Deux ombres
Chapitre 9 : Une découverte inquiétante
3898 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 03/02/2021 12:46
Chapitre IX — Une découverte inquiétante
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La journée avait commencé comme n’importe quelle autre. Seliana s’était éveillée sous les rayons du soleil qui commençaient à percer la couche nuageuse presque omniprésente. Les quelques chasseurs adeptes des sorties nocturnes rentraient d’un pas léger, parfois revenant avec des cargaisons énormes de matériaux divers tirés des dépeçages de leurs proies. Aux bains se croisaient ceux qui se lavaient après une dure nuit de chasse, et ceux qui se préparaient à attaquer la nouvelle journée. La même scène se répétait à la cantine, où Aimee et son équipe de felyns cuisiniers s’affairaient sans broncher. Certains dégustaient un copieux petit-déjeuner pour mieux tenir toute la matinée et ne pas être tiraillé par la faim lors de leurs chasses, tandis que d’autres en faisaient autant pour ne pas se réveiller pendant leur sommeil en décalé.
Dylis, comme Uthyr, faisait partie du groupe majoritaire diurne de la population de Seliana. Il n’était pas rare qu’ils se croisassent à la cantine ; parfois, Dylis apercevait Efa qui sortait des sources thermales lorsqu’elle s’y rendait. Maintenant qu’elle y pensait, son chasseur disposait d’une source d’eau chaude privée dans ses quartiers ; n’y invitait-il jamais son assistante ? C’était bien là une des premières fois que la jeune femme rencontrait un duo de chasseurs qui n’était pas aussi proches. Elle qui aurait pourtant juré qu’il y avait plus qu’une simple relation de collègues de chasse entre eux, elle était à la fois surprise et… ravie – ? – par cette constatation. En y repensant, le fait que Uthyr ne parlât jamais à son assistante était déjà un gros indice.
En parlant de l’Étoile de Saphir… Elle ne l’avait pas aperçu ce matin-là. Lorsqu’elle avait subtilement demandé à la vieille felyne cuistot, en l’interrogeant sur les clients de la matinée, elle lui avait répondu qu’elle avait servi Uthyr très tôt ce matin-là, sans faire mention d’Efa. Étrange ; d’ordinaire ces deux-là étaient toujours collés ensemble lorsqu’il ne se trouvait pas dans ses quartiers privés, où son assistante mettait rarement les pieds.
Ce devait arriver qu’il allât faire des rondes seul après tout. Il n’en faisait qu’à sa tête, et ne respectait pas toujours les règles, alors cela n’avait rien de surprenant venant de lui.
Dans les vestiaires des thermes, alors qu’elle se dévêtait, elle croisa Efa qui sortait des bassins. La peau encore rougie par la chaleur des bains, elle la gratifia d’un large sourire duquel Dylis percevait une certaine forme de mépris, mais dont elle ne tint pas compte. Si cette assistante se croyait supérieure à elle, elle se trompait amplement. Après tout, qu’avait-elle à lui envier ? Dylis n’avait fait que panser les plaies de son chasseur. La jalousie qu’éprouvait Efa n’avait aucun fondement, si ce n’était un ego mal placé.
« Vous avez une chasse de prévue aujourd’hui ? demanda-t-elle en ôtant les nœuds qui retenaient son épaisse robe en haut de sa poitrine.
– On va peut-être aller faire un tour de reconnaissance, répondit sobrement l’assistante en frottant rapidement sa serviette sur ses courts cheveux châtains. L’amiral parlait de monstres qui agissaient bizarrement vers le nord-est du Givre.
– J’espère que vous trouverez quelque chose d’intéressant là-bas. Histoire de ne pas rentrer les mains vides d’une longue expédition.
– Ce sera toujours plus intéressant que de rester toute la journée ici, » ne manqua pas de rétorquer Efa.
Bien. Pour les sous-entendus, elle n’était pas mauvaise. Dylis aimait ce trait de caractère chez les autres mais, étrangement, cela lui déplaisait fortement lorsque les sarcasmes la visaient aussi clairement. Elle manqua de répliquer à son vis-à-vis qu’au moins elle participait activement à la vie de Seliana, contrairement à certaines qui ne faisaient qu’attendre dans les campements pour vaguement superviser un chasseur qui n’avait besoin que de lui-même et de son palico pour être efficace, mais elle se retint. Cela ne ferait qu’envenimer les choses, et elle n’avait pas besoin d’une rivalité stupide et futile entre elle et une camarade pour occuper ses journées.
