Liens de famille

Chapitre 1 : Liens de famille

Chapitre final

7144 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/06/2022 09:23

Liens de famille

 

 

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Retour en enfance - (mai juin 2022)

 

 


« Un chasseur naît trois fois :

Lorsque sa mère le met au monde ;

Lorsqu’il tue son premier monstre ;

Et lorsque naît son premier héritier. »

Dicton populaire.

 

 

Le premier détail que remarquait un nouvel arrivant à Astera était la chaleur qui se dégageait de chacun des individus qui peuplait la ville-colonie, et les liens étroits qui unissaient ces groupes disparates composés de tant de personnes aux origines et histoires de vie différentes.

En vous promenant sur la place du marché, vous pourriez vous laisser tenter d’écouter ce qu’avait à raconter ce marin qui importait divers matériaux et ingrédients depuis l’Ancien Monde à chacun de ses voyages. Après toutes ces traversées, il avait bien dû vivre tout autant de sensations fortes que pourrait en éprouver un chasseur au combat.

Non loin de là, vous trouveriez les botanistes, dont l’amour des plantes, certaines endémiques au continent, déliait les langues. Les plus sympathiques vous proposeraient un tabouret pour éviter que vos jambes ne se fatiguent en restant debout, et poursuivraient leur monologue, avant de réaliser que jamais vous n’aviez formulé l’objet de votre visite. Il vaudrait mieux pour vous vous armer de patience dans ce cas.

Un peu plus haut, au sommet des innombrables marches de l’escalier de bois, crépitaient les flammes de la forge, où s’affairaient les meilleurs artisans qu’avait pu recruter la Guilde pour accompagner les chasseurs envoyés dans le Nouveau Monde. Si toutefois vous possédiez les ressources matérielles et pécuniaires, les forgerons se plieraient à vos requêtes – rien n’était impossible tant que l’on avait les ressources, y compris façonner une lame capable de percer les plus robustes des écailles recouvrant le corps des wyvernes.

Et enfin, si votre gorge venait à s’assécher, la meilleure route à prendre était celle vers le Grand-Pont où, sur une coque de bateau échoué en haut d’une falaise, vous pourriez déguster une des fameuses boissons que servaient avec ardeur les felynes ayant choisi la voie du tablier.

En vous installant à l’une des nombreuses tables, peut-être pourriez-vous entendre, d’ici quelques dizaines d’années, les vieux chasseurs, dont l’âge les rapprocherait alors plus de la retraite que de l’initiation, et leurs histoires aussi captivantes qu’incroyables. Celle que réclameraient vos camarades de Flotte, tout juste débarqués de leur long voyage, serait la légende autour de ce bateau échoué au sommet de cette titanesque pente raide de laquelle coulait abondamment une cascade.

Le principal concerné dans cette affaire avait quitté Astera depuis longtemps, trop occupé à explorer toujours plus en profondeur le Nouveau Monde qui gardait encore avidement bien de ses mystères. Si la chance venait à vous sourire, peut-être sera-t-il de passage la prochaine fois que vous viendrez boire à la taverne du Grand-Pont, qui sait ?

En ce jour où les sombres nuages s’amoncelaient, projetant leurs ombres sur les plages par lesquelles étaient arrivées les deux premières Flottes et, d’ici quelques années, la troisième qui amènerait à son bord tant de chercheurs que bientôt le continent n’aurait plus de secrets pour les Hommes – tout du moins, la commission de recherche l’espérait –, celui que tout un chacun respectait de par la figure d’autorité qu’il incarnait posait pour la première fois les yeux sur le petit être qu’il se jura alors de protéger jusqu’à ce que l’âge ne l’en rendît incapable.

On vint glisser dans ses bras, dénudés afin de mieux supporter la chaleur pesante et humide de la belle saison qui revenait cette année encore, une boule de tissus colorés, de laquelle ressortait un petit visage endormi. Bien que son teint fût hâlé, il apparaissait bien pâle comparé à la couleur de la peau de l’homme. L’enfant, né tout juste quelques heures plus tôt, récupérait déjà des émotions qui l’avaient parcouru alors qu’il plongeait dans l’immense océan de la vie.

Les yeux foncés du commandant d’Astera reflétaient toute la fierté qui l’animait en cet instant. Là, au creux de ses avant-bras, somnolant paisiblement, respirait l’enfant à qui sa fille avait donné la vie. Son premier et unique petit-fils.

« Enchanté de faire ta connaissance, Máel, souffla-t-il au nourrisson en approchant doucement son visage des joues rebondies. Je suis ton grand-père.

— Tu ne trouves pas qu’il te ressemble ? lui glissa son épouse en l’entourant de ses bras. Il y a quelque chose dans son menton qui me rappelle le tien.

