, au moins. Depuis quand ce livre était-il resté ici? Était-il seulement rangé sur cette table de chevet?
Après avoir grossièrement nettoyé la couverture - laissant sa main encore plus poisseuse qu'elle ne l'était déjà - il se rendit compte, rien qu'à la texture rugueuse du cuir incrusté de terre sèche, que ce carnet lui était familier. Beaucoup trop familier ; au point où le simple fait de le tenir ajoutait à son ventre un poids étranger. Que lui arrivait-il? Était-ce donc ça, la nostalgie ?
Question idiote, il savait pertinemment que non. Trêve de rêverie, il savait exactement ce qu'était ce livre. Ces souvenirs étaient juste embués par la fatigue et le temps.
Quoi qu'il en soit, il n'avait rien à faire ici. Ce genre de babioles gênantes aurait dû se retrouver au fin fond d'un placard, côtoyant la poussière et les araignées.
Un frisson avait parcouru sa colonne vertébrale à cette pensée. Maudits arachnides. Ils auraient raison de lui, un jour.
Maintenant, il devrait retourner dormir. Il s'était calmé, et il n'avait plus rien à voir – à part la photo d'un certain blond qu'il tentait désespérément d'éviter – il devait dormir. S'allonger. Ne plus bouger. Le corps plus lourd qu'un cadavre.
"..."
Il ne voulait définitivement pas dormir.
"...Tant qu'à faire."
Le cadenas était tellement rouillé qu'il n'a suffit que d'une pression de ses pouces pour le casser – aussi devait-il être bon marché.
"C'est idiot de penser que ce truc protégerai son contenu... en même temps, on avait demandé au vendeur un cadenas de journal intime."
Ses doigts serpentaient ensuite le long de la tranche des pages, sans risque de se couper. Le papier n'était pas de premier prix, lui; cependant il était suffisamment abîmé pour ne plus risquer de s'entailler le bout des doigts. D'ailleurs, la tranche ne s'alignait pas du tout de manière homogène. Les pages s'entassaient, des bouts de post-it débordant des bords.
" "Grotesque", je crois que c'est le mot adapté. Quoi que ça donne un charme désordonné. Où peut être que c'est juste moi qui ai l'esprit tordu."
Ses doigts terminèrent leur parcours au milieu des pages. Le dos du bouquin – qui était nu, juste soutenu par quelques anneaux, comme un cahier à spirale – était calé contre ses genoux, tandis qu'il faisait basculer les deux sections vers l'extérieur.
Il ignorait s'il était éveillé ou toujours somnolent.
Il ne savait pas, et se demandait même si ses yeux le trompaient encore. Après tout, il avait toujours eu une imagination débordante. C'était pourquoi il s'était pincé la joue à trois reprises lorsqu'un halo de lumière jaillit du livre.
― Ouch... avait-il douloureusement chuchoté, sa fossette droite rougie.
De ces pages parsemées de notes, photos et dessins d'enfant brillaient d'un bleu clair d'étranges faisceaux lumineux serpentant lentement au-dessus de sa tête. Comme des mirages, ils semblaient translucides en plus d'immatériels. Et lorsqu'ils ondulaient, ils produisaient chez Sunny un frisson, non, une étincelle dans sa poitrine - ou son ventre, c'était une sensation difficile à décrire. Immobile devant ce spectacle, il ne prenait plus la peine de réfléchir.
Pourquoi se torturer l'esprit quand on peut simplement admirer?
Il devait rêver, c'était sûr. Qu'il tourne au cauchemar, il n'en avait rien à faire. Tant que ces lumières opalines dansent devant lui. Pour une fois que son monde pouvait réellement être fantaisie. Et quand sa main s'en approchait, il pouvait sentir une fraîcheur digne d'une brise d'été caresser ses paumes, en glissant fluidement entre ses doigts alors qu'un doux parfum de déposait sur ses papilles. C'était sucré d'un délicieux souvenir d'enfance, une friandise qu'il avait l'habitude de grignoter en cachette. Bubblegum? Barbapapa? Tutti-frutti? Quel était le nom de ce parfum, déjà...?
D'accord, il ne pouvait effectivement pas s'arrêter de se poser des questions. C'était dans la nature de Sunny. Sunny, le mec d'un mètre soixante, plus maigre qu'une brindille et plus silencieux qu'un mur. Et essayez de taper la discut' avec un mur.
S'il était effectivement juste un peu plus bavard qu'une carpe, cela n'empêchait pas à ses pensées d'être, elles, extrêmement bruyantes.