Saluant rapidement son interlocutrice d’un signe de main, elle n’attendit pas plus pour aller se laver ; c’était son moment préféré de la journée.
Comme elle se permettait de traîner plus longtemps que ses consœurs le matin, les thermes étaient souvent peu bondés, voire même totalement vides, lorsqu’elle y arrivait. C’était l’une des chances d’être guérisseuse dans un monde de chasseuses et d’assistantes. Il y avait bien quelques Wyvériennes qui traînaient par-là elles aussi, mais cela était vrai à toute heure de la journée. La plupart des Wyvériens était, de toute manière, restée à Astera car ils dépréciaient fortement les températures basses du Givre. Cela forgeait leurs caractères que d’habiter dans un lieu hostile, disait-on.
Pressée de rejoindre la chaleur étouffante de l’eau, Dylis se hâta de frictionner tout son corps avec son pain de savon fait maison ; elle s’était simplement contentée d’ajouter des extraits de plantes pour le rendre un peu plus rugueux afin d’ôter plus facilement les peaux mortes, et d’y ajouter une petite senteur florale plutôt agréable, mais cela valait le coup. Si elle décidait d’abandonner son métier un jour, peut-être pourrait-elle se reconvertir dans la fabrication artisanale et la vente de ce genre de produits. L’idée l’amusa fortement.
La mousse qui se formait sur ses cheveux se dissipa rapidement lorsqu’elle renversa une petite bassine pleine d’eau sur sa tête. Le bruit clair que fit le tout en heurtant le sol de pierre était tout autant agréable que la sensation en elle-même. Elle égoutta ses cheveux et en fit une petit chignon imbibé malgré ses pressions pour les débarrasser du maximum d’eau, en vain. Puis, sans plus attendre, emportant avec elle sa courte serviette pour dissimuler un tant fût peu son corps, elle prit la direction des bains extérieurs. Elle préférait de loin le contraste entre l’eau chaude et l’air frais, tandis qu’à l’intérieur, on étouffait autant par l’eau que par l’air humide.
Immergeant le plus possible son corps – l’eau lui arrivait à mi-hauteur de la poitrine – elle eut un frisson qui la gagna rapidement avant de se dissiper. Quelque chose comme un mauvais pressentiment l’envahit à son tour, mais s’effaça presque aussitôt. Ce ne devait absolument pas être important, aussi se prélassa-t-elle un peu plus, profitant toujours plus de la morsure brûlante de l’eau sur son corps.
Que ferait-elle de sa journée après cela ? Elle avait refait tous ses stocks lors d’une expédition la veille, et par chance il n’y avait aucun blessé qui nécessitait de rester dans l’aile médicale et une surveillance accrue. Elle avait donc quartier libre, et cela lui déplaisait fortement. Ne rien avoir à faire était la pire des choses.
Maintenant qu’elle s’était pleinement installée dans ses nouveaux quartiers, elle n’avait plus aucun travail à y faire ; tout était rangé, nettoyé, réparé. Peut-être pourrait-elle broder quelque chose ? Elle se sentait d’humeur à se bricoler un nouveau pardessus ; le chanvre n’était pas la matière idéale pour se protéger du froid, mais elle était parfaite pour broder selon la méthode traditionnelle que lui avait enseignée sa mère. Une tunique pourrait faire l’affaire, sûrement. Il ne restait plus qu’à découper son tissu aux bonnes mesures. Elle l’avait teint quelques semaines auparavant grâce à sa mixture d’indigo ; il était désormais parfaitement sec et ne perdait plus sa couleur malgré les lavages. Oui, de la broderie, ce serait parfait…
Cette prévision pour la journée lui insuffla un regain de motivation, et elle se dépêcha de sortir de l’eau et de retourner se changer, après avoir frictionné chaque recoin de sa peau et chaque mèche de ses cheveux pour se sécher. Ses vêtements lui parurent bien lourds, après la légèreté de la nudité.