— Ne dis pas n’importe quoi, Eleri. Il tient surtout d’Olwen qui, elle-même, tient beaucoup de toi. »

L’intéressée laissa résonner un rire clair, bien que fatigué. Depuis le lit où on l’avait aidée à s’installer, elle observait la scène avec tendresse. Ses parents, désormais grands-parents, fixaient avec admiration et amour son fils. Son propre époux à ses côtés assistait à la scène avec une immense fierté – jamais aucun d’eux n’avait connu de foyer plus chaleureux qu’en cet instant. La famille agrandie se réunissait autour du nouveau-né à qui le jour promettait toutes les étoiles tapissant le ciel nocturne chaque soir.

« À quel destin penses-tu qu’il aspirera, Gareth ?

— Prions l’Étoile de Saphir pour qu’il soit heureux avant toute chose. Je ne peux rien lui souhaiter de meilleur. Rien ne me rendra plus fier que de le voir grandir et s’épanouir, pour devenir celui qu’il voudra être. »

Son épouse vint caresser tendrement ses cheveux dont le brun tirait un peu plus jour après jour vers le gris et le blanc ; voilà qu’il franchissait un nouveau cap dans sa vie, et jamais il n’aurait cru pouvoir éprouver autant de bonheur. Son cœur cognait dans sa poitrine, et il était convaincu que Máel le sentait par-delà le sommeil dans lequel il baignait.

« Ma fille, tu es née pour la troisième fois aujourd’hui. Et toi, Máel, pour la première fois. »

En prononçant ces mots, comme une prière discrète pour que sa descendance choisisse la même route que celle qu’il avait lui-même empruntée une quarantaine d’années auparavant, il éprouva un élan de nostalgie mêlée à de la tristesse – celles qui accompagnaient le souvenir douloureux de l’absence d’un être cher vers lequel nos pensées se tournent dans les moments les plus heureux, ainsi que les plus tristes.

« Comme le dit le dicton, sourit Olwen. Un chasseur naît trois fois. »

Ce vieil adage avait traversé les générations, transmis de parent en enfant sans succomber aux époques, et rares étaient les individus aux oreilles desquels jamais il n’était parvenu. Trois naissances pour une seule personne, répétait-on. Le jour où la mère enfante, le jour où le premier monstre est tué, et le jour où le premier descendant venait au monde. Pour Gareth, cette troisième naissance remontait à une vingtaine d’années, alors qu’Astera commençait tout juste à s’ériger par-delà les terres hostiles, véritable havre de paix pour les Hommes venus coloniser ce continent inconnu dans l’espoir d’en découvrir plus sur le monde qui les entourait et les phénomènes anormaux auxquels ils assistaient. La deuxième, quant à elle, n’était pas marquée que de bons sentiments. Et si les choses avaient pu en être autrement, peut-être en aurait-ce été pour le mieux.

L’idée n’avait cessé de le hanter, même lorsque les cris d’un Máel affamé avaient empli la pièce où chuchotaient discrètement les adultes afin de ne pas le tirer de son sommeil. Gareth et Eleri avaient fini par prendre congé des nouveaux parents, eux-mêmes épuisés par cette journée. Et les souvenirs qui venaient assaillir le commandant d’Astera avaient eu raison de l’attention qu’il pouvait mobiliser pour son entourage. Seule la fraîcheur de la nuit savait apaiser les tourments auxquels son âme s’abandonnait.

Incapable de trouver le sommeil, il avait quitté le lit conjugal dans un grincement de parquet qui n’avait, par chance, aucunement troublé les rêves de son épouse profondément endormie. Comme lors de chacune de ces nuits d’insomnies, il avait sorti d’un des placards de leurs appartements l’infusion que l’une des botanistes lui avait conseillée afin d’apaiser son esprit tiraillé. Tandis que l’eau chauffait, à hauteur respectable des flammes du brasero de la cuisine, il s’installa en extérieur. Leur demeure était entourée d’une bande de sol de bois suspendue offrant depuis celle-ci une splendide vue sur la forêt ancienne qui murmurait là-bas. S’il se tournait en direction du sud, il pouvait contempler l’océan par lequel il était arrivé en ces lieux, et par-delà duquel reposaient ses propres parents.

Il réajusta le châle qu’il avait glissé sur ses épaules, par-dessus sa tunique, protégeant sa peau couverte de cicatrices, traces de ses combats victorieux, d’une brise qui vint lui chatouiller la barbe. C’était une belle soirée. Haut dans le ciel brillaient la lune et sa rivale, l’étoile azurée qu’avaient suivie les chasseurs afin de gagner cette nouvelle terre. Gareth se souvenait encore de la veille du grand départ, en compagnie de son vieil ami et camarade de promotion, sur le rivage où ce dernier aimait tant venir méditer. Les rochers étaient-ils toujours les mêmes, recouverts d’écume et de coquillages, ou bien la mer les avait-elle délaissés en se retirant toujours plus loin ? Un sourire étira ses lèvres au souvenir des longues conversations qu’il avait eues avec Merle. Il avait hâte de le revoir, de lui présenter Máel.