"C'est super beau, on croirait des fibres de barbapapa. D'ailleurs, est-ce que c'est pour ça qu'elles ont un goût de chewing-gum? La lumière ça n'a pas de goût, non? Bah oui, ça n'a pas de goût; est-ce que j'ai pris mon traitement hier...? Est-ce que je suis finalement en train de dérailler? C'est bon, on m'envoie à l'asile? J'espère au moins finir en cellule capitonnée, ça a l'air marrant; genre, des coussins sur les murs, la définition du paradis. Attends, non, ça craint. Oh, les lumières sont toujours là."
Sa bouche toujours formée en "o" admiratif, ses yeux ne pouvaient se détacher du spectacle. Mais quand ceux-ci dérivèrent malgré lui, il se rendit compte que le livre brillait aussi. De manière particulière.
De chaque dessin, chaque notes, chaque photo, leur encre émanait un halo d'azur. Si bien qu'on aurait dit qu'ils se détachaient des pages jaunies du bouquin.
En fait oui, ils se "détachaient" bel et bien.
C'était d'abord d'étranges bulles d'aigue-marine, qui devaient maladroitement les courants d'air, pour ensuite prendre des formes singulières; des lapins, des "taupousses", ou des plus abstraites comme des feuilles, des fruits, d'étranges insectes, des figures familières bercées par des souvenirs lointains. Alors que Sunny renversait les pages du grimoire, les illusions changeaient. Elles passaient de lapins à poissons, des "vers de l'espace" serpentaient le long de ses rideaux, alors que le doigt du spectateur reposait sur le chapitre "L'Autre Monde: La faune et la flore spatiale !", titre écrit en cursive maladroite. Ces gribouillis faits par les mains de deux enfants prenaient vie sous ses yeux.
«Taupousse perdue: Une créature hostile et très très moche; une sorte d'hybride bizarre entre une taupe et une plante. FLOWER CROWN les trouve mignons, mais je ne suis pas d'accord. Ils sentent le linge sale. Beurk. — OMORI»
À cette odeur de bonbon se mêlait celle de la boue sous le soleil d'été.
«O.V.N.I.: Aussi appelée "Orange Volante Non Identifiée". On la retrouve généralement en train de virevolter dans l'infinité de l'espace. —FLOWER CROWN»
Là, juste devant les yeux du brun, flottait une orbe bleuté aux petits yeux sombres égarés.
Il se pinça une nouvelle fois la joue.
— Aïe! Pourquoi est-ce que je me torture comme ça..?
Il s'était alors mis à feuilleter plus en détails les pages, à reculons, jusqu'à ce que son doigt fin ne sélectionne pour lui la page de présentation dudit "grimoire de Faraway Town".
C'était une page décorée à la manière d'un "scrapbook" – à moins que ça ne soit un "scrap journal"? Quelque chose comme ça ?
Quoi qu'il en soit, cette page était très... personnalisée. Il reconnaissait l'imitation d'écriture cursive qui ornait chaque début de paragraphe, et ne put s'empêcher de sourire. Un sourire très léger, nostalgique.
Éclairé par ces plaisants mirages, il lisait, laissant son ongle ovale naviguer entre les lignes.
«Nos noms de codes sont FLOWER CROWN (moi !) et OMORI (celui qui fait les dessins et qui a écrit le paragraphe d'après) et nous enquêtons dans la forêt après l'école.»
— Urgh... c'est tellement puéril.
De toute évidence, replonger dans ces vieux souvenirs le mettait mal à l'aise, comme un écrivain qui relit ses anciens essais. Sauf que cette fois, l'écrivain - les écrivains plutôt, étaient deux enfants d'environ neuf ans, dont leur seule préoccupation d'avenir était s'il y aurait des cookies pour le goûter.
Ses yeux suivent le saut de ligne.
«En effet, il y a une semaine, lui et moi avons été témoin d'un phénomène des plus étranges, des plus paranonormales.»
— Paranormales, Basil. Ha...
«Une ombre gigantesque qui se baladait dans les bois, le sol tremblait, c'était terrifiant! Mais ça avait aussi l'air très intéressant. C'est ainsi que mon coéquipier et moi, nous avons décidé de nous lancer dans cette grande enquête: Que se passe-t-il vraiment à Faraway Town?»
Une police beaucoup plus maladroite composait le paragraphe suivant. Les majuscules étaient des lettres capitales tordues, une tâche d'encre salissait un de ses "e", les lignes étaient tellement bancales qu'elles semblaient aussi vouloir s'échapper de la page. Ce paragraphe différait beaucoup de la plaisante calligraphie de ce certain FLOWER CROWN. Il avait, vraiment, de quoi avoir honte.
