Histoires des dieux
En 2000, la maîtresse des bêtes sauvages était dans le Parc Animalier de la Grande Jeanne à Annecy, en Haute-Savoie, en France. Elle regardait les pauvres animaux dans des cages et imaginait déjà certains d'entre eux transpercés de ses terribles flèches, d'autres poursuivis par des fauves... La déesse soupira. Elle pensait qu'après plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires, à passer sa vie en marge de la société, en marge du monde civilisé et des villes, dans des parcs nationaux, qu'elle devait y mettre les pieds... Question de ne pas être ignare des affaires des hommes et d'être la risée auprès des autres dieux lors des rencontres annuelles... Elle se souvint avec nostalgie du Parc national des Pyrénées, un lieu qu'elle garda en bon souvenir dans sa mémoire immortelle lorsqu'elle résidait là-bas il y a cinq cent quatre ans.
Lors de sa promenade dans le parc, une idée lui vint à l'esprit. Elle avait trouvé ce qu'elle pourrait faire en ville.... Un travail, un métier. Elle murmura pour elle-même ;
— Que pourrai-je faire dans une ville ? C'est certain que je ne pourrai pas être lunatique. Ni être astronome spécialiste de la Lune... C'est tellement ennuyant... Ni être gardienne de zoo, c'est tellement insensé de garder des pauvres animaux emprisonnés dans des cages, tellement inhumain... ou plutôt tellement in-animal... Si le mot existe. Par contre, je pourrai être institutrice, puisque j'aime bien m'occuper des petits enfants avant leur maturité, avant l'âge de se marier... c'est-à-dire avant l'adolescence... Ou je pourrai être sage-femme, l'accouchement est mon domaine aussi. Avant de me décider, il faut partir en éclaireur pour savoir ce qui sera plus simple comme métier... Sauf si je demande conseil à Hermès. Ce dernier, en tant que dieu messager a bien vu les hommes évolués et saura me guider adéquatement.
Hermès apparut proche de la déesse vierge et lui affirma :
— Artémis, noble dame, je vous suggérerai le métier de sage-femme. Un métier qui vous sied bien...
Il lui fit un clin d'œil rempli de sous-entendu.
— ... Et qui pourrait vous faire changer d'avis. Vous pourrez fonder une famille, avoir vos enfants...
— Arrêtez de vous moquer de moi, s'offusqua la déesse. Et n'essayez pas de me séduire.
— Ok, j'ai compris... Et être sage-femme, c'est plus simple de se trouver un emploi. Apollon est médecin, il pourra vous aider à trouver une place comme sage-femme ou infirmière... Sans oublier que c'est plus tranquille comme métier qu'avec des enfants. Avec les plus petits, c'est plus simple d'avoir une autorité sur eux. Par contre, je vous déconseille les lycéens... Lorsque les hormones sont à leur summum, ils n'ont aucun respect pour leur professeur...
— Pardonnez-moi de vous interrompre, mais vous avez mentionné le lycée... Comme le Lycée d'Aristote ?
— Non... Vous êtes franchement au courant de rien concernant les temps modernes... Comme quoi les informations ne se rendent pas jusqu'à vos forêts et vos contrées sauvages, inhabitées et vierges... Vous êtes restée dans le passé... Entre-temps, il eut deux guerres mondiales, des révolutions, l'industrialisation et beaucoup d'autres nouveautés... Revenons au lycée. Ce dernier est précédé du collège et est suivi de l'université.
— Merci Hermès.
Le dieu messager s'envola, laissant la déesse seule avec ses pensées. Un peu plus tard, elle affirma fièrement :
— J'ai choisi! Je ne me laisserai pas dissuader par les propos d'Hermès. Je vais essayer au lycée. Si c'est impossible, alors j'essayerai à l'école élémentaire, puis comme sage-femme.
Contente de sa résolution, Artémis alla à Annemasse, au Lycée Jean Monnet. Elle se fit rapidement embauchée, mais elle abandonna après trois semaines. Les élèves étaient insupportables, avec des conditions de travail très contraignantes selon la déesse. En plus d'un programme complexe pour lequel elle douta de son utilité, surtout pour certains cours... Pourquoi n'enseigne-t-on pas aux élèves des méthodes de survie en forêt ou l'apprentissage du tir à l'arc se demanda maintes fois Artémis... Sans oublier les élèves qui ne manifestaient aucun respect pour elle, la critiquant et lui lançant des blagues à chaque dix mots.
La déesse postula comme sage-femme et institutrice et sollicita l'aide de son frère pour lui trouver une place.Heureusement Artémis trouva rapidement un poste grâce aux liens fraternels et au vaste réseau de connaissances d'Apollon. La déesse était contente de son travail de sage-femme... Mais elle était aussi attristée de sa situation... Elle, une déesse vierge depuis trop longtemps, désirait avoir un mari et des enfants. Son frère lui avait déjà dit, il y a cinq siècles, qu'elle devait se libérer de sa peur irrationnelle de plusieurs millénaires de ne pas se marier. Cette peur lui venait de sa crainte d'être mère, de porter un enfant en elle et surtout d'accoucher, de connaître les douleurs de l'enfantement. Artémis, ayant vu Léto dans les douleurs de l'enfantement, l'avait aidée à accoucher d'Apollon. Cet évènement l'avait marqué jusqu'aux tréfonds de son être. Évènement qui avait engendré chez la déesse un refus de toute maternité et de toute relation avec les hommes, un refus aux plaisirs de l'amour pour ne pas connaître les douleurs de l'enfantement. Et Apollon lui avait conseillé de se libérer de cette peur en suivant une psychothérapie. Et, maintenant, plus en réfléchissant sur sa situation, plus Artémis se rendit à l'avis de son frère... mais elle ne pouvait s'imaginer être la patiente de son frère... La déesse soupira, ne sachant trop que faire...
Le surlendemain, en se promenant dans un parc de la ville, une idée lui vint à l'esprit. La fille de Léto murmura pour elle-même :
— J'ai trouvé la solution à mon problème! Je n'ai qu'à rencontrer Aphrodite et à suivre une séance psychothérapeutique avec la déesse. Elle ne peut jamais avoir une influence sur moi, donc je suis certaine qu'elle ne pourra m'hypnotiser et me suggérer n'importe quoi.
Artémis, deux jours plus tard, se rendit en thérapie chez la déesse de l'Amour. Après deux semaines de séances thérapeutiques, Aphrodite était parvenue à libérer Artémis de sa peur irrationnelle. La déesse vierge fut ravie, elle ressentit qu'un poids immense est tombé de ses épaules millénaires. Elle continua son travail de sage-femme avec plus de facilité qu'avant.