La lumière dont on hérite
Chapitre 1 : La lumière dont on hérite
3892 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 22/06/2023 12:20
La lumière dont on hérite
— 継がれる光 —
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Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr :
Perdu dans l’espace (mai / juin 2023)
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La pluie battante couvrait le moindre son qui pouvait naître dans les sous-bois. Aucun rugissement ne résonnait ; même les plus grandes des créatures qui vivaient en ces lieux se faisaient silencieuses. La forêt ancienne, qui regorgeait pourtant de vie d’ordinaire, s’était changée en un lieu désert, abandonné de toute vie, où même les plus petits des insectes avaient disparu, chassés par l’hostilité des éléments déchaînés. Même les larges feuilles des plus hautes cimes peinaient à ralentir l’inévitable chute des larmes du ciel.
Dans ce paysage affichant un visage qu’il ne lui connaissait guère, Aiden titubait. À la recherche d’un refuge dans lequel s’abriter de l’intempérie, il errait, mû par une force qu’il n’aurait jamais soupçonnée à son corps affaibli par la blessure qui saignait sur son flanc gauche. Avait-il fait une mauvaise chute, ou bien s’était-il pris un coup de griffe bien placé, il l’ignorait. Ses souvenirs étaient vaseux, comme ce sol où son pied droit s’enfonça, et dans lequel il manqua de s’écrouler. Se raccrochant du mieux qu’il put à une liane suspendue, il s’évita de trébucher, et resta un instant là, agrippé à cette corde naturelle bien placée, haletant, et perdu.
Ses souvenirs les plus récents étaient nébuleux. Il était parti en mission d’exploration, une simple observation – mais de quel monstre ? Il ne parvenait à se le remémorer – et de fil en aiguille s’était retrouvé là, accablé par une pluie lourde, blessé et, surtout, seul.
Seul. Voilà bien longtemps qu’il n’avait eu personne à ses côtés. Même lorsqu’il n’était qu’un gamin, chasseur autoproclamé de son petit village, il y avait toujours eu quelqu’un pour l’encourager, pour l’épauler. Les anciens du village, puis son mentor, le commandant d’élite Julius, qui lui avait tout appris de ce qu’il savait désormais. En arrivant à Astera, il était accompagné par toute une flotte de chasseurs mobilisés par la Guilde, et avait même sa fidèle assistante, Sadie, désormais son épouse, qui l’avait soutenu à travers toutes les épreuves auxquelles ils avaient eu affaire.
Mais là, il n’y avait plus personne et, pire encore, il ne trouvait plus son chemin. Les arbres qu’il venait de passer ressemblaient grandement à ceux qui se dressaient devant lui, et ce paysage assombri par les cimes et la pluie n’avait plus rien de familier. Lui qui, pourtant, s’y était aventuré maintes fois, et y avait passé des heures si ce n’était des jours au cours de ses chasses, ne savait plus vers où se tourner.
Ses jambières se remplissaient peu à peu d’eau, absorbant celle qui ruisselait dans le cours où son pied avait malheureusement échoué et, réalisant cela, il usa du peu de forces qu’il lui restait dans ses bras pour se hisser et s’en extirper. Trempé jusqu’aux os, sentant le métal de son armure travailler dans cette humidité abondante, le chasseur s’adossa au premier tronc venu pour reprendre son souffle. Une douleur fantôme le gagna, celle des trop nombreux doigts qu’il avait bêtement perdus de nombreux mois auparavant au cours d’une chasse. Remplacés par des prothèses articulées, issues d’un fin travail de réflexion et de mécanique, il ne gardait que peu de séquelles de l’incident, désormais loin derrière lui. Le hantait seulement cette souffrance vive qui le gagnait quelquefois, traversant tout son corps comme un cri strident, un appel à l’aide, et la sensation fugace de n’être plus qu’un demi homme à peine capable de faire son travail lorsque les tâches les plus simples devenaient impossibles.
N'avait-il pas inscrit son nom sur le tableau de quêtes à cause de cela ? Ne voulait-il pas prouver aux autres et à lui-même qu’il méritait toujours son titre de chasseur cadet d’élite et avait sa place au sein de la Commission de recherche, et de la Guilde ? Si tel avait été le cas, alors il avait été stupide de s’engager seul là-bas, sans même l’assistance de son fidèle palico. Cela ne servait à rien de tenter de prouver sa valeur d’une telle façon, et de tenter de trouver une raison de continuer, surtout si l’on risquait d’y laisser sa peau à cause d’un bête accident. Lorsqu’il rentrerait à la base, Sadie lui passerait un sacré savon.
