Histoires des dieux
Le dieu des morts, dans son Royaume, étire ses membres endoloris par les bandelettes, agitant son sceptre et son fouet, et se tourne vers sa soeur et épouse, Isis. Il lui demande :
— Ma chérie, j'ai l'impression de sortir d'un long rêve... Mais je ne comprends pas comment je n'ai plus d'âmes qui comparaissent devant moi! Y-a-t-il un pharaon qui règne sur notre terre, l'Égypte, le pays aux deux couronnes ? Ou notre pays est livré aux forces du mal ? Seth est-il au pouvoir ? J'ai l'impression d'avoir entendu un appel... Quelqu'un connaît mon nom ? Quelqu'un m'a invoqué ?
La déesse magicienne sourit tristement à son mari, l'enlace de ses bras ailés et lui répond calmement :
— Osiris, depuis longtemps notre pays est devenu une terre musulmane... Et les âmes humaines comparaissent devant Allah. Tous mes tours de magie et ma connaissance du nom secret de Rê ont été vains pour impressionner les Anges Djibril et Mikail. Ces derniers m'ont rapidement réduits à rien, ils se sont moqués de moi. J'ai été obligée de battre en retrait, se lamente-t-elle.
— Mais Isis, quelqu'un connaît mon nom... Je l'ai entendu dans mon sommeil... L'un de nos prêtres, l'un de nos magiciens, a mentionné mon nom... mais où est-il ? Il faut revenir sur notre terre et voir la situation. Allons-y!
Le juge des morts se lève de son siège, salue Mâat, et, suivi d'Isis et de Nephthys, sort de son royaume pour aller au Caire.
En se promenant en périphérie de la capitale, le long du Nil, Osiris est étonné de ne pas voir autant de travaux agricoles. Ce qui l'attriste énormément. Le couple et leur sœur continuent leur promenade et reviennent à l'Occident, sur la rive occidentale du Nil, et Osiris se tourne vers sa sœur et épouse et lui somme :
— Chérie! Il faut absolument que nous retrouvons maintenant celui qui a invoqué mon nom secret.
Isis opine du chef et s'envole, transportant entre ses bras son mari. Leur sœur, Nephthys, demeure dans la salle du Jugement, la salle de la Psychostasie. Le couple arrive en Belgique, dans la ville Comines-Warneton, devant un restaurant oriental. Son nom : Osiris.
Le dieu regarde son épouse étonné et lui murmure :
— Isis, je suis perplexe... Moi, dans un restaurant... Mais, je ne connais rien à la cuisine et aux plats!... Mais pourquoi ce propriétaire m'a évoqué ?
— Rentrons à l'intérieur... Mais il faudrait être plus présentable, sinon tu seras renvoyé dans un musée d'Antiquités ou au Louvre au Département des Antiquités égyptiennes comme momie si tu arrives ainsi dans ce restaurant.
— Ah!... Très bien. Alors arrange-moi, femme!
Isis d'un coup d'aile sur son mari l'arrange, l'habillant en un complet classique noir et une chemise blanche. Sa double couronne est remplacée par un chapeau noir, sa barbe postiche est remplacée par une barbe de quatre jours et ses insignes de royauté sont devenus des bracelets d'or autour de chaque poignet. Isis s'arrange elle-même pour être plus présentable, faisant disparaître ses ailes et apparaître une belle robe et une riche parure. Le couple entre dans le restaurant et commande un plat. Isis constate une odeur cadavérique prononcée dans l'air. Elle se tourne vers Osiris et est frappée de la soudaine réalisation. Isis chuchote pour elle-même :
— C'est de mon mari... Je dois camoufler son odeur... Vite!
Et la déesse sort un parfum de sa poche et asperge son mari. Ce dernier la regarde étonné et l'interroge :
— Femme, pourquoi ce parfum sur moi ? Suis-je si puant ?
Le serveur leur apporte leur plat et s'éclipse. Le couple mange en silence. Osiris, un peu fâché sur son épouse, est très gêné par le costume qu'il considère pire que ses bandelettes. Il se demande bien comment les hommes peuvent supporter ces complets qui sont fort contraignants... Surtout la cravate... Un mystère pour le dieu égyptien.
Une fois le repas terminé, mangé et payé, le couple sort du restaurant. Osiris demande à sa femme :
— Isis, je comprends que le mortel voulait que je l'apporte une aide en nommant son restaurant en mon nom... En tant que dieu ayant une affinité avec l'agriculture, c'est vrai que j'ai un rapport avec la cuisine... D'une façon très généreuse... Mais, chérie, il m'a donné une idée!
— Laquelle ?
— Remarquant que nous ne sommes plus vénérés, et que le monde n'est pas parti dans le chaos... Allah existe et maintient ce monde... Le monde est devenu monothéiste... Donc, on pourrait se rendre utile ma chérie en travaillant. Je pourrai être cuisinier, qu'en penses-tu ?
— Bonne idée, mais avant, ne veux-tu pas travailler dans un salon funéraire pour ne pas être dépaysé de ton rôle de Juge des morts ?
— Bonne idée. Tu as raison, il ne faut trop brûler des étapes! Il faut aller en douceur pour s'adapter à ce monde. Alors allons-y!
Sur ces paroles le dieu demande à Thot s'il connaît la procédure pour trouver un emploi. Une fois que le dieu de la sagesse et de l'écriture lui a écrit un curriculum vitæ en arabe, en anglais et en français, langues que Thot a apprises il y a plusieurs millénaires et qu'il trouve beaucoup plus simple que les hiéroglyphes, et lui a expliqué le fonctionnement du monde, Osiris postule dans divers centres funéraires. Il est finalement convoqué en entrevue dans un centre funéraire à l'Occident, en Angleterre. Après l'entrevue, malgré l'impression qu'il laissa à son interlocuteur, il est embauché deux jours plus tard.
C'est ainsi qu'Osiris et Isis déménagent en Angleterre pour permettre au dieu égyptien de travailler dans un centre funéraire pour quelques années avant de changer d'identité et de travailler dans un restaurant... Toujours en Occident, ne voulant pas être dépaysé de son royaume, le Royaume d'Occident.