La tisane teintait peu à peu l’eau d’une belle couleur claire, et un doux fumet émanait de la tasse de céramique que sa mère lui avait transmise peu avant son départ pour le Nouveau Monde. Il frissonna avant de porter le récipient à ses lèvres, en se remémorant les étranges rêves qui l’assaillaient à chaque fois qu’il en buvait avant d’aller se coucher. Cette fois-ci ne ferait sûrement pas exception – pourquoi diable serait-elle différente ?

Le tremblement de sa jambe s’estompa tandis que les plantes apaisaient son corps, à moins qu’il ne s’agît seulement de l’effet rassurant qu’il prêtait à la boisson. Le vent, légèrement plus fort depuis la première fois, revint vers lui, souleva son châle. Le nuage de fumée se contorsionna, ondulant dans les airs avec grâce. Les volutes lui évoquaient celles d’un souffle chaud en pleine journée glaciale d’hiver. Et rapidement vinrent se dessiner dans les étoiles deux silhouettes – celle d’un enfant et celle d’un homme adulte lui tapotant affectueusement la tête. Son père.

Gareth songea au sien, qui était resté là-bas, par-delà l’océan, sur la terre qui l’avait vu naître, et mourir. Sa mère reposait aux côtés de son défunt époux, après l’avoir rejoint bien des années après ; il se souvenait encore du chagrin qui l’avait écrasé lorsqu’il lut la lettre qui l’informa de son décès. Olwen était venue au monde quelques semaines après.

Il engloutit d’une traite le reste de l’infusion, et s’allongea sur le sol de bois, ajustant le coussin sous sa tête afin de pouvoir contempler le ciel sans trop d’inconfort. La constellation avait bougé, le père enlaçait désormais son fils. Il ferma un instant les yeux, et inspira profondément, humant l’air frais et savourant cette sensation plaisante. Un grincement lui indiqua que quelqu’un venait s’installer près de lui, s’asseyant à-même le bois, laissant ses jambes pendre de l’autre côté des planches.

« Tu t’inquiétais de ne plus trouver ton mari dans ton lit ? demanda-t-il doucement en esquissant un sourire. Je croyais que tu t’étais habituée à mes insomnies. »

Eleri ne répondit pas. D’ordinaire, elle répliquait gentiment, lui envoyait une petite pique comme elle savait si bien en trouver. Intrigué par ce silence, il souleva ses paupières et, sans offrir aux figures célestes un nouveau coup d’œil, se redressa afin de la voir.

Un enfant patientait là, secouant ses jambes dans le vide d’un air impatient. Un jeune garçon à la peau brune, aux cheveux courts et bruns hérissés sur son crâne, et au large sourire. Gareth se reconnut, une quarantaine d’années plus tôt. Cet enfant, c’était lui, bien avant de débuter sa vie de chasseur. L’apparition le figea sur place, incapable de trouver quoi dire ou quoi faire. Était-ce seulement réel ? Les plantes se jouaient encore de lui, non ?

« Qu’est-ce que tu fais là ? » articula Gareth, interloqué.

Le garçon tourna sa tête vers lui, et répondit par un large sourire.

« J’attends mon papa ! Il m’a dit que j’ai droit à venir avec lui pour sa chasse !

— Ton papa ? répéta l’homme en fronçant les sourcils, se remémorant la silhouette du sien.

— C’est un chasseur ! Il tue des monstres pour gagner de l’argent, » expliqua l’enfant de sa voix fluette.

Quel âge avait-il alors ? Dix ans ? Onze ? C’était un petit qui n’avait pas encore connu l’horreur et la réalité du monde de la chasse. Bercé par les récits victorieux de ses aînés, il ignorait encore que l’on pouvait tout perdre une fois face à ces monstres sanguinaires. Combien d’amis et de compagnons avait-il vus tomber au combat ? Bien trop à son goût. À commencer par le plus important de tous…

Gareth cligna des yeux. L’espace suspendu en bordure de sa demeure laissa alors place au foyer dans lequel il avait grandi. La maison dans laquelle il était né et avait vécu jusqu’à la quitter pour faire ses classes à Dundorma. Un fumet alléchant lui parvenait depuis la cuisine – l’odeur du ragoût que préparait sa mère lui avait tant manqué ! – et le bruit des pas lourds de son père résonnèrent à travers la pièce. Son visage souriant n’avait pas changé, il s’en souvenait dans les moindres détails à présent. Et à bien y regarder, il lui ressemblait terriblement en vieillissant.

« Alors Gareth, prêt à chasser des kelbis ? Ce bon vieil Idris a fait cet arc pour toi, regarde ! »

Comment avait-il pu oublier Idris ? Le forgeron de leur village avait pris ce poste dès son arrivée, en constatant que personne n’avait choisi de façonner les armes et armures dont les chasseurs avaient pourtant grandement besoin. À l’âge de cinq ans, Gareth passait le plus clair de son temps à regarder l’homme donner aux lames leurs formes si particulières. À sept ans, il avait réclamé à apprendre à ses côtés – ce à quoi ses parents s’étaient opposés, invoquant comme excuse son jeune âge – et à dix ans on lui avait offert sa première arme, un arc de bois et de fer à la taille idéale pour un enfant, avec lequel il s’était durement entraîné jusqu’à le briser.