Il fallait dire que ces derniers temps, tout n’avait pas été des plus simples à la maison. Avec l’annonce de sa grossesse, et les hormones qui la travaillaient, il s’était bien retrouvé désemparé. Il avait tant voulu être père, mais face au fait accompli, il avait pris peur. Sadie était toujours aussi belle, toujours aussi douce, et pourtant, lorsqu’il la voyait, son ventre s’arrondissant davantage semaine après semaine, une panique le prenait à la gorge, serrait son cou, et menaçait de l’étouffer. Peut-être était-il encore trop jeune pour cela ? Non, il ne devait se chercher des excuses aussi simples – il approchait de son trente-sixième anniversaire, il n’était plus un gamin !
Un coup de tonnerre retentit par-delà les cimes. Il sursauta, et cela eut pour effet de réveiller la plaie de son abdomen. Les saignements s’atténuaient avec les pressions qu’il exerçait dessus, mais il fallait traiter tout cela au plus vite. Et sans personne pour connaître sa position, ni la possibilité d’envoyer une fusée de détresse, car elle s’éteindrait sous l’averse sitôt serait-elle allumée, il ne pouvait compter que sur lui-même et ses capacités d’adaptation. Et, pour l’instant, il devait se trouver un lieu sûr où s’abriter afin de panser ses plaies.
Pourtant, il eut beau lever le nez et tenter de se repérer, il ne pouvait comprendre où il se trouvait précisément. C’était aussi impossible d’extirper de sa sacoche son compendium et la carte de la région, qui finirait en lambeaux dès lors qu’elle prendrait l’eau, devenant de fait complètement inutile. Non, il devrait se fier à ses talents de chasseur, il n’avait guère d’autre choix. Mais par où commencer, alors que tout se ressemblait autour de lui ?
Un pas après l’autre, il progressait, repoussant les fougères et les branches qui lui barraient la route d’un revers de main, l’autre exerçant encore cette douloureuse – mais vitale – pression sur sa plaie. L’obscurité régnait, bien que par-delà les nuages le soleil brillât, et les lumières qui dansaient sous ses yeux semblaient l’appeler vers un autre monde mystérieux. En réalité, ça n’était que la faible bioluminescence des navicioles qui l’accompagnaient, et lui montraient le chemin, mais même ces fidèles insectes rechignaient à quitter leur cage et à se faire agresser par les gouttes de pluie qui tombaient de plus belle.
Oh, quand il rentrerait, Sadie l’incendierait. Elle lui répéterait que c’était un stress inutile et dangereux pour l’enfant qu’elle portait, et finirait par le pardonner après trois longues journées où elle ferait mine de bouder. Il la connaissait bien, elle était toujours comme ça, et elle n’avait pas tort. Mais force était de constater qu’il était tout bonnement incapable de changer. Il resterait ce gamin turbulent et effronté, qui n’hésitait pas à se mettre en danger au nom d’une grande cause, usant tantôt de formules grandiloquentes pour gagner son public, puis de blagues un peu bêtes pour s’attirer la sympathie des foules.
Un éclair illumina la forêt, l’espace d’un instant, et le grondement du tonnerre rugit entre les troncs. Ce bref éblouissement lui permit, même un peu, de prendre quelques repères. Cet immense séquoia, sur sa gauche, puis ce groupement de pins un peu plus loin, délimitaient un chemin qui menait vers l’ouest. À moins que ce ne fût vers l’est ? Le doute l’assaillit, et une grimace tira ses traits. Bon sang, il avait mal. Mieux valait ne pas regarder l’état de sa blessure, c’était certain qu’il tournerait de l’œil et perdrait le peu de forces qu’il gardait.
Un pas, puis l’autre, et un troisième, et la douleur, mais il devait progresser, sans s’arrêter. La chaleur du sang coulant hors de sa plaie traversait l’épaisseur de son gant de cuir. Sa tête lui tournait, mais la fraîcheur de la pluie suffisait à garder assez de lucidité pour poursuivre cette ascension difficile. Aiden remarqua alors, en se disant cela, que le sol s’élevait en une pente. Était-ce réellement judicieux de la gravir dans son état ? Une voix lui susurrait que, là haut, il pourrait mieux voir ses environs, et identifier la route à prendre pour rentrer à Astera. Sous cette averse, jamais sa monture ailée ne l’entendrait, ni n’oserait voler. Il n’avait d’autre choix que d’attendre une accalmie, à moins qu’il ne retrouvât sa route et pût ainsi rejoindre la civilisation, dans le meilleur des cas.