«Comme FLOWER CROWN l'a insinué nous nous sommes reconvertis dans l'enquête paranonormale.»
— Paranormale, Sunny, PARANORMALE.
«Nous prenons note de tout ce qu'on voit et de tout ce qu'on entend, de tout ce qui sent bon ou pas bon. De tout ce qui est suspect. On a des yeux partout.»
Inutile d'en lire plus. Lire ses propres mots d'il y a sept ans le pousse à la limite du dégoût. Il savait qu'il n'avait que neuf ans à l'époque, mais ce style d'écriture était un crime contre l'humanité. Et pourtant, il n'était pas grand lecteur. Même Basil - FLOWER CROWN était son nom de code, pas très discret quand on sait qui est le plus jardinier des gamins du quartier - faisait mieux que lui.
Il poussa un soupir, tout en levant la tête vers son ciel constellé de bleu. Peut-être qu'il devenait bel et bien fou. Peut être qu'après tout ce temps dans sa chambre, à voir les mêmes murs et mêmes meubles, son cerveau avait fini par se détraquer.
Peut être qu'il avait toujours été un détraqué. Un imbécile heureux qui s'imaginait un autre monde par delà la forêt. Dans ce cas-là, ils étaient deux. Deux gamins dévergondés en quête d'un scoop inexistant. C'était déjà un peu plus rassurant, de se dire qu'ils étaient deux dans leur folie. Lui et son rayon de soleil.
Il regretta immédiatement cette dernière pensée.
Mais il devait l'admettre, c'était de francs bons souvenirs. Ce qu'on qualifierait d'une enfance dorée.
Il avait esquissé un léger sourire. Une courbure de sa lèvre inférieure, une étincelle dans sa poitrine. Une joie d'enfance pas encore tout à fait éteinte. Et un asile qui l'attendrait bientôt, pensait-il, ne plaisantant qu'à moitié.
Ses yeux se posèrent sur les dessins de sapins qui ornaient la marge. La forêt.
Celle qui entourait cette petite ville, celle qui dominait sur les routes, celle qui l'intéressait tellement, détective surnaturel autoproclamé qu'il était. Là, en bas de la page, une ligne isolée, écrite avec sa maladroite cursive.
«Nos premières recherches nous disent que le cœur de la forêt est l'endroit où il y a le plus d'activités surnaturelles. Et comme quand une lampe éclaire de moins en moins au fur et à mesure que l'on s'éloigne d'elle plus on recule, plus les évènements bizarres sont rares. On l'a localisé à peu près ici.»
Suivit une flèche étonnamment plus droite que son écriture, pointant vers ce qui ressemblait à une clairière. On pouvait dire que c'était une clairière grâce au manque d'arbre à l'endroit que la flèche indiquait. Ou alors, grâce à l'insoupçonnable "c'est une clairière" à côté de celle-ci.
Chose intéressante, dès qu'il eut posé son doigt sur la confus représentation de cette supposée clairière, les cascades de lumière bleue se plièrent brutalement. Comme si elles venaient de recevoir un coup de fouet, ou déviées par une force mystique; ou surnaturelle pour le coup. Des foulards bleus, liés à sa relique, voulant s'échapper par sa fenêtre. Fenêtre qui n'était pas ouverte. Pas un seul courant d'air émanant de dehors, juste son ventilateur plafonnier.
Il était sûrement fou. Un grand fou. Un cinglé. Un malade.
Si c'était le cas, il était assez fou pour s'échapper en direction de la forêt, avec pour seule protection son sweat enfilé sur son pyjama et ce grimoire miteux.
***
Tout compte fait, il n'était peut être pas fou. Pas fou, mais incroyablement stupide, pour rester poli.
Alors qu'il quittait le sol de bitume pour rejoindre les feuilles mortes, la terre et les buissons, il regrettait à présent l'exposition si dangereuse de ses mollets. L'air frais et humide de l'été frappait son visage. Ses cheveux attachés en deux couettes basses rebondissaient sur ses épaules au rythme de ses pas. Ses douloureuses jambes maltraitées par les ronces. Son corps plus faible qu'une brindille et plus lourd qu'un cadavre tentait désespérément de survivre à l'effort, torturé par la curiosité du garçon. Ses jambes pouvaient à peine supporter son propre poids, alors qu'il propulsait plus loin son enveloppe fragile. Ses yeux rivés vers le ciel, les mirages libres, fugaces, serpentaient de tronc en tronc alors que les étoiles observaient. Sunny était un imbécile.