Gareth se doutait que son père avait dû batailler pour convaincre son épouse de le laisser emmener leur unique fils sur le terrain. Certes, il ne s’agissait que de kelbis, ces petits mammifères herbivores dont les cornes étaient particulièrement prisées, mais la forêt regorgeait de wyvernes toutes plus coriaces et dangereuses les unes que les autres. C’était un miracle pour qu’elle acceptât.

« Merci papa !! Avec ça je vais pouvoir t’aider !!

— Maman voudrait préparer un bon dîner avec la viande des kelbis, fit l’homme en s’agenouillant à hauteur d’yeux de son fils. Alors on va aller en chasser un pour elle, et on revendra ses cornes et sa fourrure, d’accord ? »

La joie et l’émerveillement qui illuminaient les yeux foncés du jeune Gareth trahissaient toute l’excitation qui parcourait son corps d’enfant. Et le Gareth adulte, qui observait la scène juste à côté, ne savait comment réagir. Il semblait qu’il fût un fantôme, incapable d’interagir avec les autres acteurs sur cette scène. D’autant plus que chaque seconde qui s’écoulait le convainquait toujours plus de l’issue de cette journée. Et il détestait cela.

« Vous y allez ? N’oublie pas de lui mettre des protections, Gerallt. »

Ce dernier répondit par un large sourire à son épouse, avant de tendre le nécessaire à son fils et de l’aider à revêtir un semblant d’armure.

« Ce ne sont que des kelbis, mais on sait jamais. Je ne veux pas vous voir rentrer blessés.

— C’est moi que je vais chasser le kelbi maman !! Tu vas être trop contente !!

— Je n’en doute pas, Gareth. »

Elle caressa affectueusement la joue de son fils. Gareth sentit la chaleur de l’amour maternel sur la sienne, comme s’il avait été à la place de l’enfant. Oui, il était bel et bien revenu à cette journée fatidique. Celle de sa deuxième naissance.

« Vous venez aussi monsieur ? »

L’enfant s’adressait à lui, et cela ne sembla pas choquer les parents, qui ne répondirent rien. Difficile pour l’homme de savoir quoi répliquer ou comment réagir. Car il savait pertinemment que c’était là une illusion provoquée par les herbes de la botaniste. Il n’était pas réellement revenu dans la maison de son enfance, pas plus que ses parents étaient miraculeusement redevenus jeunes. Non, les deux reposaient en terre, sous le chêne qui surplombait le cimetière du village, où Gareth n’avait plus remis le pied depuis son départ pour le Nouveau Monde. Il replongeait dans ses souvenirs, ceux teintés à la fois de joie et de douleur.

Et bien malgré lui, il acquiesça. Car dans cet engouement dont faisait montre son jeune lui, il revoyait sa chère Olwen à cette même période de sa vie. La fougue des enfants devenait étrangère lorsque l’on n’en côtoyait plus, et s’il ne s’était pas agi de lui-même, il aurait sûrement détourné le regard et préféré s’abandonner à la tranquillité et la fraîcheur de la nuit.

Il laissa le père et son fils partir en premier, et leur emboîta le pas, saluant silencieusement sa mère en lui adressant un dernier regard. Car il savait très bien que la prochaine fois qu’il la verrait, son visage serait inondé de larmes et tordu par la douleur.

Revoir les paysages de son enfance provoquait chez lui un étrange sentiment difficilement descriptible. Tout était à la fois familier et étranger, et il ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur l’apparence actuelle de son village. La forge était-elle toujours debout, et brûlait-elle toujours afin de façonner les équipements des chasseurs, ou bien avait-elle été rasée avec les années ? Et la place du marché, les mosaïques qui constituaient son sol brillaient-elles encore de leurs multiples couleurs ? Peut-être reviendrait-il en ces lieux lorsqu’il se retirerait de ses fonctions de commandant d’Astera.

« Attends monsieur, faut pas rester derrière comme ça ! »

Le jeune Gareth vint lui prendre la main, et le tira vers lui afin d’être entouré par les deux hommes. Gerallt ne releva pas, comme si seul son fils pouvait voir le chasseur vétéran. Dire que, lorsque Gareth avait l’âge de son père en ce jour, il érigeait chaque jour un peu plus Astera et explorait les régions inconnues du Nouveau Monde.

« Comment vous vous appelez ? Moi c’est Gareth, fils de Gerallt, que papa me dit de dire.

 — Je m’appelle Gareth moi aussi. C’est amusant, non ?