Un grognement lui échappa, suivi d’un râle. Il avait fini par regarder sa blessure, et c’était bien moche à voir. Ses vêtements et son armure étaient fichus, teintés d’une belle couleur écarlate qu’aucun lavage ne saurait jamais rattraper. Le sang battait à ses tempes, et son cœur s’emballait. Était-ce l’angoisse de ne jamais regagner Astera qui le dévorait ainsi ? À moins que ce ne fût juste de devoir affronter les conséquences de ses choix, ce qu’il redoutait toujours. Il essuya son front, en vain ; sa sueur, mêlée à la pluie, revenait l’assaillir de plus belle, et ruisselait sur son visage. Quelques mèches rousses, un peu trop longues et qu’il lui faudrait retailler lorsque l’occasion se présenterait, lui tombaient sur les yeux, et obscurcissaient sa vision. Une fois encore, les chasser ne faisait rien de plus que leur redonner envie d’attaquer. Alors il les laissait, et maudissait les éléments qui jouaient contre eux, avant que la douleur ne revînt l’assaillir.
Le sol boueux mêlant terre et feuilles finit par laisser place à un immense pont de racines. Quand le changement s’était-il opéré, il l’ignorait. Il ne réalisa qu’une fois perché sur une corniche, le vide sur sa droite et un tronc millénaire sur sa gauche, qu’il avait emprunté le chemin vers les grandes hauteurs de la forêt. De nombreuses fois ses traques l’y avaient conduit, et il savait très bien où cela le mènerait, mais en cet instant présent, il doutait de la justesse de ses souvenirs. Était-il sûr et certain qu’il trouverait un abri là-haut ? Après tout, cette forêt était si dense qu’il devenait très simple de s’y perdre, même pour les chasseurs confirmés…
Une accalmie lui offrit un peu de répit. Non, c’était autre chose. La pluie avait cessé de le frapper, mais un épais rideau de gouttes tombait par-delà l’ouverture qu’il venait d’emprunter. La cavité du tronc, aussi grande qu’une salle de banquet, le sauvait de l’orage, pour l’instant, à défaut de l’aider à retrouver sa route.
Une brise vint caresser son visage, et lui arracha un tremblement. Trempé jusqu’aux os, il était tout bonnement frigorifié. Titubant jusqu’à l’autre bout de l’étage formé par le passage des monstres et du temps, il tut le cri de son corps, serrant les dents comme jamais. Pas même lorsqu’il s’était pris le feu du fatalis n’avait-il autant souffert – cette pensée le fit rire, bien qu’il ignorât d’où il pouvait encore puiser cette énergie. Il avait affronté des créatures légendaires et considérées comme immortelles, uniquement pour peiner lorsqu’une stupide blessure de débutant le lançait. Si c’était ça, être un chasseur exemplaire et expérimenté, alors il devait y avoir erreur sur l’intitulé.
Aiden s’appuya contre la bordure du tronc, trouvant en un lit de mousse un oreiller suffisamment moelleux pour y enfoncer son épaule, et reprit sa respiration. Ça n’était plus sa plaie, mais sa jambe tout entière qui le torturait à présent. Et bien qu’il pût apercevoir par-delà le brouillard de l’averse les lueurs d’Astera, il n’était pas en état de les rejoindre. Non, mais de là où il se tenait tant bien que mal, il pouvait aller là-bas, trouver de quoi soigner et passer la nuit, avant d’appeler à l’aide avec une fusée de détresse lorsque viendrait l’accalmie.
L’impression de sentir les parfums de la ville-colonie le gagna. N’était-ce pas le fumet des bons plats de la cantine, et celui du feu dans le brasero du poste du Commandant qu’il humait là ? Non, Aiden, ça n’était que le pétrichor qui, dans la fraîcheur de la fin de journée, prenait d’autres apparences selon les désirs de ceux qui le sentaient.
Il lâcha un soupir. Il ne pouvait que progresser, alors, et tenter de regagner ce havre dont lui seul connaissait l’emplacement, désormais.