Elle avait rassemblé toutes ses affaires – à savoir ses serviettes de toilette et ses pains de savon – dans un petit panier d’osier tressé à la main que sa mère lui avait offert pour son dix-huitième anniversaire, et qu’elle réparait avec grand soin lorsque certaines parties venaient à céder. Passant son avant-bras dans l’anse, elle poussa nonchalamment la porte d’entrée de la station thermale, qui claqua dans son dos une fois qu’elle la passa. Le souffle glacé du vent la frappa de plein fouet, et si elle n’avait pas enfoui ses cheveux trempés sous son bonnet de laine tricotée, ils auraient pour sûr gelé et formé d’épaisses masses indissociables à moins de s’étendre près d’un feu de bois.
Un râle tétanisé lui parvint, et quelque chose vint lui saisir les jambes, agrippant le tissu et le tirant dans une direction un peu hasardeuse. Lorsqu’elle baissa les yeux, elle reconnut la silhouette de Fechín, emmitouflé sous une épaisse armure d’écailles rembourrée visant à autant le protéger des attaques des monstres que du froid. Chaque seconde qui s’écoulait apportait avec elle son lot de grognements et de miaulements désespérés tandis qu’il jetait vers elle des regards complètement paniqués. Elle s’agenouilla à sa hauteur, et s’adressa à lui.
« Qu’est-ce qui t’arrive, petit chaton ? »
Il eut beau miauler encore et encore, elle ne put comprendre le moindre mot de ce qu’il racontait. N’y tenant plus, elle lui demanda de la guider jusqu’à la cause de ses tourments, ce qu’il fit sans plus hésiter. Il se mit à courir à toute vitesse en direction des portes de Seliana, et se retournait de temps à autre pour vérifier qu’elle le suivait bien. Les bottes de la jeune femme se traînaient difficilement à travers l’épaisse couche de neige, qui commençait aussi à s’accrocher au bas de sa robe. Elle se maudit de ne pas avoir choisi des vêtements plus agréables à porter ce matin-là en se levant.
Le felyn la mena jusqu’à un coin près de la porte recouvert d’arbres et de buissons en tout genre. On voyait très clairement dans la neige les traces hasardeuses de son passage. Puis, un peu plus loin, à demi caché par les feuillages et par la neige, un corps gisait, étendu, inerte. Il ne fallut pas être des plus perspicaces pour comprendre de qui il s’agissait. Ce fut avec effroi que Dylis tomba sur les genoux, laissant choir son petit panier à ses côtés dans la neige, près d’Uthyr, dont le visage livide reposait sur un petit sac – probablement glissé là par son palico. Étendu sur le dos, il respirait difficilement – lorsqu’elle colla son oreille contre le torse de l’homme, elle n’entendit que faiblement son cœur, et l’épaisseur de son armure n’était pas la seule en cause.
Elle ordonna au palico d’aller chercher de l’aide ; à cette heure-ci, l’amiral et le commandant devaient se trouver dans le quartier général. Leurs bras musclés aideraient grandement à transporter le blessé. Elle fit de son mieux pour le retourner et le coucher sur le côté, et le mettre en position latérale de sécurité, en attendant les renforts. L’envie de le redresser et de commencer à le rapprocher de la ville était bien grande, mais ç’aurait été tout sauf professionnel.
« Est-ce que vous m’entendez ? Uthyr, si vous m’entendez, faites-moi un signe. Serrez-moi la main, articulez, grognez si ça vous chante, mais faites-moi savoir que vous êtes toujours là ! »
Son visage, dont le teint blafard était inquiétant, tombait, et de la salive s’échappait de ses lèvres entrouvertes. Ses yeux à demi clos étaient vitreux, et son regard absent. Il réagissait mollement à sa voix, et c’était à peine s’il réalisait dans quelle état il se trouvait. L’envie de le stimuler de toutes les manières – de la simple caresse de sa paume à une violente claque sur la joue – vint bien à l’esprit de la jeune femme, mais c’était – là encore – tout sauf professionnel, et ce serait dans tous les cas contre-productif. Tant qu’elle ne saurait pas ce qui s’était passé, ni ce qui lui arrivait, elle était dans l’incapacité de le sauver. Et à en voir sa léthargie, elle ne lui donnait plus beaucoup de temps avant le décès.
