Patrocle

Chapitre 15 : Achille 2

2018 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/09/2022 15:33

Le soir venu, un banquet fut organisé en l’honneur du roi Pélée de Thessalie, ses suivants et les nobles de Skyros étaient presque tous placés d’un côté ou de l’autre : quand le vin coulerait à flots, ils risquaient de s’échauffer à cause d’une phrase ou d’un geste mal interprété.

La princesse Déidamie était ravissante et revêtue de tous les attributs de la royauté. Elle portait un diadème en or, ses cheveux étaient tirés sur sa nuque en un chignon maintenu par de grosses épingles en or terminées par une tête de corail ; elle était habillée d’un péplum tissé d’argent dont les broderies, d’une extraordinaire beauté, imitaient le style des peintres céramistes et reproduisaient une scène de jeunes filles dansant devant la statue d’Aphrodite.

En revanche, ses demi-sœurs avaient été placées du côté opposé, à l’autre extrémité de la salle. La princesse qui, disait-on, ne s’entendait pas avec eux, avait préféré rester auprès de son père.

Les lits avaient été disposés sur les quatre côtés d’un rectangle. Au fond à droite, un unique passage avait été pratiqué à l’intention des cuisiniers qui apportaient les plats, et des serviteurs qui ne cessaient de verser le vin et de nettoyer le sol où les convives jetaient les restes.

Un groupe de flûtistes avait commencé à jouer et des danseuses évoluaient entre les tables, ainsi que dans l’espace ouvert au milieu du grand rectangle. L’atmosphère s’animait et Pélée, qui n’avait pas bu une seule goutte de vin, surveillait discrètement son fils. Il était splendide et altier, le visage fermé, le regard glacial ; on aurait dit qu’il dominait cette sorte de bacchanale, le vacarme des ivrognes et la musique stridente des flûtistes, comme la statue d’une implacable divinité de la vengeance.

Pélée poussa un soupire. Il devait absolument éloigner Achille de Lycomède avant qu’il découvre que sa fille aînée couche avec son fils. Ce dernier leva son verre et déclara d’une voix puissante.

— Je voudrais lever nos coupes à la santé de nos invités, et aussi pour annoncer un heureux évènement.

Il posa la main sur l’épaule de Déidamie.

— Ma fille aînée que je chérie entre toutes, va porter le voile de la mariée dans un mois avec le prince Cadmos de Ionie. Puissent les dieux nous donner de cette union un héritier au royaume de Skyros !     

Phénix qui était aux côtés de Pélée, eut soudain conscience d’un changement d’atmosphère dans la pièce. Il releva la tête pour regarder dans la direction d’Achille. Les gardes lui jetaient des regards nerveux et semblaient mal à l’aise ; même Pélée le regardait avec insistance.

Cadmos qui se tenait à la droite de Lycomède leva son gobelet, et Achille silencieux depuis le début regarda le siens puis sourit soudain et versa son vin par terre, le cœur de Pélée se glaça d’effrois.

— Voilà une bonne nouvelle, s’écria-t-il d’une voix puissante. Dommage que Déidamie va épouser un roquet

Déidamie blêmit. Tous ceux qui avaient entendu clairement la déclaration d’Achille se turent aussitôt et se tournèrent vers Cadmos qui avait bondi, le visage cramoisi, en proie à l’un de ses terribles accès de colère.

— Espèce d’idiot ! hurla-t-il. Fils de chien ! Ravale tes paroles ou je t’égorge comme un cochon ! Et il dégaina son épée pour mettre ses menaces à exécution.

Achille déposa son gobelet et se leva lentement. Son regard s’était fait glacial, et Cadmos avait aperçu l’homme dont parlait la légende, le jeune guerrier qui avait terrorisé les grandes cités Grecque. Achille s’était bâti une solide réputation de combattant et de tueur. Mais le prince d’Ionie était bien décidé à défendre son honneur.

— Je pense, avait dit Achille, qu’il ne serait pas sage pour nous deux de gâcher cette belle soirée. Tu es d’accord ?

— Je te tuerai, dit Cadmos à voix basse.

— Il n’y aura pas de sang versé ce soir, ordonne Lycomède d’une voix dure. Achille, mon garçon ! Présentes tes excuses a Cadmos et qu’on en finisse !

— Déidamie sera l’épouse du plus méritant des deux, répliqua Achille. C’est à dire entre moi et ce prince dont j’ai entendu dire qu’il excellait en ce domaine. Je compte bien vérifier si c’est vrai.

— Tu viens de commettre la plus grande erreur de ta vie, dit Cadmos avec un sourire cruel.

Lycomède les observa un moment, puis regarda Pélée qui baissa les yeux, le vieux roi opina du chef.

— Soit… j’accepte que ma fille épouse le gagnant de ce duel. Il sera mon beau fils et héritera de mon royaume. Faites place au centre.

Le Ioniens ne put cacher son contentement, il n’avait nul besoin des encouragements de sa suite. Combattre, il était né pour cela. C’était le meilleur guerrier de toutes les iles du sud réunis. Il avait piétiné, martelé, écrasé, lacéré, démembré, décervelé, plus d’une centaine d’ennemis. Il dépassait Achille d’une tête ; et avait des membres aussi gros que des troncs d’arbres. Il ôta sa tunique et secoua ses muscles monstrueux. Achille de son côté vida un autre verre de vin et le jeta au loin, puis avança au centre du cercle. Il paraissant bien frêle en comparaison de son opposant.

— Tu ne pèseras pas lourd face à moi ! éructa Cadmos le Démembreur.