Ses doigts crispés sur sa tenue ne lâchaient plus leur prise. Un grognement s’échappa de sa gorge ; il n’avait plus la force de les réprimer. Encore un effort, un dernier sursaut d’énergie, et le repos serait assuré. Mettre un pas devant l’autre, progresser sous cette pluie accablante, et retrouver le chemin jusqu’à l’abri tant désiré. Était-ce par là, ou bien avait-il fait fausse route ? Ne devrait-il pas retourner sur ses pas, et tenter de se repérer ? Non, son cœur lui indiquait qu’il fallait poursuivre tout droit à ce croisement, et tourner à gauche au prochain… À moins que ce ne fût à droite ?
Ses pensées s’entremêlaient, se chevauchaient, devenant un amas de mots, de formes et de visages dont il peinait à identifier les frontières. Le rire de sa femme, le regard d’un ami, le cri de son mentor, le sourire du Commandant – un véritable ballet de sons et d’images dansait sous ses paupières. Lorsqu’il les refermait, le temps d’un battement de cils, tout s’intensifiait, faisant disparaître, l’espace d’un infime instant, le vacarme de la pluie ainsi que ses tracas.
Pourquoi était-il venu en ce lieu dans un premier temps ? Que lui était-il arrivé pour qu’il errât ainsi sans but, une plaie s’aggravant peu à peu, avant qu’il ne reprît pleinement conscience en manquant de s’effondrer dans cet amas de boue qu’il avait évité de justesse un peu plus tôt ? Quelle mission lui avait-on confiée, et dans quelles circonstances celle-ci avait-elle dérapé pour le laisser dans un tel état ?
Peut-être était-il venu ici pour fuir quelque chose. La peur de l’avenir, de son infirmité, ou bien celle de devenir père. Il eut une pensée pour Sadie, et leur enfant à naître. Ces émotions qui le submergeaient l’inquiétaient. Que faire lorsque l’on avait jamais connu le sien ? Comment savoir ce qui était juste ou non, sans aucun repère sur lequel se placer ?
Soudainement, il trouva à cette forêt, où il avait longuement erré avant de retrouver un semblant de chemin, un sens. Elle était comme son esprit – un vrai labyrinthe – mais, tôt ou tard, le soleil viendrait illuminer ses pas, et le mener là où il devait être. L’avenir lui semblait flou, mais il finirait par sortir de ce brouillard qui obstruait sa vision. Petit à petit, son cœur s’allégea. Libéré de ces angoisses sur lesquelles il avait pu enfin mettre un nom et un visage, il se sentait quelque peu allégé. Son pas, qui aurait pourtant dû être assuré, glissa, et il trébucha sur le sol dur et humide. Son crâne heurta violemment le sol noueux, et il n’entendit plus le bruit assourdissant de l’averse.
Cela n’avait été l’affaire que de quelques secondes, mais Aiden peina à se remettre debout. Ses jambes ne répondaient plus. Il réalisa alors combien il avait repoussé ses limites en les ignorant délibérément. La plaie était toujours aussi laide à voir, mais il ne la sentait plus. Pourtant, il n’avait plus qu’un minuscule effort à faire… Il apercevait l’échelle de corde et de bois, elle était à sa portée… ! Si seulement ses jambes pouvaient se mouvoir, et le soutenir jusque là-bas…
Le chasseur rampa. Forçant sur ses muscles abdominaux, ignorant les signaux de détresse de son corps entier, il parvint tant bien que mal à destination – son havre, au milieu de ce lieu déserté par la vie. Là-haut, dans la petite cabane perdue entre les arbres et les lianes, il trouverait un refuge. Il serait à l’abri, il pourrait se soigner et se nourrir, et il se réchaufferait en attendant que l’averse se calmât. Demain, lorsque le soleil réchaufferait la forêt ancienne et illuminerait Astera, il enverrait sa fusée de détresse.
L’ascension fut la plus dure des épreuves jusqu’à présent. À chaque barreau où il posait son pied, et à chaque fois qu’il se hissait vers le suivant, il serrait un peu plus, encore un peu, un tout petit peu, ses molaires les unes contre les autres. Bon sang, il avait mal. Plus jamais il ne recommencerait. Si c’était pour finir dans cet état, mieux valait ne plus retourner sur le terrain.