— Tu ressembles un peu à mon papa, c’est rigolo ! »

Il y avait tant de choses qu’il aurait voulu dire. Il aurait voulu enlacer ses parents, les remercier pour tout ce qu’ils avaient fait pour lui. Il aurait voulu conseiller son jeune lui afin de l’aider à se préparer pour les épreuves qui l’attendait. Mais rien ne lui vint, il ne put que marcher à leurs côtés en silence jusqu’à la forêt. Dans sa paume s’était glissée la petite main de l’enfant, terriblement chaude et douce. Leurs pas laissaient dans le sol meuble des traces, chacun s’imprimant sur la terre dans un petit crissement. Le vent les guidait jusqu’à l’orée du bois, aussi imposante que dans les souvenirs de Gareth. Il se souvenait de la crainte que lui inspiraient ces hauts troncs dans sa tendre enfance et se demandait si elle était réellement fondée alors.

Gerallt les guida jusqu’à l’entrée d’une clairière. Agenouillé aux côtés de son fils, il lui apprit à différencier les kelbis mâles des femelles – une histoire de longueur de cornes – ainsi qu’à se positionner, lui et son arc, afin de pouvoir transpercer leur pelage de ses flèches. Il en tuerait un, et ils iraient dépecer la bête afin d’en extraire tous les matériaux qui leur seraient utiles. Le petit Gareth trépignait d’impatience – son père lui avait promis cette chasse à deux des semaines plus tôt, et n’en pouvait plus de devenir, à son tour, un chasseur, si bien qu’il n’avait cessé de s’entraîner avec l’arc que son père lui avait offert, jusqu’à le casser. Celui façonné par Idris était bien différent, mais bien plus efficace.

L’un des cervidés approcha, broutant paisiblement l’herbe. Un mâle, en tête de groupe, suivi de quelques femelles. L’une d’elle, au ventre bien arrondi, attendait un petit. Ce serait bientôt la saison des naissances, où elles seraient plus difficiles à chasser. On racontait que la viande de femelle en gestation était bien plus savoureuse, et c’était pour cette raison que Gerallt incitait son fils à viser la mère, un peu en retrait du groupe. La flèche partit, et se ficha en plein cou de la bête, qui tomba au sol et agonisait dans une flaque de sang qui imbibait les brins d’herbe scintillants.

Gareth s’éveilla en sursaut.

Allongé sur le sol de bois, le coussin sous sa tête, ses yeux se posèrent sur les étoiles qui avaient à peine bougé là-haut dans le ciel. Ce rêve lui avait paru durer une éternité – l’appréhension était tant déplaisante. Il se massa les tempes et se frotta les yeux. Par l’Étoile de Saphir, tout ça n’était qu’un cauchemar, un souvenir revenu le hanter des années après. Il avait pourtant cru avoir enfoui ce sombre jour dans les tréfonds de sa mémoire. Dire que jamais les angoisses n’avaient ressurgi à la naissance d’Olwen – pourquoi avait-il fallu qu’elles attendent celle de Máel pour l’assaillir et le terroriser en pleine nuit ?

Il se redressa et se mit en position assise, non sans grimacer. Les années de chasse en maniant la morpho-hache n’avaient pas fait que du bien à son dos, il le constatait amèrement. Il espérait seulement qu’il pourrait malgré tout jouer avec Máel lorsqu’il grandirait, être présent pour lui lorsqu’il le réclamerait. Il serait le grand-père exemplaire qu’Olwen n’avait jamais eu…

Le bruit de la flèche transperçant la gorge de la femelle kelbi lui revint en mémoire. Difficile d’oublier la violence de ce qui avait suivi. Gerallt l’avait félicité pour ce coup parfait, et s’était avancé pour dépecer la bête, son fils lui emboîtant le pas peu après, une fois l’arc rangé dans son dos. Tandis qu’il expliquait comment procéder, où planter la lame afin de détacher la peau des chairs, où forcer pour découper les cornes et les sabots, un rugissement avait paralysé le jeune garçon de terreur. Une wyverne volante, immense sous ses yeux d’enfant, avait surgi des tréfonds du bois et fonçait vers yeux. Une rathian, reine de la terre, à qui l’idée de voir ses proies chassées par des humains déplaisait fortement.

Gerallt avait réagi avec rapidité, poussant son fils dans les buissons et dégainant l’épée lourde qu’il portait dans son dos. La lame, presque aussi grande que lui-même, luisant sous les rayons timides du soleil qui perçaient la cime des arbres. L’œil du monstre recouvert d’écailles vertes brillait en retour. Les poches inflammables situées dans la gorge de la wyverne laissaient s’échapper quelques flammèches par-delà ses crocs faits pour déchiqueter les chairs.