Il s'en est fallu de peu. Sunny, au beau milieu de ce qui pourrait être une clairière s'il n'avait pas fugué au beau milieu de la nuit, était plié en quatre en respirant violemment. Il n'avait couru que quelques minutes. Il voyait flou. La seule chose qui lui permettait de garder ses repères étaient les foutus faisceaux lumineux qui l'avaient amené ici. Dans la forêt. En pleine nuit.
C'était définitivement un imbécile.
Le revers de sa main balayait les larmes qui brouillaient sa vue. Ses sens lui revenaient peu à peu. Ses genoux tremblaient. Ses bras incroyablement lourds et douloureux. Son cœur battait encore à un rythme que jamais il n'aurait atteint en temps normal.
Alors il releva lourdement la tête, maintenant en face à face avec le "cœur de la forêt".
"Ça... Pfff... hhha... Ô mon dieu, est-ce que je vais mourir ici?"
Sa petite main osseuse serrait fortement son sweat au niveau de son cœur.
"Respire... Voilà, comme ça."
Pourquoi l'air lui semblait-il maintenant si sec? Coupant au fond de sa gorge, Sunny arrivait tout de même à se stabiliser.
"...Ha... Haha, si on était en pleine apocalypse zombie, je mourrais en premier...hehe..."
Il prit appui sur sa jambe gauche, dans la volonté de se redresser;
pour manquer de tomber la tête la première contre un rocher.
Il finit par se redresser après plusieurs battements de bras affolés dans les airs.
Il revenait à lui. Sa respiration stabilisée, il regardait autour de lui. Si ces étranges rubans lumineux n'éclairaient pas autour de lui, l'obscurité de la nuit l'aurait envahi pour le dévorer, petit être fragile qu'il était. Ces rubans qui s'entortillaient avec les branches couronnant le ciel, plus clair ici que n'importe où ailleurs dans cette forêt. Eux et les étoiles pour seuls guides. Les yeux paresseusement entre-ouverts, il prit une grande bouffée d'air.
Maintenant qu'il était là, les mollets mutilés, les membres douloureux, dehors; quel était l'intérêt de faire tout ça? Cette histoire de grimoire magique l'intéressait fortement, certes, mais honnêtement, il pensait simplement qu'il était devenu fou, ou alors que la fatigue lui donnait des hallucinations. Peut-être qu'il avait tellement rêvé - qu'il était tellement désespéré - de sortir de son quotidien qu'il en avait perdu la tête. Comme il l'avait théorisé avant, peut-être qu'il avait toujours été fou.
Peut-être que c'était tout ce qu'il méritait.
Et alors qu'un faible rire coupable et nostalgique s'échappait de ses lèvres abîmées, un clignement d'yeux, et son monde s'illumina, innocent comme des traits de pastel.
C'était comme si deux mondes s'entrechoquait. Sunny en était presque déséquilibré, tout se magnifiait, tout se coloriait, l'herbe sombre à peine distinguable dans la nuit devenait menthe d'eau, sous ses deux prunelles choquées. Si bien que son journal glissa de ses mains.
Les arbres alentour qui lui avaient semblé si menaçants il y a quelques minutes auparavant, leur feuillage s'épanouissait, dégageant une odeur familière de thym. Même les ombres prenaient de douces teintes lui rappelant ses propres dessins d'enfant. Des plantes dont nul ne pouvait citer le nom jaillissait de toute part, et le cœur de Sunny qui s'emballait bondissait à chaque évènement. Tout semblait si imprévisible, si magique, si vivant. Sunny ne savait plus où se donner la tête.
"Je deviens fou, je suis malade, je ne devrais pas être ici, je dois rentrer chez moi, consulter mon psy, il faut que ça s'arrête-"
Mais voulait-il vraiment que cela s'arrête?
— ...
Après tout, c'était ce dont il avait toujours voulu.
— ...
Une échappatoire.
— ...
Une raison de sortir de chez lui.
— ... C'est magnifique...
Il pouvait devenir un détective paranormal. Même si rien ne garantissait qu'il verrait encore ces illusions, non, cette brèche entre les mondes demain.
—... Mais je... veux y croire.
"Même si ça signifie être un énorme gamin. Même si ça signifie perdre la tête."
Un sourire affirmé ornait son visage animé d'une joie enfantine.
Il y retournera demain.
Il était seul, au milieu de cet Eden de pastel.
Ignorant les milliers d'yeux moqueurs braqués sur lui.