La cabane l’accueillit comme un vieil ami. Elle était comme il l’avait laissée, intouchée après les événements qui remontaient à plusieurs années désormais, à l’abri des éléments et des créatures sauvages. Plus personne ne s’y rendait, si ce n’était lui. Son vieil ami n’était plus là pour entretenir les lieux, alors Aiden s’était fait gardien de son souvenir en ce lieu qu’ils avaient aimé bâtir ensemble.
Peut-être son errance dans la forêt ancienne n’avait eu pour but que de le ramener là, et de lui faire prendre conscience de la valeur du passé. Les souvenirs remontaient, comme l’émotion vive qui serrait sa gorge. Voilà que de son sang il souillait le sanctuaire inviolé ; la honte l’assaillait, mais la douleur se faisait plus forte, et il s’empressa de se dévêtir du haut de son armure afin de panser ses plaies, bien que certaines ne pussent guérir aussi facilement.
Son ami avait laissé tout le nécessaire dans leur cabane, et il avait veillé à en faire de même. Le confort primait, entre les petits fauteuils de toile bourrée de plumes et de coton et les tapis décoratifs. Il se remémorait le jour où ils s’étaient lancés dans la construction de leur petit havre. Tant de bons souvenirs affluaient… Il préféra ignorer la question qui venait à lui – ses larmes naissaient-elles de la douleur qu’il s’infligeait en réalisant les premiers soins nécessaires, ou bien plutôt de la peine qu’il ressentait en se remémorant son compagnon de chasse parti bien trop tôt ?
Dehors, l’averse semblait refuser de se calmer. Les linges salis par le sang et l’alcool qu’il avait utilisé pour désinfecter avant de recoudre tant bien que mal attendraient d’être rangés, lorsqu’il se sentirait un peu reposé. Un bandage noué autour de son abdomen, il s’affaissa dans l’un des fauteuils – celui qu’il utilisait toujours lorsqu’ils se retrouvaient là à deux, avant – et poussa un long soupir, vidant ses poumons de tout l’air qu’ils contenaient.
Les heures précédentes étaient toujours nébuleuses. Aiden ne remarquait qu’à présent qu’il n’avait pas son arme avec lui. Laquelle avait-il emmenée, il l’ignorait. Il aurait tout le temps de se poser et de faire le point lorsqu’il serait de retour à Astera. Oui, lorsqu’il aurait retrouvé son épouse, et senti leur enfant bouger dans son ventre, il retrouverait cet apaisement dont il avait tant besoin, et saurait réarranger les pièces du puzzle afin de tirer cette histoire au clair.
Après tout, il avait retrouvé son chemin.
La forêt ancienne l’avait conduit à s’égarer, jouant de son dédale d’arbres pour lui faire perdre la route, et l’appel d’un ami l’avait conduit jusqu’à un havre au milieu de cet endroit hostile. Il ne croyait guère au destin, et pourtant voilà qu’il se prenait à accepter qu’une force surnaturelle l’eût guidé jusque là. Pouvait-il lui demander une dernière faveur, celle de se voir octroyer le courage d’affronter ses craintes et son avenir ? D’ici quelques mois, sa demeure serait habitée par les pleurs d’un nourrisson ; face à l’inconnu qui l’effrayait tant, et devant lequel il se trouvait démuni, pouvait-il implorer une once de son caractère ? Lui qui était si calme et apaisé, et savait se montrer intelligent et observateur en toutes circonstances, pouvait-il le soutenir une dernière fois, face à ces épreuves ?
La pluie battante couvrait le moindre son qui pouvait naître dans les sous-bois. Aucun rugissement ne résonnait ; même les plus grandes des créatures qui vivaient en ces lieux se faisaient silencieuses. Au cœur de l’averse, Aiden laissa son esprit divaguer. Son sentiment de perdition laissa place à une douce mélancolie.
Et, dans un instant de faiblesse qu’il n’aurait pu montrer à personne, il se jura de nommer son fils à naître d’après son cher ami qui, en ce jour, l’aida à retrouver son chemin. Comme les astres qu’ils avaient suivis pour se rendre dans cette région du monde, il était la lumière qui éclairait les plus sombres de nuits afin de révéler l’espoir.
Dans un murmure, il lui adressa un timide remerciement, avant de perdre son regard dans l’immensité brumeuse de la forêt ancienne, et du Nouveau Monde qui s’étendait par-delà l’horizon.