La suite n’avait pas été belle à voir, et vous ferait de la peine si vous veniez à l’entendre dans les moindres détails. C’était justement pour épargner ses compagnons que Gareth se contentait de répéter que tout n’avait été qu’un malheureux accident de chasse lorsqu’il était impossible d’éluder la question. La vérité, arrachée difficilement à ses lèvres d’enfant à l’époque, était plus cruelle que cela. Gerallt avait longuement riposté face aux assauts de la wyverne mais, seul face à un monstre de cette envergure, avec en prime son fils à protéger non-loin de là, il n’avait rien pu faire. Ne restait désormais de lui que des ossements au pied d’un arbre, sa dépouille amputée par les crocs et atrophiée par le poison, couplé à l’hémorragie, qui avait eu raison de lui, ainsi qu’un vide immense dans le cœur de son fils.

Des pleurs lui parvinrent. Ceux d’un enfant qui tremblait en essuyant tant bien que mal les larmes qui ruisselaient le long de ses joues. Ses jambes suspendues dans le vide ne se balançaient plus. Seules ses épaules se secouaient à chaque sanglot. Des petits gémissements étouffés que l’on tentait de faire discrets. La petite silhouette tremblait dans l’obscurité de la nuit.

Gareth s’approcha du jeune lui d’un pas hésitant. Rêvait-il encore ? Tout paraissait bien réel désormais – la fraîcheur de la brise nocturne, le parfum de la tisane refroidie, le grondement d’un anjanath dans la distance…

Sa main se posa sur l’épaule de l’enfant. Il releva le nez vers lui, de grosses larmes débordant du coin de ses yeux. Ses lèvres tremblèrent avant de se tordre, avant qu’il ne fonde à nouveau en larmes.

« Papa… » gémissait-il entre deux hoquets.

L’adulte vint s’asseoir aux côtés de l’enfant, gardant son silence et pesant chacun des mots qui lui venaient à l’esprit. Que dire ? Qu’aurait-il voulu qu’on lui dise en ce jour fatidique ?

« Tout finira par aller mieux, murmura-t-il.

— Comment ? souffla le petit garçon en reprenant difficilement sa respiration. Ça fait trop mal…

— Je comprends ta peine. Moi aussi, à ton âge, j’ai perdu mon papa. Il a été tué par un monstre pendant une chasse. Il n’était pas préparé pour l’affrontement, et a fait tout son possible pour protéger les plus faibles. »

Une boule se forma dans sa gorge. Il n’aurait pas cru que l’émotion viendrait l’assaillir aussi puissamment, quarante ans après les faits. La plaie ne s’était jamais réellement refermée, c’était une blessure chronique qui continuerait de le faire souffrir jusqu’à ce que sa mémoire lui fît défaut.

« Mais tu sais, nos ancêtres nous observent, de là-haut. — Il fit un geste en direction du ciel et des étoiles qui brillaient de mille feux au-dessus de leurs têtes. — Et chacune de tes victoires du quotidien, ils les célèbrent. »

Le petit Gareth leva son visage, scrutant la voûte céleste où l’Étoile de Saphir brillait de mille feux, éclipsant presque les petites étoiles qui se faisaient discrètes à ses côtés. Même la lune, pleine et ronde, se cachait timidement derrière des nuages clairs un peu plus loin. La constellation du père caressant affectueusement la tête de son fils était désormais introuvable.

« Tu veux devenir chasseur, non ?

— Je sais pas… J’en avais envie, mais je veux plus trop…

— Tu as peur qu’il t’arrive quelque chose ? »

L’enfant acquiesça. Difficile de lui prouver qu’il ne lui arriverait rien pendant au moins quarante ans. Mais Gareth ne put s’empêcher de sourire.

« Alors je te conseille de choisir une arme avec laquelle tu te sens à l’aise, à laquelle tu peux faire confiance, et de la maîtriser pour qu’elle ne soit plus que le prolongement de tes bras. Et si tu y parviens – ce dont je suis certain – tu verras que les monstres ne te feront plus peur. »

Ses doigts, entremêlés sur ses genoux par nervosité, se délièrent. Sa paume se glissa sur l’épaule de l’enfant qu’il serra doucement. Le petit tremblait, secoué par ses émotions. La plaie béante était encore fraîche et, à vif, brûlait.

« Et à l’école, quand tu apprendras tout ce qu’il y a à savoir sur la chasse, tu te feras de bons amis, les meilleurs du monde, qui t’accompagneront et te soutiendront quoi qu’il arrive. Tu rencontreras un gaillard tellement costaud qu’il cherchera constamment à affronter les monstres au corps à corps, et optera finalement pour un marteau de guerre parce qu’il faut forcément avoir une arme pour se battre. Il y aura ce garçon un peu timide qui se cachera beaucoup sous son armure, mais qui aura un cœur d’or et t’épaulera à la moindre difficulté, même s’il est un peu borné. Tu seras aussi très proche d’une fille formidable qui n’aura pas son pareil pour repérer les monstres et les traquer, incollable sur les wyvernes et leurs spécificités à chacune. Et tu trouveras ton meilleur ami en un Wyvérien un peu plus âgé que toi, mais très calme, qui maniera si bien l’insectoglaive que tu ne pourras pas t’empêcher de le regarder virevolter dans les airs avant d’asséner des coups aux monstres que vous chasserez. Tous les cinq, vous serez excellents. Et, de là-haut, ton papa te regardera avec tant de fierté que tu sentiras son amour déborder des étoiles et te bercer à chaque instant. »