Achille sourit plus amusé que jamais :

— Ta mère disait la même chose avant que je ne la défonce de toute ma longueur, gros sac à merde… Après, elle en redemanda… jusqu’à en crever de plaisir !

— Aaarrh !

Le Ioniens s’élança sur son adversaire, oublieux de toute prudence. Du moins sur l’endroit où celui-ci se tenait dans l’instant précédent. Achille  avait bondi sur le côté, puis riposta avec une droite qui sonna Cadmos, ce dernier tituba et tenta maladroitement de garder son équilibre.

Achille lâcha un léger ricanement. Il fit le tour du Ioniens sans le quitter des yeux, en prenant son temps.

— Attention, je vais frapper.

Le Ioniens avait retrouvé ses esprits mais Achille bondit une nouvelle fois, effectuant une passe trop vive pour être comprise à l’œil nu. Il trompa aisément la défense de son adversaire et lui infligea une pichenette sur l’oreille droite.

On ne pouvait mortifier davantage un Ioniens qu’il ne venait de le faire. La facilité de l’attaque, sa futilité, constituaient une injure plus cuisante encore que le coup de poing. Cadmos balança des poings qui manquaient leur but avant de hurler de dépit. Achille ricana encore, toujours en mouvement :

— Tu es pathétique ! Je vais frapper encore, attention.

Il bondit sur Cadmos ramassé en posture de défense. Un bruit d’os cassé, un hurlement de douleur, et le Ioniens se retrouvait avec un œil en sang. Son bras gauche tenait son flanc, inerte. Il n’avait rien vu venir.

— Décidément, se moqua Achille, tu es réellement pitoyable… Ta mère était plus vive que toi.

D’une nouvelle attaque, un ample mouvement coulé, Achille perça la garde du Ioniens qu’il massacra, à coup de poings. Ce dernier tomba par terre mais Achille plus impitoyable que jamais ne lui laissa aucun répit. Il lui cassa l’autre bras, puis lui agrippa les cheveux et le rua de coups encore et encore jusqu’à ce que Cadmos perde connaissance. Mais l’impitoyable prince de Thessalie le releva en lui agrippant la gorge, le regarda en fronçant les sourcilles, puis sourit comme un loup affamé et lui donna un dernier coup avant de le projeter au sol.

Tout le monde resta silencieux. Lycomède resta bouche bée, ce n’était pas un duel mais une boucherie. Il regarda sa fille et découvrit qu’elle avait les yeux en larmes, incapable de comprendre ce qui venait d’arriver. Achille se tourna vers le vieux roi et le gratifia d’un grand sourire.

— Puis-je vous considérer comme beau-père, maintenant ?

— Oui… oui tu es… tu es désormais mon gendre.

— A la bonne heure, s’écria Achille en ouvrant les bras. Puisque il en est ainsi, je vais représenter à la fois Skyros et la Thessalie aux jeux de Corinthe, a moins bien sûr que vos champions veulent se mesurer à moi.

— Il n’y aura plus de combat ce soir, mon garçon.

— Que la fête continue, alors.

Déidamie le regarda froidement, puis se retira avec sa suite. Achille haussa les épaules et demanda à ce qu’on lui verse une autre coupe. On emporta un Cadmos ensanglanté et les flutistes reprirent leurs chants. Pélée vint vers Achille et lui fit signe de le suivre. Ce dernier obtempéra en poussant un soupire.

Une fois à l’écart, le roi le regarda dans les yeux.

— Pourquoi as-tu fais cela, Achille ?

— Je me suis juste battu, rien de plus, dit Achille en riant.

— Rien de plus ? dit Pélée étonné. Je t’ai observé ce soir, tu t’es joué de Cadmos et tu l’as manœuvré comme tu voulais... comme tu le fais avec tous ceux qui essaient de t’affronter. Tu les agaces, tu les manipules et tu les fais provoques pour mieux les humilier. Mais ce soir, tu ne t’es pas contenté de ça. Même lorsque tu avais le dessus, tu as continué à pousser cet homme dans ses retranchements… pourquoi ? Parce qu’il allait épouser ta maîtresse ? C’était son tort ?

— J’ai seulement offert à Lycomède une alliance avec un parti plus avantageux, dit Achille qui cessa de sourire. Tu as acquis un allié de taille grâce à moi, et de plus je ferais gagner deux royaumes aux jeux de Corinthe. Cela n’à rien avoir avec cette fille, j’ai juste saisi une occasion en or, rien de plus, rien de moins.

— A condition que tu gagnes à ces jeux, bien sûr. Presque tous les grands guerriers de Grèce vont y participer, il y aura Ajax ton cousin, sans oublier ton ami Diomède fils de Tydée, et je ne parle pas de Philoctète ou d’Eumélos de Phères.     

— Personne ne peut me battre, tu le sais bien père.

Pélée inspira profondément pour se calmer.

— Je le sais, fit-il enfin, d’une voix empreinte de chagrin. Ta mère  a réussi à te convaincre que tu deviendrais le plus grand guerrier du monde, alors que tu étais trop jeune pour comprendre, elle t’a empli la tête d’idées de gloire. Oui mon fils, je sais très bien que tu es très fort, mais apprend aussi à respecter tes ennemis, un grand guerrier doit aussi connaître la compassion.

Cette fois Achille fit quelques pas et regarda son père dans les yeux.

— Tu as fait de moi ce que je suis, père ! murmura-t-il entre ses dents. Tu as tué la douce Sthéléné pour Achille le Buveur de Sang, assume tes actes et ne me parles plus de compassion pour mon prochain.

Le prince se retira, et Pélée demeura cloué sur place. Ses yeux étaient humides et sa main tremblait. Son fils venait de lui lacérer le cœur.

 


Laisser un commentaire ?