Par chance, Cornell et Máel arrivèrent à eux en très peu de temps ; le palico avait su se montrer convainquant malgré sa terreur, visiblement. Sans poser plus de questions, ils empoignèrent chacun le pauvre chasseur par l’épaule, et le mirent debout ; s’ils l’avaient lâché, l’homme se serait effondré face la première dans la poudreuse. Ils passèrent ses bras sur leurs nuques, et le soulevèrent à l’unisson ; les pieds d’Uthyr ne touchaient plus le sol, et il fut ainsi porté jusqu’à l’aile médicale. Dylis et Fechín suivaient le pas, inquiets, le palico tenant fermement entre ses pattes antérieures le casque qu’il avait lui-même ôté de la tête de son ami pour lui permettre de respirer. Le panier d’osier se suspendait au coude de la jeune femme, se balançait au rythme de sa marche.
Il fut amené et étendu sur le lit de la première chambre, l’une des rares qui disposaient d’un bassin ; le temps n’était pas aux futilités. Les deux hommes, obéissant aux ordres de la guérisseuse, dévêtirent le chasseur, tandis que Fechín expliquait ce qui s’était passé.
Ils étaient tous deux partis en expédition aux aurores, et ce qui devait être une simple promenade de reconnaissance s’était transformée en traque. Un banbaro agressif les avait pris pour cibles, et s’était violemment mis à les attaquer et à les charger. Dans leur fuite – force était de constater que Uthyr n’avait pas prévu les bons équipements pour affronter cette gigantesque wyverne de terre – un piège s’était ouvert sous leurs pieds. Si les palicos étaient fort agiles et pouvaient s’extirper de toutes sortes de situations requérant un minimum d’adresse, ce n’était pas le cas des humains, et Uthyr l’avait douloureusement confirmé. Une fosse creusée par d’autres chasseurs et dissimulée sous un amas de feuilles et de neige, ainsi que de branchages pour maintenir le tout, s’était ouverte, béante, sous ses pieds.
Et au fond l’avaient attendu des dizaines de plants de dame-poisons, qui s’étaient immédiatement ouvertes sous le poids de l’homme, répandant leur liquide visqueux et nauséabond sur le sol de terre meuble. Le banbaro n’avait pas été stupide ; c’était à cause de sa patte antérieure que le piège s’était ouvert, et il avait préféré prendre la fuite plutôt que d’affronter ses possibles responsabilités dans cet accident, laissant la victime des dégâts collatéraux se débrouiller seule pour s’en sortir.
Le poison avait mis son temps pour agir, c’était là les propriétés clés de la dame-poison. Les toxines produites par cette plante se déversaient au moindre stimulus, et pouvaient faucher même la plus coriace des wyvernes un tant fût peu sensible. Tout ce qu’il fallait était une surface sur laquelle se répandre et via laquelle s’infiltrer dans l’organisme de la créature. Une muqueuse était l’idéal, mais les dures écailles des monstres n’étaient pas non plus un frein. Un homme, même de la carrure d’Uthyr, plongé dans une cuve remplie de ce poison, n’en avait pas pour longtemps avant de succomber, si des antidotes n’étaient pas administrés rapidement.
Fechín ajouta qu’il avait mis du temps à s’extirper du piège, après avoir ingéré une fiole de contrepoison, et avait aussitôt pris la direction du camp en sifflant son drake ailé pour rentrer. Le cortos les avait lâchés à l’entrée de la ville, et il avait fallu parcourir le reste du chemin à pied, mais il devenait alors de plus en plus difficile pour l’homme de marcher, et de respirer. Le poison endormait progressivement le corps, ralentissant les fonctions vitales, et provoquant, à terme, la mort par manque d’oxygène, induit soit par l’arrêt de la respiration, ou par l’arrêt du cœur. C’était un miracle qu’il eût tenu autant de temps sans réels soins. Dylis s’en voulut d’avoir tardé à comprendre ce que voulait lui dire le palico.
« Sortez, je vous prie. Je vais m’occuper de lui. Et ne prévenez pas Efa. Il vaut mieux éviter qu’elle vienne me déranger. Je l’informerai moi-même lorsque je l’aurai sauvé. Si je le sauve. »
Elle l’amena jusqu’à la bassine d’eau où elle le fit plonger et l’assit. Le contact avec l’eau froide sembla lui faire maigrement reprendre conscience, et elle dut s’efforcer de garder son calme. Elle releva ses manches et frotta chaque parcelle de la peau avec un pain de savon, tout en ordonnant gentiment – quoiqu’un peu sèchement – au palico de faire boire à son compagnon de chasse les antidotes confectionnés exclusivement par les scientifiques pour lutter contre les effets des dame-poisons. Elle aurait pu utiliser un antidote général, mais il aurait été moins efficace, et n’aurait fait que retarder un peu plus les effets de la plante sur le corps. Par chance, Uthyr restait suffisamment conscient pour avaler sans recracher ce que lui offrait soigneusement son palico.