Les mots lui avaient échappé, s’étaient libérés de ses lèvres sans qu’il ne puisse les retenir un seul instant. Mais son cœur s’en sentait si léger, désormais. Ces mots de réconfort, il aurait aimé que l’on vînt les lui dire. Il aurait tant voulu qu’on le rassurât quant à son avenir, ses fréquentations, et la joie de son défunt père…

« Est-ce que ça fait toujours mal ? » interrogea l’enfant d’une toute petite voix qui osait à peine interrompre le douloureux silence de l’adulte.

La respiration de Gareth se bloqua, et son souffle s’échappa dans un soupir. Sa main glissa de l’épaule ; il la ramena sur ses genoux, et gratta nerveusement la peau bordant l’ongle de son pouce droit. L’honnêteté était primordiale lorsque la discussion se faisait à cœur ouvert…

« Oui. »

Le petit garçon baissa le nez, renifla une nouvelle fois en retenant les larmes qui tentaient de s’échapper. Il était enfin parvenu à les calmer, mais elles revenaient l’assaillir, tout comme les regrets et les remords harcelaient l’esprit de l’adulte.

« Parfois, je pense à lui. Et je me souviens qu’il ne m’a pas vu grandir. Et je me dis que, quelque part, c’est de ma faute. Si je n’avais pas autant réclamé à aller chasser avec lui, peut-être aurait-il coulé des jours heureux aux côtés de ma mère avant de mourir de vieillesse. Il n’a même pas pu rencontrer sa petite-fille, ma petite Olwen… »

Sa gorge se noua, sa voix s’étrangla. Il avait appris à vivre avec ces pensées oppressantes à force de les voir revenir de temps à autre, bien qu’il eût fini par les repousser de plus en plus loin avec les décennies. Mais les formuler les rendait plus puissantes, plus violentes. Et mettre des mots sur ses ressentis et émotions ne lui apportait rien de bon. Comme un coup dans l’estomac déjà noué, c’était une sensation des plus douloureusement désagréables.

« Mais il m’a appris des leçons très importantes. Et celle dont je me souviendrai toujours, même quand je serai un vieillard incapable d’utiliser une arme, c’est ce dicton qu’il s’amusait à répéter. Un chasseur naît trois fois

Lorsque sa mère le met au monde, lorsqu’il tue son premier monstre, et lorsque naît son premier héritier, récita l’enfant, fier d’avoir retenu sa leçon. Mon papa le dit aussi souvent, quand il joue avec moi et me fait voler au-dessus de sa tête. Il dit qu’il sera très fier le jour où je serai né deux fois. »

Face à la mine de l’enfant qui s’assombrissait tandis qu’il réalisait qu’il devait désormais parler au passé, le cœur de Gareth se serra, et sa gorge s’assécha. Il déglutit difficilement, et prit douloureusement sa respiration. Car ce jeune lui ne le savait pas encore. Mais lui, même des dizaines d’années après, se souvenait de l’aube qui avait pris la suite de cette journée fatidique. Un groupe de chasseurs envoyé par la Guilde, dont la mission avait été de traquer et de capturer cette rathian, avait rendu visite à sa mère peu après avoir été mis au courant de l’acte de bravoure du père. Face à la dépouille de la rathian, morte de ses blessures, ils s’étaient rendus à l’évidence. Gerallt avait eu raison du monstre, d’une manière ou d’une autre.

Mais Gareth avait tout entendu, caché derrière la porte qui séparait la pièce de vie de sa petite chambre plongée dans l’obscurité, imperméable à tout rayon de soleil matinal. L’un des chasseurs avait mentionné une pointe de flèche retrouvée logée dans la gorge de la wyverne. Et il avait compris. Ce n’était pas Gerallt et son épée lourde qui avaient achevé le monstre, mais le petit enfant, qui avait désespérément tenté d’aider son père à la chasse en le voyant en difficulté.

Ce jour-là, il était né pour la deuxième fois, en achevant son premier grand monstre.

Ce qui aurait dû être un jour de grande fierté et de célébration n’était au final qu’amertume et tristesse.

« Je suis sûr qu’il le sera, articula-t-il enfin, quoique difficilement. Il sera toujours à tes côtés, même si tu ne le vois pas. Il t’accompagnera à chaque moment, dans les joies comme dans les peines. Et le jour où tu auras des enfants, et que tes enfants auront des enfants, tu sentiras ton cœur se gonfler de bonheur. Parce que tu sauras, à ce moment-là, à quel point il a toujours été présent malgré son absence. »

Le jeune Gareth acquiesça. Ses yeux rougis par les sanglots fixaient ses pieds, et le sol en-dessous. Il essuya d’un revers de manche ses larmes et renifla.

