Les Tueurs de mes rêves
J'étais d'assez bonne humeur lorsque j'arrivai au lycée, ce mardi matin, après une soirée passée au cinéma et dans les rues de Springwood avec une jeune femme pétillante et une montagne de pop-corn encore intacte lorsque nous étions rentrés chez moi. Elle m'avait littéralement traîné dehors pour me "changer les idées", et j'étais bien forcé d'admettre que cette épuisante sortie représentait un intermède plutôt agréable à ces longues semaines d'angoisse.
Mes collègues affichèrent un air surpris devant le grand sourire qui plissait légèrement mes fossettes, lorsque j'entrai en salle des professeurs.
"Salut tout le monde ! La forme ?"
Je balançai ma liasse de papiers sur une table, sous leurs yeux exorbités, et vérifiai qu'il ne me manquait rien pour les cours de la matinée.
"Oui, Oliver, ça va très bien, lâcha Barney Truman, prof d'anglais. Dis donc, t'as repris du poil de la bête !"
Je sentis l'exaspération me brûler l'estomac. Son attitude à mon égard m'avait toujours exaspéré, mais depuis que j'avais perdu ma famille, c'était encore pire. Je ne savais pas exactement pourquoi son comportement m'insupportait ; sa compagnie m'était tout simplement désagréable.
Je décidai de changer de sujet. J'avais une question à leur poser. Je m'assis sur la table tandis qu'ils finissaient leur café, me dévisageant avec une telle insistance que je me sentis insulté.
"Dites donc, lesquels d'entre vous ont Kanra Gallagher en cours ?" voulus-je donc savoir.
Ils échangèrent des regards intrigués avant de me répondre :
"Qui ça ?
- Kanra Gallagher, répétai-je. Celle qui a le visage à moitié brûlé.
- Ah, elle... soupira Helena Anderson, ma collègue de maths. Eh bien, ma foi, elle m'a tout l'air d'être une excellente élève. A-t-elle des problèmes avec ses camarades ?"
Non, faillis-je dire, ce sont plutôt eux qui auront des problèmes avec elle.
"Hmm... pas que je sache, fis-je en haussant les épaules.
- Elle a l'air de savoir se faire respecter, ajouta Truman en se passant la main sur le menton. Pourquoi nous demandes-tu ça ?
- Comment dire... Avez-vous remarqué des... problèmes de comportement chez elle ?"
Tu parles d'un euphémisme, grinçai-je intérieurement.
"Absolument pas ! C'est une élève attentive et des plus respectueuses. Aucun écart de comportement à signaler."
Je sentis mes doigts se crisper sur le rebord de la table et mes jointures se contracter durement.
"Tu as eu des ennuis avec elle ?" m'interrogea Susan Reynolds, l'une des rares personnes que je supportais encore dans ce lycée.
Oui, elle a menacé de me tuer.
"J'ai dû la renvoyer de cours, le premier jour, pour manque total de respect, me contentai-je de confirmer.
- Elle t'a insulté ?
- Presque.
- C'est étonnant, venant d'elle, m'assura Reynolds en jetant son verre en plastique à la poubelle. En tout cas, en sciences physiques, aucun problème. Peut-être voulait-elle te tester.
- Me tester ? répétai-je, interloqué. C'est la meilleure."
Je descendis de ma petite table circulaire et rangeai mes cours, mon humeur joyeuse nettement refroidie.
"Je file, soupirai-je. Mes élèves doivent m'attendre.
- Bon cours, Oliver", me lança Susan tandis que je quittais la pièce.
Je dus me retenir de claquer la porte derrière moi. J'avais bien l'impression que je devais croire ce salopard de Krueger ; dans tous les cas, Kanra m'en voulait personnellement. Aucun doute, j'étais dans la merde.
Et ce je n'avais encore rien vu.
Je tentai cependant de faire bonne figure face à mes élèves. Ayant deux heures de cours avec la classe de Gallagher, garder le sourire me fut extrêmement difficile, mais j'avais décidé d'être un peu plus combatif, alors j'y parvins. Hors de question de laisser une victoire totale à Krueger.
Kanra me surprit au plus haut point en participant activement au cours, visiblement intéressée par l'ADN. Bon, elle restait avachie sur sa chaise, les pieds nonchalamment croisés sur son bureau, mais au moins, elle se tenait tranquille. En revanche, je ne sus trop comment réagir lorsque Rooney l'imita en lui adressant un clin d'oeil complice. C'était de la provocation pure, mais si j'y réagissais, je devrais également réprimander Gallagher, et ça, cela ne me vaudrait qu'une paire de doigts d'honneur supplémentaire. Rien d'autre. Elle finit par reposer d'elle-même les pieds sous la table, lassée d'une position apparemment trop peu confortable pour elle.
Stanley White, lui, refusa de m'accorder le plus bref regard pendant tout le cours. Cela me causa un pincement au coeur, mais... mais merde, en l'état actuel des choses, je ne lui serais d'aucune utilité face à Freddy. Qu'il me laisse au moins le temps de...
C'est au bout de la première heure que je trouvai le courage de prendre conscience que, quelque part au fond de moi, j'avais bel et bien décidé de lui donner un coup de main. Peu importait comment, mais il fallait que je fasse quelque chose pour lui. Je n'avais pas vu Krueger achever mon fils, étant arrivé trop tard pour le secourir, mais le meurtre de ma femme m'avait laissé un souvenir suffisamment atroce pour que, malgré tout, je comprenne ce que White pouvait ressentir chaque nuit.
Mais il me fallait du temps. Je n'étais pas encore prêt à recommencer.
C'est en retournant en salle des profs, un peu fatigué de mes deux heures de boulot, que je fis une découverte dont je me serais bien passé.
Heureux d'être un peu seul, je me laissai lourdement tomber sur une chaise en m'essuyant les yeux. J'avais besoin d'un café serré, moi.
Lorsque j'ouvris mon casier dans l'intention d'y ranger quelques affaires, je faillis laisser tomber mon verre.
Salut, Olly.
Tu as le bonjour de Freddy !
Kanra
Je restai interdit devant le bout de papier qui reposait sur les fiches que j'avais laissé traîner dans le cube métallique, jusqu'à m'en emparer pour le fourrer dans ma poche, les doigts tremblants. Bordel, comment je pourrais expliquer un truc pareil aux flics ?
Je sortis à grandes enjambées dans la cour, l'air frais me frappant au visage. Je jetai un rapide regard à la ronde. Kanra n'était pas dans les parages. Je ne savais pas si c'était mieux ou pire de cette manière.
Très bien. J'avais compris le message.
La partie d'échecs commençait.