Elle eut beau changer l’eau plusieurs fois – dieu merci l’eau courante avait enfin été installée dans cette chambre-là –, celle-ci reprenait encore et toujours une teinte violacée bien qu’un peu plus pâle à chaque lavage, et l’odeur persistait malgré les senteurs parfumées des savons. Lorsqu’elle colla son oreille contre le torse abîmé du chasseur, elle entendit son cœur battre timidement, mais de manière régulière. Bien, ils avaient su arranger un tant fût peu la situation. C’était rassurant. Un grognement émanant de la gorge de l’homme confirma cette constatation.
« Louée soit l’Étoile, vous êtes en vie, soupira Dylis. Venez vous étendre, vous avez besoin de repos. »
Elle l’aida à se remettre sur ses jambes et à sortir du bassin ; elle prit le temps de soigneusement essuyer son corps. Uthyr s’allongea tant bien que mal sur le lit, et elle le recouvrit de chaudes couvertures en peaux de bêtes. Fechín s’occupa d’allumer l’âtre, qui vint réchauffer progressivement la pièce et, après quelques dernières vérifications, Dylis put enfin s’asseoir au chevet du patient. Elle lui prit la main qu’il lui tendait fébrilement, le rassurant en chuchotant quelques paroles douces.
« Vous êtes passé par pire que ça. Si l’on compare ça au poison des griffes d’un rathalos, celui des dame-poisons n’est rien. Les antidotes vont vous aider à guérir, ne vous en faites pas. Je serai là, à vos côtés, à vous veiller, et Fechín aussi. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous serons là.
– Merci, souffla-t-il difficilement avant de déglutir. Merci, Dylis. »
Cela ressemblait douloureusement aux adieux d’un mourant. Et elle détestait ça.
« Vous n’allez pas me faire ce coup-là ! gronda-t-elle, tout en contenant ses émotions et sa terreur. Pas à moi ! Vous allez dormir et vous remettre en forme ! Vous avez affronté la vouivre immortelle, vous ne pouvez pas succomber face à un simple poison de plantes ! »
Il lui adressa un sourire timide. Ses yeux se fermèrent, et il s’endormit paisiblement, épuisé par tant d’émotions et d’épreuves. Dylis retint ses larmes ; il était toujours dur d’affronter un stress aussi intense face à un patient en si mauvais état.
Mais Uthyr n’était pas n’importe qui, bon sang ! C’était l’Étoile de Saphir ! Celle qui guidait les chasseurs vers leur destin ! C’était en suivant cet astre qui brillait, haut dans le ciel nocturne, qu’ils étaient venus au Nouveau Monde, et c’était de ce guide céleste inspirant qu’il avait hérité de son nom. Elle vivante, jamais Dylis ne le laisserait succomber à ses plaies, elle s’en fit le serment.
Pendant les longues journées qui suivirent, elle et Fechín veillèrent le malade sans faillir. Il avait bien fallu prévenir Efa au bout du compte, et elle passait leur rendre visite et leur apporter des remontants de temps à autre. Elle était parvenue à mettre sa jalousie de côté pour soutenir la personne en charge des soins de son partenaire, et ce n’était pas plus mal au final. Une fois encore, les visiteurs se faisaient nombreux, mais Dylis ne s’autorisait à voir que Máel, Cornell et Heulwen par moments pour les tenir au courant de l’évolution de son rétablissement.
Les premières heures furent les plus décisives, et les plus stressantes. Uthyr alternait constamment entre deux états : soit il restait amorphe, et entendait-on à peine sa respiration, soit il s’agitait dans son sommeil et gémissait sans cesse. Son corps luttait contre le poison du mieux qu’il pouvait, et c’était tout sauf agréable pour lui.
Grâce à Fechín, elle put savoir exactement à quels endroits le poison s’était infiltré. Elle redoubla de vigilance, et frotta de plus belle la peau atteinte afin d’éviter tout risque supplémentaire. Et lorsque le chasseur reprenait un tant fût peu conscience, elle lui faisait avaler quelques gorgées d’antidote avant qu’il ne sombrât de nouveau dans l’inconscience.
Et au milieu de tout ça, ils attendaient, en luttant contre l’angoisse grandissante.