« T’as des enfants ? souffla-t-il alors. Tu es fier d’eux ?

— J’ai une petite fille. Je dis petite, mais elle a le double de ton âge maintenant, rit doucement le commandant. Et je ne pourrais pas être plus fier d’elle. Je suis sûr que mon père ressentait la même chose en me voyant grandir. »

C’était à peine s’il se souvenait en détail du visage de Gerallt alors qu’il était encore un jeune enfant désormais. Tout ce qui lui venait à l’esprit était une silhouette familière et rassurante, un visage reconnaissable mais dont il ne voyait plus les particularités. Le temps avait passé, la mémoire commençait à lui faire défaut, mais le corps n’oubliait pas. La chaleur de l’amour de son père l’entourait, cette nuit-là encore.

« Et, aujourd’hui, ma fille a donné naissance à un petit garçon. Un enfant adorable, que je me suis juré de protéger à tout prix. Il deviendra sûrement chasseur à son tour, ça coule dans nos veines. Mais j’espère secrètement qu’il ne choisira pas la même arme que mon père. J’aurais bien trop peur qu’il lui arrive le même sort. C’est une chance que ma fille ait préféré une arme à distance plutôt qu’au corps à corps, je lui souhaite d’en faire de même… »

Sa voix se dissipa dans un murmure. Les bruits de la nuit, qui s’étaient faits jusqu’alors discrets, revinrent à l’assaut de leurs tympans. Le vent caressa les joues, releva les mèches courtes qui tombaient sur les fronts, et s’engouffra sous les tuniques légères. Il y eu un autre cri bestial, au loin, celui d’un pukei-pukei réveillé en plein sommeil par une chute de fruits, ou bien par l’assaut d’un prédateur qui souhaitait le dévorer. Astera, que Gareth pouvait observer légèrement en contrebas, ne dormait pas non plus. Des lumières et des bruits de célébrations s’échappaient du Grand-Hall, là-haut, et quelques chasseurs, eux aussi insomniaques, avaient laissé leurs lanternes allumées. Certains étaient en ce moment-même en pleine traque, peut-être était-ce de leur faute si le pukei-pukei avait hurlé à l’instant.

Et pendant ce temps-là, il exorcisait ses peurs et regrets en parlant avec lui-même, avec une version illusoire de son lui du passé.

« Merci beaucoup, monsieur, lâcha alors le jeune Gareth en tournant son visage vers le sien, un sourire timide sur ses petites lèvres fatiguées de se crisper sous les sanglots. Ça m’a fait du bien de parler avec toi. C’est dur, mais je garde espoir que ça ira mieux un jour.

— Ce n’est qu’une blessure, elle ne se voit juste pas. Et comme toutes les autres, il faut lui laisser le temps de guérir. »

Il posa à nouveau sa main sur l’épaule de l’enfant. Cette fois-ci, il ne voulait plus la retirer.

« Tu as le droit d’être faible. Tu as le droit d’être triste. N’aie pas peur de ne pas toujours être à la hauteur. Ceux qui tiennent à toi seront compréhensifs et ne t’en voudront pas si tu faillis. Fais ce que tu peux, fais de ton mieux, et ce sera parfait. D’accord ? »

Il acquiesça. Un rayon de joie illumina son visage, le temps d’un instant. Malgré la douleur de sa plaie à vif, il cherchait à positiver. Gareth se surprit lui-même du courage dont faisait preuve son jeune lui.

« Sois fort à ta manière, pour toi et ceux à qui tu tiens. Ta mère, tes amis, ta femme et tes enfants le jour où tu en auras. Et pleure lorsque tu en ressentiras le besoin. Ne cache pas tes sentiments. »

Le garçon se leva, et lui fit face. Levant les bras bien haut au-dessus de sa tête, comme s’il voulait toucher les étoiles, il sembla attendre quelque chose de Gareth. Un sourire étira les lèvres de l’adulte et, une fois à son tour debout, il vint enlacer l’enfant, le serrant contre lui, comme le faisait son propre père lorsqu’il lui réclamait ainsi des câlins. Les doigts du jeune Gareth vinrent s’accrocher aux vêtements de l’adulte, et ce dernier perdit les siens dans la tignasse brune d’un geste rassurant et apaisant.

Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Il l’ignorait. Mais lorsque les rayons du soleil vinrent éblouir son visage, Gareth resta un instant subjugué par l’aube qui poignait par-delà l’océan et les montagnes du Nouveau Monde. Astera s’éveillait paisiblement, doucement. Et, lorsqu’il entendit par-delà le murmure matinal de la ville les pleurs d’un nourrisson appelant sa mère, Gareth remarqua qu’il était désormais seul dans la fraîcheur matinale et la douceur de l’aurore.

Silencieusement, il enfouit son visage dans ses paumes, et pleura. Ses sanglots timides se fondaient parmi les bruits matinaux tandis qu’un nouveau jour débutait. 

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